Il y a encore quelques années, un numéro du Journal of French Language Studies sur le thème de ce numéro spécial aurait exigé une introduction détaillée justifiant une approche fondée sur les corpus et la comparant systématiquement à une approche jugée plus traditionnelle. De fait, la situation a fortement évolué sur le plan national et international. On ne compte plus les ouvrages, les articles, les revues, les numéros spéciaux de revues consacrés aux corpus en linguistique. Ce numéro spécial ne saurait donc prétendre à une singularité qui le détacherait comme figure sur un fond sans valeur. Il n'en offre pas moins une perspective très intéressante. Tout d'abord, même si la plupart des linguistes s'accordent pour reconnaître une valeur heuristique aux corpus et pour saluer l'importance de données qualitatives et quantitatives plus fiables, tous ne sont pas d'accord sur le type de linguistique à construire. L'article de Bernard Laks, ‘Pour une phonologie de corpus’, se refuse à considérer que les linguistiques de corpus ne sont rien d'autre que de simples dispositifs techniques au service d'une linguistique descriptive, empirique ou herméneutique. En offrant une perspective sur la longue durée, il réanalyse l'opposition classique entre sciences de l'exemplum et sciences du datum, et cherche à démontrer que la linguistique, et singulièrement la phonologie, se sont construites, contre la grammaire, comme des sciences empiriques ayant pour objet la modélisation des observables linguistiques. Comprendre l'ancienneté de la notion de corpus et savoir construire son historicité permettent à ses yeux de frayer le chemin d'une linguistique de la parole, condition sine qua non, comme Saussure l'a souvent dit d'une linguistique de la langue.