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Archives et État dans l’Orient islamique (note critique)

Published online by Cambridge University Press:  14 February 2024

David Bramoullé*
Affiliation:
Université Toulouse-Jean Jaurès, [email protected]
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Résumé

Loin de se limiter à fournir des informations relatives aux communautés juives de l’Égypte médiévale, les documents dits de la Genizah du Caire contiennent de très nombreuses pièces d’archives de l’administration du califat fatimide (910-1171) lors de sa phase égyptienne (973-1171). Considéré comme l’un des califats les plus puissants de son temps, le fonctionnement de son administration n’était jusqu’à présent connu qu’à travers quelques manuels de chancellerie rédigés au xiie siècle et édités. Ces textes, composés par des administrateurs fatimides, offrent soit des données techniques et très spécifiques qu’il est difficile de généraliser soit une tentative de réforme d’une administration considérée entre les lignes comme sinon défaillante en tout cas amendable. Marina Rustow se propose de comparer les différentes pièces d’archives fatimides retrouvées dans le corpus de la Genizah du Caire avec certains manuels de chancellerie afin d’éclairer les procédures administratives fatimides. Son objectif est de mettre en évidence le caractère moderne et même wébérien, selon ses termes, de l’administration fatimide afin de rompre avec ce qu’elle considère comme une idée reçue, à savoir que les administrations califales médiévales, aux mains de despotes orientaux, n’auraient pas été capables de créer des archives et des procédures standardisées d’administration et d’archivage. Cette approche, en tout point novatrice, permet à l’autrice des conclusions très intéressantes et audacieuses qui doivent toutefois être nuancées.

Abstract

Abstract

Although renowned for providing information on the Jewish communities of medieval Egypt, the documents known as the Cairo Genizah also contain numerous archives produced by the administration of the Fatimid Caliphate (910–1171) during its Egyptian phase (973–1171). Considered one of the most powerful caliphates of its time, the workings of this administration were previously known only through a few chancellery manuals written in the twelfth century and available in modern editions. These texts, composed by Fatimid administrators, concern either highly specific technical data that are difficult to generalize or attempts to reform an administration implicitly seen as flawed or at least improvable. Marina Rustow sets out to compare the various Fatimid documents found in the Cairo Genizah corpus with a selection of chancellery manuals to shed light on the caliphate’s administrative procedures. Her goal is to highlight its modern and even what she calls “Weberian” nature, and in so doing to challenge the preconception that medieval caliphal administrations, in the hands of Eastern despots, were incapable of creating standardized administrative and archival procedures. This innovative approach leads Rustow to draw interesting and original conclusions that must nevertheless be nuanced.

Type
Histoire des savoirs Nouvelles archives
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Les travaux sur l’administration du califat fatimide (910-1171) sont rares. Le dernier ouvrage de Marina Rustow est d’autant plus bienvenu qu’il s’appuie sur une documentation exceptionnelle dite de la Genizah dont l’autrice est l’une des spécialistesFootnote 1. Dans The Lost Archive, celle-ci cherche à remettre en question ce qu’elle considère comme des idées reçues sur l’Orient médiéval musulman, à commencer par la quasi-absence de documents issus des archives des administrations califales. Les spécialistes de cette période, empêtrés dans une vision orientaliste, auraient délibérément choisi d’ignorer l’existence au Proche-Orient médiéval avant 1100 d’une riche documentation administrative – pourtant plus importante qu’en Europe occidentale. À la littérature grise, ils auraient privilégié des sources narratives biaisées composées de chroniques et de dictionnaires biographiques. Ce faisant, ils seraient demeurés dans « les marges de la discipline historiqueFootnote 2 » et auraient contribué à perpétuer une vision erronée des grands califats considérés comme des États musulmans soumis à des souverains obéissant à leurs seules pulsions, ontologiquement despotiques et incapables d’administrer leurs domaines de manière rationnelle. À contre-courant d’un tel mouvement, M. Rustow souhaite « utiliser les documents qui ont survécu pour comprendre les processus qui donnèrent lieu à leur production, mais aussi les modèles de documents, les types d’utilisation, de préservation […]Footnote 3 ». De fait, « à quoi pourrait ressembler l’histoire du Moyen-Orient médiéval si ses historiens avaient considéré les documents avec sérieuxFootnote 4 » ? L’historienne ne s’arrête pas là, et entend démontrer que le califat fatimide constituait bel et bien un État au sens wébérien du terme. Elle se fait donc fort d’utiliser le terme d’État d’après elle défini de manière trop étroite par ceux qui s’intéressaient au Proche-Orient médiéval, qui auraient par conséquent « mal compris la manière dont ces États prémodernes fonctionnaientFootnote 5 ».

Tout au long des quatre parties qui composent l’ouvrage, l’autrice tente d’imposer l’idée d’un califat fatimide comme un modèle d’État wébérien – autrement dit, un État qui, dans un territoire donné, revendique, en tant que seul détenteur légitime, l’usage de la violence physique et, partant, celui des moyens de gestion, via notamment la bureaucratie, alors perçue à la fois comme la résultante et l’instrument de cette monopolisation. Une telle bureaucratie s’appuierait sur les compétences des individus recrutés pour y travailler, sur l’existence de procédures clairement normées et sur une forte hiérarchisation. En somme, elle reposerait sur une forme de rationalisation des procédures administratives que l’autrice s’attelle à mettre en lumière. Une fois pris en compte, cet ensemble de pièces d’archives issues de la Genizah du Caire témoignerait sans ambiguïté du caractère wébérien, donc résolument moderne, de l’administration fatimide et, plus largement, des États musulmans médiévaux. Le propos, engagé et intellectuellement stimulant, doit cependant être replacé dans le champ plus large des études de la Genizah et des travaux sur les Fatimides en général, quitte à en nuancer les conclusions.

Études de la Genizah : des communautés juives aux institutions califales

Dans son introduction et sa première partie, l’autrice remet en perspective les pratiques administratives fatimides au regard de celles qui ont précédé le règne des imams-califes du Caire, en s’intéressant notamment à la transmission des techniques de fabrication du papier aux musulmans. Conformément à la pratique des travaux consacrés à la documentation de la Genizah, elle rappelle les principaux épisodes de la découverte de ces documentsFootnote 6, permettant ainsi de comprendre l’évolution du champ des études de la Genizah depuis son origine et d’y situer ses propres travaux. Ce nom de Genizah, ou Genizah du Caire, qui sert en général à désigner le fonds, soit l’ensemble des documents qui s’y trouvent, vient du terme hébreu Genizah. Dans le judaïsme, une Genizah est un lieu de dépôt légal de documents de diverses natures, le plus souvent rédigés avec l’alphabet hébreu et mentionnant le nom de Dieu. Conformément à une obligation halakhique, ces écrits ne peuvent être détruits par la main de l’homme et doivent par conséquent être entreposés dans l’attente de leur ensevelissement. Toutes les synagogues modernes possèdent un coffre ou une armoire servant de Genizah. Au Caire, la Genizah de la synagogue Ben Ezra reconstruite sous le calife fatimide al-Zahir (r. 1021-1036) prit la forme d’un grenier qui permit d’entreposer, sans finalement avoir jamais besoin de les évacuer, des centaines de milliers de documents entre le xie siècle et la fin du xixe siècle.

Près de 400 000 fragments de documents, pour l’essentiel ayant trait au culte, furent retrouvés entassés dans cette synagogue désaffectée à la fin du xixe siècle. Peu à peu sortis de ce grenier, ils furent achetés par des collectionneurs ou des universitaires européens, parmi lesquels Solomon Schechter, tout à la fois rabbin de formation et chargé des études juives et talmudiques à l’université de Cambridge. Ses connaissances lui permirent d’identifier le caractère rarissime de quelques-uns des documents rapportés en 1896. Dans une période alors marquée par la passion pour l’Orient et par la mainmise de la Grande-Bretagne sur l’Égypte, la captation de ce fonds devint un enjeu entre diverses institutions d’outre-Manche, notamment les bibliothèques des prestigieuses universités d’Oxford et de Cambridge. Ces dernières étaient en effet loin d’être les seules à vouloir leur part du trésor : aujourd’hui, pas moins de 70 institutions publiques ou privées à travers le monde possèdent des documents dits de la GenizahFootnote 7.

Les premiers chercheurs qui étudièrent ces fragments comprirent vite qu’au-delà de nombreux textes religieux, une partie non négligeable du fonds datait des xie et xiie siècles et qu’environ 12 000 documents consistaient en des lettres privées, le plus souvent rédigées en judéo-arabe – c’est-à-dire, et pour faire simple, de l’arabe écrit en caractères hébraïques –, des messages échangés entre des individus, notamment des marchands, vivant principalement en Égypte, mais aussi au Maghreb, en Sicile, en Palestine, au Yémen, en Inde et parfois en EuropeFootnote 8. Autant dire que la découverte était majeure. Toutefois, du fait de leur nature même, des langues ou des graphies utilisées pour leur rédaction, ces documents furent très tôt la chasse gardée des spécialistes du judaïsme médiéval qui, à l’image de S. Schechter, avaient souvent reçu une formation talmudique très poussée les familiarisant avec certaines calligraphies hébraïques médiévales. Ils perçurent le caractère exceptionnel de ces fragments qui permettaient d’aborder pour la première fois, et ce pour une période aussi éloignée, des champs très variés de l’histoire des populations juives dans les espaces considérés. Outre les sujets religieux, des milliers de lettres commerciales rédigées par les marchands juifs, et qui n’ont pas leur équivalent en arabe pour la même période, donnaient accès à des informations inégalées relatives à l’histoire sociale, économique et politique des communautés juives en pays d’islam, notamment dans les territoires fatimides. En effet, près de 90 % de ces lettres privées furent écrites durant le califat des Fatimides dans des territoires ou à destination de zones dont ils étaient les maîtres ou dans lesquels ils exerçaient une certaine influence : les institutions, les fonctionnaires, voire les grands de ce régime y sont fréquemment mentionnés.

Toutefois, ce que ces documents avaient à dire sur les Fatimides n’intéressait guère les pionniers de la Genizah, à la recherche de la mémoire des communautés juives vivant en territoires islamiques. Pendant longtemps, l’immense majorité des travaux menés sur cet extraordinaire fonds d’archives – ceux de M. Rustow ne faisant pas exception à la règle – portaient avant tout sur divers aspects de la vie des communautés juives en terres d’islamFootnote 9. C’est dans cette même perspective que, dans les années 1920, Jacob Mann (1888-1940) s’était intéressé d’abord à une secte juive minoritaire, les karaïtes, avant d’élargir son propos aux communautés juives d’Égypte et de Palestine à l’époque fatimide dans une monographie qui, si elle fit date dans la sphère de l’histoire du judaïsme, n’eut que très peu d’écho en dehorsFootnote 10. Il fallut attendre les années 1950-1960 et les premiers travaux de Shelomo Dov Goitein (1900-1985) pour voir les informations tirées de la Genizah être prises en compte par les spécialistes du monde musulman et notamment des Fatimides, auxquels de premières études universitaires commençaient à être consacréesFootnote 11. L’histoire de ce califat n’en était toutefois qu’à ses balbutiements et le matériau fourni par la Genizah était en quelque sorte en avance ou trop pointu par rapport à l’état de la recherche dans le champ.

Malgré tout, ce fonds était déjà loin d’être ignoré : il n’y a qu’à reprendre les bibliographies des premières monographies publiées par exemple en France sur les Zirides du MaghrebFootnote 12, un émirat affidé aux Fatimides, ou sur les Fatimides eux-mêmes à partir des années 1960 pour noter l’emploi des articles de S. D. Goitein, alors disponibles, ou de Samuel Miklos Stern (1920-1969), qui avait publié les documents d’archives fatimides tirés de la Genizah ou d’ailleursFootnote 13. Avec ceux de S. D. Goitein, les travaux d’Eliyahu Ashtor (1914-1984) et d’Abraham L. Udovitch (né en 1933) furent sans doute ceux qui contribuèrent le plus à faire valoir l’apport majeur de la Genizah pour la connaissance de l’Orient médiéval en général, des Fatimides en particulier et notamment de leurs institutions commercialesFootnote 14. La publication en 1973 par S. D. Goitein d’un ouvrage composé de 80 lettres traduites en anglais constitua un tournant pour la diffusion à plus grande échelle de cette documentationFootnote 15 et, depuis, il n’est de recherches portant sur les Fatimides qui ne tiennent compte, dans la mesure évidemment des sujets abordés, des études sur la GenizahFootnote 16. En 2002, Paul E. Walker publiait ainsi un important ouvrage qui offrait un état des lieux précis des sources relatives aux Fatimides incluant évidemment la documentation de la GenizahFootnote 17. Tous les spécialistes des Fatimides font aujourd’hui état des avancées permises par ce fonds extraordinaire et le considèrent comme une source à part entière de l’histoire des FatimidesFootnote 18. Le nouvel opus de M. Rustow constitue néanmoins une quasi-révolution en ce que cette spécialiste de la Genizah, et notamment des juifs karaïtes, propose avant tout d’étudier la question du fonctionnement du califat fatimide à partir de documents d’archives retrouvés dans la Genizah.

Reconstruire les archives fatimides

Ceux qui déposèrent des papiers dans la Genizah de la synagogue du Caire au Moyen Âge cherchaient à les mettre au rebut, non à constituer des archives. Depuis, des générations de chercheurs se sont appliquées non seulement à transcrire et étudier ces documents tirés de l’oubli, mais aussi à cataloguer les divers fonds documentaires pour, finalement, en faire des archives à part entière. À ce titre, M. Rustow est l’héritière d’une tradition d’étude de la Genizah qui, si elle est née en Europe, s’est déplacée aux États-Unis, notamment à l’université de Princeton où S. D. Goitein partit enseigner. Celui-ci, qui avait assidûment fréquenté les fonds de Cambridge et d’Oxford, rapporta non seulement des copies de ces documents, mais surtout des centaines de transcriptions et de traductions. Jusqu’à sa mort, ses cours permirent de former parmi les plus grands spécialistes de la Genizah, qui enseignèrent à leur tour à la génération suivante, dont fait partie M. Rustow. L’apparition de l’informatique et plus encore d’Internet donna un coup d’accélérateur à la recherche s’appuyant sur les documents de la Genizah. L’université de Princeton commença par digitaliser tous les textes retranscrits par S. D. Goitein, donnant ainsi naissance au Genizah Lab qui, grâce à Mark R. Cohen et A. L. Udovitch, élèves et successeurs de S. D. Goitein à Princeton, se dota peu à peu d’un site Internet et d’un moteur de recherche accessible à tous. Ce laboratoire, à présent dirigé par M. Rustow, s’insère dans un projet global et collectif de catalogage et de transcriptions de l’ensemble des documents tirés de la Genizah répertoriés de par le monde. Cette ambition trouve aujourd’hui son point d’aboutissement dans le Friedberg Genizah Project, puissant moteur de recherche visant à rendre disponibles tous les documents de la Genizah, résolument entrée dans l’ère du big data. Comme pour n’importe quel autre type de manuscrits, la description et l’analyse des documents tirés de la Genizah obéissent désormais à un cadre précis qui permet de les archiver et de les utiliser bien plus aisémentFootnote 19.

Ceci étant, dans cet ouvrage comme dans le précédent, l’autrice ne s’intéresse pas au fonds classique de la Genizah, composé des lettres commerciales, mais s’appuie sur ce qu’il faudrait appeler un sous-corpus, qui a émergé avec le temps grâce à un travail collectif : un ensemble de documents en arabe tiré des archives fatimides et déposé à la Genizah de la synagogue Ben Ezra dans des conditions qu’elle tente d’éclairer. Le travail de M. Rustow relève à la fois de l’Archival Turn et du tournant documentaire en cela qu’elle cherche justement à comprendre comment le califat fatimide fabriquait ses documents administratifs, constituait des archives et les gérait, considérant par ailleurs que les documents qu’elle étudie sont porteurs d’un sens social, politique et culturelFootnote 20. Rien d’étonnant dès lors à ce que plusieurs ouvrages s’intéressant au rapport à l’écrit, tel celui de Michael T. Clanchy (1936-2021), figurent en bibliographieFootnote 21.

Ce corpus est donc composé de textes issus de la chancellerie fatimide, mais retrouvés dans la synagogue et qui servirent souvent de support à des lettres privées ou à des textes liturgiques. Comprenons bien : ces documents administratifs en arabe furent réutilisés comme support d’autres textes rédigés par des individus qui écrivaient leurs messages au verso, voire entre les lignes arabes ou dans les marges. Depuis la fin du xixe siècle, la plupart des spécialistes, focalisés sur les lignes rédigées en judéo-arabe ou en hébreu, ont négligé les textes en graphie arabe, sans prendre souvent la peine de les signaler aux spécialistes du monde islamique médiéval qui auraient pu s’en emparer. Si quelques documents furent finalement repérés, notamment par S. D. Goitein et S. M. Stern, M. Rustow elle-même n’eut vent de l’existence de plusieurs de ces textes que fort récemment et de manière fortuite, certains chercheurs lui ayant signalé en passant l’existence de lignes rédigées en graphie arabe sur les documents qu’ils étudiaient par ailleurs. Le grand mérite de l’autrice consiste à avoir mené une recherche systématique dans les diverses institutions conservant les documents de la Genizah, jusqu’à répertorier environ 1 600 pièces provenant de la chancellerie fatimide. À de très rares exceptions près donc, les documents administratifs arabes de la Genizah ne furent vraiment portés à la connaissance de la communauté savante que dans les années 1990, voire 2000, une chronologie qui nuance quelque peu l’affirmation initiale de l’autrice quant au refus des spécialistes des Fatimides de consulter ces textes d’archives.

De fait, il est difficile de repérer dans l’historiographie une quelconque réticence en la matière : les rares exemples de littérature grise connus en dehors de la Genizah, essentiellement conservés dans les bibliothèques de monastères égyptiens, furent d’autant plus exploités qu’ils étaient rares, mais bien édités, décrits et traduits. D’un strict point de vue matériel et technique donc, M. Rustow ne part pas de nulle part. Si le corpus a, sans aucune contestation possible, considérablement augmenté grâce à ses recherches, il n’en repose pas moins sur les travaux pionniers – mais beaucoup plus confidentiels que le présent ouvrage – de Samuel Miklos Stern et de Geoffrey Khan, ce dernier poursuivant sans relâche et avec autant de brio que de science son travail d’édition et de traduction des textes. Grands spécialistes de la documentation produite par la chancellerie fatimide, ils en ont mis en évidence depuis longtemps les caractéristiques stylistiques et furent les premiers à en définir les codes de compositionFootnote 22. S’appuyant largement sur ces travaux fondateurs, M. Rustow décrit à nouveau en détail ces décrets califaux fatimides, mais insiste davantage sur certaines de leurs caractéristiques formelles. Dans quelques lignes très techniques où il est question d’angle d’écriture, de ligatures et de taille des lettres, elle montre que les Fatimides adoptèrent en conscience les normes impériales fixées en Orient tout en les modifiant afin de les faire correspondre à leur statut d’imams-califes ismaéliens, donc de descendants du prophète de l’islam, et à leur volonté de conquérir le monde abbasside. À cette fin, l’autrice se plonge dans la matière même des documents et s’intéresse au support sur lequel ils sont rédigés. En revenant, par exemple, sur l’histoire de la pénétration du papier dans le monde islamique ou en décrivant les normes appliquées dans les chancelleries des divers émirats ou califats antérieurs, elle réinscrit les Fatimides dans une longue tradition administrative qu’ils parachevèrent à travers la production de documents administratifs parfois monumentaux, tels ces longs décrets califaux – les rotuli – rédigés sur des rouleaux de papier de plusieurs mètres de long, du reste déjà étudiés par S. M. Stern. À l’instar d’une pratique attestée dans l’Occident latin, ces textes n’étaient sans doute pas faits pour être archivés, mais bien pour impressionner ceux qui les voyaient et en entendaient la lecture à haute voix. Ces décrets monumentaux exprimaient le pouvoir de l’imam-califeFootnote 23. Cette analyse repose en particulier sur l’étude d’un rotulus adressé à un fonctionnaire provincial égyptien et dont le verso fut réutilisé par un des leaders de la communauté des juifs dits Palestiniens de Fustat, un certain Efrayim b. Shemarya (m. ca 1055).

L’argument de M. Rustow semble d’autant plus plausible qu’il est cohérent avec d’autres pratiques fatimides. Comme l’a montré Irene A. Bierman à propos de l’épigraphie monumentale des califes du Caire, les décrets s’inscrivaient pleinement dans la communication califale et correspondaient à la phase de la lecture publique en chaireFootnote 24. Toutefois, ces documents étaient fort encombrants, alors même que le texte était de toute façon copié en plusieurs exemplaires sur des supports plus manipulables ; dès lors, ils étaient davantage promis à la dispersion et pouvaient être réutilisés par certains administrateurs ou marchands de la Genizah. Selon M. Rustow, il existait ainsi un véritable marché pour les documents officiels de seconde main. L’explication rejoint ou plutôt complète celle de Thierry Bianquis dans son analyse de la chronique d’al-Musabbiḥī (m. 420/1030), fonctionnaire qui écrivait à peu près à l’époque où le décret servant de support aux écrits d’Efrayim b. Shemarya fut rédigé. Une telle réutilisation n’avait rien d’exceptionnel, mais correspondait à la vie normale des documents de chancellerie – ou, du moins, d’une partie d’entre eux – à cette époque. Selon M. Rustow, la conservation tout comme le démembrement et la dispersion des documents officiels fatimides obéissaient donc à un choix délibéré des membres de la bureaucratie centrale et à ce qu’elle perçoit comme une forme de rationalité wébérienne. Ce chapitre est d’autant plus intéressant – même si l’on peut regretter qu’il n’approfondisse pas la question des réseaux d’approvisionnement du papier destiné aux documents officiels en croisant les documents de la Genizah et les sources narratives – qu’il permet à l’autrice de tordre le cou, de manière fort convaincante, à une autre idée reçue consistant à expliquer la réutilisation des documents d’archives fatimides par une pénurie de papier.

En dépit de ces lignes fort éclairantes, une partie non négligeable de l’argumentation peine à emporter l’adhésion. L’idée selon laquelle les spécialistes des Fatimides auraient sciemment écarté les documents d’archives et les textes de la Genizah n’est ainsi pas justifiée, et ce n’est pas la seule. Fidèle à l’objectif énoncé en introduction, l’autrice reprend dans ses trois derniers chapitres sa thèse fondamentale : en raison de l’absence de documents d’archives, des générations de chercheurs occidentaux auraient nourri des perceptions erronées sur l’État fatimide, évoquant ses tendances despotiques ou son laisser-faire. Dès la première ligne de son chapitre 16, elle se demande pourquoi les spécialistes du Moyen-Orient médiéval ont voulu croire que de tels documents n’existaient pas. Outre ce qui vient d’être expliqué sur la diffusion tardive de la documentation en question, l’argumentation développée semble d’autant plus étrange que les exemples choisis ne renvoient à aucun spécialiste ou presque du monde musulman médiéval et, surtout, à aucun chercheur ou spécialiste contemporain des Fatimides, quand elle sous-entend qu’une telle idée serait toujours vivace. En effet, l’on ne saurait considérer sérieusement Karl Wittfogel (m. 1988), historien de la Chine, Ernst E. Herzfeld (m. 1948), archéologue de l’Iran achéménide, ou Max Weber (m. 1920) comme des spécialistes du monde musulman médiéval. Le seul médiéviste cité, Marshall G. S. Hodgson (m. 1968), est connu pour ses travaux sur les Assassins, une des sectes auxquelles le mouvement fatimide donna naissance, et plus encore sur les émirs dits Bouyides (945-1055) et les Seldjoukides, deux pouvoirs nés de l’effondrement complet du califat abbasside. C’est à leur propos que l’historien aurait diffusé l’idée d’un État islamique despotique, faible, incapable d’employer autre chose que la force pour arriver à ses fins. Là encore, les exemples choisis, qui correspondent à des moments bien précis de l’histoire du califat non des Fatimides, mais des Abbassides, tout comme le contexte de rédaction remontant aux années 1960 invitent à relativiser de telles affirmations et, surtout, leur supposée postérité chez les spécialistes de l’Orient médiéval depuis les années 1970.

La thèse d’un laisser-faire administratif fatimide se réfère quant à elle à S. D. Goitein, auteur de travaux magistraux, mais dont la perspective est assurément datée. Il n’est pas non plus inutile de rappeler qu’en dépit de ses très grandes qualités, S. D. Goitein n’était pas un spécialiste des Fatimides et qu’il n’existait aucune monographie s’intéressant à ces califes à l’époque où il rédigea son œuvre : celle de Farhat DachraouiFootnote 25, qui ne traite d’ailleurs que de la période maghrébine de la dynastie non couverte par la Genizah, ne fut publiée qu’en 1981. De la même manière ne sont guère probantes les références à Peregrine Horden et Nicholas Purcell, auteurs d’une synthèse qui a certes fait date sur la Méditerranée prémoderne, mais qui ne sont nullement spécialistes du monde islamiqueFootnote 26. Depuis cinquante ans, aucun spécialiste n’a à notre connaissance jamais affirmé que les Fatimides n’avaient produit aucun document administratif ; c’est même l’une des seules dynasties de cette période pour laquelle nous disposions de quelques documents.

Au-delà de cette présentation historiographique quelque peu biaisée, revenons sur la thèse même de l’autrice. S’appuyant sur les documents de chancellerie retrouvés dans la Genizah, M. Rustow affirme donc que l’État fatimide n’était pas faible et qu’il avait mis en place des structures administratives et des normes bureaucratiques telles que décrites par Weber pour les États modernes. L’argumentation semble d’autant plus séduisante aux yeux des non-spécialistes que l’autrice, qui renvoie notamment à Aristote, Hegel ou Marx, se lance dans une analyse quasi philosophique de la question et impressionne par sa maîtrise des références en histoire ancienne ou en sociologie. Mais revenons à l’histoire. Plusieurs épisodes décrits par les chroniqueurs arabes et étudiés par des chercheurs sans doute demeurés à la marge de la discipline historique le montrent : une administration solide et une bureaucratie normée ne garantissent en rien contre le despotisme ou, au contraire, contre le laisser-faire, surtout si ces dispositifs se révèlent de façade, dissimulant une gestion du territoire bien différente et, in fine, l’incapacité des Fatimides à tenir réellement le terrain. Dès le xe siècle et jusqu’en 1171, il existe de nombreux exemples, tant en Afrique du Nord qu’en Syrie-Palestine, de provinces ou de districts côtiers sur lesquels les Fatimides n’exercèrent qu’une autorité nominale et dont ils choisirent d’abandonner la gestion – et notamment la perception des taxes – à des émirs qui jouissaient d’une grande indépendance. Les divers documents produits à l’intérieur même de la sphère du pouvoir califal reflètent la fascination du modèle irakien et donc abbasside pour des Fatimides qui rêvaient d’Orient et de s’emparer de Bagdad, considérée comme le siège de la légitimité islamique. Nulle surprise donc à ce que l’école administrative irakienne inspire l’administration fatimide, qui en reprend les modèles – même si l’influence est difficile à saisir, faute d’un corpus documentaire parallèle pour les Abassides. De la même manière qu’ils s’inspirèrent de Bagdad pour créer leur capitale maghrébine de Ṣabra al-Manṣūriya, près de Kairouan, ou pour faire du Caire l’entrepôt du monde musulman, ils partirent naturellement de l’administration irakienne pour développer la leur. C’est du reste à un homme formé en Irak, Ya‘qūb b. Killis (m. 991), premier vizir en titre de la dynastie fatimide, que les sources imputent l’importante réforme de l’administration fatimideFootnote 27. De façon surprenante, ce point n’est d’ailleurs pas relevé par l’autrice, tout comme est ignorée la venue en Égypte au cours du xie siècle de plusieurs anciens administrateurs abbassides, dont on trouve la trace dans les dictionnaires biographiquesFootnote 28 – des ouvrages dont la consultation est essentielle pour comprendre l’histoire des Fatimides dans sa globalité et décrire leur bureaucratie et sa logique dans toute sa complexité.

Décrire l’activité bureaucratique fatimide : apports et limites de l’approche

Dans sa volonté de faire correspondre la bureaucratie fatimide à l’idéal-type wébérien, l’autrice se livre à une analyse minutieuse des documents. Elle distingue pour cela les textes établis par les services centraux de la chancellerie fatimide de ceux, plus rares mais bien présents, composés par des officiers provinciaux travaillant par exemple pour les divers services de prélèvement des taxesFootnote 29. La typologie qui se dessine alors permet d’entrevoir la grande variété de documents produits par des membres plus ou moins subalternes de l’administration fatimide. Il s’agit là d’un éclairage novateur sur le fonctionnement de cette administration, qui vient confirmer ce que certaines sources narratives laissaient déjà supposerFootnote 30. Ce constat permet en effet à l’autrice de mieux fonder ce que tous les spécialistes de l’histoire des Fatimides avaient écrit depuis les années 1960, à savoir qu’il ne fait aucun doute que le califat fatimide constituait bien un État. Elle développe néanmoins l’idée originale selon laquelle l’État fatimide et sa bureaucratie seraient fondamentalement de type wébérienFootnote 31, donc à l’abri, si l’on suit sa logique, des pulsions de monarques aux tendances despotiques.

Cette thèse s’appuie en grande partie sur l’analyse de trois manuels de chancellerie, datés du xiie siècle et rédigés par de hauts fonctionnaires fatimides, Ibn al-Ṣayrafī (1070-1147), Ibn Mammātī (m. 1209) et al-Makhzūmī (m. ap. 1190), dont les textes ont été édités et traduits de longue date. L’utilisation de ces ouvrages se justifie puisque la majorité des documents d’archives étudiés par l’autrice datent du xiie siècle. Non sans humour, elle rapporte qu’à l’inverse des médiévistes arabisants, elle n’est pas familière de ce genre de document dépassant une pageFootnote 32. Quoi qu’il en soit, la comparaison entre ces textes plus ou moins théoriques et les documents d’archives est particulièrement éclairante. Comme elle l’explique très bien, tous ces livres ne se valent pas, notamment en raison de leurs finalités et leurs objets parfois fort différents. C’est donc au manuel d’Ibn al-Ṣayrafī, qui servit toute sa vie les Fatimides comme haut fonctionnaire, qu’elle accorde le plus d’attentionFootnote 33. La chose est tout à fait naturelle tant l’ouvrage, le moins technique des trois, traite du sujet au centre du travail de M. Rustow. S’intitulant Al-qānūn fī dīwān al-rasā’il, soit Code de la Chancellerie centrale, ce manuel, dont il ne subsiste plus qu’un seul manuscrit daté de 1201, alors que l’Égypte était passée aux mains des Ayyoubides, devait être suffisamment utile pour être repris ou du moins conservé par les fonctionnaires servant la nouvelle dynastie sunnite. Le texte en question fut rédigé plus d’un demi-siècle plus tôt, dans une période extrêmement troublée pour les Fatimides, à la fois confrontés aux croisades et victimes d’un coup d’État survenu à la fin des années 1130. Dans ce contexte, l’auteur cherchait à justifier son propre rôle à la tête du Bureau central de la chancellerie et à renforcer celui de sa corporation. Il insiste en effet sur l’importance d’une chancellerie bien tenue pour garantir la stabilité de l’État. Selon lui, cela passe avant tout par l’établissement de procédures normées, dont il entreprend l’énumération. L’archivage clair, par année et par mois, de tous les documents établis constituait une des règles de base dont on constate qu’elle était suivie quand on a la chance de disposer d’un document dans son intégralité. Bien que le manuel en reste à des considérations très théoriques, M. Rustow cherche à savoir si les propos d’Ibn al-Ṣayrafī peuvent être d’une manière ou d’une autre recoupés par l’analyse des documents que son service était censé produire. Elle part donc de la liste des neuf fonctions administratives – un chiffre qu’elle considère cependant comme sous-évalué – qui, selon l’auteur même du Code, venaient après la direction de la Chancellerie centrale.

À chacune de ces charges occupées par un fonctionnaire (le calligraphe, le copiste, l’archiviste, le chargé de la correspondance avec les souverains étrangers, etc.) l’autrice attribue certains documents retrouvés dans la Genizah ou ailleurs. Malgré l’inévitable incertitude liée à ces jeux d’associations, ce procédé novateur est d’autant plus convaincant que M. Rustow présente à ce moment du texte des reproductions des pièces d’archives en question. On pourra néanmoins regretter que la majorité des analyses s’appuie ici sur des archives éditées et traduites de longue date, et non sur les nouveaux documents découverts par l’autrice. À partir par exemple des actes d’investitures, 8 au total retrouvés dans la Genizah et dont 6 furent édités et traduits par G. Khan, M. Rustow met en évidence l’importance de l’entraînement et du rôle des modèles de composition qui devaient permettre aux fonctionnaires de rédiger des documents qui, tant sur la forme que sur le fond, correspondaient aux attendus. Elle s’appuie aussi sur le fragment d’une pièce d’archive qui, une fois n’est pas coutume, n’est pas extraite de la Genizah, mais se trouve dans le registre notarial du notaire génois Giovanni Scriba, conservé aux archives de Gênes donc. L’autrice attribue assez logiquement ce très court texte au fonctionnaire chargé de la correspondance avec les souverains étrangers puisqu’il s’agit de lignes faisant allusion à un traité commercial passé entre les Fatimides et certains marchands chrétiens. Elle semble néanmoins croire que l’inscription se limite aux huit mots qu’elle reproduit alors qu’elle fait en réalité plusieurs lignes. Pour autant, cette archive est très intéressante. Il s’agit d’un document officiel fatimide qui, pour des raisons que nous ignorons, servit à ce notaire génois pour écrire ses propres actes, dont plusieurs concernent des contrats commerciaux faisant allusion au port fatimide d’Alexandrie.

Toutefois, l’analyse est ici entachée d’une confusion lexicale qui porte à conséquence. M. Rustow associe le terme Rūm aux Génois et, au-delà, à « tout habitant du territoire chrétien ». Si cette vision correspond au début de la période médiévale, l’analyse de la documentation témoigne d’une évolution notable du sens du terme Rūm, qui s’appliquait initialement aux Romains et, par extension, en vint à désigner les Byzantins et des individus originaires d’espaces méditerranéens, placés à tort ou à raison dans l’orbite de Constantinople. À partir du xie et davantage encore au xiie siècle, période d’intensification des contacts, les habitants des pays chrétiens ne sont plus perçus comme un tout indistinct. À la date de rédaction du traité étudié par l’autrice, les Fatimides avaient donc une assez bonne connaissance des nationalités des marchands qui fréquentaient leurs ports. Pour des raisons évidentes, ils ne passaient pas d’accords ou n’accordaient pas de privilèges commerciaux à n’importe quel marchand qualifié de Rūm sans que ce vocable désigne les ressortissants des terres clairement dépendantes de ConstantinopleFootnote 34. Nous avons donc affaire à un fragment de texte qui mentionne peut-être les Génois dans un passage qui a disparu, ou alors à un texte sans rapport avec Gênes, mais qui parvint à un moment entre les mains d’un notaire en mal de papier de qualité.

Quoi qu’il en soit, M. Rustow poursuit son analyse de la véracité des propos d’Ibn al-Ṣayrafī en entreprenant cette fois d’évoquer le quatrième fonctionnaire qu’il mentionne dans sa liste, chargé de la correspondance avec ceux qu’elle qualifie à tort de « fonctionnaires de rang inférieur [lower officials] », en l’occurrence les hommes d’État (rijāl al-dawla), les hauts dignitaires (al-kubarā’), etc.Footnote 35. À partir de ce « code » et du décret se trouvant au dos du document rédigé par Efrayim b. Shemarya et remontant donc aux années 1020-1040, l’autrice suppose que les califes s’adressaient aux individus de rang inférieur dans un langage relâché, employant notamment ce qu’elle pense être la deuxième personne du singulier. Elle s’étonne alors du contraste entre la familiarité du ton et la majesté des documents. Là encore, l’analyse aurait gagné à mettre en parallèle les sources narratives : les dignitaires mentionnés n’ont rien de fonctionnaires de seconde zone, mais sont bien souvent des proches des califes. M. Rustow a peut-être ici confondu ces hommes avec les fonctionnaires auxquels Ibn al-Ṣayrafī fait allusion dans un autre chapitre et qui sont, eux, subordonnés au chef de la Chancellerie centraleFootnote 36. En outre, ce qu’elle prend pour une expression relâchée et familière n’est que la forme classique du discours direct en arabe, où le vouvoiement n’existe pasFootnote 37. Ibn al-Ṣayrafī précise pourtant bien que la manière dont le calife correspondait avec un individu ne dépendait pas de la nature du support utilisé, mais bien de l’usage épistolaire le concernant – une habitude consignée dans un registre que le scribe devait consulter pour savoir s’il était nécessaire de recourir au discours direct (kāf al-khiṭāb) ou indirect (hā’ al-kināya)Footnote 38. Il n’est du reste guère étonnant que le calife ait parfois adopté le discours direct pour s’adresser à des gens qu’il connaissait très bien. La démonstration de M. Rustow est donc, sur ces points, peu convaincante. C’est avant tout la majesté de l’imam-calife fatimide qui devait transparaître dans ces documents, peu importe le correspondant ou le fait que ce texte ait été destiné à une lecture publique ou pas. L’autrice a néanmoins raison lorsqu’elle remarque que cette pratique engendrait beaucoup de documents quelque peu encombrants.

M. Rustow développe ensuite l’idée qu’Ibn al-Ṣayrafī cherche à sous-évaluer le nombre total de fonctionnaires de la Chancellerie centrale lorsqu’il indique que n’y officiait qu’un seul copiste-calligraphe. L’autrice semble ainsi persuadée du contraire. Comment expliquer, sinon, la profusion de décrets monumentaux et le fait que l’on ne retrouve jamais la même main sur ces textes ? Un homme seul n’y pouvait suffire, la tâche consistant, pour reprendre Ibn al-Ṣayrafī, à mettre au propre l’ensemble des textes officiels, des décrets jusqu’aux missives échangées avec les princes étrangers, produits par la Chancellerie centrale. La question pourrait effectivement se poser si tous les documents retrouvés dataient exactement de la même période. Cependant, en l’absence d’étude prosopographique sur les calligraphes en chef, les quelques exemples mentionnés par l’autrice ne permettent pas d’être aussi affirmatif.

Le problème se situe toutefois ailleurs. M. Rustow semble en effet être passée à côté d’une caractéristique importante du texte d’Ibn al-Ṣayrafī. Dans son manuel, celui-ci décrit une administration idéale avec les procédures qui lui seraient liées, et non celles qui étaient effectivement suivies. Le manuel correspond davantage à un projet de réforme de la chancellerie qu’à un état des lieux fidèle de son fonctionnement. Dans les deux premiers chapitres de son ouvrage, le fonctionnaire rappelle d’ailleurs que les règles ont été négligées – et nous n’avons aucun moyen de savoir si elles furent un jour respectées à la lettre ; pour cette raison, il souhaite que son manuel demeure dans la Chancellerie centrale, accessible à chaque fonctionnaire soucieux de corriger sa pratique. Cette dimension utopique transparaît, dans le texte arabe, à travers le recours à un procédé stylistique précis : l’utilisation quasi systématique en début de paragraphe de l’expression « wa yajib an yakūn », qui est, en arabe, une des marques de l’obligation ou de la nécessité mise au conditionnel et qu’il faudrait donc traduire par « et il faudrait que cela soit ainsi ». Chaque paragraphe ne commence donc nullement par une description objective de ce qui se passe réellement dans la chancellerie et des règles qui y sont suivies, mais bien par l’évocation des mesures que l’auteur voudrait voir appliquées. Cette volonté d’établir des normes fixes dans l’établissement des documents officiels révèle, en négatif, les dysfonctionnements bien réels de la chancellerie fatimide. Faut-il s’étonner de cette critique voilée de la part d’un homme, Ibn al-Ṣayrafī, dont le texte témoigne par ailleurs subtilement de son adhésion au sunnisme, voire de son admiration pour les dynasties califales concurrentes des FatimidesFootnote 39 ? Le recours quasi systématique au conditionnel paraît donc avoir échappé à M. Rustow, qui n’analyse pas les pièces d’archives établies par la bureaucratie idéale d’Ibn al-Ṣayrafī, mais bien celles d’une administration réelle, avec ses fonctionnaires musulmans, juifs, chrétiens, plus ou moins compétents, sérieux et investis dans leurs charges. C’est donc peut-être de ce malentendu que viennent non seulement les supposées contradictions relevées par M. Rustow, mais aussi sa perception wébérienne de la bureaucratie fatimide, dont elle cherche avec insistance à imposer l’idée – comme c’est le cas, encore, dans le chapitre 13, où la question de l’archivage est développée.

Reprenant son hypothèse selon laquelle les archives fatimides auraient été constituées non de documents monumentaux, mais de bifolios de dimensions bien plus réduites, M. Rustow décrit alors les diverses procédures utilisées pour que l’archivage soit efficace et reconstitue les étapes chronologiques de cette « rationalisation wéberienne »Footnote 40. Pour ce faire, elle s’appuie largement sur le décret califal édicté en 1134 à la suite d’une plainte des habitants du district côtier de la Gharbiya, en ÉgypteFootnote 41. Selon l’autrice, un résumé du texte écrit dans la partie supérieure gauche du document permettait à l’archiviste d’en connaître rapidement le contenu sans avoir à le lire dans son intégralité. Lorsque le texte avait été transposé sous la forme d’un grand document, le bifolio portait une inscription particulière. Ainsi, à l’inverse de G. Khan et de S. M. Stern qui estimaient que le rotulus constituait la version définitive à partir de laquelle les copies étaient effectuées pour être archivées sous forme plus modeste, M. Rustow plaide pour un ordre inverse. L’exposé, tout à fait probant, permet de mieux replacer chaque procédure, depuis la rédaction des brouillons jusqu’au texte final avant d’arriver à l’élaboration de copies monumentale pour diffusion.

Il est néanmoins plus difficile de suivre l’autrice lorsqu’elle repère cette « rationalisation wéberienne »Footnote 42 dans la manière dont l’État fatimide aurait surveillé ses propres fonctionnaires, en dépersonnalisant les poursuites. S’il est vrai que le décret ne cite que les fonctions de ceux qui abusèrent de leur pouvoir sans jamais nommer les fautifs, on sait par ailleurs que les pétitions préalables à ce genre de décision devaient être précises : les plaignants avaient sans doute identifié les fonctionnaires indélicats non seulement par leur rang, mais aussi par leur nom. Il n’est d’ailleurs guère étonnant que dans sa réponse, au discours indirect, le souverain ne cite plus les noms, mais seulement les fonctions des responsables : chacun pouvait aisément les identifier et il se révélait inutile, voire dangereux, de les humilier publiquement. Il était plus sage pour le calife – et plus logique au regard de la nature du document – de procéder à un rappel à l’ordre plus général, comme le montre clairement un épisode du même ordre, daté de 1024 mais seulement mentionné dans des sources narrativesFootnote 43. Les divers exemples connus ne permettent donc nullement de conclure que les fonctionnaires fatimides étaient placés sous étroite surveillanceFootnote 44. Du reste, Ibn al-Ṣayrafī souligne fort clairement, à propos du service des Maẓālim qui devait traiter des plaintes émanant du peuple et relatives aux abus de pouvoir, combien ce service dysfonctionnait. Il insiste sur l’impérieuse nécessité pour le souverain de désigner des gens compétents pour surveiller des fonctionnaires convaincus de leur impunité en cas d’abus de leurs fonctions officielles à des fins personnellesFootnote 45.

L’autrice développe alors une autre idée originale : si l’archivage rigoureux servait les intérêts de l’État, il aurait aussi permis à la population de faire valoir ses droits si nécessaireFootnote 46. Selon elle, n’importe quel habitant pouvait ainsi consulter les documents. À l’appui de sa thèse, M. Rustow évoque les échanges entre les autorités fatimides et les moines de Sainte-Catherine ou des institutions juives dont les auteurs rappellent à l’administration qu’il existe dans les archives tel ou tel décret en leur faveur. Que les représentants officiels des institutions chrétiennes ou juives se réfèrent à ces décrets n’est pourtant guère surprenant : ils disposaient de copies dans leurs propres archives, comme en témoignent les documents retrouvés au monastère Sainte-Catherine. Certes, si ces institutions se trouvaient dans la situation de devoir faire valoir leurs droits en renvoyant aux archives officielles, c’est parce qu’elles jugeaient que leurs dires allaient être vérifiés par l’administration. Cela ne signifie pas pour autant que n’importe quel individu pouvait accéder aux archives officielles. Le fait que les divers documents mentionnés étaient copiés en de nombreux exemplaires et adressés aux services centraux ou provinciaux n’implique pas leur éventuelle consultation par les populations locales. Plus simplement peut-être, on peut imaginer que l’administration jugeait nécessaire pour son bon fonctionnement de fournir des copies à tous les services qu’elle estimait potentiellement concernés. Il est donc logique et, à cet égard, rationnel, que des copies du décret relatif à l’affaire concernant les réquisitions de bateaux par des fonctionnaires aient été envoyées non seulement dans les diwans des différents districts du delta impliqués, mais aussi dans les services financiers affectés par ces agissements. L’on peut ainsi bel et bien parler d’une forme de rationalisation, ou tout simplement de logique, qu’il y a néanmoins un pas à qualifier de wébérienne.

M. Rustow estime encore que la chancellerie encourageait les individus privés à constituer leurs propres archives. Cette hypothèse séduisante est toutefois difficile à prouver, d’autant que Ibn al-Ṣayrafī n’affirme rien de tel. Finalement, cette tradition assez répandue de l’archivage personnel, et ce avant même la période fatimide, ne s’explique pas tant par un encouragement de l’État fatimide que par une nécessité liée aux pratiques juridiques du temps : en cas de litiges entre personnes privées ou entre un individu et l’État, il fallait être en capacité de produire des témoignages et des pièces pour prouver son bon droitFootnote 47.

M. Rustow s’appuie sur un dernier argument pour démontrer cette supposée « rationalisation wéberienne »Footnote 48 : l’utilisation fréquente de marques d’authentification et l’emploi de tournures passives pour certains ordres (« qu’il soit fait copie de », « qu’il soit enregistré »). Les marques d’authentification n’étaient pas des signatures personnelles de fonctionnaire, mais des formules spécifiques de nature religieuse. L’autrice explique très bien que certaines d’entre elles étaient l’apanage des califes (« Louanges à Dieu, Seigneur des mondes »), alors que d’autres (« Louanges au Dieu unique ») étaient utilisées par divers fonctionnaires, sans doute des chefs de service, pour signifier que le document était passé entre leurs mains et avait donc été visé à un moment de la procédure bureaucratique. Selon elle, ces pratiques auraient cherché à gommer l’identité des fonctionnaires pour laisser l’impression que la bureaucratie reposait sur des procédures reproductibles, rationnelles, normées, bref, ce qu’elle nomme « a machinery »Footnote 49. Selon M. Rustow, cela aurait permis de détacher le système bureaucratique des contingences sociales. Si son argumentation séduisante est tout à fait plausible, elle pourrait néanmoins corroborer une autre réalité qui ne va pas exactement dans le sens de la rationalité wébérienne. Diverses chroniques relatent qu’à de multiples reprises, les Fatimides affermèrent des charges officielles pour des raisons purement financières à des individus qui avaient les moyens de les payer pour les exercer un temps donné, et non en fonction de leurs compétences. La chose est bien attestée pour des postes de gouverneurs, de responsables de diwans et diverses fonctions officielles subalternes. Des sources vont jusqu’à suggérer qu’à certains moments, la perception d’une même taxe fut affermée simultanément à deux personnes, entraînant évidemment des contestations : on s’éloigne là de l’image wébérienne de l’administration fatimide. Les Fatimides ayant développé de réelles compétences en matière de communication, ces marques d’authentification anonymes que le titulaire d’une charge devait apposer pouvaient donc tout à fait correspondre à une procédure qui se voulait rationnelle ou qui visait l’illusion de la rationalité, mais sans être forcément suivie d’effet. À trop vouloir chercher une forme de vérité dans les documents d’archives et à nier l’apport des sources narratives, l’on peut parfois s’éloigner de la réalité. L’utilisation des travaux réalisés à partir d’autres sources aurait pu amener l’autrice à réviser certaines de ses considérations.

Il est en effet surprenant, dans une bibliographie pourtant très riche et convoquant de nombreux sociologues, tenants de la French Theory et historiens des périodes pré- ou post-Fatimides, de ne trouver strictement aucune mention de certains des plus grands spécialistes de l’histoire de ce califat. C’est là sans doute notre plus grande réserve sur l’ouvrage. De telles références auraient pourtant pu éclairer la réflexion de l’autrice sur les objectifs et l’idéologie des Fatimides afin de mieux comprendre le fonctionnement de cette chancellerie et, plus largement, de l’administration fatimide dans laquelle elle s’insérait. Les travaux de Heinz Halm, auteur d’une trilogie sur les Fatimides et de nombreux articles sur l’idéologie ismaélienne, ou encore ceux de Thierry Bianquis, sur l’Égypte et la Syrie fatimides, ne sont pas mentionnés, alors même que plusieurs chapitres de l’ouvrage auraient justifié qu’ils le fussentFootnote 51.

À partir du texte d’al-Musabbiḥī, T. Bianquis a par exemple mis en évidence l’existence de deux grands types de ministères, ou diwans : les diwans financiers et les diwans plus politiquesFootnote 51. Il décrit ainsi le rôle fiscal de chaque diwan financier, dont le fonctionnement reposait sur la perception de certains impôts et la redistribution à l’État des ressources prélevées. L’historien s’intéresse aux liens entre ces ministères, qui entretenaient une correspondance suivie et produisaient quantité de documents circulant de l’une à l’autre administration. Il a aussi montré le caractère bicéphale de la direction des diwans. Il existait en effet à la tête de chaque grand bureau une charge de direction financière qui, les Fatimides ayant toujours besoin de liquidités, était affermée à de riches individus faisant l’avance des sommes nécessaires. Souvent soucieux de se rembourser au plus vite, ces derniers pouvaient donc se trouver enclins à augmenter les taxes, voire à en créer de nouvelles. Une nomination à cette charge dépendait généralement de la fortune personnelle plutôt que d’éventuelles connaissances administratives. L’adjudicateur disposait du concours de la force publique pour contraindre les administrés à payer, mais les procédures abusives qu’il utilisait parfois pour rentrer plus vite dans ses frais pouvaient susciter des plaintes et des pétitions qui parvenaient au service des ma ẓā lim – donnant au passage l’occasion au calife d’intervenir en faveur du peuple et de passer pour un grand justicier. La direction effective des diwans était quant à elle confiée à de purs administrateurs – dont on sait par ailleurs qu’ils étaient très souvent choisis parmi les membres des communautés chrétiennes et juives, jugés plus compétents. Ces hommes étaient donc très au fait des règles de chancellerie décrites avec justesse par M. Rustow, des normes dont il faudrait toutefois être capable de déterminer si elles ne valent que pour le xiie siècle, alors que l’on sait qu’une réforme administrative fut mise en place dès les années 1070. Dans tous les cas, tel qu’al-Musabbiḥī le décrit, cet administrateur détenait de droit toutes les pièces comptables produites par le diwan sur lequel il exerçait son autorité. Qu’advenait-il exactement de ces documents une fois le fonctionnaire en question nommé ailleurs ou disparu ? On l’ignore, mais celui-ci pourrait bien s’être souvent séparé d’une manière ou d’une autre de tous ces textes devenus inutiles, donnant ainsi lieu à un marché du papier d’occasion. T. Bianquis évoque également le rôle particulier des contrôleurs financiers des diwans, qui devaient examiner et contresigner un certain nombre de documents. Cet article de T. Bianquis aurait donc pu à lui seul mettre en perspective les propos de M. Rustow et, en particulier, le chapitre consacré aux marques d’authentificationFootnote 52. L’autrice répertorie en effet plusieurs cachets qui semblent appartenir à des fonctionnaires provinciaux, de rang inférieur, sans parvenir à identifier leur rôle et leur fonction : il pourrait bien s’agir de contrôleurs financiers.

De la même manière, compte tenu du sujet et de l’angle choisi, il est surprenant de ne pas trouver de références à plusieurs sources relatives au fonctionnement de l’administration fatimide et à cet art de la chancellerie. Nous avons évoqué le texte d’al-Musabbiḥī, qui mentionne de nombreux ministères ainsi que des pétitions et décrets émis par le calife al-Ẓāhir, celui-là même qui autorisa la construction de la synagogue Ben Ezra. Parmi ces oubliés, l’on pense surtout à Ibn al-Ṭuwayr (1130-1220), dont l’ouvrage consacré à la description du fonctionnement de l’administration fatimide au xiie siècle contient un chapitre de 30 pages où sont listés près de 18 diwans en fonctionnement de son temps, c’est-à-dire vers 1150, période à laquelle plusieurs des documents cités par l’autrice furent rédigésFootnote 53. De même, il n’est pas fait allusion au Mukhtaṣar fī ṣinā‘at al-kitāba, ou Abrégé de l’art de la chancellerie, qui fut pourtant rédigé par l’un des acteurs de la Genizah, Sahl b. Faḍl al-Tustarī, plus précisément l’un des juifs karaïtes au service des Fatimides au xie siècle : l’ouvrage – il est vrai inédit et non traduit – est conservé à la Bibliothèque nationale de Saint-PétersbourgFootnote 54. L’on pense enfin à un dernier texte, le Kitāb rasā ’il al-‘Amīdī, du nom de Abū Sa‘īd al-‘Amīdī (m. 1042) – l’un des secrétaires majeurs de l’administration fatimide et dont deux manuscrits se trouvent à l’université de PrincetonFootnote 55. L’utilisation de ces travaux et des sources narratives enrichies des données exceptionnelles contenues dans les documents de la Genizah aurait sans doute contribué à mieux exprimer le caractère très complexe, tant dans son fonctionnement que dans ses finalités, de la bureaucratie fatimide. Ces références auraient sans doute permis de relativiser le caractère wébérien de cette bureaucratie qui n’en était pas moins organisée et peut-être même dotée d’une forme de rationalité.

Ces remarques ne doivent pour autant pas masquer l’essentiel : l’ouvrage est d’un apport majeur à la fois en ce qu’il rend accessible au plus grand nombre des documents importants et qu’il aborde de manière brillante, et non sans humour, des aspects qui pourraient passer pour arides, sinon ennuyeux. On y trouve quantité d’éléments forts utiles et de réflexions pertinentes, même s’il demeure difficile d’en partager toutes les conclusions. Le livre remplit pleinement l’objectif qu’il s’était fixé : remettre en cause les idées reçues relatives à l’incapacité des États arabo-musulmans à produire des archives. De tels préjugés peuvent désormais être définitivement mis aux archives.

Footnotes

*

* Cette note critique s’intéresse à l’ouvrage de Marina Rustow, The Lost Archive: Traces of a Caliphate in a Cairo Synagogue, Princeton, Princeton University Press, 2020, 624 p.

References

1 Marina Rustow, Heresy and the Politics of Community: The Jews of the Fatimid Caliphate, Ithaca, Cornell University Press, 2008.

2 Ead., The Lost Archive, op. cit., p. 4.

3 Ibid., p. 5.

4 Ibid., p. 8.

5 Ibid., p. 13.

6 L’ouvrage le plus complet sur cette histoire de la Genizah est sans doute celui de Adina Hoffman et Peter Cole, Sacred Trash: The Lost and Found World of the Cairo Genizah, New York, Schocken Books, 2011.

7 Mark R. Cohen, « Genizah for Islamicists, Islamic Genizah, and the ‘New Cairo Genizah’ », Harvard Middle Eastern and Islamic Review, 7, 2006, p. 129-145.

8 Schématiquement, il est possible de diviser ce corpus en quatre grands sous-corpi : les documents privés, les documents légaux, les documents officiels et les documents religieux.

9 M. Rustow, Heresy and the Politics of Community, op. cit. Voir aussi l’ouvrage de Jessica L. Goldberg, Trade and Institutions in the Medieval Mediterranean: The Genizah Merchants and their Business World, Cambridge, Cambridge University Press, 2012.

10 Jacob Mann, The Jews in Egypt and in Palestine under the Fāṭimid Caliphs: A Contribution to Their Political and Communal History based Chiefly on Genizah Material Hitherto Published, Londres, Oxford University Press, 2 vol., 1920-1922.

11 Quelques titres représentatifs dans une œuvre immense : Shelomo Dov Goitein, « Contemporary Letters on the Capture of Jerusalem by the Crusaders », Journal of Jewish Studies, 3-4, 1952, p. 162-177 ; id., « From the Mediterranean to India: Documents on the Trade to India, South Arabia and East Africa from the Eleventh and Twelfth Centuries », Speculum, 29, 1954, p. 181-197 ; id., « Petition to the Fatimid Caliphs from Cairo Genizah », Jewish Quarterly Review, 45-1, 1954, p. 30-38 ; id., « Glimpes from the Cairo Genizah on Naval Warfare in the Mediterranean and on the Mongol Invasion », in Studi orientalistici in onore di Giorgio Levi Della Vida, vol. 1, Rome, Pubblicazione dell’Istituto per l’Oriente, 1956, p. 393-408 ; id., « New Light on the Beginning of the Kārim Merchants », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 1-2, 1958, p. 175-184 ; id., « The Main Industries of the Mediterranean Area as Reflected in the Records of the Cairo Genizah », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 4-2, 1961, p. 168-197 ; id., « Letters and Documents on the Indian Trade in Medieval Times », Islamic Culture, 37-3, 1963, p. 188-205 ; id., « Artisans en Méditerranée orientale au haut Moyen Âge », Annales ESC, 19-5, 1964, p. 847-868 ; id., « Medieval Tunisia, the Hub of the Mediterranean », in Studies in Islamic History and Institutions, Leyde, Brill, 1966, p. 308-328 ; id., Studies in Islamic History and Institutions, Leyde, Brill, 1968 ; id., « Changes in the Middle East (950-1150) as Illustrated by the Documents of the Cairo Genizah », in D. S. Richards (dir.), Islamic Civilisation: 950-1150, Oxford, Cassirer, 1973, p. 17-32 ; id., A Mediterannean Society: The Jewish Communities of the Arab World as Portrayed in the Documents of the Cairo Genizah, Berkeley, University of California Press, 6 vol., [1967-1988] 1999.

12 Dynastie affidée aux Fatimides et dont les diverses branches régnèrent sur une partie de l’Algérie actuelle et sur la Tunisie de 973 au milieu du xiie siècle.

13 Hadi Roger Idris, La Berbérie orientale sous les Zīrīdes, xe- xiie siècles. Histoire politique et institutions, Paris, Adrien-Maisonneuve, 2 vol., 1962 ; Farhat Dachraoui, Le califat fatimide au Maghreb, 296-362/909-973, Tunis, Société tunisienne de diffusion, 1981.

14 Eliyahu Ashtor, « Quelques indications sur les revenus dans l’Orient musulman au haut Moyen Âge », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 2, 1959, p. 262-280 ; id., « Le coût de la vie dans l’Égypte médiévale », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 3, 1960, p. 56-77 ; id., Histoire des prix et des salaires dans l’Orient médiéval, Paris, SEVPEN, 1969 ; Abraham L. Udovitch, « Formalism and Informalism in the Social and Economic Institution of the Medieval Islamic World », in A. Banani et S. Vryonis Jr. (dir.), Individualism and Conformity in Classical Islam, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1977, p. 61-81 ; id., « A Tale of two Cities: Commercial Relations between Cairo and Alexandria during the Second Half of the Eleventh Century », in H. A. Miskimin, D. Herlihy et A. L. Udovitch (dir.), The Medieval City, New Haven, Yale University Press, 1977, p. 143-162 ; id., « Merchants and Amirs: Government and Trade in Eleventh Century Egypt », Asian and African Studies, 22, 1988, p. 53-72 ; id., « Alexandria in the 11th and 12th Centuries. Letters and Documents of the Cairo Genizah Merchants: An Interim Balance Sheet », in C. Décobert (dir.), Alexandrie médiévale 2, Le Caire, IFAO, 2002, p. 99-112.

15 Shelomo Dov Goitein, Letters of Medieval Jewish Traders, Princeton, Princeton University Press, 1973. Cet ouvrage rendit aisément accessible à des chercheurs qui n’avaient a priori pas les compétences linguistiques ni parfois aucun rapport avec le monde juif et/ou médiéval des informations qui pouvaient les intéresser par ailleurs. À ce titre, voir par exemple l’utilisation d’une lettre traduite par Shelomo Dov Goitein dans l’ouvrage de François-Xavier Fauvelle-Aymar, Le rhinocéros d’or. Histoire du Moyen Âge africain, Paris, Alma Éditeur, 2013, p. 141-146.

16 Heinz Halm, Die Kalifen von Kairo. Die Fatimiden in Ägypten, 973-1074, Munich, Verlag C. H. Beck, 2003 ; Thierry Bianquis, Damas et la Syrie sous la domination fatimide (359-468/969-1076), Damas, Institut français de Damas, 2 vol., 1986-1989 ; Yaacov Lev, State and Society in Fatimid Egypt, Leyde, Brill, 1991.

17 Paul E. Walker, Exploring an Islamic Empire: Fatimid History and Its Sources, Londres, I. B. Tauris/The Institute of Ismaili Studies, 2002.

18 Le degré d’utilisation de ces documents varie évidemment d’un chercheur à l’autre en fonction des sujets traités, des compétences linguistiques de chacun. Voir par exemple, et dans deux registres différents, Sumaiya A. Hamdani, Between Revolution and State: The Path to Fatimid Statehood, Londres, I. B. Tauris/The Institute of Ismaili Studies, 2006 ; David Bramoullé, Les Fatimides et la mer (909-1171), Leyde, Brill, 2020 ; Daniel De Smet, Les Fatimides. De l’ésotérisme en islam, Paris, Éd. du Cerf, 2022.

19 Ce cadre est expliqué par Judith Olszowy-Schlanger, « Petit guide de description des écritures hébraïques : identifier la main du scribe », Instrumenta BwB, 1, 2013, http://www.hebrewmanuscript.com/images/petit-guide-de-description-des-ecritures-hebraiques-bwb.pdf, ici p. 4.

20 M. Rustow, The Lost Archive, op. cit., p. 2-3. Sur ces notions, voir notamment Olivier Poncet, « Archives et histoire : dépasser les tournants », Annales HSS, 74-3/4, 2019, p. 711-743 ; Les Annales, « Après le tournant documentaire. Ce qui montre, ce qu’on montre », Annales HSS, 75-3/4, 2020, p. 425-446.

21 Michael T. Clanchy, From Memory to Written Record: England 1066-1307, Londres, Edward Arnold, 1979.

22 Geoffrey Khan, « A Copy of a Decree from the Archives of the Fāṭimid Chancery in Egypt », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 49-3, 1986, p. 439-453 ; id., « The Arabic Fragments in the Cambridge Genizah Collections », Manuscripts of the Middle East, 1, 1986, p. 54-60 ; id., « The Historical Development of the Structure of Medieval Arabic Petitions », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 53-1, 1990, p. 8-30 ; id., « A Petition to the Fatimid Caliph al-Amir », Journal of the Royal Asiatic Society, 122-1, 1990, p. 44-54 ; id., Arabic Legal and Administrative Documents in the Cambridge Genizah Collections, Cambridge, Cambridge University Press, 1993 ; Samuel Miklos Stern (éd.), Fāṭimid Decrees: Original Documents from the Fāṭimid Chancery, Londres, Faber & Faber, 1964.

23 M. Rustow, The Lost Archive, op. cit., p. 403.

24 Irene A. Bierman, Writing Signs: The Fatimid Public Text, Berkeley, University of California Press, 1998.

25 F. Dachraoui, Le califat fatimide au Maghreb, op. cit.

26 Peregrine Horden et Nicholas Purcell, The Corrupting Sea: A Study of Mediterranean History, Oxford, Blackwell, 2000. On peut lire avec intérêt l’analyse de ce travail du point de vue d’un médiéviste par Henri Bresc, « Îles et ‘tissus connectifs’ de la Méditerranée médiévale », Médiévales, 47, 2004 p. 123-138.

27 Yaacov Lev, « The Fatimid Vizier Ya‘qub ibn Killis and the Beginning of the Fatimid Administration in Egypt », Der Islam, 58-2, 1981, p. 237-249.

28 Ces ouvrages sont en général constitués de plusieurs volumes. Ils présentent, par ordre alphabétique, des notices biographiques de personnages plus ou moins célèbres ayant vécu dans un territoire donné. Les auteurs de ces dictionnaires évoquent alors les éléments classiques des biographies comme les dates de naissance et de décès des personnages traités, leurs origines familiales, leurs opinions religieuses, les grands événements de leur vie et leur carrière.

29 M. Rustow, The Lost Archive, op. cit., p. 96.

30 Thierry Bianquis, « Le fonctionnement des dīwān financiers d’après Al-Musabbiḥī », Annales islamologiques, 26, 1992, p. 47-61.

31 M. Rustow, The Lost Archive, op. cit., p. 103-106.

32 Ibid., p. 288.

33 Ibid., chap. 10-13.

34 Sur ces aspects, voir D. Bramoullé, Les Fatimides et la mer, op. cit., p. 513-522, avec la traduction de l’inscription complète du texte arabe se trouvant dans le texte notarié génois.

35 M. Rustow, The Lost Archive, op. cit., p. 308. Ibn al-Ṣayrafī cite notamment les officiers supérieurs de l’armée, les juges, les gouverneurs civils et militaires, les inspecteurs des principaux services financiers. Voir Ibn al-Ṣayrafī, Al-qānūn fī dīwān al-rasā’il, éd. par A. Fu’ad Sayyid, Le Caire, al-Dār al-miṣriyya al-lubnāniya, 1990, p. 27.

36 Ibid., p. 18.

37 Pour son travail sur ce code d’Ibn al-Ṣayrafī, il s’avère que M. Rustow a très largement utilisé une traduction utile, mais fort datée et parfois fautive, du texte d’Ibn al-Ṣayrafī par Henri Massé qui traduit l’expression kāf al-khiṭāb par « kaf de la deuxième personne » au lieu de discours direct, ce qui semble avoir induit l’autrice en erreur dans son analyse à la fois sur ce point et d’autres. Voir Henri Massé, « Ibn el-Çaïrafi. Code de la chancellerie d’État (période fâṭimide) », Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, 11, 1914, p. 65-120, ici p. 105.

38 Ibn al-Ṣayrafī, Al-qānūn…, op. cit., p. 31.

39 Lorsqu’il ne se réfère pas ouvertement à la grandeur de la chancellerie irakienne, cet auteur prend systématiquement ses exemples d’administration efficace soit chez les Umayyades, soit chez les Abbassides. Ibn al-Ṣayrafī, Al-qānūn…, op. cit., p. 18, 19-20, 23-24 et 36-37.

40 M. Rustow, The Lost Archive, op. cit., p. 348.

41 Édition, traduction et analyse de ce décret dans G. Khan, « A Copy of a Decree… », art. cit.

42 M. Rustow, The Lost Archive, op. cit., p. 346.

43 Musabbiḥī, Al-juz’ al-arba‘ūn min akhbār Miṣr, Tome 40 e de la Chronique d’Égypte d’al-Musabbiḥī (366-420/977-1029), éd. par T. Bianquis et A. Fu’ad Sayyid, Le Caire, IFAO, 1968, p. 95.

44 D. Bramoullé, Les Fatimides et la mer (909-1171), op. cit., p. 480-483.

45 Ibn al-Ṣayrafī, Al-qānūn…, op. cit., p. 41.

46 M. Rustow, The Lost Archive, op. cit., p. 347-348.

47 Il existe, pour l’Égypte, de nombreuses éditions de pièces tirées d’archives privées depuis l’époque umayyade jusqu’à l’époque fatimide évidemment. Voir, par exemple, Yūsuf Rāġib, « Lettres arabes I », Annales islamologiques, 14, 1978, p. 15-35 ; id., Marchands d’étoffes du Fayyoum au iiie/ ixe siècle d’après leurs archives (actes et lettres), Le Caire, IFAO, 3 vol., 1982-1992 ; Christian Gaubert et Jean-Michel Mouton, Hommes et villages du Fayyoum dans la documentation papyrologique arabe ( xe- xie siècles), Genève, Droz, 2014.

48 M. Rustow, The Lost Archive, op. cit., p. 352.

49 Ibid.

50 H. Halm, Die Kalifen von Kairo, op. cit. ; T. Bianquis, Damas et la Syrie sous la domination fatimide, op. cit.

51 T. Bianquis, « Le fonctionnement des dīwān financiers d’après Al-Musabbiḥī », art. cit.

52 M. Rustow, The Lost Archive, op. cit., p. 368-377.

53 Ibn al-uwayr, Nuzhat al-muqlatayn fi akhb ā r al-dawlatayn, éd. par A. Fu’ad Sayyid, Beyrouth, Steiner, 1992.

54 Saint-Pétersbourg, RNL Firk. Arab. 124, Sahl b. Faḍl al-Tustarī, Mukhtaṣar fī ṣinā‘a al-kitāba.

55 Princeton University Library, Islamic Manuscripts, Garrett, 4548Y, Abū Sa‘īd al-‘Amīdī, Kitāb rasā ’il al-‘Amīdī. Édition en fac-similé sous le titre Rasā’il al-‘Amīdī, Riyad, Jāmiʻat al-Malik Saʻūd, 2013.