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Published online by Cambridge University Press: 30 December 2024
La démonstration de Francesca Trivellato, dans Juifs et capitalisme, part du premier chapitre des Us et coustumes de la mer d’Étienne Cleirac (1647) consacré à l’assurance et à la lettre de change. Les difficultés à intégrer ces deux instruments du droit commercial au sein du système des sources de tradition romaniste conduisent Cleirac à en attribuer l’invention aux Juifs. Cette opération essentiellement technique d’ajustement de la systématique des sources du droit entre néanmoins en consonance avec une mentalité répandue parmi la société des époques moderne puis contemporaine. En montrant le rôle des juristes dans l’élaboration d’une légende antisémite, le livre de F. Trivellato suscite une réflexion sur les apports réciproques développés ces dernières années entre l’histoire des idées et l’histoire du droit.
Francesca Trivellato’s analysis begins with the first chapter of Étienne Cleirac’s Us et coustumes de la mer (1647), focusing on insurance and bills of exchange. The difficulties of integrating these two instruments of commercial law into the framework set out in Romanist legal sources led Cleirac to attribute their invention to Jews. This essentially technical endeavor to adjust the system of legal sources was nevertheless in line with the prevailing mindset of the early modern period, and that of the centuries that followed. By revealing the role of jurists in crafting an antisemitic narrative, The Promise and Peril of Credit prompts a reflection on the reciprocal contributions in recent years between intellectual history and legal history.
À propos de Francesca Trivellato, Juifs et capitalisme. Aux origines d’une légende, trad. par J. Delarun, Paris, Éd. du Seuil, [2019] 2023.
1. « Il diritto commerciale, autonomia di una disciplina » de Marco Cian fait partie des essais introductifs de la très récente réimpression (2024) de la première édition du De mercatura, seu marcatore tractatus de Benvenuto Stracca (Venise, 1553), considéré comme l’œuvre fondatrice du droit commercial en tant que discipline autonome. Dans cette réimpression de 2024, le texte de B. Stracca est accompagné d’essais introductifs de Marco Cian (p. 13-29), Stefania Gialdroni, Raffaele Volante, Maura Fortunati et Giancarlo Petrella : Benvenuto Stracca, De mercatura, seu mercatore tractatus, éd. par M. Cian, Turin, Giappichelli, 2024 ; voir aussi Luisa Brunori, « Benvenuto Stracca : abogado y fundador del derecho comercial ‘científico’ (1509-1578) », in Ó. Cruz Barney et S. Dauchy (dir.), Historia del derecho y abogacía. Seminario internacional/Histoire du droit et de la profession d’avocat. Séminaire international, Mexico, Universidad Nacional Autónoma de México/Instituto de Investigaciones Jurídicas, 2020, p. 1-11.
2. Victor Le Breton-Blon, L’évolution de la lettre de change pendant la seconde modernité. Étude conjointe des pratiques, des réglementations royales et des discours à travers le port de Bordeaux, 1673-1789, à paraître aux Presses de l’université Toulouse Capitole.
3. Veronica Aoki Santarosa, « Financing Long-Distance Trade: The Joint Liability Rule and Bills of Exchange in Eighteenth-Century France », The Journal of Economic History, 75-3, 2015, p. 690-719.
4. V. Le Breton-Blon, L’évolution de la lettre de change…, op. cit.
5. Luisa Brunori, « La représentation comme droit : la lettre de change (xiv-xv s.) », in N. Goedert et N. Maillard (dir.), Le droit en représentation(s), Paris, Mare & Martin, 2017, p. 233-243.
6. Benvenuto Stracca, De assecurationibus, tractatus, Venise, Comin da Trino, 1569.
7. Sigismondo Scaccia, Tractatus de commerciis, et cambio, Rome, Andrea Brugiotti, 1619.
8. Wim Decock, « Christian Contract Law and the Morality of the Market: A Historical Perspective », in R. F. Cochran Jr. et M. P. Moreland (dir.), Christianity and Private Law, Londres, Routledge, 2020, p. 145-162 ; id., « Knowing before Judging: Law and Economic Analysis in Early Modern Jesuit Ethics », Journal of Markets & Morality, 21-2, 2018, p. 309-330 ; Luisa Brunori, « Ventes à crédit et spéculation au Siglo de Oro à travers le regard d’un des premiers juristes du marché globalisé : Tomás de Mercado et sa Suma de tratos y contratos (1569) », Revue des contrats, 3, 2016, p. 521-526.
9. Giovanni Villani (1280-1348) fut marchand, historien et chroniqueur ; son ouvrage, Nuova Cronica, relate l’histoire de sa ville, Florence, depuis l’Antiquité jusqu’à la première moitié du xive siècle. F. Trivellato souligne la fréquence avec laquelle les écrits de Villani furent utilisés pour nourrir la légende, y compris bien après leur rédaction et souvent de manière totalement décontextualisée.
10. Philibert-Joseph Masson, Instruction des négocians, tirée des ordonnances, édits, déclarations et arrêts, et des usages reçus, Blois, Philibert-Joseph Masson, 1736, p. 34 et 37 : « Il y a deux sortes de protêts, l’un faute d’acceptation, l’autre faute de payement […] les motifs du refus d’acceptation étant le défaut d’ordres ou de fonds. »
11. « Motifs du titre viii du livre ier. Présentés par MM. Bégouen, Fourcroy et Bérenger, conseillers d’État. Séance du mercredi 2 septembre », in Code du commerce. Édition conforme à l’édition originale de l’Imprimerie impériale ; à laquelle on a ajouté l’exposé des motifs, Paris, Frères Mame, 1810, p. 18.
12. « Décret infâme » est le surnom rapidement attribué au troisième des décrets concernant les Juifs en France, établi par Napoléon Ier le 17 mars 1808 ; ce décret visait la « réforme sociale des Juifs », réglementant l’usure, le commerce et la conscription des Juifs. L’historiographie juridique continue aujourd’hui à identifier ce décret par cette appellation, bien qu’il soit impossible de déterminer l’origine de cette expression.
13. Le projet ERC Advanced « Mediterranean Reconfiguration » qui a proposé une analyse des changements historiques conduisant à une « internationalisation » du commerce en Méditerranée du xve au xixe siècle est à cet égard emblématique. Ces questions sont examinées à travers l’étude comparative des litiges commerciaux et des procédures de conciliation concernant le commerce dans les villes portuaires méditerranéennes. Dans le même esprit, le projet ERC AveTransRisk se concentre sur l’analyse historique des institutions et leur influence sur le développement économique, en examinant un instrument juridique – la general average – qui soutient le commerce maritime en redistribuant les coûts des dommages entre toutes les parties intéressées.
14. À titre d’exemple, parmi d’autres : Ana Belem Fernández Castro, Justicia, comercio e instituciones en la carrera de Indias, siglo xvi, Toulouse, Presses de l’université Toulouse Capitole, 2024 ; Andrea Addobbati, Maria Fusaro et Luisa Piccinno (dir.), General Average and Risk Management in Medieval and Early Modern Maritime Business, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2022 ; Tijl Vanneste, Intra-European Litigation in Eighteenth-Century Izmir: The Role of the Merchants’ Style, Leyde, Brill, 2022 ; Francisco Apellániz, Breaching the Bronze Wall: Franks at Mamluk and Ottoman Courts and Markets, Leyde, Brill, 2020 ; Guillaume Calafat, Une mer jalousée. Contribution à l’histoire de la souveraineté (Méditerranée, xvii e siècle), Paris, Éd. du Seuil, 2019 ; Wolfgang Kaiser et Johann Petitjean (dir.), no special « Litigation and the Elements of Proof in the Mediterranean (16th-19th C.) », Quaderni storici, 3, 2016. Voir aussi le travail de numérisation de documents juridiques et commerciaux illustrant les dynamiques de la richesse et du commerce occidentaux qui ont façonné le monde de la seconde moitié du xve siècle au début du xxe siècle, réalisé par le projet « The Making of the Modern World ».
15. Le projet a donné lieu à deux publications : Luisa Brunori et al., Le droit face à l’économie sans travail, t. 1, Sources intellectuelles, acteurs, résolution des conflits, Paris, Classiques Garnier, 2019 ; Luisa Brunori et al., Le droit face à l’économie sans travail, t. 2, L’approche internationale, Paris, Classique Garnier, 2020. Il suffit de parcourir les tables des matières pour constater à quel point le dialogue entre droit, histoire et économie a été poussé.
16. Il s’agit du projet ERC Starting « Analysing Coherence in Law through Legal Scholarship » et du projet ERC Consolidator « Causal Pattern Analysis of Economic Sovereignty ».
17. Projet ERC Consolidator « Migrating Commercial Law and Language ».
18. Charlotte Broussy, Histoire du contrat d’assurance, xvie-xxe siècle. De la mer à la terre, Paris, LGDJ, 2023, ouvrage tiré d’une thèse en histoire du droit soutenue en 2016.
19. Francesca Trivellato, Juifs et capitalisme. Aux origines d’une légende, trad. par J. Delarun, Paris, Éd. du Seuil, [2019] 2023
20. Les cours de Michel Villey, dispensés de 1961 à 1966 et publiés dans La formation de la pensée juridique moderne, Paris, Montchrestien, 1968, puis réédités aux PUF en 2003, ont constitué la principale, sinon l’unique, référence en matière d’histoire des idées juridiques pour les historiens et historiennes du droit dans les dernières décennies du xxe siècle.
21. L’œuvre du romaniste Yan Thomas, et notamment ses articles republiés après son décès, dans Les opérations du droit, éd. par M.-A. Hermitte et P. Napoli, Paris, Éd. de l’EHESS/Gallimard/Éd. du Seuil, 2011, constitue une exception qui place au centre de ses investigations le « remodelage » des faits sociaux par leur qualification juridique.
22. Jacques Le Goff, « Histoire médiévale et histoire du droit : un dialogue difficile », in P. Grossi (dir.), Storia sociale e dimensione giuridica. Strumenti d’indagine e ipotisi di lavoro, Milan, Giuffrè, 1986, p. 23-64, reprochant notamment aux historiens du droit de ne pas voir ce qu’il y a « derrière le droit » et de rester attachés à un vocabulaire rigide et souvent anachronique.
23. Paul Koschaker, Europa und das römische Recht, Munich, Beck, [1947] 1966 ; Franz Wieacker, Privatrechtsgeschichte der Neuzeit. Unter besonderer Berücksichtigung der deutschen Entwicklung, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1967.
24. Sur les points de contact et les différences entre les travaux de Paolo Grossi et de Michael Stolleis, le numéro 24 de la revue électronique Clio@Themis, « Hommages à Michel Stolleis et Paolo Grossi » (2024), donne une bonne idée du point de vue des historiennes et historiens du droit travaillant en France.
25. À titre d’exemple d’intérêts nouveaux pour l’édition juridique, voir Robert Carvais et Jean-Louis Halpérin (dir.), L’histoire de l’édition juridique, xvi e-xxi e siècle. Un état des lieux, Paris, LGDJ, 2021.
26. Pour utiliser l’expression de Marc Angenot, L’histoire des idées. Problématiques, objets, concepts, méthodes, enjeux, débats, Liège, Presses universitaires de Liège, 2014, p. 61.
27. Frédéric Audren, « Introduction : l’histoire intellectuelle du droit ou la fin du ‘Grand Partage’ », F. Audren (dir.), no spécial « Juristes et sciences du droit en société. Éléments pour une histoire intellectuelle de la raison juridique (xixe-xxe siècles) », Clio @Themis, 9, 2015, https://doi.org/10.35562/cliothemis.1511.
28. G. Calafat, Une mer jalousée, op. cit., p. 18, à propos de cette expression empruntée au juriste belge Ernest Nys.
29. Jean-Louis Halpérin, « Une histoire transnationale des idées juridiques ? », G. Cazals et N. Hakim (dir.), no spécial « L’histoire de la pensée juridique : historiographie, actualité et enjeux », Clio@Thémis, 14, 2018, https://doi.org/10.35562/cliothemis.751.
30. Lauren A. Benton, Law and Colonial Cultures: Legal Regimes in World History, 1400-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 ; ead., Rage for Order: The British Empire and the Origins of International Law, 1800-1850, Cambridge, Harvard University Press, 2016 ; Martti Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations: The Rise and Fall of International Law, 1870-1960, New York, Cambridge University Press, 2001 et, plus récemment, id., To the Uttermost Parts of the Earth: Legal Imagination and International Power, 1300-1870, Cambridge, Cambridge University Press, 2021 ; David Armitage, Foundations of Modern International Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2014 ; Arnulf Becker Lorca, Mestizo International Law: A Global Intellectual History, 1842-1933, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.
31. Anne-Charlotte Martineau (dir.), La traite négrière vue par l’École de Salamanque, xvie siècle, Paris, Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice, 2023. Sur un angle critique à l’égard des thèses de Paolo Grossi, voir Simona Cerutti, Justice sommaire. Pratiques et idéaux dans une société d’Ancien Régime, Turin, xviiie siècle, trad. par G. Calafat, Paris, Éd. de l’EHESS, [2003] 2021, p. 101.
32. Voir Catherine Maire, De la cause de Dieu à la cause de la Nation. Le jansénisme au xviiie siècle, Paris, Gallimard, 1998 – un ouvrage qui ne peut être ignoré par les historiens et historiennes des juristes jansénistes.
33. Par exemple, Jérôme Ferrand, « La nécessité, passager clandestin de l’abolitionnisme beccarien », in P. Audegean et al. (dir.), Le bonheur du plus grand nombre. Beccaria et les Lumières, Lyon, ENS Éditions, 2017, p. 127-138.
34. Stefano Solimano, Amori in causa. Strategie matrimoniali nel Regno d’Italia napoleonico, 1806-1814, Turin, Giappichelli, 2017.
35. Jean-Louis Halpérin, Histoire de l’état des juristes. Allemagne, xix e-xx e siècles, Paris, Classiques Garnier, 2015.
36. Robert-Joseph Pothier, Traité du prêt de consomption, seconde partie « De l’usure qui se commet dans le contrat de prêt de consomption », in Œuvres de Pothier, vol. 5, éd. par J. J. Bugnet, Paris, H. Plon/Cosse et Marchal, 1861, p. 66.
37. Jean Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1689, p. 254-257.
38. Comme il le fait d’habitude, au point que sa connaissance de Grotius et de Hobbes a été questionnée, alors même que son ami Pascal était bien au fait de ces deux auteurs.
39. Jacques-Bénigne Bossuet, Traité de l’usure, Albi, J.-B. Rodière, 1826. Si ce traité n’a été édité qu’au xixe siècle, il était certainement connu quand J. Domat écrivait les Lois civiles. Or, il débute à la page 20 par cette phrase : « De tout ce qui a été dit en faveur de l’usure, je ne connais rien de meilleur, ni de plus judicieux que ce qu’en a écrit Grotius sur saint Luc », avant de réfuter les arguments de Grotius sur l’interprétation de l’Ancien Testament, notamment avec la mention de la « dureté des cœurs » des Juifs (p. 23).
40. [Jean Le Coreur], Traité de la pratique des billets et du prêt à intérêt entre les négociants, Mons, Gaspard Migeot, 2e éd, 1684, p. 116, pour une réfutation de l’argument de saint Ambroise (comment l’usure aurait pu être permise à l’égard d’étrangers qu’il fallait par ailleurs exterminer ?).
41. Wim Decock, « L’usure face au marché : Lessius (1554-1623) et l’escompte des lettres obligataires », A. Girollet (dir.), no spécial « Le droit, les affaires et l’argent. Célébration du bicentenaire du code de commerce », MSHDB, 65, 2008, p. 221-238 et id., Le marché du mérite. Penser le droit et l’économie avec Léonard Lessius, Bruxelles, Zones sensibles, 2019.
42. Christian Wolff, Principes du droit de la nature et des gens, vol. 2, trad. par J.-H.-S. Formey (1758), Caen, université de Caen/Centre de philosophie politique et juridique, [1758] 1988, p. 134-144.