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Toutes les disciplines ont-elles les mêmes raisons de diffuser les résultats de la recherche ?

Published online by Cambridge University Press:  23 January 2025

Marie Laplante-Anfossi*
Affiliation:
Département de philosophie, Université du Québec à Montréal, Montréal, QC, Canada
*
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Résumé

Les discussions récentes au sujet des rapports entre sciences et sociétés concourent aux impératifs politiques pour la diffusion des connaissances qui transcendent les disciplines. Je soutiens qu'un argument pour la diffusion des résultats de la recherche en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM) serait valable pour les sciences humaines et sociales (SHS). Je précise les conséquences de cette transposition en prenant l'exemple de la recherche en philosophie. J'aboutis à la conclusion que l'obstacle principal à la diffusion des résultats dans ce domaine est la reconnaissance d'une expertise philosophique.

Abstract

Abstract

Recent discussions on the relationship between science and society have led to a political imperative for disseminating knowledge to the lay public that transcends disciplines. I argue that one argument for knowledge dissemination in science, technology, engineering, and mathematics (STEM) disciplines would also apply to the humanities and social sciences (HSS). I explain the consequences of this transposition by taking the example of research in philosophy. I conclude that the main obstacle to its dissemination is the recognition of a philosophical expertise.

Type
Special Issue: Canadian Philosophical Association 2024 Prize Winning Papers / Numéro spécial : gagnants des prix de l’essai 2024 de l’Association canadienne de philosophie
Creative Commons
Creative Common License - CCCreative Common License - BY
This is an Open Access article, distributed under the terms of the Creative Commons Attribution licence (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted re-use, distribution and reproduction, provided the original article is properly cited.
Copyright
Copyright © The Author(s), 2025. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Philosophical Association / Publié par Cambridge University Press au nom de l’Association canadienne de philosophie

L'importance d'engager une plus grande diversité du corps social dans la recherche et la production des connaissances est discutée depuis plusieurs années en épistémologie et en philosophie des sciences (Code, Reference Code2006 ; Fricker, Reference Fricker2007 ; Harding, Reference Harding1991 ; Haslanger, Reference Haslanger1999 ; Kitcher, Reference Kitcher2001 ; Landemore, Reference Landemore2011 ; Longino, Reference Longino1990). Elle est également de plus en plus valorisée dans le discours politique au Québec et au Canada (CRSH-SSHRC, 2021 ; Quirion, Reference Quirion2021). La question de la diffusion des connaissances scientifiques est au cœur de cette reconceptualisation des sciences parce qu'elle détermine la qualité de la relation entre les sciences et leurs publics (Bauer et al., Reference Bauer, Allum and Miller2007, p. 80). Les mécanismes de la diffusion des connaissances scientifiques au grand public ont été examinés surtout pour les connaissances issues du champ des sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM) (Prud'homme, Reference Prud'homme, Doray, Bouchard and Prud'homme2015, p. 10 ; Stilgoe et al., Reference Stilgoe, Lock and Wilsdon2014, p. 9). Jusqu’à présent, les sciences humaines et sociales (SHS) ont eu un rôle auxiliaire qui permet de documenter le phénomène et d'ouvrir la discussion sur ses enjeux (Lévy-Leblond, Reference Lévy-Leblond2001, p. 100–101). De plus, la recherche en SHS aurait cette particularité d’être à la fois omniprésente et absente des processus de diffusion au grand public : « Social sciences and humanities research seems to be everywhere and nowhere in public communication » (Cassidy, Reference Cassidy, Bucchi and Trench2021, p. 206). Toutefois, l'impératif politique de diffusion des connaissances scientifiques provient d'une exigence à l’égard de toute la recherche réalisée à l'aide de fonds publics et transcende ainsi les disciplines (Landes, Reference Landes2014, p. 77 ; Barjot, Reference Barjot2020, p. 9 ; Porsdam et Mann, Reference Porsdam and Mann2021, p. 70).

Dans ce contexte, est-il possible de soutenir la diffusion des connaissances des STIM et des SHS de la même façon ? J’émets l'hypothèse que les raisons de diffuser les connaissances des STIM pourraient valoir pour les connaissances des SHS, c'est-à-dire que les arguments en faveur de la communication publique des sciences se révéleraient probants pour les SHS. Pour mettre cette hypothèse à l’épreuve, je propose la reconstitution d'un argument — que j'appellerai « l'argument social » — qui utilise l'omniprésence des connaissances des STIM dans la vie sociale et politique pour faire valoir la nécessité de leur diffusion au grand public (section 2). C'est un argument qui me semble largement mobilisé dans la littérature sans jamais être explicite. Je discute également d'un argument connexe, mais distinct, que je nomme « l'argument en faveur de la participation des publics à la création des connaissances », pour montrer que l'impératif de diffusion ne disparaît pas, même lorsque ce deuxième pas argumentatif est amorcé. Je m'attarde ensuite au défi de la parité entre les sciences puisque celle-ci est nécessaire au transfert de l'argument des STIM aux SHS (section 3). J'avance que l'argument social fait valoir l'utilité des disciplines et qu’à cet égard, il est possible de considérer les STIM et les SHS sur un pied d’égalité. Enfin, je propose l'argument social adapté aux connaissances des SHS (section 4). Je choisis le cas d'espèce de la philosophie parmi les SHS pour discuter des défis d'application de l'argument social propres à la diffusion des résultats de la recherche philosophique. J'aboutis à la conclusion que, dans le cadre de cet argument, l'obstacle principal à la diffusion des connaissances philosophiques est la question de l'expertise en philosophie.

1. L'argument social en faveur de la diffusion des résultats de la recherche scientifique

Je reconstruis ici un argument en faveur des pratiques de diffusion des connaissances des STIM au grand public, qui est à la fois omniprésent et implicite dans la littérature. L'argument social lui-même soutient seulement la diffusion des connaissances. Plus précisément, il concerne la diffusion des résultats de la recherche scientifique. Néanmoins, il est également utilisé pour défendre une autre pratique scientifique, celle de la participation des publics à l’élaboration des connaissances (Shekeris, Reference Shekeris2014, p. 39–40). J'estime que ce sont deux arguments distincts : je les aborderai donc séparément en tâchant de restituer l'enchaînement logique qui les lie. Mon but est de montrer que l'impératif de diffusion se maintient du premier au deuxième argument.

1.1. L'argument social pour la diffusion des connaissances

Je propose la reconstruction suivante : alors que nous évoluerions dans une société de connaissances, tous les membres de la société seraient appelés à interagir avec les sciences et les technologies. Les connaissances technoscientifiques seraient non seulement omniprésentes dans la vie publique, mais elles seraient également structurantes, c'est-à-dire qu'elles encadreraient, guideraient et restreindraient la vie citoyenne. Les membres de la collectivité auraient ainsi besoin de connaître les résultats de la recherche pour participer aux décisions politiques en démocratie (Einsiedel, Reference Einsiedel, Bucchi and Trench2021, p. 269). Il faudrait alors diffuser les connaissances des STIM au grand public pour que les individus puissent évoluer dans la sphère publique et politique.

Les études sur l'histoire de la communication scientifique appuient le constat du caractère central des sciences et des technologies dans la vie publique. Martin W. Bauer et al. (Reference Bauer, Allum and Miller2007, p. 79–85) avancent que les initiatives de communication publique des sciences se seraient développées en réponse aux déficits de connaissances scientifiques du public, qu'il s'agisse d'un manque de littératie scientifique, d'une mécompréhension de la science qui mènerait à des attitudes négatives envers elle ou encore d'une crise de confiance des individus envers les institutions scientifiques et les expertsFootnote 1. Si la perspective déficitaire est celle des scientifiques, et non pas celle du grand public, elle met néanmoins en lumière le problème que posent ces déficits du fait de l'omniprésence des sciences dans la vie sociale et politique, laquelle requiert la compétence des citoyens à interagir avec les sciences dans les structures sociales et politiques.

J'estime qu'une bonne illustration de l'argument social provient du débat récent autour des technologies de l'intelligence artificielle (IA), sur lesquelles le gouvernement canadien a été appelé à légiférer. Selon un article du journal Le Devoir (Karadeglija, Reference Karadeglija2024), une des raisons invoquées pour le développement d'une politique publique est celle des « risques sociétaux majeurs » que ces technologies représentent. L'hypertrucage et la prolifération de la désinformation sont au cœur de l'appel à la réglementation publique. La vie citoyenne est déjà affectée par l'IA : « L'hypertrucage permet déjà de diffuser des vidéos qui donnent l'impression qu'une personnalité publique affirme quelque chose qu'elle n'a pas dit ou fait quelque chose qui ne s'est jamais produit » (Karadeglija, Reference Karadeglija2024). En conséquence, les citoyens n'ont pas besoin des connaissances scientifiques seulement pour interagir avec les technologies au quotidien et faire le tri dans les informations auxquelles ils ont accès sur le Web, mais également pour exercer leurs compétences citoyennes. Suivant les propos de Yoshua Bengio rapportés dans l'article, l'IA pourrait « tromper » les citoyens « par le biais de textes ou de dialogues » sur les réseaux sociaux et parvenir à les faire « changer d'avis sur des questions politiques » (Karadeglija, Reference Karadeglija2024). Les connaissances que les citoyens possèdent sur les pouvoirs et les manifestations de l'IA interfèrent dans l'exercice de leurs compétences démocratiques dans la mesure où elles modifient leur évaluation de la scène politique et leur participation au régime démocratique.

1.2. L'argument pour la participation des publics à la création des connaissances

L'argument social est parfois utilisé pour justifier de nouvelles pratiques scientifiques, qui demandent de considérer l'apport des citoyens à la création des connaissances. L'enchaînement logique entre l'argument social et l'argument pour la participation des publics à la création des connaissances se trouve entre autres chez Edna Einsiedel (Reference Einsiedel, Bucchi and Trench2021, p. 269). Celle-ci soutient que l'impératif de participation du public à l’élaboration des connaissances, des décisions et des politiques publiques proviendrait en partie du développement et de l'utilisation de nouvelles technologies qui affectent directement la vie des citoyens (c'est l'argument social comme je le comprends). L’État démocratique devrait alors inclure ces derniers dans les délibérations concernant les usages desdites technologies sous peine de maintenir un déficit démocratique. Barry Hindess (Reference Hindess1997, p. 80) définit le déficit démocratique comme « the fact that democratic arrangements are invariably constrained by arrangements of a manifestly non-democratic kind ». Ainsi, l’État démocratique accepterait un mécanisme non démocratique (problématique) lorsqu'il n'intégrerait pas les citoyens affectés par l'avancement des connaissances technoscientifiques, s'en remettant alors complètement à l'avis de ceux considérés comme des experts, l'avis des scientifiques. L'exclusion des citoyens du développement des connaissances aurait une autre conséquence négative alors que leur engagement optimiserait la prise de décision en favorisant l'arrimage des nouvelles technologies à leurs utilisations dans la société. La participation du public permettrait de parvenir à de meilleures décisions (Einsiedel, Reference Einsiedel, Bucchi and Trench2021, p. 269).

La reconfiguration des pratiques scientifiques encouragée par l'observation d'un déficit démocratique et la possibilité de meilleurs résultats engage toutefois le renouvellement de la représentation citoyenne dans ses échanges avec les sciences. Il est possible d'envisager l'argument social comme présupposant un public homogène et soumis à la transmission unidirectionnelle des connaissances scientifiques par les experts (Irwin, Reference Irwin2014, p. 73). En effet, l'argument social est soutenu de prime abord par un modèle déficitaire des rapports entre sciences et sociétés. L'engagement du public dans la création des connaissances scientifiques se développe quant à lui sur le modèle du « citoyen délibératif », qui participe aux débats scientifiques en s'appuyant sur ses connaissances, ses expériences et ses capacités propres. Cette valorisation du citoyen délibératif fait en sorte que scientifiques et non-experts ne sont plus deux groupes exclusifs et opposés (un savant, l'autre ignorant), mais se mélangent et se combinent dans la sphère sociale (à titre de citoyens) pour répondre aux défis technoscientifiques qui s'y présentent, mettant à contribution leurs compétences respectives. Bernard Schiele (Reference Schiele, Doray, Bouchard and Prud'homme2015, p. 52) observe d'ailleurs l'effacement de la frontière entre les scientifiques et les « profanes », conduisant la communication scientifique à s'adapter à des groupes d'intérêts particuliers plutôt qu'au grand public.

Dès lors, les publics mais également les savoirs se pluralisent : les savoirs et l'expertise scientifiquesFootnote 2 sont appelés à entrer en dialogue avec les « savoirs profanes » et « l'expertise citoyenne ». Si les scientifiques et les « profanes » partagent une égalité citoyenne dans la sphère publique suivant le modèle du citoyen délibératif, l'idée d'une pluralisation des savoirs met de l'avant une égalité « scientifique » dans la mesure où des savoirs et une expertise propres sont reconnus aux « profanes ». Amélie Hébert (Reference Hébert2019, p. 2) souligne que la figure de l'expert peut représenter cet « intermédiaire compétent » entre le milieu scientifique et le milieu politique dans la prise en charge publique des problèmes technoscientifiques. Suivant Yann Bérard (Reference Bérard, Claveau and Prud'homme2018, p. 61), l'avantage associé à la reconnaissance d'une expertise citoyenne serait sa capacité à légitimer le renouvellement des connaissances mobilisées dans la délibération des problèmes technoscientifiques par la place qu'elle octroie à la pluralité des savoirs et à leur distribution dans la société. De fait, la place sociale occupée par les agents épistémiques influence la diversité des expériences d'un problème social donné. Cette discussion autour de la variété et du partage des expertises a été menée et théorisée dans le champ féministe des épistémologies situées (standpoint theory). Sandra Harding (Reference Harding2004, p. 7) explique que les savoirs sont situés dans la mesure où « knowledge is supposed to be based on experiences, and so different experiences should enable different perceptions of ourselves and our environments ». Les expériences d'oppressions offrent un avantage épistémique lorsqu'elles sont soumises à un processus de réflexion critique, qui met en lumière la manière dont la société dominante est structurée : « Standpoint is an achievement » (Harding, Reference Harding2004, p. 8). Dès lors, les agents épistémiques des groupes opprimés parviendraient à des connaissances dont sont privés les agents des groupes privilégiés. Leurs contributions permettraient ainsi une meilleure délibération.

Si l'expertise citoyenne est nécessaire à un processus de production des connaissances démocratique, la considérer de manière significative demande de la faire entrer en dialogue avec l'expertise scientifique. Dès lors, l'impératif de diffusion des connaissances technoscientifiques ne disparaît pas pour autant. Trouver une solution démocratique à un problème technoscientifique exige la mise en commun des expertises. Par exemple, l'utilisation de robots dans la pratique médicale apparaît souvent comme une solution à des problèmes d'efficacité, de précision et de gestion des risques dans le diagnostic. C'est d'ailleurs ce que des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology affirmaient dans la foulée de la pandémie du coronavirus (Trafton, Reference Trafton2021). Or, les injustices commises en contexte de consultation avec un spécialiste de la santé, notamment par l'utilisation des technologies de l'IA, sont connues. Par exemple, l'IA reconduit des stéréotypes dans le diagnostic différentiel puisque ses algorithmes basent leurs prédictions sur les corpus d’études médicales disponibles, dans lesquels plusieurs populations sont sous-représentées. Dès lors, un individu appartenant à une population sous-représentée, avec un profil de risque différent pour certaines maladies, est plus susceptible d'obtenir un diagnostic erroné puisque les algorithmes auront établi ce dernier sur la base d'une moyenne qui l'exclut (Perreault, Reference Perreault2024). Dans ces contextes, l'expertise citoyenne, ici une expertise expérientielle influencée par la position sociale des patients, et l'expertise scientifique, ici une expertise technologique et médicale, s'informent l'une l'autre dans la délibération publique, alors que la façon dont fonctionnent les logiciels de dépistage a un impact sur le traitement éthique et équitable des patients.

En définitive, je considère que l'argument social plaide pour la diffusion des connaissances des STIM au grand public, car celles-ci sont omniprésentes dans le fonctionnement social et politique et nécessaires à la bonne délibération démocratique. À partir des mêmes constats de départ, certains soutiennent qu'il est insuffisant de diffuser : le déficit démocratique demande de reconfigurer les pratiques scientifiques et d'inclure une plus grande partie de la populationFootnote 3 dans les processus de production des connaissances. C'est pourquoi j'estime que l'argument social est utilisé pour justifier une reconfiguration des pratiques scientifiques. Toutefois, l'enchaînement de l'argument social à l'argument pour la participation des publics à la création des connaissances ne fait pas disparaître l'impératif de diffusion. En leur qualité de citoyens, scientifiques et profanes collaborent dans la sphère publique autour d'enjeux technoscientifiques, ce qui exige que les résultats de la recherche scientifique soient connus du grand public.

2. Le défi de la classification scientifique : un obstacle au traitement symétrique des STIM et des SHS

Appliquer l'argument social aux SHSFootnote 4 pose un défi d'importance, qui est celui de la classification scientifique. En effet, pour évaluer la pertinence de l'argument social dans le cas des SHS, il faut d'abord s'assurer qu'il est possible de les comparer aux STIM, ce qui ne fait pas l'objet d'un consensus. Par exemple, Claude Lévi-Strauss (Reference Lévi-Strauss1973, p. 341–343) affirme qu'il est impossible de « feindre une parité véritable » entre les STIM et les SHS puisqu'elles ne participeraient pas de la « même science ». Or, cette assertion au regard de la catégorisation des sciences est utilisée pour rejeter certaines attentes politiques à l’égard des SHS suivant le critère de l'utilité des connaissances, qui s'applique aux connaissances des STIMFootnote 5. Cette stratégie est mise en lumière par Xavier Landes (Reference Landes2014, p. 71) lorsqu'il souligne que la distinction entre recherches utilitaires et non utilitaires « sert en général à souligner la spécificité des SHS qui ne pourraient pas être soumises à un objectif de rentabilité (pour le meilleur et pour le pire) et qui appartiendraient donc » aux recherches non utilitaires, c'est-à-dire qu'elles n'apporteraient pas de « gain concret ». Les connaissances des STIM et SHS ne pourraient être traitées en vis-à-vis puisque « leurs sciences » ne répondent pas aux mêmes critères (ici celui de l'utilité).

J'ai remarqué que le critère de l'utilité est souvent pensé en relation avec celui de l'autonomie d'une science. J'aimerais avancer ici que cette relation caractérise l'opposition entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, distinction commune utilisée pour envisager les apports et les rapports des sciences. J'utilise le vocabulaire de problèmes endogènes et exogènes développé par Baptiste Bedessem et Stéphanie Ruphy (Reference Bedessem and Ruphy2019, p. 2) pour définir les termes de cette distinction. La recherche fondamentale serait une science autonome, guidée par des considérations internes ou des problèmes endogènes, alors que la recherche appliquée serait guidée par des considérations externes ou des problèmes exogènes, provenant d'entités sociales, politiques ou industrielles, exerçant une forme de pression sur la conduite de l'enquête scientifique. Cette distinction s'illustre dans la conférence du biologiste Pierre Joliot (Reference Joliot and Fussman2011, par. 3–4) au Collège de France lorsqu'il affirme que la programmation va à l'encontre de la définition même de la recherche fondamentale, alors qu'elle est « recevable et même nécessaire » dans la recherche appliquée puisqu'elle produit des outils et des biens technologiques qui doivent être mis au service de la société. À la lumière de ces considérations, les STIM auraient l'avantage de pouvoir jouer sur les deux tableaux, à la fois sciences autonomes et utiles, comme les mathématiques fondamentales sont complétées par les mathématiques appliquées. À l'inverse, à titre d'exemple paradigmatique, la philosophie ne générerait pas cette classe de recherche appliquée ou de biens utiles à la société. Cette asymétrie légitimerait, en partie, l'affirmation suivant laquelle les STIM et les SHS ne participeraient pas de la « même science ».

Une réponse possible à cette affirmation est offerte par Landes (Reference Landes2014, p. 72), qui remet en question la distinction entre une recherche « gratuite, entreprise pour le plaisir » (fondamentale, autonome), et une recherche utile, qui apporterait des gains à la société (appliquée). Selon lui, il est difficile de concevoir que la recherche en SHS et sa diffusion soient « inutiles », alors qu'elles produisent des bénéfices matériels, sociopolitiques et distants (des « externalités positives »). Landes (Reference Landes2014, p. 73) affirme que les bénéfices sociopolitiques font partie des « principaux bénéfices de la recherche en SHS » : celle-ci « génère des effets sociaux et politiques positifs sous la forme d'empowerment, c'est-à-dire d'une maîtrise accrue des citoyens sur leur existence ». En effet, la diffusion des connaissances des SHS favoriserait une plus grande inclusion et une plus grande égalité entre les individus. Par exemple, connaître les dynamiques genrées dans le monde de la finance et de l'entrepreneuriat (Allon, Reference Allon2017; Marlow et Swail, Reference Marlow and Swail2014) permettrait aux femmes de prendre des décisions plus éclairées dans la gestion de leur portefeuille et leur donnerait les moyens de se soustraire à des dynamiques d'oppression et d'exploitationFootnote 6.

Il est intéressant de noter que Landes défend les bienfaits des SHS pour la société en faisant appel au caractère imprévisible des connaissances qui apportent un gain social, justifiant par là l'utilité de la recherche fondamentale. Or, contrairement à la ligne argumentative traditionnelle qui associe imprévisibilité et autonomie, Bedessem et Ruphy (Reference Bedessem and Ruphy2019, p. 5) soutiennent que les problèmes exogènes ou les considérations externes nourrissent l'imprévisibilité de l'enquête scientifique, ce qui atténue encore l'opposition entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée telles que je les conçois ici.

Suivant l'analyse et le raisonnement que je viens d'offrir, la distinction entre les champs scientifiques des STIM et des SHS se baserait sur leurs objets plutôt que sur leurs conséquences (l'utilité de leurs résultats). Puisque l'argument social prend appui sur le caractère structurant des connaissances des STIM, qui relève des conséquences plutôt que des objets de la recherche scientifique, alors j'estime que cet argument est valable tant pour les SHS que pour les STIM.

3. L'argument social adapté aux connaissances philosophiques

J’évalue maintenant si l'argument social en faveur de la diffusion des résultats de la recherche pourrait se révéler probant pour la production philosophique. D'abord, je présente l'argument social appliqué aux SHS. Je me concentre ensuite sur une discipline en particulier, la philosophie, dans le but de réaliser un examen plus approfondi de l'argument social. J'aborde les défis internes de la recherche produite en philosophie pour préciser les conséquences de l'application de l'argument social. La philosophie constitue un cas d'espèce intéressant dans la mesure où ses conséquences pratiques sont souvent contestées (à la différence d'autres disciplines en SHS comme la psychologie, qui permet d'aider les individus, ou encore la sociologie, qui permet d'obtenir des données sur les pratiques humaines). Enfin, je mets en lumière un défi particulier pour la diffusion des résultats de la recherche en philosophie : la reconnaissance de l'expertise philosophique.

3.1. L'argument social appliqué aux connaissances des SHS

Pour que l'argument social soutienne la diffusion des résultats de la recherche en SHS, il faut que les connaissances que celles-ci produisent soient (1) omniprésentes dans la vie publique et (2) structurantes, c'est-à-dire qu'elles doivent encadrer, guider et restreindre la vie citoyenne. À cet égard, Angela Cassidy (Reference Cassidy, Bucchi and Trench2021, p. 203) avance que les SHS posséderaient une composante réflexive importanteFootnote 7 lorsqu'elles s'intéressent aux réalités humaines (the realm of the human), ce qui a deux conséquences majeures. La première est l'omniprésence des connaissances issues des SHS dans la vie publique. La seconde est l'impression que les connaissances des SHS ne diffèrent pas en substance de ce qui est acquis par le sens commun. Je me propose de discuter de chacune de ces conséquences, qui m'apparaissent comme les pierres de touche de l'applicabilité de l'argument social pour la diffusion des résultats de la recherche en SHS au grand public.

Je me permets tout d'abord une remarque sur l'analyse de Cassidy lorsqu'elle fait référence à une « composante réflexive importante »Footnote 8. Cela signifie que la nature des connaissances en SHS aurait un impact direct sur leur caractère structurant. À cet égard, je rappellerai que j'ai établi la parité entre les STIM et les SHS à partir de la similitude de leurs conséquences. Les connaissances des SHS auraient cette particularité de produire des résultats de même nature que leurs objets. Pour le dire autrement, l'utilité des productions de la recherche en SHS se situerait justement dans la réflexivité qu'elles contiennent : elles permettraient de mieux comprendre et de donner du sens aux événements de la vie humaine.

La première conséquence de cet élément réflexif dans les SHS serait leur omniprésence dans l'espace public. Une étude récente en sociologie (Hallett et al., Reference Hallett2019) fournit des exemples de l'usage public des idées produites par la recherche en sciences sociales et illustre la manière dont la composante réflexive s'exprime. D'abord, Tim Hallett et al. (Reference Hallett2019, p. 547) notent que les idées des sciences sociales ont une vie dans l'espace public (1) comme objets d'intérêt en elles-mêmes (« being the news ») et (2) comme idées permettant de donner un sens à d'autres nouvelles (« use as an interpretant », « making sense of the news »). Or, si être un objet d'intérêt dans les nouvelles est important pour qu'une idée puisse entrer dans l'espace public, « central to the very notion of an “idea” is that it provides an understanding of something else. Being used as an interpretant is central to being a public idea » (Hallett et al., Reference Hallett2019, p. 555). Autrement dit, qu'une idée issue de la recherche en SHS soit un sujet de nouvelles n'est pas suffisant : elle doit également être utilisée dans l'interprétation d'autres nouvelles pour être considérée comme « publique ». Les SHS seraient ainsi omniprésentes dans l'espace public parce que les résultats de la recherche concernent des réalités humaines : ils offrent des outils pour comprendre ces réalités et alimentent la réflexion sur les choix individuels et collectifs. À cet égard, les connaissances produites par les SHS se révèlent non seulement omniprésentes, mais également structurantes : elles influencent les discours sociaux et politiques autour d’événements et d'enjeux qui se trouvent au cœur de la vie démocratique. Par exemple, l'idée d'une « culture de la peur » (fear culture) du sociologue Barry Glassner a été un outil de réflexion collective dans la foulée de la fusillade à la Columbine High School en 1999 (Hallett et al., Reference Hallett2019, p. 553). Au vu de la popularité et de la diffusion de cette idée dans l'espace public, il est raisonnable de penser que le concept de Glassner a nourri le débat national sur la violence dans les écoles américaines qui a suivi la tragédie. Les conditions d'application de l'argument social seraient donc remplies : les résultats de la recherche en SHS devraient être diffusés puisque (1) ils sont omniprésents dans la vie publique (les citoyens interagissent avec ces idées dans leur vie quotidienneFootnote 9) et (2) ils sont structurants, agissant sur les possibilités de participation des individus aux décisions politiques (ces idées sont présentes dans les débats publics et les politiques sur lesquelles les citoyens sont appelés à se prononcer en démocratie).

La deuxième conséquence de la composante réflexive importante dans les résultats de la recherche en SHS serait qu'elle brouillerait la distinction entre l'expert et le profane. En effet, puisque les résultats de la recherche en SHS sont des idées produites par des êtres humains sur des phénomènes humains, ils sont pris pour des connaissances acquises par le sens commun. Cette conséquence transparaît dans le fonctionnement institutionnel actuel : s'il y a un programme de journalisme scientifique pour les STIM, une telle concentration est inexistante pour les SHS. Les journalistes récupèrent donc des idées issues de la recherche en SHS sans formation particulière, renforçant cette impression que les SHS diffèrent peu du sens commun. De la même manière, les chercheurs en SHS sont souvent invités à commenter des sujets d'actualité, mais disposent de peu de plateformes pour présenter leurs recherchesFootnote 10. Autrement dit, c'est la possibilité même d'une expertise distincte de l'expertise citoyenne qui est mise en question.

Pour reprendre l'argument pour la participation des publics à la création des connaissances, cette proximité entre les considérations scientifiques et les considérations citoyennes produite par la composante réflexive des objets de la recherche en SHS pourrait plaider en faveur de l'importance accrue d'aborder directement les considérations citoyennes dans la création des connaissances. Je ne souhaite pas prendre position sur cette question ici : je désire plutôt faire valoir que l'impératif de diffusion se maintient. Sa réalisation s'avère toutefois plus délicate dans la mesure où les contributions scientifiques et citoyennes se superposent et où les désaccords informés sont particulièrement dominants en SHS. Néanmoins, les résultats de la recherche des SHS restent d'intérêt pour l'exercice citoyen : l'argument pour la participation des publics à la création des connaissances me semble mettre en lumière une raison supplémentaire pour laquelle l'impératif de diffusion et ses conditions de réalisation dans les SHS méritent qu'on s'y attarde.

3.2. L'hétérogénéité au sein de la discipline philosophique

La philosophie est une discipline fragmentée : les désaccords sont nombreux sur ce que signifie « faire de la philosophie ». Un de ces désaccords a créé l'opposition, maintenant classique, entre philosophie continentale et philosophie analytique. Je souhaite attirer l'attention sur un désaccord plus fondamental, qui est celui de la possibilité même pour la philosophie de produire des connaissances. Ce désaccord plus fondamental est important pour l'application de l'argument social. En effet, l'argument social considère la diffusion des connaissances technoscientifiques et il m'apparaît pertinent d'explorer les conditions de possibilité de l’équivalent strict que serait la diffusion des connaissances philosophiques.

À ce chapitre, l'hétérogénéité des résultats de l'enquête philosophique et l'hétérogénéité méthodologique de la discipline pourraient nuire à l'identification et à la reconnaissance des connaissances philosophiques. Je désigne par le problème de l'hétérogénéité des résultats l'absence de consensus dans les réponses apportées aux questions soulevées dans l'enquête philosophique. Les désaccords sur une même question sont la norme et les thèses soutenues par les philosophes apparaissent souvent contradictoires. Néanmoins, pour défendre une thèse, les philosophes font émerger des problèmes, développent des arguments, définissent des concepts, etc., qui forment un ensemble de connaissances partagées par la communauté philosophique. À cet égard, le problème de l'hétérogénéité des résultats rejoint le problème de l'hétérogénéité méthodologique, qui fait valoir la pluralité des méthodes utilisées pour la réalisation de l'enquête philosophique dans l'objectif d'interroger la similarité des résultats. Or, le problème de l'hétérogénéité méthodologique, en plus de ne pas être propre à la philosophie, est amoindri par les résultats d’études empiriques sur les pratiques argumentatives de la discipline. Pour reprendre l'exemple de la distinction classique entre philosophie analytique et philosophie continentale, l’étude de Moti Mizrahi et Mike Dickinson (Reference Mizrahi and Dickinson2021) conclut que cette distinction n'est pas réductible à la place des arguments dans chacune de ces branches philosophiques. Pour le dire autrement, on ne remarque pas de différence significative entre les types d'arguments utilisés par les philosophes analytiques et les philosophes continentaux. Dans la pratique, il semble donc qu'il y ait un accord tacite sur les conditions minimales de l'enquête philosophique et l'ensemble de connaissances qu'elle produit.

Dans ce contexte, pour identifier les connaissances philosophiques, j'adopte donc une attitude pragmatique en considérant les pratiques des philosophes reconnus par les structures institutionnelles de la recherche. En d'autres mots, par « connaissances philosophiques », je désigne la recherche universitaire en philosophie, au-delà des désaccords sur le type de science qu'est (ou non) la philosophie et le type de produit qu'elle génère. J'estime que les STIM et les SHS produisent des résultats (dont la nature ou le degré de réflexivité peuvent être discutés) auxquels la société actuelle accorde une valeur, ce qui me semble soutenu par la structure institutionnelle qui permet le développement de la recherche toutes disciplines confondues. La production de la recherche en STIM et en SHS se réalise en grande partie dans les universités et est financée au moins en partie par des fonds publics de recherche.

3.3. La question et les défis de l'expertise en philosophie

Dans l'application de l'argument social, j'ai abordé les SHS dans leur ensemble, comme équivalents des STIM de l'argument original. J'ai utilisé le cas précis de la philosophie pour montrer pourquoi il peut être controversé de parler de production de connaissances en SHSFootnote 11 et pour expliciter la base sur laquelle j’établis une parité entre les connaissances des STIM et les connaissances des SHS. L'utilisation du terme « connaissances » présuppose généralement une opposition à d'autres informations qu'on souhaite faire sortir du champ des sciences. En d'autres termes, il existerait des marqueurs d'exclusion ou des critères de démarcation entre ce qu'on veut considérer comme de la science (ou de la « bonne » science) et d'autres pratiques qui se réclament de la science, mais dont on veut discréditer la prétention de légitimité. À ce sujet, j'aimerais émettre l'hypothèse que les termes « connaissances philosophiques » pourraient être le moyen d'exclure les analyses des intellectuels publics et de distinguer les résultats de la recherche « experte » en philosophie sur la place publique.

La figure d'expert en SHS est contestée, surtout lorsqu'elle est confrontée à la figure de l'intellectuel public. Johan Giry et Julien Landry (Reference Giry, Landry, Claveau and Prud'homme2018, p. 39) distinguent les deux en définissant l'expert comme un « spécialiste doté de méthodes techniques et de connaissances substantives qui lui permettent de se pencher sur des problèmes précis attachés à son domaine de compétence », alors que l'intellectuel public est le « généraliste qui mobilise son érudition et son esprit critique pour appuyer un engagement plus multiforme sur la place publique ». Les philosophes, particulièrement, adoptent ces deux posturesFootnote 12. L'expert et l'intellectuel public cohabitent dans l'espace public, ce qui floute la distinction entre les deux aux yeux du public. Toutefois, les experts bénéficient des lieux de la production savante, qui leur sont exclusifs et sur lesquels ils ont tendance à se replier : ils ont souvent plus à perdre qu’à gagner pour leur carrière en investissant l'espace publicFootnote 13. Cela a pour effet d'augmenter la visibilité des intellectuels publics et de diminuer celle des experts dans l'espace public. Le débat public mobilise ainsi les compétences philosophiques (érudition et esprit critique) qui sont plus accessibles, s'incarnant dans le modèle de l'intellectuel public, et qui tendent à s'assimiler aux connaissances profanesFootnote 14.

Or, non seulement il est difficile de distinguer les experts des intellectuels publics dans l'espace public, mais au sein même de la profession philosophique existe un désaccord important sur l'existence et la nature de l'expertise philosophique (Selinger et Crease, Reference Selinger and Crease2006). En effet, des recherches en philosophie expérimentale ont montré que les intuitions des philosophes étaient analogues aux intuitions des non-philosophes (Nado, Reference Nado2015 ; Cross, Reference Cross2016 ; Horvath et Wiegmann, Reference Horvath and Wiegmann2016). Si certains ont préféré rejeter l'utilisation des intuitions en philosophie sur cette base, d'autres ont défendu l'expertise philosophique (the expertise defense), soit en soutenant que les intuitions des philosophes sont plus fiables que celles du sens communFootnote 15, soit en avançant que les philosophes sont mieux équipés pour composer avec les intuitions dans la conduite de l'enquête (Nado, Reference Nado2014 ; Rini, Reference Rini2015). Les discussions récentes prennent trois chemins. Le premier laisse de côté la question des intuitions pour ouvrir de nouveaux terrains d'expertise en philosophie que pourraient représenter les arguments, les théories et les distinctions (Drożdżowicz, Reference Drożdżowicz2018). Le second reconnaît l'importance de la question de l'expertise, mais affirme qu'il faut la lier aux questions méthodologiques (Seyedsayamdost, Reference Seyedsayamdost2019). Enfin, le troisième renouvelle la défense de l'expertise basée sur les intuitions en offrant une définition plus raffinée de l'argument et propose la reconnaissance de plusieurs types d'expertise en philosophie (Egler et Ross, Reference Egler and Ross2020). La démarche que j'ai menée dans cet article fournit une raison supplémentaire d'explorer ces avenues dans la mesure où je suis parvenue à la conclusion que la compréhension de l'expertise en philosophie est déterminante pour répondre à l'impératif de diffusion (tel que soutenu par l'argument social) et pour identifier les moyens adéquats pour une diffusion efficace des résultats de la recherche en philosophie.

Conclusion

Dans le contexte de l'intérêt scientifique et politique d'engager une plus grande diversité du corps social dans les processus de production des connaissances scientifiques, je me suis intéressée, dans cet article, à l'impératif de diffusion des résultats de la recherche. J'ai interrogé les raisons qui sous-tendent cet impératif dans les différents champs scientifiques et disciplinaires. Pour ce faire, j'ai proposé la reconstruction d'un argument, l'argument social, en faveur de la diffusion des connaissances scientifiques (les résultats de la recherche) dans le champ des STIM. J'ai montré que l'argument social est utilisé comme prémisse à un autre argument, l'argument pour la participation des publics à la création des connaissances, dans lequel se maintient l'impératif de diffusion. J'ai ensuite abordé un défi dans le transfert de l'argument social des STIM aux SHS, celui de la classification scientifique. J'ai avancé que les STIM et les SHS pouvaient être considérées en vis-à-vis au regard de leurs conséquences, soit de leur utilité dans l'espace public. Enfin, j'ai appliqué l'argument social aux SHS et j'ai fait valoir que la recherche en SHS possédait les caractéristiques nécessaires (omniprésence et caractère structurant dans l'espace social et politique en démocratie) pour que l'argument social soutienne l'impératif de diffusion de ses résultats. Afin de raffiner mon grain d'analyse, j'ai choisi d'explorer les défis d'applicabilité de l'argument social à une discipline particulière en SHS, la philosophie. S'il y a des désaccords au sein de la discipline, j'ai affirmé que la valeur accordée aux résultats de la recherche (tous domaines confondus) soutenue par le cadre institutionnel de production de la recherche constituait une raison suffisante pour parler de connaissances philosophiques en regard des connaissances technoscientifiques évaluées dans l'argument social. Toutefois, les discours des intellectuels dans l'espace public et les difficultés de définition de l'expertise en philosophie représentent des obstacles à la diffusion des résultats de la recherche philosophique. J'ai conclu que c'est le statut scientifique (au sens d'expertise) qu'il semble difficile d'octroyer aux connaissances philosophiques dans la réalisation de l'argument social et dans la réponse à l'impératif de diffusion, plutôt que la reconnaissance de l'omniprésence et du caractère structurant des SHS, et des résultats de la recherche en philosophie, dans la société.

Remerciements

Je tiens à remercier Charles Côté-Bouchard, Carole Bongrand, Anne-Marie Gagné-Julien et Marc-Kevin Daoust pour leurs commentaires utiles à cet article. Je remercie également les personnes présentes aux congrès annuels de la Société de philosophie du Québec et de l'Association canadienne de philosophie lors des présentations de cette recherche. Je bénéficie du soutien du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC).

Conflits d'intérêts

L'autrice n'en déclare aucun.

Footnotes

1 Bauer et al. (Reference Bauer, Allum and Miller2007, p. 79) appellent dans l'ordre et situent respectivement ces paradigmes comme suit : « Science literacy (1960s onward) », « Public understanding (after 1985) » and « Science and society (1990s-present) ». Les auteurs soutiennent que ces paradigmes ne se substituent pas les uns aux autres : « We argue that, contrary to common rhetoric, these paradigms do not supersede each other, but continue to inform research » (Bauer et al., Reference Bauer, Allum and Miller2007, p. 80). Voir également Bauer et Falade (Reference Bauer, Falade, Bucchi and Trench2021).

2 Si des différences peuvent être développées entre l'expert et le scientifique dans les contextes institutionnels (Düppe, Reference Düppe, Claveau and Prud'homme2018, p. 28–31), l'expertise se comprend ici dans sa réception par un public non expert, profane : le scientifique est un expert à qui le public doit accorder sa confiance (Yearley, Reference Yearley2006, p. 124).

3 Suivant les considérations présentées plus haut au sujet de la pluralisation des savoirs, l'inclusion d'une plus grande partie de la population citoyenne dans la production des connaissances demande de considérer non seulement le nombre d'agents épistémiques, mais également leur diversité.

4 Le découpage disciplinaire des SHS est « vaste et varié ». Il inclut aujourd'hui la sociologie, l'anthropologie, l'archéologie, la psychologie, l'histoire, la géographie, la linguistique, les études littéraires, les sciences politiques, la philosophie, l’économie et le droit (Gefen, Reference Gefen2023).

5 C'est ce que Lévi-Strauss (Reference Lévi-Strauss1973, p. 341–343) envisage : il dit remarquer une « sollicitation croissante s'exerçant à l’égard des sciences humaines et sociales pour qu’à leur tour, elles se décident à faire la preuve de leur utilité » suivant les « prodigieux résultats acquis par les sciences exactes et naturelles ».

6 Le livre grand public Financial Feminist. Overcome the Patriarchy's Bullsh*t to Master Your Money and Build A Life You Love regorge d'exemples de lieux communs et d'expériences négatives réelles créés par les dynamiques genrées dans les différents aspects de la gestion financière (Dunlap, Reference Dunlap2022).

7 Cette idée est aussi présente chez Lévi-Strauss (Reference Lévi-Strauss1973, p. 360), qui affirme qu’à la différence des sciences sociales, les sciences humaines seraient plus proches des sciences naturelles par cette composante réflexive ou cette autoréférentialité.

8 Cassidy (Reference Cassidy, Bucchi and Trench2021, p. 203–204) souligne que la composante réflexive ne serait pas unique aux SHS. Elles la partageraient avec les STIM, mais à des degrés différents : « I do not think that these reflexive properties create a fundamental divide between the natural and human sciences. » Au contraire, elle conçoit « a continuum of reflexive overlap, with HSS and STEM disciplines tending towards each end ».

9 Hallett et al. (Reference Hallett2019, p. 539–552) ont mesuré la carrière des idées par leurs apparitions dans les journaux les plus lus aux États-Unis.

10 Ce constat met de côté la fragmentation des sources d'information et la diversification des plateformes médiatiques avec l'arrivée des réseaux sociaux et la démocratisation du Web. Je suis consciente qu'il s'agit d'une limite de cette analyse. Je m'intéresse toutefois aux institutions publiques auxquelles l'impératif de diffusion s'impose, et dont les médias « traditionnels » (journaux, télévision, radios nationales) restent emblématiques.

11 Une étude récente en psychologie (Starmans et Friedman, Reference Starmans and Friedman2020) remet en question cette affirmation : elle donne à penser que les philosophes formeraient un groupe à part des universitaires d'autres disciplines (STIM et SHS confondues) et du grand public dans l'attribution de connaissances.

12 Par exemple, Michel Seymour est un philosophe québécois qui à la fois possède une expertise en philosophie du langage (Seymour, Reference Seymour1994), pour laquelle il a obtenu une reconnaissance institutionnelle, et qui a pris position sur le modèle universitaire québécois et la question de la gratuité scolaire (Seymour, Reference Seymour2013) sur la place publique et en son nom propre. Il revendique d'ailleurs explicitement ces deux postures (Seymour, Reference Seymour2014, p. 47).

13 La recherche (plutôt que l'enseignement ou les services à la collectivité) est la composante la plus valorisée dans le milieu universitaire (Catala, Reference Catala2024 ; Gaudet et al., Reference Gaudet, Marchand, Bourgeault, Bujaki, Bourgault, Cloutier and Gaudet2020 ; Giry et Landry, Reference Giry, Landry, Claveau and Prud'homme2018, p. 57–58 ; Landes et al., Reference Landes, Marchman and Nielsen2012). Dans un contexte de compétition marquée (Dewatripont et al., Reference Dewatripont, Thys-Clément and Wilkin2008 ; Dizambourg, Reference Dizambourg2007 ; Musselin, Reference Musselin2020 ; Savignac, Reference Savignac2022 ; Viczko, Reference Viczko2013), les incitatifs en place poussent le personnel de la recherche à répondre aux indices de performance et à privilégier les lieux de prestige et de reconnaissance par les pairs (Beck et al., Reference Beck, Mahdad, Beukel and Poetz2019 ; Gingras, Reference Gingras2015 ; Imbeau et Ouimet, Reference Imbeau and Ouimet2012 ; Landes et al., Reference Landes, Marchman and Nielsen2012 ; Larivière, Reference Larivière2014 ; Larivière et al., Reference Larivière, Shu and Sugimoto2020).

14 Il est intéressant de noter qu'il serait possible d'attribuer une expertise citoyenne à l'intellectuel public, ce qui soulève la question des modalités de participation citoyenne et d'intégration des apports citoyens dans la création des savoirs en SHS. C'est un défi qui me semble demander une contribution qui lui est propre et qu'il ne m'est pas possible de développer ici. Je relève plutôt que la figure de l'intellectuel public est généralement opposée à l'expert et c'est pourquoi j'estime que l'utilisation de « connaissances philosophiques » pourrait viser l'exclusion des contributions des intellectuels publics.

15 Des études empiriques ont contesté cette affirmation. Voir Mizrahi (Reference Mizrahi2015).

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