Published online by Cambridge University Press: 25 November 2010
ABSTRACT : The scientific character of theology was hotly debated among theologians of the 13th and 14th century. In what follows I expound the singular views of Hervaeus Natalis, a thinker who lived in the first quarter of the 14th century. According to him, the solution to this problem lies in the notion of abstraction. I offer a historical and philosophical analysis of his position based on the first French translation of a significative portion of one of his Quodlibets. I made the translation from my own edition of its Latin text.
RÉSUMÉ : Les théologiens des xiiie et xive siècles ont ardemment débattu à propos de la scientificité de la théologie. J’expose ici la position d’Hervaeus Natalis, un penseur fort singulier du premier quart du xive siècle. Selon Hervé, la notion centrale pour résoudre la question en présence est celle d’abstraction. Cet article offre une analyse historique et philosophique de sa position qui s’appuie sur une traduction française inédite d’une portion significative d’un Quodlibet d’Hervé que j’ai réalisée à partir de ma propre édition de l’original latin.
i Au lieu de la leçon «sans <connaissance> intuitive», le manuscrit B (en première main) et l’édition Z présentent la variante «dans la vie présente». La leçon de la majorité des témoins correspond bien à ce qui est en cause dans la question traitée.
ii Le manuscrit P omet la leçon «pareillement, lorsque je vois la rose exister, j’ai une connaissance intuitive de la rose».
iii L’édition Z omet, selon ce qui apparaît comme une omission par homéotéleute, le passage qui va de «C’est pourquoi…» jusqu’à «…si elle existe ou non». Peut-être que la présence du syntagme «je crois» et quelques redondances que ce passage comporte ont fait croire à l’éditeur Z qu’il s’agissait d’une interpolation de la part d’un membre de la tradition manuscrite, plutôt que d’une leçon archétypale. Cette hypothèse semble toutefois difficile à maintenir, car si elle s’avérait, il serait légitime de s’attendre à ce qu’au moins un des manuscrits (les plus anciens de la tradition, rappelons-le) que j’ai collationnés ne présentât pas cette leçon : or tous la fournissent.
iv La leçon «sous la raison selon laquelle <elle est> quiddité» est donnée de manière plus succincte dans l’édition Z : «sous la raison de quiddité».
v J’ai retenu la leçon du manuscrit P, «qu’on peut avoir une telle connaissance» (talem cognitionem posse haberi), de préférence à celle que tous les autres témoins et l’édition Z présentent, à savoir «qu’on a une telle connaissance possible» (talem cognitionem possibilem haberi), parce que cette dernière me semble rendre moins correctement le sens de la thèse rapportée ici par Hervé.
vi Le possessif «son» n’est présent que dans les manuscrits V et W : tous les autres témoins et l’édition Z l’omettent et par conséquent donnent «dans l’être» (in esse), plutôt que «en son être» (in suo esse). Cette dernière formulation me paraissait préférable pour une raison de symétrie avec ce qui est posé dans la seconde prémisse du raisonnement dont on obtient maintenant la conclusion : comme le lecteur peut le constater, on y trouve effectivement «en son être» et non pas «dans l’être».
vii Le manuscrit P précise «donc <ce fut> une abstractive».
viii L’épithète «bienheureux» (beatus) est fournie par la majorité des manuscrits et l’édition Z : elle me semble conforme à l’idée exposée ici d’une vision de Dieu produite par Dieu lui-même. Toutefois, le reste de la tradition manuscrite est divisé sur ce lieu textuel. En effet, l’intellect dont il est ici question est qualifié de «humain» par le témoin B, de «humain bienheureux» par le témoin K et de «créé» par le témoin M, tandis que le manuscrit L parle de «notre intellect» et que le témoin A n’attribue aucune qualification à l’intellect.
ix Le manuscrit P précise «qui a la volonté».
x Le manuscrit M ajoute «actuelle».
xi Le texte d’Hervé donne «presentialem existentiam», qui se traduit littéralement par «existence présentielle». C’est la leçon que donne la grande majorité des manuscrits. Les témoins B et K offrent la leçon «existence actuelle et présentielle», tandis que, dans l’édition Z, on lit plutôt «présentialité». Enfin, le témoin M présente la variante «existence principale», évidemment fautive.
Sur les concepts de présence et de «présentialité», voir J. Biard, «Intention et présence : la notion de presentialitas au xive siècle», dans D. Perler, dir., Ancient and Medieval Theories of Intentionality, Leiden, Brill, 2001, p. 265–282. Selon toute vraisemblance, le concept de presentialitas aurait commencé à être couramment utilisé au début du xive siècle, notamment (voire principalement) chez Duns Scot, mais ce serait avec Pierre d’Auriol que ce concept aurait acquis sa pleine consistance et son autonomie au regard du concept voisin de presentia.
xii Au lieu de la leçon «de Dieu», le manuscrit M et l’édition Z ont la variante «d’une chose». Cependant, l’argument porte précisément sur le cas de Dieu et, par conséquent, la leçon de la presque totalité des témoins apparaît préférable.
xiii Le manuscrit B et l’édition Z omettent «ou de la non-entité». On pourrait penser que, de même que l’entité (entitas) serait la quiddité de l’étant (ens) — c’est-à-dire : ce qu’est l’étant en tant qu’étant — ainsi la non-entité (non entitas) serait la quiddité du non-étant (non ens) — c’est-à-dire : ce qu’«est» le non-étant en tant que non-étant. Mais plus simplement et en accord avec l’usage qu’Hervé fait de ces termes dans le présent Quodlibet, «entité» et «non-entité» sont à prendre comme des synonymes de «existence» et «non-existence».
xiv Au lieu de la leçon «essence», les manuscrits M et P donnent la variante «existence». Voir ma remarque à la prochaine note de variante.
xv La tradition manuscrite est divisée sur ce lieu textuel. En effet, la leçon «existence» est donnée par un peu moins de la moitié de la tradition manuscrite (B, K, P et S en première main dans le texte), tandis que les autres témoins (A, L, M, V et W) et l’édition Z donnent la leçon «essence» (S ajoute en seconde main «ou essence» au-dessus de la ligne). Pour éviter la redondance avec ce qui précède (voir la précédente note de variante) et parce que la question à laquelle Hervé s’attaque est posée en termes de présence d’une chose en son existence, j’ai opté ici pour le terme «existence».
xvi Le manuscrit P omet le dernier membre de la phrase : «tel qu’il (ou elle) est en soi et sous la raison de ce qui meut à une telle connaissance», qui est cependant requis dans le présent contexte, même si le scribe a pu le considérer comme étant sous-entendu. Au lieu de ce membre de phrase, l’édition Z présente le suivant : «tel qu’il a en soi la raison d’objet qui meut à une telle connaissance expresse de sa quiddité». Cette formulation comporte deux défauts : écarter l’idée de la présence de Dieu en soi (par opposition à la présence par l’intermédiaire d’une entité représentative), idée qui est essentielle aux présentes considérations d’Hervé, et poser la raison (ratio) comme quelque chose qui se trouve en Dieu ou que Dieu possède en soi, alors qu’il est beaucoup plus adéquat d’affirmer que Dieu est conçu sous une certaine raison (aspect, point de vue, angle), sans faire de celle-ci quelque chose que Dieu posséderait.
xvii Au lieu de la leçon «existence», les manuscrits V et W offrent la variante «essence».
xviii Au lieu de la leçon «existence», que le sens du présent contexte réclame impérativement, les manuscrits A, M, V et W donnent la variante «essence». Le témoin L offre le terme «être», que l’on peut, dans le présent contexte, considérer comme synonyme du terme «existence».
xix Au lieu de la leçon «existence», qui est requise dans le présent contexte, les manuscrits A et M présentent la variante «essence». Le manuscrit P donne bien «existence» en première main dans le corps du texte; toutefois une seconde main exponctue ce terme et écrit «phantasme» dans la marge. Cette correction de seconde main est à écarter : voir mes remarques à la note de variante qui suit.
xx Les manuscrits P (en première main) et S, ainsi que l’édition Z, omettent par homéotéleute la proposition qui va de «de sorte que…» jusqu’à «…à l’intellect». Cependant, le témoin P va combler l’omission en transcrivant la proposition manquante dans la marge en seconde main. Il n’est pas impossible que l’omission ait semblé justifiée à certains scribes par l’impression de redondance qui peut se dégager du passage dans lequel elle se produit. Une lecture attentive montre toutefois qu’il n’y a aucune répétition superflue dans ce passage : la thèse qu’Hervé rapporte soutient qu’un existant peut être présent à l’intellect soit en lui-même, soit en un existant autre que lui et qui le représente à l’intellect. Les deux branches de l’alternative sont nécessaires aux considérations qu’Hervé développe dans le présent contexte.
xxi Les manuscrits M et S, ainsi que l’édition Z, omettent par homéotéleute la proposition qui va de «Donc…» jusqu’à «…présente». À moins que les scribes et l’éditeur aient jugé qu’elle était redondante, puisque la proposition qui la suit immédiatement (introduite par l’expression «par conséquent») semble répéter la même idée. En fait, je crois que cette dernière proposition permet à Hervé d’établir l’équivalence notionnelle entre le syntagme «ce qu’est la chose» (quod quid est rei; littéralement : «le ce que c’est de la chose»), que fait intervenir le présent raisonnement, et le terme de quiddité (quidditas), qu’Hervé avait constamment utilisé jusque là.
xxii Le syntagme «du côté de la chose connue» est omis par les manuscrits B et K, ainsi que par l’édition Z.