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Anne Abeillé et Danièle Godard (dir. en collaboration avec Annie Delaveau et Antoine Gautier), La grande grammaire du français. Arles : Actes Sud, 2021, lvii + 2537 pp. 978 2 330 14239 1

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Anne Abeillé et Danièle Godard (dir. en collaboration avec Annie Delaveau et Antoine Gautier), La grande grammaire du français. Arles : Actes Sud, 2021, lvii + 2537 pp. 978 2 330 14239 1

Published online by Cambridge University Press:  21 October 2022

Sophie Piron*
Affiliation:
Département de linguistique Université du Québec à Montréal CP 8888 Succ. Centre-ville H3C 3P8 Montréal (Qc) Canada [email protected]
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Review
Copyright
© The Author(s), 2022. Published by Cambridge University Press

La Grande grammaire du français (GGF) est le fruit d’un travail d’envergure, échelonné sur une vingtaine d’années, ayant réuni une soixantaine de linguistes de France, mais aussi d’ailleurs. La GGF se veut un ouvrage de référence rassemblant les savoirs grammaticaux contemporains sur le français. Elle se démarque toutefois, à maintes occasions, des autres grammaires sur la terminologie, les classements et les analyses.

L’organisation des contenus s’éloigne des pratiques rédactionnelles plus systématisées auxquelles bon nombre de grammaires ont habitué leur lectorat. La publication est découpée en 20 chapitres, dont le point de départ est la phrase. La plupart des catégories lexicales font ensuite l’objet d’un chapitre (verbe, nom, déterminant, adjectif, préposition, pronom, adverbe), où sont en même temps exposées des notions afférentes (constructions, emplois, interprétations, catégories semblables, accords). Le tome 1 se clôt sur un chapitre consacré à la négation et un autre au temps, à l’aspect et au mode.

Le tome 2 s’intéresse essentiellement aux phrases, en en décrivant d’abord les types, en étudiant ensuite les structures complexes (subordonnées relatives et circonstancielles, structures comparatives et consécutives, coordination et juxtaposition). Par la suite, deux chapitres envisagent l’organisation syntaxique, l’un en traitant de l’ordre des mots, l’autre en exposant comment la syntaxe de la phrase permet d’organiser le discours et d’en assurer continuité et progression. La GGF se penche également sur la dimension sonore des énoncés (liaison, e caduc, groupes prosodiques, etc.) et sur la ponctuation (de mot et de phrase), tout en s’ouvrant aux pratiques des écritures numériques. Enfin, les annexes fournissent une cinquantaine de fiches récapitulatives (accord du verbe, même, quelque, etc.) et un glossaire.

La GGF se distingue indéniablement par son ampleur, la large couverture des phénomènes abordés et la profondeur des analyses linguistiques qu’elle livre. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle satisfera la curiosité de tous ses lecteurs. Les études qui servent d’appui aux notions exposées sont listées à la fin de chaque chapitre, et reprises dans la bibliographie générale. La mise en page est particulièrement soignée et propose plusieurs niveaux de lecture, ainsi que de nombreux renvois au sein de l’ouvrage. Le texte est agrémenté de tableaux, de listes, d’arbres syntaxiques et de nombreux exemples. Ceux-ci, lorsqu’ils ne sont pas construits, proviennent de corpus permettant d’échantillonner le français dans sa modernité et sa variation : littérature postérieure à 1950, textes de sciences humaines, journaux, résumés de films, SMS, sites internet, exemples issus de corpus oraux, etc. Les versions numériques de l’ouvrage (en ligne et ePub) autorisent une incursion dans l’oral au sein du chapitre sur ce sujet. Les exemples tirés de l’oral ou de corpus non littéraires interviennent sporadiquement dans la GGF, qui s’ouvre ainsi à d’autres dimensions que l’écrit classique. La variation diatopique s’est vu accorder une place qui dépasse ce que l’on trouve dans d’autres ouvrages. Sur ce point, on regrettera parfois le manque de finesse dans l’imbrication de la variation diatopique, diastratique et diaphasique. La présentation des exemples recourt aux pratiques en linguistique : numérotation, signalisation interne (soulignement, symbole d’extraction, etc.), signalisation externe (indication de la source ; symboles précisant ce qui est non standard, variable…). Le rapport à la norme est, lui aussi, résolument linguistique : les usages sont décrits et classés selon la variété dont ils relèvent. L’ouvrage est tourné vers la modernité : le texte est rédigé selon les rectifications orthographiques de 1990, aborde la féminisation des noms de métiers, l’écriture numérique ou encore le point médian.

Le traitement des contenus frappe à trois égards. D’abord, la terminologie employée n’hésite pas à aller à l’encontre de la tradition ou des terminologies françaises de 1998 et de 2020, tantôt en adoptant ce que le monde scolaire hors Hexagone a entériné depuis longtemps (par exemple, complément direct pour complément d’objet direct), tantôt en insufflant des propositions d’origine savante, peu usitées pour certaines (complément oblique pour complément d’objet indirect, ajout pour complément circonstanciel, etc.). Un tableau de correspondances, un glossaire et des explications au fil du texte permettent au lecteur averti de rétablir le lien avec ses habitudes terminologiques.

Ensuite, l’équilibre entre syntaxe et sémantique se révèle bien réalisé. L’importance accordée à la sémantique dans les classements présentés et dans l’interprétation des énoncés est remarquable, et s’imbrique avec les considérations syntaxiques, tout en s’écartant diamétralement de l’exploitation qu’en faisait la grammaire traditionnelle. Les tests linguistiques, variés, sont utilisés à bon escient, évitant sur ce point de verser dans les travers du courant scolaire d’inspiration générativiste. Toutefois, certains tests et leur exploitation n’emporteront peut-être pas l’adhésion.

Enfin, les avancées linguistiques proposées cautionnent des analyses qui circulent parmi les spécialistes, sans pour autant toujours faire l’unanimité. Selon les affinités d’écoles, les choix posés par la GGF seront plus ou moins convaincants. Ainsi, parler à, classé comme construction intransitive ; le participe passé et passif comme catégorie lexicale ; les fonctions extrait et périphérique, qui reposent sur la position d’un constituant ; la fonction ajout, profondément liée à l’effacement, face au complément, dont l’effacement n’est pas impossible. En revanche, il est à espérer que certaines avancées linguistiques présentées se frayeront enfin un chemin dans la doxa grammaticale : notamment, ce livre vaut 30 euros, avec un complément direct ; l’attribut comme un type de complément du verbe ; les compléments locatifs et temporels sélectionnés analysés au même titre que d’autres compléments du verbe (et non rangés à part à cause de leur sémantique circonstancielle) ; après comme préposition sans complément dans arriver après, plutôt qu’adverbe ; aujourd’hui et quelque part comme pronoms.

Quel que soit leur degré d’adhésion aux différentes analyses proposées, il est indéniable que les spécialistes verront dans la GGF une référence en grammaire, tantôt pour s’y appuyer, tantôt pour s’y opposer.