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Une Lettre Inedite De Pierre Kropotkine a Max Nettlau

Published online by Cambridge University Press:  18 December 2008

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La lettre de Pierre Kropotkine à Max Nettlau, l'historien distingué de l'anarchisme, que nous publions ici fut écrite dans la première partie de l'année 1902. Elle traite surtout de l'individualisme et ainsi jette de nouvelles lumières non seulement sur les idées politiques de Kropotkine mais aussi sur les idées morales qu'il développa en grande partie dans La Morale anarchiste, L'Entr'aide, L'Ethique et Spravedlivost' i nravstvennost' [Justice et moralité]. Parlant de l'individualisme et critiquant l'étroitesse de l'individualisme bourgeois (qu'il met en contraste avec son propre conception d'individuation), Kropotkine touche inévitablement d'autres problèmes – révolution, liberté, syndicalisme – qui intéressent non seulement ceux qui étudient ses idées mais aussi tous ceux qui s'occupent de questions sociales.

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Copyright © Internationaal Instituut voor Sociale Geschiedenis 1964

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page 268 note 1 Le manuscrit de cette publication est conservé dans l'lnstitut International d'Histoire Sociale à Amsterdam.

page 270 note 1 J'avais dit que, tout en reconnaissant la valeur du communisme anarchiste et acceptant moi-même ces idées, cela ne m'empêche pas de voir le fait que des aspirations individualistes de très bonne foi existent et se font entendre, que pour nous il ne suff it pas d'espérer universaliser les idées communistes anarchistes, qu'il faudrait plutôt trouver un modus vivendi avec l'individualisme de bon aloi, pour posséder en lui un allié ou un ami dans la lutte contre l'autorité, au lieu de le traiter en ennemi ou en indifférent et d'être, nécessairement, considéré par lui de la même manière.

page 271 note 1 J'avais écrit sous l'impression de cette admiration illimitée, aveugle du syndicalisme, dont j'ai été témoin dans les années à partir de 1895, quand tant de camaradesont cru que notre cause était en bonne voie de se répandre, de réussir rapidement grâce au syndicalisme, et quand pour certains tout autre moyen de propagande et genre d'action était un effort inutile, oisif, déprécié. J'avais insisté sur la nécessité de rétablir l'équilibre, de restaurer l'universalité de la propagande.

page 272 note 1 Le camarade mort dans l'église de La Madeleine à Paris par l'explosion subite d'une bombe qu'il avait sur lui.

page 272 note 2 Cette observation est très exacte; mais le changement complet de l'attitude de tant d'anarchistes dès que, à partir de 1895, ils ont vu tous ces syndicats inspirés de l'esprit de Fernand Pelloutier, aussi tant d'ouvriers socialistes (les Allemanistes) se désintéressant du parlementarisme (l'idée, assez commune alors, que désormais par la voie du syndicalisme on aboutirait tout droit à l'anarchie), a dû interrompre l'effort propagandiste dirigé non seulement vers ces amateurs du pittoresque dont parle Kropotkine, mais surtout vers ceux qui fürent attirés par les larges horizons ouverts à toute l'humanité par la propagande d'Elisee Reclus, de Kropotkine lui-même, et autres jusqu'en 1894. Dès qu'on se croyait en possession de la panacée syndicaliste, on fit semblant, pour ainsi dire, de ne plus avoir besoin d'eux. Alors ils ne sont plus venus. C'est ce rétrécissement.ce caractère unilatérale de la propagande à partir de 1895 que je déplorai; il y en avait qui étaient convaincus qu'on avait fait fausse route entièrement jusqu'en 1895. Je pensai à peu près le contraire.

page 273 note 1 On connâit l'aversion profonde de Kropotkine pour le professeur Huxley qui avait [imposé] le bourgeoisisme le plus plat sur le darwinisme.

page 275 note 1 Ce n'est pas moi qui était jamais fasciné par quelque variante n'importe laquelle du pseudo-individualisme, et je reconnais la beauté de l'individualisme communiste que Kropotkine entrevoit. Mais même l'homme le plus hautement inspiré du sentiment social et sociable peut désirer parfois de procéder par des voies plus individuelles, indépendantes, se séparant pour un temps de celles des autres. C'est cela qu'il fallait dire hautement pour dissiper l'impression que le communisme libertaire absorberait automatiquement les initiatives et actes indépendants individuels. Si tout individualisme sincère, altruiste, trouve satisfaction dans l'individualisme communiste de Kropotkine, tant mieux pour la réalisation de ses idées, mais l'expérience seule peut vérifier cela.

page 275 note 2 A mon impression cette absence de «questions irritantes» n'était qu'une raison de plus pour essayer de rentrer au premier plan. On a laissé le champ libre à cette réaction nationaliste, continuant le boulangisme et anti-dreyfussisme, s'emparant alors de la jeunesse et se présentant par le néo-royalisme, catholicisme, nationalisme, bientôt dans le socialisme même par l'étrange perversion de Georges Sorel (vide sa revue L'lndépendance, à partir de 1911), une mainmise sur l'esprit de la jeunesse française, italienne aussi, qui a mené tout droit à la guerre et au fascisme de nos jours. On n'a pas pu prévoir tout ce mal au début de 1902, mais j'aurais aimé alors déjà que Kropotkine et autres fassent un effort pour reprendre pour l'idée anarchiste une place au grand air du jour. Ce ne fut pas fait alors, et bientôt les affaires russes, les événements qui devaient aboutir à la Révolution de 1905, ont absorbé son attention en premier lieu.

page 276 note 1 Quoique les premiers articles sur l'éthique n'ont paru qu'en 1904 (août) et 1905 (mars) dans le Nineteenth Century, Kropotkine était déjè plongé alors depuis plusieurs années dans ce sujet qui, bientôt alternant avec celui de la Révolution française, l'absorbait beaucoup.

page 276 note 2 J'avais done dit que je laissai de côté tant de faits et d'arguments, sur lesquels nous étions nécessairement d'accord, sans que cela voudrait dire que je les ignore ou conteste. Dans ces conditions je lui proposai certaines opinions, avec mes motifs et conclusions.

page 276 note 3 Dans la vie de torn les jours où, peut-être encore en ce moment, le manque de solidarité me paraît être, en proportion, plus fréquent que les actes de solidarité – ou nous serions déjà beaucoup plus rapprochés de l'état heureux de solidarité et de liberté que nous désirons. Tant que l'ouvrier sur ordre est prêt de ruiner la santé d'autres ouvriers (en produisant des produits nuisibles), d'être leur maître, leur garde chiourme, etc. (en contres maître, géolier, etc.), de les tuer à l'intérieur ou à l'extérieur (en gendarme et en soldat), etc, la solidarité s'exerce encore bien trop peu, et il ne faut pas nous faire illusion sur ce fait. Dans ce sens j'avais probablement écrit à Kropotkine.

page 276 note 4 Allusion à ma conférence, «Responsibility and Solidarity in the Labour Strugglen», dans le Freedom Discussion Group, 5 décembre 1899, imprimée dans Freedom en 1900, en brochure anglaise (mai 1900) et comme rapport proposé par le group Freedom au congrès international de 1900 (Les Temps nouveaux, «Supplement littéraire», 1900Google Scholar); en brochure française, Paris, 1903; en espagnol, Barcelone, 1904, et en d'autres langues.

page 277 note 1 A cette époque la lutte des syndicalistes révolutionnaires en France contre les réformistes n'était pas terminée et en Angleterre il n'avait encore presqu'aucune trace d'esprit syndicaliste dans le grand monde du travail organisé.

page 277 note 2 J'avais probablement observé que des tendances et penchants pareils de s'élever les uns sur les épaules des autres et pareilles manifestations antisolidaristes se trouvent aujourd'hui encore chez les ouvriers et chez les bourgeois, malgré tout l'effort moralisateur du socialisme et de l'organisation ouvrière.

page 277 note 3 Mais, pourrait-on observer ici, qui sont les social-démocrates, si non cette partie des ouvriers dont beaucoup, n'aimant pas trop le travail manuel, préféreraient se caser dans des administrations, etc.? Le fait qu'on est habitué à un travail n'implique pas toujours qu'on l'aime et qu'on est disposé à le continuer, s'il y a moyen. Ici la réalité me paraît en contradiction avec la pensée généreuse de Kropotkine.

page 277 note 4 Je l'ai conservée, mais je ne l'ai pas devant moi, ni en souvenir, en ce moment.

page 277 note 5 Ce n'est certes pas moi qui avait exprimé le moindre doute à ce sujet. Tant que je m'en rappelle, mes remarques portaient sur ce sujet: que malgré les tendances égalitaires et solidaristes de beaucoup d'ouvriers, la vie pratique des ateliers et usines conduit le plus souvent à leur différentiation selon les capacités, les caractères spéciaux, etc., qui font que les uns avancent un peu, quelquefois même beaucoup, et que les autres restent en place. Cette sélection n'est pas toujours une élimination des moins solidaires (le plus méchant devenant contremaître, etc.), mais souvent aussi une élévation des plus capables (que le patron a de l'intérêt à traiter mieux, à attirer dans sa sphère d'intérêt, etc.). Je concluais que par ces différentiations beaucoup de bons éléments étaient continuellement arrachés du milieu de leurs camarades, et que tels faits m'ont paru expliquer la lenteur, avec laquelle la grande masse comprend nos idées, beaucoup de talents, qui comprendraient plus vite et qui sauraient et voudraient agir étant continuellement séparés de cette masse par les capitalistes qui désirent en premier lieu profiter de ces talents. Je me rappelle que ni dans cette lettre, ni ailleurs en discussion, Kropotkine n'est entré dans cette question. Je pensais que de tous les camarades les plus utiles à la cause sont ceux qui, acceptant les idées, restent au milieu des ouvriers sans vouloir en sortir, comme le firent tant de bons camarades partout, Johann Neve, Sam Mainwaring, Lucien Guériveau, et combien d'autres! J'aurais aimé alors (1902) qu'on ait plus encouragé ce genre de propagande qui différait assez de la tendance, compréhensible du reste, de beaucoup d'anarchistes alors de quitter les ateliers et de vivre comme ils pouvaient. Ce fut quelquefois bon pour eux, mais cela les séparait des ouvriers.

page 278 note 1 Il m'a toujours été impossible de parler de la tolérance avec Kropotkine, sans qu'il se soit fâché. J'ai trop souvent écrit déjà ce que je comprends par la tolérance mutuelle. Ce n'est pas la non-résistance au mal, ni quelque renonciation à employer la force. Ce n'est que la convivance de personnes, la coexistence d'institutions qui ne sont pas des mêmes opinions ou basées sur le même système, mais qui préferènt de vivre en paix à en conflit et combat permanent jusqu'à l'étouffement de l'un des deux. Je pense que même aujourd'hui un très grand nombre de choses se passe en paix et la violence est une dernière ressource que je ne défends à personne, mais que je verrais avec regret devenir générale. On ne brûle plus ceux d'une autre religion, ni même les libres penseurs, et j'ose penser qu'on arrivera au même degré de tolération mutuelle pour des questions nationales et sociales. J'ai parlé alors à Kropotkine comme exemple des Quakers et de ceux qui par principe refusent de toucher des armes – et la guerre a montré que cette idée pénétrait beaucoup d'hommes, les conscientious objectors de l'Angleterre et des Etats-Unis, etc. Bref, je n'ai jamais compris, pourquoi Kropotkine, qui cherchait et trouvait partout tant de traces de l'entr'aide, ait considéré impossible ou non désirable qu'on arriverait à placer des disputes sur le niveau de l'action autonome différente de deux ou plusieurs parties de litige.

page 278 note 2 La coronation.

page 279 note 1 Je confesse que je n'ai jamais accepté complétement la thèse de Kropotkine [sur la révolution]. Il y a eu toujours des actes de violence sociale, mais ils ne se généralisent et deviennent l'impulsion d'une révolution irrévocable que, lorsque par quelque acte collectif courageux, la glace est brisée, pour m'exprimer ainsi, lorsqu'un sentiment de sécurité, la conscience de la solidarité générate avec leurs actes réassure les révoltés. Ainsi la révolution russe de 1917 ne se transforma en révolution sociale – les paysans russes de 1917 ne chassèrent les propriétaires et brûlèrent des chûteaux que lorsque le ban du tsarisme futlevé en mars 1917, pas avant. Et les paysans français d'avant 1789 ne brêlèrent des châteaux en quantité que lorsque partout dans le pays on savait que cette fois la misère des finances, etc., avait acculé la royauté au mur et que tout le monde était déterminé de demander des comptes au système qui fut encore en vigueur. De même en 1848, c'est le 24 février à Paris qui brisa la glace; les événements de 1847 restaient encore sans suite. Il faut toujours quelque chose qui donne le vrai courage au peuple; il ne le possède pas sans cela ou il aurait fait depuis longtemps partout la révolution. En mai 1789 les États généraux convoqués donnaient depuis longtemps une telle impulsion au courage des masses que les châteaux ont brûlé facilement. Mais ce ne fut pas à cause de châteaux brûlés qu'on a convoqué les États généraux.

page 279 note 2 Historien russe qui étudia à Paris, d'après les documents des Archives, les origines de la Révolution française.

page 279 note 3 Il y avait eu l'Assemblée des Notables en 1787, et en 1788 les événements que lors de leur centenaire, le 9 juin 1888, on a appelé la Révolution dauphinoise de 1788 (Grenoble, Vizille, Romans, etc.).

page 279 note 4 J'avais probablement dit, et je le dirais encore, que dans tout ce qui s'est passé depuis le 4 septembre – journée qui avait rendu le courage à tous, après des années de soumission depuis décembre 1851, presque 19 ans, durant lesquels aucune de nombreuses protestations courageuses trouva un vrai écho dans le peuple – jusqu'au 18 mars il y avait la main d'un grand nombre d'hommes et de groupes ou comités et fort peu d'initiative populaire. Le peuple durant ces mois se sentait conduit par ces hommes des comités, qui lui inspiraient du reste de la confiance, et il y avait dans tout ce qui s'est passé, beaucoup plus de l'initiative et de l'action consciente d'un grand nombre d'hommes que cette spontanéité populaire qui est un peu trop légendaire pour moi. Quand un coup est fait et a réussi, alors tout le monde se remue et se figure vite d'en avoir été, mais le coup même sort le plus souvent d'une initiative très consciente.

page 280 note 1 En 1848 au moins, aussi en 1830 à Paris, ouvriers et bourgeois participaient également aux premiers mouvements, les bourgeois autant comme membres des sociétés secrétes que comme étudiants. A la Commune de Paris, aux mouvements insurrectionnels de l'lnternationale en Italie et en Espagne, à tout ce qui s'est passé en Russie, il y avait de jeunes bourgeois parmi et avec les ouvriers. Dans les mouvements plus récents qui partent d'une grève, naturellement les ouvriers prédominent, mais Ferrer en 1909 et Malatesta en 1914 étaient là eux aussi.

page 280 note 2 Les jeunes bourgeois de la Charbonnerie en France, plus tard Blanqui et Barbès, après eux Flourens, n'ontils pas brûle de précipiter des émeutes, le plus souvent sans trouver du concours populaire quand ils étaient descendu dans la rue ?

page 280 note 3 A la révolution ne faut-il pas encore ce sentiment presqu'unanime de tout homme de pensée alerte qu'un système est insoutenable, qu'il est par trop compromis, que cette fois la coupe déverse? Telle fut la fin des Bourbons en 1830, celle de Louis-Philippe en 1848, la déchéance des Bonapartes en 1870, etc.

page 280 note 4 Il y a peut-être une erreur; au moins je ne connais pas d'émeute retentissante à Trieste. A Milan il y a eu les cinque giornate en 1848, à Lyon les insurrections de 1831 et 1834.

page 281 note 1 Cette pensée de la proximité de Metz, de 1871 à 1918 forteresse allemande, de Paris, agitait continuellement Kropotkine.

page 281 note 2 Ce sont des mots de ma lettre, exprimant la désillusion sur le socialisme et même le radicalisme anglais qui n'avaient pas su empêcher la destruction de l'indépendance des Boers, ni même les cruautés de cette guerre, camps de concentration, etc.

page 281 note 3 A ces deux occasions uniques l'Angleterre abandonna un territoire occupé ou annexé par elle.

page 282 note 1 Je crois que je comprends tnieux maintenant qu'alors ce qui fit parler Kropotkine ainsi sur l'Amérique du Nord. Dans cet immense pays, débarassé des soucis qui pèsent sur tous les peuples en Europe, il y avait de la place pour tous, pour le dollar autant que pour les cranks ou hommes aux idées avancées. Il en est toujours ainsi – le dollar prosp`re, les cranks n'augmentent pas en proportion égale aux Babbitts, mais ils continuent quand même. A l'époque de cette lettre on causait encore de l'idée que les travailleurs avancés saisiraient un jour un des nouveaux Etats de l'Ouest pour y établir une République du Travail ou des communes comme Kropotkine en parle. Aujourd'hui c'est là précisément qu'il y a les plus dures persécutions. Le crank n'a pas encore vaincu le dollar, hélas!

page 282 note 2 Il s'agit du mouvement anarchiste.

page 283 note 1 Pouget avait publié de 1889 au 15 avril 1900 les différentes séries de son Père Peinard, hebdomadaire anarchiste en argot parisien, publication unique dans la presse anarchiste, à l'exception peut-être de la Freiheit de Most, par sa verve populaire. En même temps que Kropotkine, Pouget restait toujours en contact avec les mouvements ouvriers. Cette voix admirable se tut en 1900 pour toujours – ceux qui n'ont pas assez supporté le Pè;re Peinard en sont probablement la cause directe – et Pouget rédigea pour un nombre d'années la Voix du Peuple, le grand organe hebdomadaire publié par la Confédération Générale du Travail, à partir du ier décembre 1900. Je n'étais pas le seul à regretter cette neutralisation dans un organe omciel et officieux à la fois, destiné à faire prévaloir l'opinion des dirigeants de la C.G.T., d'un homme qui durant onze ans avait été l'écrivain le plus indépendant et puissant de l'anarchisme français. Je sais bien qu'il a exercé une certaine influence dans le milieu syndicaliste et que son cœur y était déjà aux dernières années, quand il fit encore le Père Peinard, mais sa disposition – et elle fut complète – du mouvement anarchiste militant, montrait la faiblesse de ce mouvement à cette époque, et juste à cause de cela il n'aurait pas dû le délaisser. S'il a era qu'il pourrait anarchiser le syndicalisme, il a dû voir, qu'il s'est trompé. II a été englouti, absorbé comme tant d'autres par un milieu général que je n'ai pas à discuter ici.

page 283 note 2 Je ne peux pas me figurer que j'aurais parlé alors d'une «anarchie individualiste», mais j'aurai contrasté l'indépendance de Pouget à son Père Peinard è la perte de cette indépendance à la Voix du Peuple où j'étais toujours péniblement frappé en le voyant dans ce petit appartement qu'il partageait avec d'autres – comme un pauvre oiseau mis en cage – entouré d'hommes qui avaient bien d'autres soucis que l'anarchie, et en causant de celle-cibien bas et sur un ton résigné. Je sortais toujours avec une impression navrante. Je voudrais ajouter que ce n'est certes pas moi qui ai parlé de Nietzsche que j'ai toujours pris pour un autoritaire et dont je n'avais aucune raison de parler dans une discussion sur des anarchistes. Mais Kropotkine avait l'habitude d'identifier un peu trop vite (à mon opinion) des courants anarchistes qui lui déplurent avec des idées de Nietzsche, et alors de les combattre en combattant les côtés faibles de Nietzsche.

page 284 note 1 Ceci répond à des remarques que je fais souvent, à mon utopie, si Ton veut, demandant si I'humanité ne saurait pas profiter pour les luttes sur le régime politique et social, de l'expérience qu'elle a gagnée à grands frais sur le terrain de la science, de la religion, etc. Là on a vu qu'il était impossible d'arrêter l'éclosion de la science et également impossible de généraliser une conception religieuse quelconque. J'ai contrasté le 18e siècle, où les meilleurs esprits, tout en maintenant très haut la pensée libre, ont en même temps su préconiser la tolérance mutuelle, pour préparer ainsi le 19e siècle dans lequel en somme les diffèrences religieuses devenaient un objet d'indifférence générale, aux siècles fanatiques, le seizième et le dix-septième, qui virent non seulement des révolutions, mais tant de guerres et d'actions d'Etat cruelles, misérables et sordides sous prétexte rellgieux, de même que le nationalisme amène autant des révolutions nationales que des guerres non moins cruelles et sordides. J'avais demandé à Kropotkine, et à tant d'autres, si sur le terrain des différentes écoles socialistes, même sur le terrain plus restreint des différentes nuances anarchistes – de ce mouvement d'idées libertaires qui se passe encore sur papier ou par la parole entre quelques milliers d'hommes, quelques centaines, sinon moins, de personnes qui prennent la plume, – s'il n'était pas possible d'arriver au moins sur ce petit terrain – étendant par la suite – un moyen pour cesser à nous entredéchirer, pour cesser à vouloir, chacun de nous, universaliser son idée ou l'idée de son groupe. Je reçus toujours des réponses commecelle-là, le plus rigide non posmmus. Si d'avance la volonté de faire le moindre effort manque, si, en plus, on considère un tel effort absurde, dangereux, ruineux, alors que non! Mais observons que les masses qui ont fait les révolutions du passé étaient du moins unies à leur début. Nous prenons le plus grand soin d'être désunis d'avance.

page 285 note 1 Milan en mai 1898, Barcelone en 1901. Il y a aussi eu en 1901 et en 1902 des efforts grévistes assez forts à Trieste, à Stockholme, à Lemberg, en Belgique, chez les mineurs français, les dockers en Hollande, etc.

page 285 note 2 J'avais dit que je croyais voir dans le syndicalisme – tel qu'alors des enthousiastes anarchistes le considéraient très souvent – un danger pareil pour l'anarchisme, que le parlementarisme ouvrier (social-démocratie) avait été pour le socialisme autoritaire – un gouffre qui nous engloutit ou une mer qui dilue nos idées et les rend anodines.