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La logique de la frustration relative
Published online by Cambridge University Press: 28 July 2009
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Lesnotions de frustration relative (relative deprivation) et de groupe de référence constituent a elles deux un ensemble conceptuel dont le succès est dû sans doute à ce qu'il permet, à l'aide de propositions de bon sens, de rendre compte d'observations paradoxales. Comme le note Runciman, les deux notions sont issues d'un truisme familier: à savoir que «les attitudes, aspirations et frustrations, dependent largement du cadre de référence dans lequel elles sont conçues » (“ that people's attitudes, aspirations and grievances largely depend on the frame of reference within which they are conceived”) (I). L'observation montre en effet qu'il est dans la plupart des cas impossible de comprendre pourquoi un individu A éprouve par exemple de l'envie à l'égard de B mais non de C si on ne connaît pas le « cadre de référence » (“ the frame of reference”) de A: comment expliquer que A envie la 504 de son voisin de droite mais non la Jaguar de sonvoisin de gauche, si on ne sait pas que A peut espérer se hausser au niveau de son voisin de droite mais non a celui de son voisin de gauche ? Utilisons l'excellente définition que propose Runciman de la notion de frustration relative: éfinition stricte est difficile. Mais on peut grossièrement dire que A est relativement frustré de x si (I) il n'a pas x, (II) il voit une personne ou plusieurs autres personnes, incluant eventuellement lui-même dans le passé ou dansl'avenir, comme ayant x (quece soit, ou doive ou non être en fait le cas), (III) il désire x, et (iv) perçoit comme plausible l'éventualité d'en disposer. Dire qu'il possède x peut naturellement vouloir dire qu'il est exempt ou indemne de y »(2).
- Type
- Research Article
- Information
- European Journal of Sociology / Archives Européennes de Sociologie , Volume 18 , Issue 1 , June 1977 , pp. 3 - 26
- Copyright
- Copyright © Archives Européenes de Sociology 1977
References
(1) Runciman, W. G., Relative Deprivation and Social Justice (Berkeley, University of California Press, 1966), p. 9Google Scholar.
(2) Ibid. p. 10: “A strict definition is difficult. But we can roughly say that A is relatively deprived of X when (I) he does not have X, (II) he sees some other person or persons, which may include himself at some previous or expected time, as having X (whether or not this is or will be in fact the case), (III) he wants X, and (IV) he sees it is feasible that he should have X. Possession of X may, of course, mean avoidance of or exemption from Y”.
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(7) L'hypothèse implicite choisie ici selon laquelle une espérance de gain d'une valeur donne'e est perçue comme équivalente d'un gain ferme de même valeur est bien sûr une simplification destinée à nous situer dans le cas de figure le plus simple. En fait, on admet généralement depuis Arrow, (Essays in the Theory of Risk-Bearing [Amsterdam, North Holland, 1971])Google Scholar, que l'intérêt d'une loterie donnant une espérance de gain x est pour l'individu équivalent à un gain ferme de montant x — h (h positif). II ést évident qu'en supposant h = o on maximise le taux de frustration.
(8) On suppose ainsi que les chances objectives offertes aux individus sont plus faibles que dans le cas précédent. Une autre manière de simuler la détérioration des chances objectives consisterait à réduire le montant des gains offerts par la société ou par l'organisateur du jeu.
(9) II existe une difference considérable entre les deux structures correspondant à nos deux premiers exemples. Dans le premier cas, chaque joueur ayant une stratégie dominante n'a besoin d'aucune information sur le comportement d'autrui. Dans le second cas au contraire, l'intérêt pour Ego situade chacune de ses stratégies dépend du nombre des autres adoptant la même stratégie que lui. Si le groupe considéré éait un groupe en face á face, il résulterait de l'apparition de ce type de structure un déclenchement de négotiations entre les acteurs. Dans le cas ou nous nous situons, bien que, pour des raisons desimplicité dans l'analyse, nous envisagions le cas n = 20, nous supposons que les individus ne peuvent négocier entre eux. Cette situation caractérise par exemple les comportements scolaires ou les comportements de mobilité.
(10) J'ai applique ce type de formalisation a des problèmes de politique d'education (Boudon, R., Cibois, Ph., Lagnneau, J., « Enseignement supéieur court et pièges de l'action collective », Revue française de sociologie, XVI (1976), 159–188)Google Scholar provoquant une intéssante réaction Elster, de Jon, « Boudon, education and the theory of games », Information sur les sciences sociales, XV (1976), 733–740CrossRefGoogle Scholar. La question soulevée par Jon Elster de savoir si on peut appliquer la théorie des jeux aux situations de compétition dans lesquelles se trouvent nolens volens les centaines de milliers d'etudiants d'un pays comme la France, me paraît relever de 1'enquSte empirique sur la logique des décisions scolaires.
(11) Cf. Arrow, op. cit.
(12) Toujours si on suppose les joueurs désireux de maximiser leur espérance de gain et insensibles à la structure de la loterie proposée.
(13) On se limite dans ce qui suit à la considération de ce que nous avons appelé plus haut la frustration querellewe.
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(15) Dans l'hypothè ou les membres de chacune des deux catégories estiment que ceux de l'autre se comportent comme eux-mêmes.
(16) Voir sur cette notion François Bourricaud, Contre le sociologisme: une critique et des propositions, Revue franeaise de sociologie, XVI (1976), suppl., 583–603Google Scholar.
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