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Published online by Cambridge University Press: 05 February 2009
Ceux qui pratiquent les méthodes éprouvées de l'exégèse et ceux qui appliquent l'analyse structurale au Nouveau Testament ne peuvent plus s'ignorer. Ils travaillent sur les mêmes textes et ils s'intéressent à leur sens. Mais ils le font de points de vue différents. Le regard de la sémiotique structurale n'a rien d'exclusif et ne conteste pas la légitimité ni la nécessité du regard de la critique littéraire et historique et de l'herméneutique. Mais il a sa manière d'envisager le problème de la signification. Partout où il y a du sens, il cherche comment il se produit: comment, c'est-à-dire par quel dispositif interne, par quel réseau immanent de relations entrequelséléments. Cet objet de recherche distingue l'analyse sémiotique structurale de toute autre manière d'interroger les textes. Il devrait empêcher d'en faire une anti-exégèse, tout autant que de l'utiliser comme une servante de l'exégèse.
1 Sémiotique et sémiologie sont souvent employés comme synonymes pour designer l'étude des systèmes signifiants. On réserve parfois sémiotiques pour les divers domaines du sens (sémiotique du discours, sémiotique de l'image etc.), et sémiotiques pour leur étude générale. Mais l'usage international tend a préférer sémiotique à sémilogie tant pour l'étude générale que pour celle des domaines particuliers.
2 Il n'existe pas encore de panorama général des études sémiotiques de textes bibliques. On se reportera pour cela aux revues plus spécialement intéressées par ce champ de recherches: Linguistica Biblica, Semeia, Sémiotique et Bible. Pour le domaine fran¸ais, cf. Delorme et, J., Geoltrain, P., ‘Sémiotique du discours religieux’, dans Éléments de sémiotique genéirale, ouvrage collectif sous la direction de J. C. Coquet, à paraître aux éditions Hachette, Paris.Google Scholar
3 Berger, K., Exegese des Neuen Testaments, UTB 658 (Heidelberg, 1977), pp. 64–5.Google Scholar
4 En posant le problème à partir des possibilités de lecture offertes par le texte, je me distingue ici sensiblement de la manière dont il est abordé par E. Güttgemanns (dans Offene Fragen zur Formgeschichte des Evangeliums, München, 1970) et par D. O. Via (dans Kerygma and Comedy in the New Testament, Philadelphia, 1975). En limitant l'horizon de cet exposé je réduirai aussi au minimum les références bibliographiques. On voudra bien m'en excuser.
5 Les recherches en sémiotique sont aujourd'hui très diversifiées selon les nations et les continents et surtout selon les équipes et les écoles. Cet exposé doit beaucoup au travail des ateliers du Centre pour I'Analyse du Discours Religieux (CADIR, Lyon). Nous nous inspirons des recherches d'A. J. Greimas, directeur d'étude à l'école des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris. Ces recherches se caractérisent par le souci de confronter constamment la réflexion théorique et la pratique d'analyse de textes les plus variés. Devant la complexité du phénomène de la signification, il est nécessaire, pour avancer, de choisir une piste. On s'oblige ainsi à la rigueur et on apprend à comprendre ce qui se cherche sur d'autres pistes.
6 Pour l'analyse détaillée de Marc 6. 30–53, avec tous les éclaircissements et les justifications désirables, cf. Signes et paraboles. Sémiotique et texte évangélique, par le Groupe d'Entrevernes (Editions du Seuil, Paris, 1977), pp. 53–91Google Scholar. Je dépends ici de cette analyse, quej'utilise pour mettre en relief la cohérence des séquences entre elles, et je prends en charge le récit jusqu'au v. 56, ce qui modifie les conditions du découpage et de l'analyse.
7 Dans le développement de cette phase II, il faut prévoir ce qu'on appelle le contrat ou la manipulation, où il s'agit pour un destinateur de faire faire un sujet opérateur, et d'abord de le persuader et faire vouloir.
8 J'appelle ‘les gens’ l'acteur collectif indiqué par le pluriel des verbes aux vv. 31, 33, 54–6. Nous parlons d'acteur, caractérisé par un ou des rôles et distingué des personnages qui peuvent changer pour tenir ce(s) rôle(s). ‘La foule’ eėest une autre désignation de l'acteur collectif avec lequel Jésus et ‘les apôtres’ou ‘les disciples’ sont, ensemble ou séparément, en relation dans ce récit.
9 On distingue le savoir informatif, qu'il suffit de communiquer ou de recevoir, et le savoir inter-prétatif, qui est obtenu par une opération réalisée à partir d'un premier savoir. Le faire interprétatif se situe du côté du destinataire du savoir, le faire persuasif du côté du destinataire qui cherche à faire savoir (ou croire) un destinataire.
10 Le croire comporte un faire interprétatif qui est un acte de véridiction qualifiant de ‘vrai’ un énoncé. On définit la véridiction comme la modalisation de l'assertion ou du savoir par les catégories du vrai ou non-vrai (ou mensonger) ou du faux ou non-faux (ou secret).
11 On appelle rôle thématique un parcours figuratif en tant qu'il est assumé par un agent (ou patient): ‘aller acheter du pain’, c'est assumer le rôle thématique d'‘acheteur’. Un acteur se définit par des rôles actantiels selon l'organisation narrative (par exemple, un rôle de destinateur, de sujet d'état, de sujet opérateur…) et des rôles thématiques selon l'organisation des figures et des contenus sémantiques. La transformation d'un acteur dans un récit doit être analysée sous ces deux aspects.
12 Le concept d'isotopie rend compte de la répétition dans un discours d'une catégorie ou d'un faisceau de catégories linguistiques. Les mots et les expressions linguistiques sont susceptibles d'emplois très divers, avec des ‘sens’ variés. Parmi ceux-ci, le discours doit sélectionner ceux qui lui conviennent pour construire sa cohérence. Il le fait en composant des figures qui rassemblent de nombreux mots et sous lesquelles des traits sémantiques se donnent rendez-vous en se répè;tent. Par exemple, sous les figures opposées du désert et des lieux habités, du don et de l'achat, se répètent des traits que nous désignerons de fa¸on grossi`re (parce que trop figurative) comme ‘communion’ et ‘séparation’. On parle d'isotopie figurative quand il s'agit de cohérence au plan des figures, des parcours figuratifs, des rôles thématiques, et d'isotopie sémique quand il s'agit de cohérence au niveau des traits sémantiques ou sèmes.
13 C'est un exemple de communication participative, à distinguer de la communication par échange. Celle-ci fait passer un objet d'un sujet qui le possède à un autre qui en est privé de telle fa¸on que le premier s'en trouve privé pour que l'autre le possède. Un message, une information, un savoir, la lumière, appartiennent à la classe des objets qui se prêtent à la communication participative. Les aliments ne lui appartiennent pas.
14 Je fais allusion au ‘carré sémiotique’qui, selon Greimas, représente la structure élémentaire de la signification. Il organise les traits sémantiques selon un réseau de trois types de relations fondamentales: la contradiction, la contrariété, et l'implication. Il ne s'agit pas du ‘carré logique’d'Aristote, qui règle les relations entre des propositions. Ce carré sémiotique est un instrument de recherche bien éprouvé qui oblige à la rigueur quand on veut décrire ce qui se passe dans la production du sens par le discours. Pour le texte qui nous occupe, cf. Signes et paraboles, pp. 88–91.Google Scholar
15 Un programme narratif centré sur l'acquisition ou la communication d'un objet de valeur est souvent contré par un anti-programme dont le sujet opérateur est l'opposant (ou anti-sujet) du sujet opérateur du premier programme. Tout programme peut intégrer des sous-programmes centréd sur l'acquisition ou la communication de ce qui est nécessaire (le vouloir, le pouvoir, le savoir) pour l'accomplissement de la performance du programme intégrant, ou pour la reconnaissance ou sanction.
16 L'analyse paradigmatique s'impose par exemple pour les collections de paraboles ou de controverses. Leur cohérence ne s'explique pas uniquement par des éléments rédactionnels ou une parenté de forme littéraire. Dans les paraboles, un même système de valeurs sémantiques peut être projeté sur plusieurs isotopies figuratives et provoquer entre elles des homologations. Il faut alors les lire, non pas séparément comme on regarde des tableaux dans un musée de peinture, mais ensemble et dans leurs rapports. Sur les complicités sémantiques et les homologations entre les pièces de la collection de controverses de Marc 2–3. 6, cf. Calloud, J., ‘Propositions pour une analyse structurale de Marc’, à paraître dans un prochain numéro de Semeia.Google Scholar
17 Seule la figure de ‘la tentation par Satan’laisse supposer, selon le dictionnaire culturel biblique, qu'il s'agit d'une épreuve du vouloir et du savoir. Quand cette figure est développée ailleurs, on y reconnaît la manipulation (cf. note 7): un personnage tente de faire croire et de faire vouloir un autre en lui proposant un programme. Avec la ‘tentation’, il s'agit d'un anti-programme. Mais nous ne savons rien, en Marc, de son contenu, ni de celui du programme auquel il s'oppose.
18 On peut en faire la contre-épreuve à propos des esprits impurs qui possàdent un savoir pré-alable sur Jésus et le déclarent avant performance de Jésus, comme une arme dans un combat contre lui. La performance de Jésus dans ce cas consiste à les faire taire et sortir. Cf. Calloud, J., Combet, G., Delorme, J., ‘Marc V: essai d'analyse sémiotique’, dans Les miracles de Jésus, ouvrage collectif sous la direction de X. Léon-Dufour (Editions du Seuil, Paris, 1977), p. 155.Google Scholar
19 Chaque personnage peut avoir sa fa¸on d'attribuer à son savoir les modalités du vrai ou du faux et il peut y avoir conflit de véridictions entre les acteurs. Le texte qui dispose les espaces de savoir peut assurer lui aussi la véridiction et organiser les valeurs selon le vrai et le faux à l'usage du lecteur. On parle alors de la vérité du texte. La sémiotique n'a pas à se prononcer sur elle. Elle décrit le dispositif de la véridiction mis en place par le texte.
20 Cf. Calloud, J., ‘Véridiction, vérification et vérité’, dans Stratégies discursives (Actes du Colloque du Centre de Recherches Linguistiques et Sémiologiques de Lyon 1977, Presses Universitaires de Lyon, 1978).Google Scholar
21 Cf. Bucher, G., Le récit de la Passion. Essai de sémiotique narrative, ` paraître aux éditions Klincksieck, Paris.Google Scholar
22 Il n'est pas possible de développer comment se pose pour la sémiotique le probléme de la finale de Marc. En principe, l'ensemble de l'organisation signifiante du livre est affecté par la manière dont le livre se termine selon chacune des trois formes de finale attestées par la tradition manuscrite. La sémiotique peut le montrer. La forme canonique de Marc est ici considérée comme un tout sans ignorer le problème littéraire et théologique posé par la césure entre 16. 8 et 9. Rappelons la distinction entre l'unité littéraire et rédactionnelle d'un texte et sa cohérence au niveau des structures narratives et sémantiques sous-jacentes. Une cohérence structurale peut s'accommoder d'une pluralité de couches littéraires et de rédactions. Bien entendu, si Marc est lu sous la forme qui le clôt en 16. 8, ce que je vais dire doit être modifieé
23 Cf. Signes et paraboles, chapitre v. Panier, L., ‘Les récits de miracles dans le récit évangélique’, dans Sémiotique et Bible no. 10, juin 1978, pp. 27–41.Google Scholar
24 Cf. Almeida, Ivan, L'opérativité sémantique des récits-paraboles, Éditions de l'Institut de Linguistique de l'Université de Louvain (Louvain, 1978), chapitres iii, iv et v.Google Scholar
25 Cf. Marin, L., ‘Du corps au texte: propositions métaphysiques sur l'origine du récit’, dans Le récit évangélique, édité par C. Chabrol et L. Marin (Paris, 1974), pp. 75–90.Google Scholar
26 Cf. les remarques de D. O. Via sur l'opposition mort-résurrection en Marc, op. cit. (note 4), chap. iv.