Lorsqu' on entreprend l'étude de la période historique où prend racine la révolution technique et scientifique qui est à la base de notre civilisation, on découvre vite que l'histoire de cette profonde transformation ne peut être réduite ni à la description de techniques envisagées une à une, ni à l'analyse de découvertes particulières, et bien moins encore — contrairement à ce que certains semblent souhaiter actuellement — à une histoire de la dialectique interne de chaque secteur de la connaissance scientifique. S'interroger sur les raisons qui commandent le passage d'une théorie à une autre, à l'intérieur d'une discipline particulière, est assurément une question d'une importance fondamentale et, sur ce terrain, les historiens de la science sont parvenus à des résultats considérables, même pour la période qui nous intéresse ici. Pourtant, l'historien ne pourra guère — ne fût-ce que pour élucider réellement ces «raisons» — éluder des questions également décisives qui portent sur la situation culturelle dans laquelle durent travailler les hommes de science. Nous entendons par là les définitions et les caractérisations différentes, et parfois divergentes, de la «science»; la place occupée par la connaissance scientifique, non seulement dans le monde de la culture et dans les encyclopédies du savoir, mais aussi dans la conscience de milieux et de groupes sociaux déterminés; les diverses finalités et les buts qui furent à tour de role attribués a la science et à la technique, au sein de civilisations et d'époques diffeérentes; la manière dont furent conçus les rapports entre théories et opérations pratiques; la considération qui fut accordée à ces dernières, tantôt reléguées aux marges de la culture et considérées comme indignes d'un homme libre, tantôt placées au centre de cette même culture comme source, non seulement d'effets admirables, mais aussi d'une connaissance plus approfondie du monde réel.