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Gilles Deleuze au Québec

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2024

Alain Beaulieu*
Affiliation:
Faculté des arts, Université Laurentienne, Sudbury, ON, Canada
*
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Résumé

Gilles Deleuze est, parmi les penseurs français contemporains, celui ayant démontré la plus grande sensibilité à l’égard de la culture québécoise en intégrant quelques-unes de ses forces révolutionnaires dans son œuvre. C'est ce qu'illustre la première partie de l'article en faisant référence à des figures culturelles marquantes discutées par Deleuze : Jack Kérouac, Pierre Perrault, Michèle Lalonde, Norman McLaren et Alexis le Trotteur. L'article explore ensuite la réception de Deleuze au Québec dans et à l'extérieur des milieux universitaires en montrant que la pensée deleuzienne a pris part à la contre-culture avant d'acquérir une visibilité au sein des départements de philosophie.

Abstract

Abstract

Gilles Deleuze is a contemporary French thinker who shows the greatest awareness to Québec culture by integrating into his philosophical work some of its revolutionary forces. By way of illustration, the first part of this article attends to the contributions of prominent cultural figures — all discussed by Deleuze — namely, Jack Kérouac, Pierre Perrault, Michèle Lalonde, Norman McLaren, and Alexis the Trotter. The second part of this article explores the reception of Deleuze in Québec in and outside of academia. Notably, we will see how his philosophy was part of the counter-culture before even receiving recognition within philosophy departments.

Type
Article
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This is an Open Access article, distributed under the terms of the Creative Commons Attribution licence (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted re-use, distribution and reproduction, provided the original article is properly cited.
Copyright
Copyright © The Author(s), 2024. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Philosophical Association / Publié par Cambridge University Press au nom de l’Association canadienne de philosophie

1. Introduction

Le présent article, « Gilles Deleuze au Québec », n'entretient aucune visée chauviniste (l'auteur étant québécois), et il ne se veut pas une étude technique de la conceptualité deleuzienne. Plus modestement, l'article explore la façon dont la pensée d'un philosophe français contemporain s'est inspirée de, et a été introduite dans, la principale partie francophone d'un pays bilingue, et plus spécifiquement la province de Québec. Évoluer dans un pays bilingue, où une nation relativement petite d'environ 8,5 millions de francophones est entourée par plus de 360 millions d'anglophones (incluant le Canada et les États-Unis), présente déjà un intérêt de type deleuzien. Deleuze a vécu dans un pays unilingue où des écrivains et penseurs sont en quelque sorte opprimés par le poids de leur propre histoire, ce qui constitue un obstacle à l'invention d'un nouveau langage (et d'un nouveau peuple, d'une nouvelle terre, etc., pour reprendre des notions deleuziennes) apte à exprimer le monde différemment. Deleuze considère la littérature classique française comme étant généralement fondée sur l'imitation, la représentation, la métaphore, les figures œdipiennes, etc., alors que les écrivains américains parviennent mieux, selon lui, à créer une littérature de la variation, des devenirs et de la déterritorialisation (Deleuze, Reference Deleuze1993 ; Deleuze et Parnet, Reference Deleuze1996, p. 45–91). Ceci dit, Deleuze est également fasciné par certains auteurs européens dont le style favorise les différenciations linguistiques, les méthodes alternatives d’écriture et les hybridités culturelles. Pour lui, des écrivains comme Samuel Beckett, un Irlandais qui écrit en français, le poète roumain Gherasim Luca, qui lui aussi adopte le français comme langue d’écriture, ou encore Franz Kafka, un auteur d'origine tchèque écrivant en allemand, expriment une capacité particulière à créer une nouvelle langue dans la langue existante, ce qui conforte la formule de Marcel Proust maintes fois citée par Deleuze : « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère » (voir notamment Deleuze, Reference Deleuze1993, p. 7). À cet égard, on peut aussi penser à Herman Melville qui adopte le « outlandish », un langage folklorique de l'altérité qui cherche à rendre des identités non-familières (Deleuze, Reference Deleuze1993, p. 93). Tout ceci trouve des ramifications à la fois littéraires et sociopolitiques qui amènent Gilles Deleuze et Félix Guattari à forger la notion à connotation politique de « littérature mineure » (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1980).

Deleuze est fasciné par bon nombre de créateurs anglo-américains, qu'il s'agisse d’écrivains, de peintres, de cinéastes ou d'autres, qui manifesteraient plus naturellement que les Européens une sensibilité aux devenirs non historiques et aux événements. Mais qu'en est-il du Québec ? Au Québec, l’œuvre de Deleuze a suscité de nombreux commentaires, dont certains sont discutés dans le présent article. Cependant, aucune étude n'a entrepris d'analyser la nature particulière des relations entre Deleuze et la culture québécoise, ni en vue de dégager la façon dont Deleuze a intégré certains éléments de cette culture au sein de sa conceptualité philosophique, ni pour examiner les spécificités de la réception de la pensée deleuzienne au Québec. Le présent article souhaite combler cette lacune. Nous verrons que les références à la culture québécoise qui parsèment l’œuvre de Deleuze permettent à ce dernier tantôt de préciser certains concepts, tantôt d'en illustrer d'autres, ou encore d'en créer de nouveaux. Nous montrerons également que Deleuze ne s'intéresse pas de prime abord à l'histoire du Québec, mais qu'il tente plutôt de capturer des forces révolutionnaires et intempestives de création, développant ainsi les linéaments de ce que nous proposons de désigner comme une « métaphysique de la culture québécoise ». En ce qui concerne la réception de l’œuvre de Deleuze au Québec, nous verrons qu'elle a suivi une courbe similaire à ce qu'il est convenu d'appeler la « French Theory », à savoir que Deleuze a d'abord été accueilli à l'extérieur des milieux philosophiques avant d'acquérir une visibilité au sein des départements de philosophie. En outre, ces analyses permettront d'exposer ce qui fait l'originalité de la rencontre entre Deleuze et le Québec.

Le présent article comprend deux sections complémentaires, où sont analysées : 1. la présence de la culture québécoise dans l’œuvre de Deleuze, et 2. la réception de Deleuze au Québec.

2. La présence de la culture québécoise dans l’œuvre de Deleuze

Les échanges intellectuels entre la France et le Québec, facilités par une langue commune, sont indéniables. Ainsi, plusieurs philosophes français ont, au cours de leur carrière, rendu visite aux universités québécoises pour y prononcer des conférences et y rencontrer collègues et étudiants. Ce fut, notamment, le cas de Paul Ricœur, Jacques Derrida, Michel Foucault, Jean-François Lyotard, Michel Serres, Jean Baudrillard ainsi que Gilles DeleuzeFootnote 1 et Félix Guattari. À l'invitation des départements de philosophie et de sociologie de l'Université du Québec à Montréal, Deleuze et Guattari ont prononcé, à Montréal, en mars 1973, des conférences intitulées « Critique de la psychanalyse » et « Le despotisme du signifiant »Footnote 2. En outre, et en dépit de son aversion pour le voyage, Deleuze a traversé l'Atlantique une seconde fois pour participer, en 1975, à un événement public consacré à la schizoanalyse organisé à New York par Sylvère Lotringer, avant de se rendre en Californie où il a visité San Francisco ainsi que la région côtière du Big Sur, ce dont témoignent, notamment, des photos prises par Jean-Jacques Lebel (Damisch, Reference Damisch2005, p. 63–65). Durant ce périple de 1975, Deleuze n'a apparemment pas franchi la frontière nord des États-Unis. Les connaissances acquises par Deleuze de la culture québécoise, relativement limitées mais qui façonnent tout de même une partie de son travail, émanent donc du voyage de 1973, de lectures, sans doute de rencontres à Paris, et fort probablement de films visionnés dans des salles de cinéma parisiennes. Même s'il est moins physiquement présent au Québec que certains autres philosophes français, Deleuze est, parmi les penseurs français contemporains, celui qui dans son œuvre s'est montré le plus attentif à certaines particularités de l'histoire culturelle québécoise. Les discussions par Deleuze de travaux d'artistes tels que l’écrivain Jack Kérouac, le cinéaste Pierre Perrault et la poète Michèle Lalonde en témoignent. Les prochaines sections seront consacrées à la discussion par Deleuze de ces figures culturelles. De manière plus périphérique, les propos de Deleuze au sujet de Normal McLaren et Alexis le Trotteur seront également évoqués.

2.1. Jack Kérouac

Deleuze voue une indéfectible admiration aux littératures anglaise et américaine. Dans L'anti-Œdipe, par exemple, il écrit (avec Guattari) : « Étrange littérature anglo-américaine : de Thomas Hardy, de Lawrence à Lowry, de Miller à Ginsberg et Kerouac, des hommes savent partir, brouiller les codes, faire passer des flux, traverser le désert du corps sans organes » (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1972, p. 158)Footnote 3. Plus spécifiquement, Deleuze commente Kérouac à quelques reprises et témoigne de son estime pour cet auteur dont les romans sont représentatifs de la littérature américaine qui le passionne (voir par exemple : Deleuze, Reference Deleuze2003, p. 168). En outre, Kérouac exprime en langage littéraire des affects et des percepts qui interfèrent avec la conceptualité deleuzienne. Un commentateur de Kérouac, Marco Abel, écrit d'une manière qui nous paraît juste :

Deleuze never wrote an essay on Kerouac. However, throughout his various engagements with American literature, he frequently refers to Kerouac. Further, the type of vocabulary used by Deleuze (speed, movement, territory, earth, lines of flight) resonates immanently with Kerouac's. (Abel, Reference Abel2002, p. 247, n. 1)

Dans le contexte du présent article, il convient de rappeler que le nom original de Kérouac est « Jean-Louis Lebris de Kérouac » (avec un accent aigu sur le « e »). Il a vécu aux États-Unis, dans une famille d'origine franco-canadienne ayant déménagé vers 1920 dans la ville de Lowell, au Massachusetts, à la recherche d'une meilleure perspective économique. Avec son père, Léo-Alcide Kérouac, et sa mère, Gabrielle-Ange LévesqueFootnote 4, tous deux originaires de la région du Bas-Saint-Laurent au Québec, Jean-Louis, qui deviendra connu sous le prénom de « Jack », a parlé exclusivement français (ou plutôt canadien-français) à sa résidence du Massachusetts jusqu’à l’âge de six ans. Après être devenu célèbre, Kérouac a accordé des entrevues en français, une langue qu'il n'a pas oubliéeFootnote 5.

Deleuze n'a pas abordé la biographie de Jack Kérouac, et à première vue rien ne laisse présager qu'il ait porté une attention particulière aux origines franco-canadiennes de la famille Kérouac. Rien, à l'exception du fait tout de même notable suivant : dans la majorité de ses références à KérouacFootnote 6, Deleuze écrit le nom de l'auteur de Sur la route avec un accent francophone dans « Kérouac », prenant ainsi une certaine distance vis-à-vis de l’épellation plus courante « Kerouac » apparaissant, par exemple, en page frontispice des traductions francophones de ses romans. On regrette que cet accent aigu ait été systématiquement omis dans les traductions anglophones des ouvrages de Deleuze (voir, notamment : Deleuze et Guattari, Reference Deleuze, Guattari and Massumi1987). Kérouac est habituellement associé à la littérature américaine ou états-unienne, mais l'utilisation par Deleuze du « é » pourrait bien être une allusion aux origines franco-canadiennes de Kérouac. De là, on pourrait dire qu'il y a une relation de type deleuzien entre les origines de Kérouac et l’œuvre de ce dernier. En fait, la simple utilisation du « é » justifie un rapprochement de Kérouac avec la variété hybride linguistique constituée par des auteurs tels que Kafka, Beckett, Luca et Melville évoqués plus haut. En effet, le « é » exprime à lui seul un devenir minoritaire au sens où il rapproche Kérouac d'une altérité linguistique et culturelle qui contribue à déjouer les puissances normalisatrices de la langue majoritaire anglophone, à travers une littérature transculturelle de l'exil (Beaulieu, Reference Beaulieu2004 ; Malehy, Reference Malehy2016)Footnote 7. Avec Kérouac, la langue française est déterritorialisée et, à travers un devenir-anglophone, devient vecteur de déterritorialisation littéraire.

2.2. Pierre Perrault

Une autre référence à la culture québécoise, plus explicite cette fois, apparaît dans le deuxième tome des ouvrages de Deleuze consacrés au cinéma où il commente le travail du cinéaste-documentariste Pierre Perrault. L'importance de ce cinéaste québécois pour Deleuze vaut la peine que l'on s'y attarde plus longuement. Au début des années 1960, Perrault a été un pionnier du « cinéma direct », qui est souvent considéré comme l'une des plus importantes contributions, sinon la plus importante, du Québec et du Canada à la cinématographie mondiale. Le cinéma direct de Perrault a notamment inspiré le cinéaste français Jean Rouch, dont le travail est associé au « cinéma vérité », ainsi que Jean-Luc Godard à travers sa problématisation des rapports entre documentaire et fictionFootnote 8.

Les innovations du cinéma direct de Perrault sont à la fois techniques et idéologiques. Innovations techniques, entre autres, par l'utilisation d’équipements filmiques légers permettant de tenir la caméra dans les mains ou à l’épaule (ce qui était cependant déjà une caractéristique émergente de la Nouvelle vague française), et surtout par la synchronisation des images et du son qui constituait une réelle nouveauté pour l’époqueFootnote 9. Rappelons que, jusqu'alors, le son au cinéma était enregistré de manière indépendante par rapport aux images, comme c'est le cas, par exemple, avec le film À bout de souffle (1960) de Godard. Ces innovations techniques contribuent à donner un accès plus direct à la réalité. Par ailleurs, le cinéma de Perrault est également innovant sur le plan idéologique au sens où le cinéma direct vise à montrer les choses telles qu'elles « sont réellement », c'est-à-dire de manière indépendante d'un environnement artificiellement créé par un script pré-existant ou un studio préfabriqué, et de manière indépendante également du contrôle éditorial par l'institution filmique ou par une classe socio-politico-économiquement dominante. Dans ses films, où aucun acteur professionnel n'intervient, Perrault tente de saisir la vie de gens usant de leurs expressions régionales (tels que des insulaires), ou dépris de leur culture et de leur mode de vie urbains (tels que des chasseurs), ceci tout en maintenant les interventions du réalisateur et la mise en scène au strict minimum, jusqu’à les rendre idéalement inexistantes. Certaines scènes sont ponctuées de gestes grotesques spontanés et dépourvus de toute mise en scène (des personnages qui crachent, vomissent, parlent avec vulgarité, se battent dans un état d'intoxication, dépècent un animal, etc.), ce qui contribue à saisir directement la réalité des situations dans lesquelles les personnages évoluent.

Le film de Perrault intitulé Pour la suite du monde (1963) est emblématique du cinéma direct. Dans ce film, des villageois habitant l'Isle-aux-Coudres font renaître la pratique ancestrale de la pêche au béluga (aussi connu sous le nom de dauphin blanc et désigné comme « marsouin » par les insulaires), une technique de pêche qui consiste à planter dans la glaise au fond de l'eau une série de perches en bois permettant de faire échouer des bélugas qui se trouvent, à marée basse, piégés entre le rivage et les perches. Pour la suite du monde montre, à travers un effort collectif, les insulaires capturant un marsouin qu'ils transportent ensuite dans un aquarium de la ville de New York.

Perrault et les habitants de l'Isle-aux-Coudres ont besoin les uns des autres comme s'il s'agissait d’« intercesseurs », une notion chère à Deleuze, créée au contact de Perrault (Deleuze, Reference Deleuze1985, pp. 196, n. 30, 198, 200 et 290 ; Bogue, Reference Bogue2010, p. 18–19 ; Sirois-Trahan, Reference Sirois-Trahan, Arrien and Sirois-Trahan2008), et qui trouve un écho dans la suite de son œuvre (Deleuze, Reference Deleuze1990, p. 165–184 ; Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1991, chap. 3 et 5). En effet, Perrault a besoin des insulaires parce que son éducation bourgeoise et urbaine l'a éloigné des traditions populaires et traditionnelles, tandis que les insulaires ont besoin de Perrault dont le projet filmique fournit l'impulsion nécessaire à la renaissance d'une tradition depuis longtemps perdue, et ce, à travers une entreprise collective chargée de sens. De manière plus implicite, politique, et peut-être en partie inconsciente, la capture du marsouin exprime une volonté commune de changer le destin en puisant dans la mémoire pour forger un nouvel avenir. On pourrait dire que le film de Perrault exprime artistiquement un peuple en voie de créer un nouveau pays de possibilités qui est contemporain du nouvel esprit nationaliste se mettant en place au Québec au début des années 1960Footnote 10. De par sa charge révolutionnaire et sa puissance artistique, Pour la suite du monde de Perrault pourrait presque être comparé, malgré tout ce qui les distingue sur le plan historique et stylistique, au Cuirassée Potemkine de Sergueï Eisenstein. Bien sûr, la capture du marsouin dans le film de Perrault n'atteint pas le même niveau de violence, et ne contient pas la même valeur propagandiste, que la lutte anti-tsariste menée par le peuple dans le film d'Eisenstein. Mais les deux films partagent l'idée consistant à montrer des individus unissant leurs efforts en vue de réaliser un projet collectif émancipateur à l'aube d'une période de renouveau. En outre, les deux œuvres expriment avec une puissance esthétique colossale le thème d'un peuple « manquant » ou « à venir » récurrent dans les travaux de Deleuze.

D'un point de vue historique, l’émergence du cinéma direct correspond à une période de rapide et intense transformation sur le plan culturel, social, économique et politique au Québec : la Révolution tranquille. En plus ou moins une décennie, les francophones ont pris, dans la province, le pouvoir économique, jusque-là principalement laissé entre les mains des anglophones, de même que le pouvoir éducationnel, jusque-là principalement sous l’égide du clergé catholique. En un sens, le travail de Perrault exprime cinématographiquement et poétiquement l’état d'un peuple se créant lui-même au moment où ce dernier s’émancipe d'une domination économique, éducationnelle et religieuse pour produire une société laïque et progressiste à la faveur d'un retour à une tradition réactualisée. Cette sorte de retour différencié vers un passé en mesure de produire du nouveau trouve d'ailleurs une résonance avec le thème deleuzien de la répétition dans la différence. La prise du marsouin symbolise, quant à elle, la capture d'un imaginaire oublié, ce qui trouve une résonance avec le thème deleuzien du peuple manquant et nouveau à créer.

Pour la suite du monde ne montre pas une révolution militairement organisée et en marche, mais, de façon plus subtile et poétique, le film présente un peuple dont l'imaginaire aliéné est maintenant en mesure de créer le récit de sa propre existence. Ainsi en va-t-il des scènes qui montrent l'un des principaux protagonistes (Léopold Tremblay) tentant de convaincre des membres de sa famille et certains concitoyens, d'abord sceptiques, de relancer la pêche aux marsouins, en obtenant même l'appui moral du prêtre du village. On y voit se mobiliser des forces qui transforment un rêve en réalité. Ce faisant, d'un point de vue politique, Perrault « donne un imaginaire : l'imaginaire perdu d'un pays, il le donne aux Québécois »Footnote 11.

Selon une expression de Perrault, qui sera reprise par Deleuze, les personnages sont saisis « en flagrant délit de légender », et ce faisant contribuent à l'invention d'un peuple (Deleuze, Reference Deleuze1985, p. 196)Footnote 12. Cette dynamique entre l'acte de légender et la politique inspire à Deleuze la notion de « fonction de fabulation » (Deleuze, Reference Deleuze1985, p. 196), qui permet de libérer le film, de même que ses personnages, à la fois de la fiction divertissante et de la vérité dogmatique. La fabulation vient problématiser la dichotomie entre vérité (cinéma documentaire) et fausseté (cinéma de fiction). Plus précisément, la lecture deleuzienne de Perrault renvoie dos à dos la distinction épistémologique entre faits et fiction (Lavocat, Reference Lavocat2016), de même que la posture de type postmoderne qui retire à la raison et à la logique toute préséance dans l'accès au réel. Le « légender » de Perrault, qui devient chez Deleuze « fabulation », force plutôt à ne plus considérer comme acquises ou pleinement déterminées les composantes factuelles et fictionnelles du réel. La tâche consiste dès lors à assumer des processus de différenciation qui lient faits et fiction, soit sous le mode d'une explication conceptuelle (Deleuze), soit sous le mode d'une création artistique (Perrault). Deleuze écrit, dans L'image-temps :

Quand Perrault s'adresse à ses personnages réels du Québec, ce n'est pas seulement pour éliminer la fiction, mais pour la libérer du modèle de vérité qui la pénètre, et retrouver au contraire la pure et simple fonction de fabulation qui s'oppose à ce modèle. Ce qui s'oppose à la fiction, ce n'est pas le réel, ce n'est pas la vérité qui est toujours celle des maîtres ou des colonisateurs, c'est la fonction fabulatrice des pauvres, en tant qu'elle donne au faux la puissance qui en fait une mémoire, une légende, un monstre. (Deleuze, Reference Deleuze1985, p. 196)

Dans Pourparlers, Deleuze ajoute à propos du « légender » de Perrault :

La fabrication des intercesseurs à l'intérieur d'une communauté apparaît bien chez le cinéaste canadien Pierre Perrault : je me suis donné des intercesseurs et c'est comme ça que je peux dire ce que j'ai à dire. Perrault pense que, s'il parle tout seul, même s'il invente des fictions, il tiendra forcément un discours d'intellectuel, il ne pourra pas échapper au « discours du maître et du colonisateur », un discours préétabli. Ce qu'il faut, c'est saisir quelqu'un en train de « légender », en « flagrant délit de légender ». Alors se forme, à deux ou à plusieurs, un discours de minorité. (Deleuze, Reference Deleuze1990, p. 171 ; voir aussi p. 182)

Plusieurs commentateurs issus des études cinématographiques ou littéraires (voir notamment Gauthier, Reference Gauthier1983 ; Warren, Reference Warren1983 ; Albert, Reference Albert and Warren1999 ; Mesnil, Reference Mesnil and Warren1999) considèrent contradictoire la critique par Perrault de la fiction, la fiction étant souvent associée par lui à la superficialité d'Hollywood, de Disney et de Coca-Cola ou même à l'iconophilie du religieux (Perrault et Allio, Reference Perrault and Allio1983 ; Perrault, Reference Perrault1996, entre autres). Ces commentateurs invoquent, entre autres, le fait que Perrault renonce à la mise en scène et présente des acteurs non-professionnels, tout en choisissant néanmoins des scènes au montage et en transformant certains « non-acteurs » en personnages semi-fictifs. En quoi alors le « légender » que le cinéma-direct de Perrault souhaite capter « en train de se faire » demeure-t-il indépendant de la fiction ? Afin de mieux comprendre la critique de la fiction par Perrault, il convient de faire intervenir un point de vue ontologique, ce que réalise Deleuze, en rapprochant Perrault de la critique nietzschéenne de la vénération :

Quand Pierre Perrault critique toute fiction, c'est au sens où elle forme un modèle de vérité préétabli, qui exprime nécessairement les idées dominantes ou le point de vue du colonisateur, même quand elle est forgée par l'auteur du film. La fiction est inséparable d'une « vénération » qui la présente pour vraie, dans la religion, dans la société, dans le cinéma, dans le système d'images. Jamais le mot de Nietzsche, « supprimez vos vénérations », n'a été aussi bien entendu que par Perrault. (Deleuze, Reference Deleuze1985, p. 196)

Ainsi, la prise de distance de Perrault vis-à-vis de la fiction n'est pas seulement une posture esthétique et éthique, ni même strictement cinématographique, mais elle implique une vision ontologique du monde. Le cinéma direct de Perrault devient ainsi un antidote à la fondation de la réalité dans la fiction créatrice d'illusions, en tant que le cinéma direct donne la parole au vécu de ceux et celles qui sont en train de légender, de créer un futur autre, de fabuler. En somme, chez Perrault (comme, du reste, dans la philosophie de Deleuze qui promeut le virtuel, critique la métaphore, etc.), la réalité est génétiquement (au sens de genèse) fondée sur la fabulation ou le légender créateur d'avenir. Cette valeur ontologique octroyée à la fabulation visionnaire neutralise la fiction qui, de son côté, est conçue comme réduisant dangereusement le réel à une illusion, mystifiant et colonisant l'imaginaire.

Perrault devient un acolyte de Deleuze pour problématiser l'opposition entre documentaire et fiction au cinéma, et plus largement l'opposition entre vérité et fausseté en philosophie, à la faveur d'une « fonction de fabulation ». Non seulement la fabulation ébranle-t-elle le langage de la représentation (Bogue, Reference Bogue2010 ; Flaxman, Reference Flaxman2011), la critique de la représentation étant un leitmotiv dans le travail de Deleuze, mais la fabulation ouvre aussi la voie à de nouveaux mondes, et en ce sens elle a un potentiel cosmo-génétique.

L'expression « flagrant délit de légender », mobilisée par Perrault pour décrire la perspective particulière, voire événementielle, adoptée par certains des personnages de ses films, est librement associée par Deleuze au concept de fabulation développé par Henri Bergson dans Les deux sources de la morale et de la religion (Bergson, Reference Bergson1932). La fabulation bergsonienne correspond, selon Deleuze et Guattari, à « une faculté visionnaire très différente de l'imagination qui consiste à créer des dieux et des géants […]. Elle s'exerce d'abord dans les religions, mais se développe librement dans l'art et la littérature » (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1991, p. 162, n. 8 ; sur le rapprochement avec Bergson, voir aussi Deleuze, Reference Deleuze1990, p. 171). Dans la monographie qu'il consacre à Bergson, Deleuze associe la fonction de fabulation à une « mémoire cosmique » (Deleuze, Reference Deleuze1966, p. 114–119) impersonnelle et non-égoïstique. Ainsi, Deleuze considère Perrault non seulement comme le pourvoyeur d'une nouvelle syntaxe cinématographique, mais également comme celui qui parvient à donner une expression artistique au concept philosophique et cosmique de fabulation de Bergson, qui trouve, en outre, des ramifications sociopolitiques liées à la création d'un nouveau peuple.

Perrault n'a pas commenté ce rapprochement établi par Deleuze avec Bergson. S'il l'avait fait, peut-être aurait-il considéré cette filiation comme relevant d'une attitude condescendante. Après tout, pourquoi la notion de « légender » forgée par Perrault serait-elle héritière de la fabulation bergsonienne, plutôt que la création d'une nouvelle idée cinématographique ? Une chose demeure certaine : Perrault fournit une expression cinématographique à une société en profonde mutation, et cette expression cinématographique constitue également une solution poétique à un problème linguistique et politique qui, jusqu'alors, encourageait une stagnation, voire une occultation de la culture québécoise. Deleuze s'est montré sensible à ces aspects transformateurs, singuliers et novateurs du travail de Perrault.

Il convient également de souligner que les personnages « légendant » des films de Perrault évoluent le plus souvent dans des espaces reclus (île, forêt, village, terres éloignées, etc.). Ces endroits isolés semblent propices à la genèse de la fabulation, par contraste avec la recherche intellectuelle de la vérité, souvent urbaine, qui ne serait qu'une entreprise infertile d'essentialisation de la fabulation. Cette attitude quasi-folklorique promue par Perrault est cohérente avec la philosophie de Deleuze de l'immanence qui ne hiérarchise pas les cultures populaire et élitiste. L'admiration de Deleuze pour l'utilisation par le compositeur hongrois Béla Bartók de chansons folkloriques comme élément cosmique premier de sa musique (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1980, pp. 422, 431 et 432, n. 53), son appréciation de la pop-musique et du chanteur Claude François (Deleuze, Reference Deleuze1996, lettre « O ») (qu'une perspective intellectuelle pourrait aisément considérer comme superficiel), tout comme son hommage au cinéma de Perrault, montrent que Deleuze défend un décloisonnement des genres qui n'est, du reste, pas étranger au regard de Perrault.

2.3. Michèle Lalonde

Un autre passage où Deleuze se réfère à la culture québécoise apparaît dans Mille plateaux, aussi co-écrit avec Guattari. Deleuze met ici en valeur un moment significatif de l'histoire culturelle du Québec, à savoir le poème engagé « Speak white » (au titre anglophone et au contenu bilingue), qui fut rédigé par la poète Michèle Lalonde en 1968, avant de faire l'objet d'une récitation publique par son auteure en 1970, au milieu de la Révolution tranquille, récitation devenue célèbreFootnote 13. Ce manifeste rassemble la voix d'un peuple en dénonçant « la condition culturelle, sociale et économique inférieure des Canadiens français. Le texte fait aussi appel à une solidarité des peuples opprimés contre toute forme de colonialisme et d'impérialisme » (Rochon, Reference Rochon2007 ; voir aussi Ruschiensky, Reference Ruschiensky2019). Dans son texte, Lalonde réprouve de manière véhémente l'oppression culturelle et linguistique de même que l'exploitation économique des franco-canadiens, en particulier des Québécois, par la culture anglo-américaine et la langue anglaise.

Le titre du poème, « Speak white », se veut méprisant en soulignant ce qui est considéré comme une attitude à tendance « raciste » de la part de la langue anglaise, la langue française se trouvant rabaissée en raison de son incapacité à bien exprimer la valeur du marché économique et à communiquer au sujet de la politique. L'injonction « Speak white » signifie dès lors : « écris et chante en anglais », « deviens capitaliste à l'américaine », etc. Ce poème est considéré comme un point culminant de la résistance culturelle et sociopolitique au sein de la Révolution tranquille. L'extrait suivant du poème est repris dans Mille plateaux (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1980, p. 128) :

Speak white and loud
oui quelle admirable langue
pour embaucher
donner des ordres
fixer l'heure de la mort à l'ouvrage
et de la pause qui rafraîchit…Footnote 14

Deleuze et Guattari tracent des parallèles entre le poème de Lalonde et leur conception de la littérature mineure qui elle-même incarne les aspirations politiques d'un peuple oppressé. Ce faisant, « Speak white » est agencé avec un réseau de concepts développé par Deleuze et Guattari (rhizome, multiplicité, déterritorialisation, etc.). Ainsi, Deleuze et Guattari ne mettent pas d'abord l'accent sur la charge menée contre la langue anglo-américaine du poème de Lalonde, ce qui du reste aurait été incompatible avec l'affection de Deleuze pour la littérature anglaise et américaine, mais ils voient plutôt dans ce poème l'expression d'une capacité littéraire de lutte transnationale contre l'assujettissement. Lalonde n'est certainement pas la seule auteure politiquement engagée au Québec à dénoncer l’état d'oppression culturelle, sociale et économique des Québécois, mais Deleuze et Guattari voient juste en considérant « Speak white » comme emblématique de cette mouvance, bien qu'ils lui donnent une tournure philosophique particulière.

Les écrivains québécois utilisent-ils des méthodes alternatives d’écriture spécifiques, ou des « procédés », comme les désigne Deleuze dans Critique et clinique (Reference Deleuze1993), leur permettant de créer dans leur propre langue une autre langue destinée à un peuple à venir ? Dans la littérature québécoise, on trouve peu de méthodes d’écriture aussi complexes et élaborées, frôlant parfois la démence, que celles développées par des auteurs français comme Jean-Pierre Brisset, Raymond Roussel ou Antonin Artaud, qui inspirent Deleuze (Reference Deleuze1993). Toutefois, des écrivains québécois et canadiens-français notables deviennent plus originaux comparativement à ces auteurs français en faisant un usage créatif du bilinguisme, ou même du trilinguisme, en intégrant des langues autochtones, l'espagnol ou d'autres langues présentes sur le territoire canadien (Jean-Marc Dalpé, Nicole Brossard, etc.), en féminisant la langue (Louky Bersianik), ou en mobilisant des dialectes et des expressions populaires qui créent en quelque sorte une langue dans une langue (Antonine Maillet, Michel Tremblay, Victor-Lévy Beaulieu, etc.), ou qui tendent vers l'absurde (voir par exemple Claude Gauvreau). Ces stratégies littéraires se constituent souvent en armes d’écriture ou en « machines de guerre », pour reprendre la notion de Deleuze et Guattari (Reference Deleuze and Guattari1980). Développées contre des techniques de normalisation, elles peuvent rendre explicites de subtiles méthodes de contrôle, ou encore neutraliser des conventions à la faveur de différentes techniques de libération. Ces stratégies d’écriture ne visent pas simplement à produire un plaisir textuel (que Deleuze et Guattari pourraient qualifier d’œdipien) ou encore à exprimer des états complexes clinico-critiques (avec lesquels la schizo-analyse de Deleuze et Guattari se reconnaissent des affinités). Ces procédés littéraires contribuent plutôt à donner une voix à un peuple relégué au second rang. En ce sens, la littérature québécoise développe ses propres méthodes pour s'attaquer à des problèmes distincts de ceux rencontrés par les auteurs français dont l'existence sur le plan culturel n'est pas menacée par une culture environnante dominante. La référence à Lalonde dans Mille plateaux démontre que Deleuze était sensible à cette distinction.

2.4. Capter des forces créatives

L'intérêt de Deleuze pour la culture québécoise gravite principalement, bien que non exclusivement, autour de la période de rapide transformation de la société québécoise que constitue la Révolution tranquille des années 1960. Cette Révolution tranquille, que Deleuze ne nomme pas explicitement, peut être considérée comme un événement singulier, une ligne de fuite, ayant non seulement des implications politiques et économiques, mais aussi une multiplicité de ramifications culturelles, créatives et existentielles. Deleuze perçoit cet événement à travers les yeux d'artistes (un cinéaste et une poète), qui posent des diagnostics au milieu de bouleversements et d'aspirations nouvelles. Il perçoit aussi cet événement à travers le regard sans doute plus universel de Kérouac, un précurseur sombre de la Révolution tranquille et potentiellement d'autres révolutions présentes et à venir.

Pour Deleuze, cette révolution demeure un événement irréductible à l'histoire socio-politique qui la fait naître, bien que cet événement soit intimement lié à ce contexte matériel. Tout se passe comme si cet événement révolutionnaire avait été expérimenté par des artistes (Perrault, Lalonde et d'autres) à la surface de ses conditions objectives de matérialisation. La perspective adoptée par Deleuze pour analyser le devenir des Québécois durant la Révolution tranquille trouve peu d’équivalents dans le reste de son œuvre. L'anti-Œdipe (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1972) fournit un autre exemple de cette perspective événementielle mise de l'avant pour analyser une importante mutation sociale. En effet, L'anti-Œdipe peut être lu comme une réponse à Mai 68 (Berardi, Reference Berardi and Berardi2008), et ce, même si l'ouvrage ne se focalise pas primairement sur les conditions empiriques de, et ayant mené à, Mai 68 (grève, luttes avec les forces de l'ordre, occupation, parti gaulliste, etc.). L'anti-Œdipe traite plutôt de machines désirantes, de corps sans organe, de schizo-analyse, etc., conçus comme autant de forces inventives et libératrices en mesure de générer de nouvelles formes de subjectivité. L'anti-Œdipe rend hommage aux forces créatives de Mai 68, des forces qui, aux yeux de Deleuze et Guattari, ont été abandonnées trop tôt par les révolutionnaires et par la société en général. Deleuze et Guattari expriment leur déception relativement à cette incapacité à demeurer digne de l’événement dans un texte rétrospectif de 1984 intitulé « Mai 68 n'a pas eu lieu », où ils manifestent un espoir métaphysique vis-à-vis de ce mouvement révolutionnaire, un espoir qui peut aisément être transposé à la Révolution tranquille au Québec :

Quand une mutation sociale apparaît, il ne suffit pas d'en tirer les conséquences ou les effets, suivant des lignes de causalité économiques et politiques. Il faut que la société soit capable de former des agencements collectifs correspondant à la nouvelle subjectivité, de telle manière qu'elle veuille la mutation. (Deleuze, Reference Deleuze2003, p. 216)

Malgré ses références explicites à des productions culturelles québécoises, Deleuze ne considère pas d'abord le Québec, ou du reste toute autre région ou pays discuté dans son œuvre, comme un lieu géographique ou une entité historique ayant un mode d'organisation socio-politique particulier. Dans ses lectures sociétales, Deleuze est, avant tout, intéressé par les forces intensives de création qui agissent à l'intérieur des sociétés et sont captées puis exprimées par des artistes, des philosophes ou des révolutionnaires. Sa perspective sur l'histoire et la géographie, locales ou mondiales, n'est pas corporelle ou matérielle en tant qu'il se concentre plutôt sur l'incorporalité de l’événement (ligne de fuite, fabulation, peuple à venir, nouvelles formes de subjectivité, etc.) située à la surface de la matérialité géo-historique, ce qui, en outre, est conséquent avec sa métaphysique de l'immanence qui ne promeut pas le simple matérialisme, tout en dénonçant comme illusoire tout idéal de transcendance (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1991). La métaphysique deleuzienne décrit des forces intensives qui agissent dans un contexte particulier, ces forces ayant un certain degré d'autonomie, ou une vie en partie indépendante, par rapport à leur lieu d'apparition. Participant de cette métaphysique de l'immanence, agencée à cette dernière, il y a ce que nous proposons de nommer une « métaphysique de la culture québécoise » dont Deleuze trace les linéaments. À l'intérieur de cette métaphysique, des forces exprimées par certaines productions culturelles québécoises subissent une « déterritorialisation » en étant recontextualisées dans l’œuvre philosophique de Deleuze. Cette métaphysique de la culture québécoise est à la fois partielle et partiale. Partielle, puisque, d'une part, Deleuze n'a jamais formé le projet de la réaliser et que, d'autre part, Deleuze renonce à englober les devenirs dans une unité conceptuellement totalisable (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1972, p. 50 ; Deleuze, Reference Deleuze1993, p. 110). Et partiale, puisque les éléments de la culture québécoise intégrés à la philosophie de Deleuze sont savamment sélectionnés en fonction de la dynamique interne de ses travaux.

Deleuze dépeint des forces créatives et révolutionnaires tout en mettant en garde contre le risque de repli identitaire conçu comme quête de transcendance, à laquelle même Kérouac n'a pas échappé, lui qui est parti, vers la fin de sa vie, à la recherche de ses ancêtres en Bretagne française :

Le cas Kérouac, l'artiste aux plus sobres moyens, celui qui fit une « fuite » révolutionnaire, et qui se retrouve en plein rêve de la grande Amérique, et puis à la recherche de ses ancêtres bretons de la race supérieure. (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1972, p. 330 ; voir aussi Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1980, p. 29)Footnote 15

Similairement, la Révolution tranquille a donné naissance à des mouvements nationalistes et identitaires qui retournent les lignes de fuite déterritorialisantes partiellement contre elles-mêmes. Perrault retrouve lui aussi une certaine logique de reterritorialisation dans Le règne du jour (1967), alors qu'il suit certains personnages de Pour la suite du monde (Alexis, Marie, Léopold et Marie-Paule Tremblay) voyageant en Bretagne et en Normandie sur les traces de leurs origines françaises. Paradoxalement, Deleuze qualifie d’« aberrante » (Reference Deleuze1985, p. 285) cette recherche des ancêtres tout en considérant Le règne du jour comme représentatif d'un cinéma de la fabulation (Reference Deleuze1985, p. 196). Ce paradoxe est renvoyé à lui-même en tant que cette quête des origines mène les protagonistes à rencontrer des personnes françaises réelles, et à retrouver des documents et lieux ancestraux réels, faisant réaliser (en particulier à Alexis) le caractère distinct du peuple québécois qui doit s'inventer et créer son propre avenir (Reference Deleuze1985, p. 290). Cet agencement entre réalité et inventivité est propre à la fabulation deleuzienne.

Nous indiquions plus haut que l'intérêt de Deleuze pour la culture québécoise ne gravite pas exclusivement autour de la Révolution tranquille. Deux exemples témoignent de ce fait, tout en maintenant la logique de captation de forces qui peuvent être qualifiées de révolutionnaires. C'est le cas d'Alexis le Trotteur (de son vrai nom Alexis Lapointe, 1860–1924), qui a vécu dans les régions de Charlevoix et du Lac-Saint-Jean, et dont les exploits athlétiques ont été amplifiés jusqu’à le faire entrer dans le folklore québécois. Cet étrange personnage courrait, dit-on, aussi vite qu'un cheval, se fouettait pour s'encourager à courir toujours plus rapidement, en plus de jouer de l'harmonica à vitesse accélérée pour produire une sorte de langage hippique. Alexis le Trotteur illustre la notion deleuzienne de « devenir-animal » (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1980, p. 375–376, y citant au passage les travaux du Québécois Jean-Claude Larouche), un type de devenir qui relèverait non pas de l'imitation, mais plutôt de la création d'une « zone d'indiscernabilité » avec l'animal par laquelle sont exprimées des puissances affectives communes, problématisant ainsi les rapports entre les règnes du vivant.

On pense aussi au cinéaste expérimental Norman McLaren (1914–1987). Bien que d'origine britannique, McLaren arrive au Canada en 1941 avant de s'installer, en 1956, à Montréal. Deleuze associe le travail filmique de McLaren, qui prend souvent l'allure d'un cinéma d'animation artisanal, à une deuxième révolution au sein du cinéma abstrait fondée sur des points, lignes et coupures agencés de manière probabiliste (Deleuze, Reference Deleuze1985, p. 280, p. 280, n. 39 et p. 310, n. 26 ; notons que Deleuze écrit faussement « Mac Laren »). Même si les références à McLaren sont relativement marginales dans l’œuvre de Deleuze, l'importance de ce cinéaste pour lui n'est pas à négliger si l'on tient compte du fait que McLaren inspire à Deleuze la catégorie conceptuelle d'un second âge du cinéma abstrait. Les œuvres d'animation de McLaren citées par Deleuze (« Begone dull care », « Workshop experiment in animated sound », « Blinkity Blank ») sont dites exprimer la puissance d'une « vie non-organique », c'est-à-dire d'une vie impersonnelle et intensive qui traverse la vie organique. Deleuze décèle ainsi une affinité conceptuelle entre les productions artistiques de McLaren et son propre travail philosophiqueFootnote 16.

Après avoir analysé la présence de la culture québécoise dans le travail de Deleuze, tournons-nous maintenant vers la réception de l’œuvre de Deleuze au Québec.

3. La réception de la pensée de Deleuze au Québec

Jusqu'aux années 1990, Deleuze demeurait relativement invisible dans les départements de philosophie au Québec. À vrai dire, dans les départements francophones de philosophie au Québec, une grande part de la philosophie française du XXe siècle a été reléguée au second rang au profit de la pensée allemande. Henri Bergson, l’épistémologie française, Georges Canguilhem, le structuralisme, Michel Foucault, comme d'autres, se signalaient par leur absence, et au mieux étaient-ils timidement évoqués. Même des figures françaises importantes du mouvement phénoménologique, telles que Jean-Paul Sartre, Paul Ricoeur et Maurice Merleau-Ponty, tendaient à être marginalisées. Le projet élaboré par Jacques Derrida d'une déconstruction de la métaphysique occidentale, qui est fortement ancré dans la pensée allemande (Husserl, Heidegger, etc.), s'y est démarqué en bénéficiant d'une certaine popularité philosophique et pouvait donner l'impression d’être le dernier mot de la pensée continentale.

Rétrospectivement, on peut dire qu'une bonne partie du volet « philosophie continentale contemporaine » des départements francophones de philosophie au Québec a été exotiquement colonisé par la philosophie allemande. Ceci est affirmé avec un brin d'ironie et ne vise pas à mésestimer la valeur de cette philosophie, qui de toute évidence demeure un pilier de la philosophie continentale contemporaine. On comprend également que tout département est soumis à des contraintes budgétaires, ce qui fait en sorte de limiter les ressources humaines et, par extension, intellectuelles, de même que les courants de pensée auxquels les étudiants sont exposés. Il reste qu’étudier la philosophie dans un département de philosophie à Montréal jusqu'aux années 1990 signifiait ne pas être au bon endroit au bon moment pour croiser la pensée de Deleuze. En effet, Deleuze demeurait pour ainsi dire invisible au milieu des années 1990 dans les départements de philosophie au Québec, mais il était une figure relativement importante dans au moins un autre département, à savoir le département de communication de l'Université de Montréal, où travaillait un spécialiste de Deleuze aujourd'hui bien connu : Brian Massumi. Massumi a étudié la littérature comparée et la littérature française aux États-Unis avant de s’établir à Montréal, d'abord pour enseigner au programme de littérature comparée de l'Université McGill, puis pour être embauché au département de communication de l'Université de Montréal à peu près au même moment où paraissait sa traduction anglophone de l'ouvrage Mille plateaux (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze, Guattari and Massumi1987). En fait, avant de faire son entrée au département de philosophie, Deleuze était discuté dans les départements de communication, de cinéma, de littérature, d’études françaises et d’études anglaises, et ses travaux avaient aussi trouvé un certain écho à l'extérieur des milieux universitaires pour inspirer certains mouvements contre-culturels. Aujourd'hui, la situation a changé de manière significative et on ne peut imaginer, je suppose, un cours sérieux en philosophie continentale contemporaine qui n’évoquerait pas Deleuze, même à Montréal.

L’œuvre philosophique de Deleuze a été tardivement reconnue dans les départements de philosophie des universités franco-canadiennes, en particulier québécoises, et ce, en dépit de l'absence de barrières linguistiques. Cette reconnaissance tardive, au Québec comme ailleurs aussi, peut s'expliquer par une combinaison de facteurs, parmi lesquels les suivants. 1) Par contraste, par exemple, avec Derrida et Foucault qui acquirent de leur vivant le statut de célébrités internationales en étant invités dans les universités les plus prestigieuses, Deleuze a très peu voyagé, ce qui a contribué à une constitution plus lente de ses réseaux de lecteurs, de commentateurs et de traducteurs ; de tels réseaux sont requis pour la diffusion d'une pensée singulière et novatrice comme celle de Deleuze, qui s'exprime dans une conceptualité souvent considérée comme difficile. 2) Deleuze a peut-être souffert de certains préjugés contre la philosophie continentale autre qu'allemande, et contre la philosophie postmoderne/poststructuraliste, qui fut souvent, et trop rapidement, assimilée au relativisme. 3) La philosophie de Deleuze s'intègre difficilement aux courants dominants de la phénoménologie, de la théorie critique et de la philosophie analytique. Au cours des vingt dernières années, une myriade de philosophes consacrant leurs travaux à son œuvre a émergé, ce qui témoigne du fait que ces obstacles ont été au moins partiellement surmontés. C'est ce que confirment aussi, notamment, plusieurs cycles de conférences internationales consacrées à Deleuze (Deleuze Studies Conferences récemment devenues Deleuze and Guattari Studies Conferences, Deleuze and Guattari Studies in Asia, Deleuze Circle, etc.), de même que la création de revues (Deleuze and Guattari Studies, La Deleuziana, etc.) et diverses collections consacrées à la pensée deleuzienne (Edinburgh University Press, Bloomsbury Publishing, etc.), qui sont apparus au cours des dernières décennies. Ces organes de diffusion laissent peu de doute quant à l'attrait philosophique de sa pensée, de même qu’à la pertinence de sa philosophie.

Dans le monde universitaire québécois, il faut tout de même souligner la présence sporadique de Deleuze, qui remonte à la fin des années 1970 et au début des années 1980, alors qu'une poignée d'historiens, de philosophes et de politologues s'y réfèrent dans leurs travaux. Bien que timidement et sans effort concerté, ces commentateurs repensent, par exemple, le concept d'animal, la critique de l'historicisme et de l'humanisme, la critique du marxisme dans une perspective postmoderne, ou même la critique du nationalisme québécoisFootnote 17.

Je souhaiterais m'attarder brièvement à deux publications plus significatives consacrées à Deleuze par des auteurs du Québec qui ont navigué à contre-courant en publiant ceux-ci à un moment où il demeurait encore une figure très marginale dans le panorama de la vie intellectuelle québécoise.

Le premier, intitulé Gilles Deleuze et la modernité, a été écrit par Armand Guilmette (Reference Guilmette1984), qui a cofondé et dirigé le département de lettres à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Guilmette a dû éprouver une certaine solitude en rédigeant cet ouvrage, alors qu'aujourd’hui on peut presque le considérer comme un travail visionnaire. Ce livre de 150 pages a paru très tôt, en 1984, et présente une étude détaillée des ouvrages de Deleuze publiés jusqu'alors, c'est-à-dire jusqu’à Mille plateaux. Il ne développe pas une perspective originale et demeure plutôt fidèle à la conceptualité deleuzienne et deleuzo-guattarienne en mettant de l'avant la « schizo-analyse » comme méthode pour la philosophie, la littérature, et même la vie en général. Il s'agit de l'une des premières monographies consacrées à Deleuze dans le monde francophone et, à vrai dire, dans le monde tout court. En France, les numéros spéciaux de revues et les monographies sur Deleuze d'avant les années 1990 se comptent sur les doigts d'une main (Backès-Clément, Reference Backès-Clément1972 ; Cressole, Reference Cressole1973), et ce n'est qu’à partir de cette décennie que fleurissent les commentaires consacrés à Deleuze (Buydens, Reference Buydens1990 ; Martin, Reference Martin1993 ; Mengue Reference Mengue1994). Du côté anglophone, le philosophe canadien Constantin Boundas (Reference Boundas1985), de même que Ronald Bogue (Reference Bogue1989) aux États-Unis, font œuvre de pionniers dans les études deleuziennes. Leurs premiers ouvrages respectifs sur Deleuze ont paru après la publication de la monographie de Guilmette, mais il demeure que Boundas et Bogue, à travers un engagement soutenu, ont eu un impact beaucoup plus durable au sein des études deleuziennes comparativement à Guilmette, qui est tombé dans l'oubli.

Un second ouvrage consacré à Deleuze, publié relativement tôt au Québec, plus précisément en 1991, s'intitule L'instance orpheline, petite lecture de Mille plateaux de G. Deleuze et F. Guattari (Gagnon, Reference Gagnon1991). Madeleine Gagnon est une poétesse féministe et activiste bien connue au Québec. L'instance orpheline est composé d'une série de trente-huit poèmes librement inspirés de Mille plateaux, chacun de ces poèmes étant accompagné d'une illustration abstraite réalisée à l'encre de Chine. On retrouve la terminologie de Deleuze et Guattari dans chacun des poèmes illustrés qui, ensemble, fournissent un bon exemple de ce que Deleuze et Guattari désignent, dans la conclusion de Qu'est-ce que la philosophie ? (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1991, p. 205), comme des interférences extrinsèques où l'artiste crée des sensations de concepts.

De nos jours, au Québec, il n'est pas rare de voir des mémoires de maîtrise et des thèses de doctorat en philosophie consacrés à Deleuze. Les chercheurs canadiens-français ou francophiles travaillant sur Deleuze sont également présents dans différents départements de philosophie au Canada. C'est par exemple le cas de Karen Houle (Université Guelph), Christine Daigle (Université Brock), ou moi-même (Université Laurentienne), si je puis me permettre, qui avons en commun de mener une carrière à l'extérieur de la province de Québec. Au cours des dernières années, plusieurs publications à caractère philosophique consacrées à Deleuze ont paru au Québec (Bensmaïa, Reference Bensmaïa2006 ; Giroux et al., Reference Giroux, Lemieux and Chénier2009 ; Couture et Olivier, Reference Couture and Olivier2018). Au Québec, comme c'est aussi le cas à l'international, Deleuze occupe une place sur la scène artistique, comme en témoignent quelques travaux québécois inspirés de Deleuze : 1) au théâtre, pensons à la pièce de 2019 intitulée Lignes de fuite Footnote 18, ou encore à Productions Rhizome, créé en 2000, qui a présenté quelques pièces inspirées de DeleuzeFootnote 19 ; 2) dans les arts visuels, le travail de Louise PrescottFootnote 20, à qui ont été consacrées des expositions à Paris et qui a entretenu une correspondance avec Deleuze, illustre son influence ; 3) en musique, en témoignent notamment les œuvres du compositeur de musique électronique William JourdainFootnote 21. À cet égard, l'influente revue transculturelle et multilingue ViceVersa a pu servir de catalyseur ayant offert à Deleuze une visibilité dans différents milieux culturels et contre-culturels québécois. Cette revue éclectique, qui a trouvé un lectorat international, a été publiée à Montréal de 1983 à 1996, et a contribué à la diffusion de certaines idées élaborées par DeleuzeFootnote 22.

En somme, Deleuze est passé d'une figure invisible dans les départements de philosophie au Québec, à un philosophe respecté qui laisse également sa marque sur la scène culturelle québécoise, un tournant dans sa réception ayant eu lieu durant les années 1990.

4. Conclusion

Des éléments de la culture québécoise occupent indéniablement, dans l’œuvre de Deleuze, une place qui, bien que modeste, se voit consacrer un statut véritable, la méthode deleuzienne consistant à capter certaines sensations et certains concepts développés outre-Atlantique pour ensuite les intégrer de façon originale à sa pensée. Ainsi, au contact de la culture québécoise, Deleuze crée certains concepts (intercesseur avec Perrault, second âge du cinéma abstrait avec McLaren), des concepts qu'il affine (fabulation, peuple, dans les deux cas avec Perrault), et des concepts qu'il exemplifie (littérature minoritaire et révolutionnaire avec Lalonde et Kérouac, devenir-animal avec Alexis le Trotteur). Cette singulière attention portée par un philosophe européen à une culture non-européenne se distingue foncièrement, par exemple, de l'attitude de Husserl qui, dans La crise des sciences européennes, considère que les dominions de l'Empire britanniques, incluant le Canada, appartiennent spirituellement et téléologiquement à l'Europe, en prenant soin d'en exclure les Esquimaux et les Indiens (sic !) (Husserl, Reference Husserl and Granel1976, p. 352). La perspective de Deleuze se situe à mille lieues de ce type de regard hautain porté sur la société nord-américaine. Pour lui, il ne s'agit pas de déterminer un critère d'exclusion, mais plutôt de valoriser la nouveauté et la différence.

En outre, la culture québécoise n'a trouvé que peu d’écho philosophique dans les œuvres des philosophes continentaux et en particulier français ayant visité le Québec, et chez qui les considérations relatives à la culture québécoise sont le plus souvent limitées à des discussions de couloir. Michel Serres fait tout de même figure d'exception, lui qui a développé une relation de proximité avec le Québec et a entretenu une amitié durable avec Pierre Perrault (Fraissé et Courcelle, Reference Fraissé and Courcelle1995 ; Serres Reference Serres and Warren1999)Footnote 23. Serres reconnaît des affinités entre sa langue d'Oc dérivée du français et la langue québécoise (Simard et Serres, Reference Simard and Serres1987, p. 169), et dit entretenir un lien de proximité avec le rapport au monde et à la nature des Québécois (Serres, Reference Serres and Lafond1988, p. 159–172). Toutefois, dans les travaux majeurs de Serres, l'intérêt pour le Québec et le Canada se limite principalement à des considérations philosophiques relatives à des paysages et voies de passage maritimes (Serres, Reference Serres1980).

Par ailleurs, les aventures et la destinée de ce qui est englobé sous l'appellation de « French Theory » (Cusset, Reference Cusset2003) ne semble pas fondamentalement se distinguer au Québec comparativement au reste de l'Amérique. En effet, la pensée dite « poststructuraliste », autre étiquette souvent accolée à Deleuze, a été introduite dans un grand nombre de départements et de programmes interdisciplinaires d'universités nord-américaines, aussi bien anglophones que francophones, dans les années 1970, 1980 et 1990, incluant des programmes en études de genre et en études culturelles nouvellement créés, bien avant de faire son entrée dans les départements de philosophie. À cet égard, le Québec ne fait pas exception.

Explorer la façon dont Deleuze s'est inspiré, et en retour a inspiré, une région spécifique du monde, à savoir ici le Québec, peut présenter un certain intérêt intellectuel. Toutefois, nous ne pouvons nous empêcher de considérer cet exercice comme partiellement futile dans une perspective deleuzienne (bien sûr, tout n'a pas à être deleuzien !). Cet exercice demeure anti-deleuzien au sens où il ne tient pas compte de la « géophilosophie » (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze and Guattari1991, p. 82–108) proposée par Deleuze et Guattari, selon laquelle la pensée ne prend pas place sur un territoire donné associé à différentes formes d'identités et de nationalismes, mais plutôt au milieu de mouvements de déterritorialisation qui créent de nouveaux assemblages cosmiques. Ce que nous avons désigné plus haut comme les linéaments d'une métaphysique deleuzienne de la culture québécoise crée de tels assemblages cosmiques nouveaux en tant que le jeu deleuzien d'intégration interculturelle fait en sorte qu'on ne sait plus exactement à quelle territorialité appartiennent les œuvres, auteurs ou personnages analysés (Perrault est-il un fabulateur bergsonien qui s'ignore ? Lalonde est-elle dépositaire de la littérature mineure initialement proposée par Kafka ? Alexis le Trotteur a-il des affinités avec le devenir-baleine du capitaine Achab ?). En ce sens, le monde n'est pas proprement composé de localisations distinctes juxtaposées les unes aux autres tel que sur une carte géographique. La géographie physique est accessoire en tant qu'elle ne rend pas compte de la complexité d'un monde rempli d'intensités qui ne sont visibles que dans leurs effets, et d'un monde composé de mouvements de dé- et de re-territorialisation. En d'autres termes, les pays et les nations peuvent êtres vus comme appartenant à la philosophie de la représentation (la représentation étant un ennemi récurrent pour Deleuze), alors que les forces désirantes captées par Deleuze, notamment dans les passages de son œuvre consacrés aux productions artistiques québécoises, mettent en valeur des puissances créatives et révolutionnaires. En d'autres termes encore, Deleuze remplace les composantes nationalistes de ces productions artistiques par des éléments métaphysiques : les films de Perrault n'ouvrent plus la voie vers un nouveau pays, mais ils sont des fabulations, tandis que le poème de Lalonde n'est plus dirigé contre la langue anglaise, mais exprime un devenir-minoritaire. Ces œuvres artistiques pensées comme machines désirantes ne sont pas territoriales, mais plutôt déterritorialisantes en ayant même une portée cosmique liée à un réagencement du monde.

Reste à savoir si la déterritorialisation opérée par Deleuze de certains éléments de la culture québécoise peut être considérée comme une « appropriation culturelle » critiquable en tant qu'elle retirerait notamment à des œuvres d'artistes québécois leur élément nationaliste afin de les rendre plus adéquates à sa philosophie. Deleuze précède les débats éthiques souvent enflammés entourant l'appropriation culturelle, mais il leur fournit déjà une réponse. Pour Deleuze, il ne s'agit pas simplement de répéter le sens convenu des nombreuses œuvres qu'il commente, qu'il s'agisse d’œuvres grecques (Stoïciens, Lucrèce, etc.), allemandes (Leibniz, Nietzsche, etc.), anglaises et américaines (Whitehead, le peintre Bacon, etc.) ou même néérlandaise (Spinoza), mais plutôt d'en faire naître des virtualités transnationales ou interculturelles. Il est donc possible d'intégrer créativement, sans se les approprier, des éléments d'une culture étrangère. La philosophie comme création de concepts est conditionnelle à cette façon particulière de produire du sens tout en rendant souvent méconnaissables les auteurs discutés. C'est donc dire que, pour Deleuze, il n'y a tout simplement pas de lecture sans invention, pas de répétition sans différence, et pas de territoire non déterritorialisable. Nous laissons aux éthiciens le soin de développer d’éventuels arguments contre cette pratique intégrative.

Pour terminer, j'aimerais partager une petite découverte réalisée en cours de rédaction, et qui pourrait, somme toute, n’être qu'anecdotique. Il y a dans la région administrative du Nord-du-Québec un lac nommé « Lac Deleuze ». Ma recherche toponymique n'est pas concluante quant à l'origine de cette appellation. Cependant, on sait que le lac est situé dans la municipalité régionale « Eeyou Istchee » qui signifie, en langue algonquienne cri, « la terre du peuple ». Peut-être sont-ce là des signes que Deleuze et le Québec étaient appelés à se rencontrer.

Remerciements

Une version préliminaire de cet article a été présentée à la table ronde « Deleuze in Canada » organisée à la 61e conférence annuelle de la Society for Phenomenology and Existential Philosophy (SPEP, Toronto, 12–14 octobre 2023), en collaboration avec la Toronto Metropolitain University. Je souhaite remercier Alan Schrift pour son invitation à participer à cette table ronde. Mes remerciements vont également à Janae Sholtz et Douglas Ord pour les encouragements à la suite de leur lecture d'une première version de ce texte. Je remercie vivement les évaluateurs anonymes de Dialogue dont les commentaires judicieux ont contribué à améliorer cet article. La rédaction de cet article a été rendue possible grâce à une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Conflits d'intérêts

L'auteur n'en déclare aucun.

Footnotes

1 Comme le rappelle Jean-Claude Simard dans l'ouvrage dirigé par Raymond Klibansky et Josiane Boulad-Ayoub (Klibansky et Boulad-Ayoub, Reference Klibansky and Boulad-Ayoub1998, p. 50).

2 Les documents d'archives suivants témoignent de la couverture médiatique de la visite de Deleuze et Guattari à Montréal : Le devoir (1973, p. 3) ; Deleuze (Reference Deleuze1973) ; La presse (1973, p. 3).

3 L'expression « littérature anglo-américaine » appelle à la prudence. Même s'il arrive à Deleuze de l'utiliser, rarement, elle ne doit pas s'entendre comme « littérature anglophone nord-américaine ». Deleuze évite ce malentendu, ailleurs, en faisant usage des expressions « littérature anglaise et américaine » et « littérature anglaise-américaine » (Deleuze, Reference Deleuze1993 ; Deleuze et Parnet, Reference Deleuze and Parnet1996), qui ont le mérite, non seulement d'unir tout en les distinguant deux zones géographiques, mais aussi d'inclure une littérature américaine non-anglophone, telle que la littérature franco-canadienne.

4 Incidemment, Jack Kérouac est un cousin éloigné de René Lévesque (premier ministre du Québec de 1976 à 1985), sa mère étant la cousine du père du politicien.

5 Voir, par exemple, cet entretien de 1967 : ArchivesRC (2022, 29 mars).

6 Bruno Gelas et Hervé Micolet (Reference Gelas and Micolet2007, p. 566) recensent neuf occurrences à Kérouac dans l’œuvre de Deleuze. De ces neuf occurrences, six s’épellent avec « é ».

7 Les rapports entre littérature mineure et littérature québécoise, en lien avec Deleuze et/ou Kérouac, ont fait l'objet d’études (Moisan et Hildebrand, Reference Moisan and Hildebrand2001; Bertrand et Gauvin, Reference Bertrand and Gauvin2003). L'assimilation de Kérouac à la littérature mineure par Deleuze et Guattari a été remise en question par Susan Pinette (Reference Pinette2018) en tant que les lignes de fuite tracées par Kérouac seraient orientées sur une reterritorialisation, plutôt que sur des déterritorialisations sans buts. Nous n'adhérons pas à cette interprétation en tant que la dé- et la re-territorialisation sont complémentaires au sein du processus de territorialisation de type deleuzien, qui est lui-même inhérent à la littérature mineure.

8 Une autre source d'inspiration pour Godard étant ici le « Kino-Pravda » ou « Ciné-vérité » de Dziga Vertov.

9 Ces innovations techniques sont le fruit d'un travail collaboratif de Perrault avec le caméraman Michel Brault et l'ingénieur du son Marcel Carrière.

10 Sur les représentations de la nation québécoise dans le cinéma de Perrault durant la Révolution tranquille, voir Michel Brûlé (Reference Brûlé1974), Mathieu Bureau Meunier (Reference Bureau Meunier2019) et Jean-Pierre Sirois-Trahan (Reference Sirois-Trahan, Arrien and Sirois-Trahan2008).

11 Gaston Miron cité par Jean-Daniel Lafond (Reference Lafond2012, p. 240).

12 Voir aussi Deleuze, Reference Deleuze1990 (p. 171). L'expression peu commune « flagrant délit de légender » est utilisée au moins à deux reprises par Perrault (Perrault et Allio, Reference Perrault and Allio1983, p. 54 ; Perrault, Reference Perrault1996, p. 40).

13 On trouve un lien vers la captation vidéo de cette récitation dans l'article de L'encyclopédie canadienne consacré à Michèle Lalonde (voir Rochon, Reference Rochon2007).

14 Dans la traduction anglaise de Mille plateaux (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze, Guattari and Massumi1987), cet extrait apparaît à la page 101 qui, ironiquement, coïncide avec le numéro de la loi (« Loi 101 ») ayant mené à l'adoption de la Charte de la langue française du Québec. Par ailleurs, on déplore le fait que le traducteur anglophone de Mille plateaux attribue erronément le poème « Speak White » à « Michel Lalonde », plutôt qu’à « Michèle Lalonde » (Deleuze et Guattari, Reference Deleuze, Guattari and Massumi1987, p. 527, n. 37), erreur que ne commettent pas les auteurs de Mille plateaux.

15 Kérouac présente le récit de cette quête dans Satori à Paris (Kérouac, Reference Kérouac and Yvinec2007).

16 Plusieurs lieux de manifestation culturelle à Montréal ont été nommés en l'honneur de McLaren, parmi lesquels l’édifice de l'Office national du film du Canada.

17 Des références à ces premiers historiens, philosophes et politologues québécois inspirés par Deleuze (Claude Bertrand, Pierre Bertrand, Michel Morin, et Roger Savoie) sont données dans l'ouvrage dirigé par Raymond Klibansky et Josiane Boulad-Ayoub (Reference Klibansky and Boulad-Ayoub1998, p. 82).

18 Voir le reportage à ce sujet à l’émission C'est fou… de Radio-Canada (Bouchard et Pleau, Reference Bouchard and Pleau2019).

19 Le site web de la compagnie permet d'en prendre connaissance : Rhizome (2013–2024).

20 Voir par exemple Prescott (Reference Prescott1996).

21 Voir la chaîne YouTube Automatisme- Topic (s.d.).

22 Bien que sa version papier n'existe plus, la revue ViceVersa continue d'afficher de nouveaux articles sur sa page web (https://viceversaonline.ca). Je remercie l'un des participants à la conférence SPEP 2023 (voir les remerciements plus bas) pour cette référence.

23 Michel Serres apparaît dans quelques films de Perrault (La grande allure, parties 1 et 2, 1985) ainsi que dans le documentaire de Jean-Daniel Lafond consacré à Perrault et intitulé Les traces du rêve (1986).

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