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Le droit au châtiment chez Hegel
Published online by Cambridge University Press: 13 April 2010
Abstract
This paper tries to show that the idea of a right of the criminal to being punished, which founds and legitimizes Hegel's retributive conception of justice in his Philosophy of Right, is closely linked in fact with the way he used to think about the tragic in his early writings. Moreover, in the light of Schelling's reading of the tragic conflict aroused by the affirmation of freedom, in the Letters on Criticism and Dogmatism, it will be possible to investigate what this substantial background, thus interfering with law, concretely means for the question of Justice.
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- Dialogue: Canadian Philosophical Review / Revue canadienne de philosophie , Volume 39 , Issue 4 , Fall 2000 , pp. 705 - 724
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References
Notes
1 Cf. Hegel, G. W. F., Principes de la philosophie du droit ou droit naturel et science de l'État en abrégé, trad. Derathé, Robert, Paris, Vrin, 1993Google Scholar. J'y renverrai à l'aide du sigle Phd. Au besoin, j'utiliserai egalement la recente traduction de Jean-Louis Vieillard-Baron (Hegel, G. W. F., Principes de la philosophie du droit, Paris, Garnier-Flammarion, 1999Google Scholar). Pour obtenir une idée générate de la conception hégélienne, on consultera Inwood, Michael, A Hegel Dictionary, Oxford, Blackwell, 1992, p. 234–235CrossRefGoogle Scholar; Wood, Allen W., «Hegel's Ethics», dans F. C. Beiser, dir., The Cambridge Companion to Hegel, New York, Cambridge University Press, 1996, p. 221Google Scholar; et Hösle, Vittorio, Hegels System : Der Idealismus der Subjectivität und das Problem der Intersubjectivität, Hambourg, Felix Meiner, 1987, p. 507.Google Scholar
2 Tandis que les lois naturelles sont données, les lois (Gesetze) du droit sont posées (gesetzt). Or, en leur qualité d'autodéterminations de la volonté, ces institutions doivent être estimees supérieures aux lois naturelles. Cf. Phd., p. 48, add., et Riedel, Manfred, Bürgerliche Gesellschaft und Staat bei Hegel, Berlin, Luchterhand, 1970, p. 27.Google Scholar
3 Ces événements sont reliés les uns aux autres aux paragraphes 185 et 209 de la Philosophie du droit.
4 Cf. Hegel, G. W. F., Phénoménologie de l'esprit, t. 2, trad. Hyppolite, J., Paris, Aubier, 1941, p. 14 à 43 (L'Esprit vrai; l'ordre éthique)Google Scholar. Dans la préface à la Philosophie du droit, Hegel révèle son souci de concilier l'exigence de liberté proper à l'individu moderne et celle de l'État, notamment en critiquant la République de Platon : elle demeure une utopie, bien que Platon soit parvenu à saisir son «temps», à savoir la nature de l'ordre ethique grec, parce qu'elle nie «[…] ce qui constituait dans cette vie une impulsion plus forte, la personnalité libre infinie», Phd., p. 54.
5 Cf. Hegel, Phénomenologie de l'esprit, t. 2, p. 44 a 49 (L'état du droit), Phd., §62, p. 116 et §124, p. 163.
6 Cf. Phd., §66, p. 118–119.
7 Pour une critique de l'appropriation hégélienne de la notion de personne, cf. Villey, Michel, «Le droit romain dans la “Philosophie des Rechts” de Hegel», Archives de Philosophie du droit, no16 (1971), p. 285.Google Scholar
8 «C'est le droit absolu que l'homme a de s'approprier toute chose». Notons que Hegel ne réserve aucun droit à la nature, car il lui refuse toute autonomie : elle n'est qu'un être pour un autre. Cf. Phd., §44, p. 102.
9 «Le droit est done l'ensemble conceptuel des conditions sous lesquelles l'arbiter de l'un peut être concilié avec l'arbitre de l'autre selon une loi universelle de la liberté» (Kant, Immanuel, Métaphysique des mœurs, t. 2, trad. Renaut, A., Paris, Garnier-Flammarion, 1994, p. 17).Google Scholar
10 «Le droit de ne rien reconnaitre que Moi, je n'envisagerais pas comme rationnel, est le droit supreme du sujet [[]»(Phd., §132, trad. Vieillard-Baron, p. 193).
11 Hegel affirme à plusieurs reprises que l'idée de l'État, même si elle est necessairement présente, peut ≖ctre plus ou moins défigurée dans les États réels : «L'État n'est pas une œuvre d'art; il est dans le monde, par suite dans la sphère de l'arbitraire, de la contingence et de l'erreur; des mesures fâcheuses peuvent le défigurer par plusieurs côtés. Mais l'homme le plus détestable, le criminel, le malade ou l'infirme, n'en est pas moins un homme vivant: le côté affirmatif, la vie, subsiste malgré l'imperfection, et e'est de ce côté affirmatif qu'il s'agit ici» (Phd, §258, add., p. 260 et 56, note 14).
12 Dans la perspective hégélienne, la liberté atteindrait tout au plus la forme de la société civile au sein de laquelle prédominent les intérêts particuliers des individus et les intérêts économiques des corporations. Mais, selon Hegel, cette réalité sociale est dépassée dans l'État de droit moderne où s'élabore et se fait valoir l'intér≖ct commun.
13 Selon I Ritter, le phénomène de la réification jette un pont entre le droit abstrait et la société civile : «In solcher Versachlichung aller Verhältnisse liegt für Hegel das allgemeine Prinzip der bürgerlichen Gesellschaft» (Ritter, Joachim, «Person und Eigentum», dans Metaphysik und Politik, Studien zu Aristoteles und Hegel, Francfort, Suhrkamp, 1977, p. 274).Google Scholar
14 Cf. Phd., §66, note 50 : «Si je me donne moi-même comme esclave, je fais le contraire de moi-même — une volonté libre qui n'en est pas une — dans ce cas, ma volonté libre, c'est de n'être plus volonté libre».
15 En tant qu'unique sujet du Droit, l'esprit «objectif» s'accomplit comme inter-subjectivité, ainsi que l'indique ce célèbre passage : «[…] l'esprit, cette substance absolue, qui, dans la parfaite liberté et indépendance de son opposition, e'est-à-dire des consciences de soi diverses étant pour soi, constitue leur unite : un Moi qui est un Nous, et un Nous qui est un Moi» (Hegel, Phénoménologie de l'esprit, t. 1, p. 154).
16 Cette indétermination a permis les peines les plus horribles. d.Phd., §3, p. 68.
17 Phd, §100, add., p. 144.
18 Les abus les plus courants étant de choisir un bouc émissaire en guise d'exemple ou d'étendre la punition aux membres de la famille du criminel. Cette implication sacrificielle constitue le défaut majeur de l'utilitarisme, que John Rawls a voulu éviter, comme le relève Ricoeur : «Celui qui pourrait être la victime ne devrait pas être sacrifié en vue du bien commun» (Ricoeur, Paul, Le juste, Paris, Esprit, 1995, p. 86).Google Scholar
19 «Feuerbach fonde la peine sur la menace […] à la manière d'un maître qui agite un bâton devant son chien et l'homme n'y est pas traité selon sa dignité et sa liberté, mais comme un chien» (Phd., §99, add.). Rappelons que Kant défend lui aussi une conception rétributive de la justice pour un motif qui recoupe largement celui invoque par Hegel. Kant écrit: «La peine judiciaire […] ne peut jamais être attachée à quelqu'un simplement à titre de moyen de favoriser un autre bien, soit pour le criminel lui-même, soit pour la société civile, mais elle doit toujours intervenir contre lui pour cette unique raison qu'il a commis un crime; car l'être humain ne peut jamais être traité simplement comme un moyen utilisable en vue des buts d'autrui, ni se trouver mis au nombre des objets du droit réel, ce vis-à-vis de quoi sa personnalité innée le protège […]» (Métaphysique des mœurs, t. 2, §49, E., p. 152).
20 En vertu de cette incapacité le système pénal a connu dans les années 60 une véritable «crise de légitimité». Cf. Pires, Alvaro, «Éthiques et réforme du droit criminel: au-delà des philosophies de la peine», Ethica, vol. 3, no2 (1991), p. 49.Google Scholar
21 Ce que, déjà, repoussait sans appel le jeune Hegel. Cf. Hegel, G. W. F., Des manières de traiter scientifiquement du droit naturel, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1990, p. 54Google Scholar. Le même refus se retrouve chez Kant: «[…] car la justice cesse d'être une justice à partir du moment où elle se dessaisit d'elle-même pour un prix quelconque» (Métaphysique des mœurs, §49, E., p. 153).
22 Puisque le crime est la négation de la loi, l'abolition de la peine ou même son adoucissement équivaudrait pour Kant à une negation pure et simple de la justice. On connaît son âpre plaidoyer pour l'épée de justice : «Même si la société civile se dissolvait avec l'accord de tous ses membres […] le dernier meurtrier se trouvant en prison devrait auparavant être exécuté […]» (Métaphysique des mœurs, §49, E., p. 155).
23 Cf. Sauvageau, Jean et Tulkens, Françoise, «L'abolition de la peine de mort: une question d'éthique. La Cour suprême du Canada et l'arrêt Kindler», dans Variations sur l'éthique. Hommage à Jacques Dabin, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1994, p. 482, 486.Google Scholar
24 La société civile voue une grand part de ses membres à la pauvreté et à la perte de son sentiment de dignité et elle a le devoir, selon Hegel, de veiller à y remédier (Phd., §242, 244, add., 240, add.). Le problème est cependant qu'elle ne le peut pas tant en vertu de son propre principe, soit l'égalité et l'independence des membres (qu'elle devrait prendre en charge), qu'en vertu de l'effet pervers du travail qui augmente la pauvreté par la sous-consommation (§245).
25 Aristote, , Éthique a Nicomaque, V, 8, 1132b 32–34, trad. Tricot, Paris, Vrin, 1990, p. 239.Google Scholar
26 Kant, Metaphysique des mœurs, §49, E., p. 157.
27 Ibid., p. 158.
28 Tiré d'un lexique récemment paru, l'article intitulé Châtiment-punition commence de manière significative comme suit: «Le châtiment est très généralement un mal infligé à autrui parce qu'il a commis un acte répréhensible; ou le mal subi par l'auteur de cet acte» (Höffe, Otfried, dir., Petit dictionnaire d'éthique, Paris, Cerf; Fribourg, Éditions universitaires de Fribourg, 1993, p. 36)Google Scholar. Un fragment publié par Rosenkranz, intitulé Oeffentliche Todesstrafe, et que je ne saurais dater, montre que les exécutions publiques répugnent à Hegel justement en vertu de ce caractère. Dans ce même fragment, Hegel va même jusqu'à exprimer un point de vue qui rappelle singulièrement celui de Hobbes concernant le droit naturel inaliénable de résistance d'un individu : «Ich denke, bei diesem letzten Augenblick empfinden wir es, dass einem Menschen sein Recht, sich für sein Leben zu wehren, entzogen ist» (Rosenkranz, Karl, Georg Wilhelm Friedrich Hegels Leben, Darmstadt, WBG, 1977, p. 527)Google Scholar. Sur la conception hobbesienne, cf. Zarka, Yves Charles, Hobbes et la pensée politique moderne, Paris, PUF, 1995, p. 231.Google Scholar
29 Pour ce qui est des conséquences décisives sur l'ordre politique qu'entraîne la question du droit de punir dans la perspective contractualiste qui est exemplairement marquée par Hobbes, on consultera avec profit le chapitre X du livre de Zarka déjà mentionné.
30 Cf. Hegel, Phénoménologie de l'esprit, t. 2, p. 14 à 49.
31 Hegel, G. W. F., L'esprit du christianisme et son destin, Paris, Vrin, 1971, p. 50.Google Scholar
32 «L'aneantissement de la vie [c'est-à-dire le crime] n'est pas un non-être de la vie, mais sa scission, et l'anéantissement consiste dans sa métamorphose en un ennemi. La vie est immortelle et une fois tuée elle apparaît sous les traits de son fantôme terrifiant qui déploie toutes ses ramifications, qui déchaîne ses Euménides. L'illusion du criminel qui croit avoir détruit une vie étrangère et accru par là son être, se dissipe. […] Le criminel croyait avoir affaire à une vie étrangère, mais il n'a détruit que sa propre vie […]» (ibid., p. 49–50).
33 Cf. ibid., p. 45–46.
34 Hegel, Phénoménologie de l'esprit, t. 2, p. 38.
35 Hegel, L'esprit du christianisme et son destin, p. 53 [a].
36 Hegel, Phénoménologie de l'esprit, t. 2, p. 38.
37 Hegel, L'esprit du christianisme et son destin, p. 54.
38 Jean-Louis Vieillard-Baron a souligné la presence du thème du tragique dans la Philosophic du droit: «Ce tragique consiste spécifiquement en ce que la possibilité de la réalisation effective de l'ldée du droit implique la nécessité de son contraire, le mal. Il y a chez Hegel une tragique inévitabilité du mal dans l'effectuation de l'ldée du droit» (Phd., trad. Vieillard-Baron, p. 34). Je ne peux toutefois pas être pleinement d'accord avec lui lorsqu'il affirme (p. 36) que le tragique au niveau du droit abstrait réside dans l'incapacité du droit à effectuer la rétribution du crime autrement que comme une vengeance et qu'il faut pour cela faire appel à une justice idéale qui, elle, punit.
39 Hegel, G. W. F., Leçons sur laphilosophie de l'histoire, Paris, Vrin, 1987, p. 215.Google Scholar
40 von Schelling, F. W. J., Lettres philosophiques sur le dogmatisme et le criticisme, dans Premiers écrits (1794–1795), trad. J.-F. Courtine, Paris, PUF, 1987, p. 159Google Scholar. Déjà dans son texte programmatique de la même époque intitulé Du Moi comme principe de la philosophe, ou sur l'inconditionné dans le savoir humain, Schelling écrivait: «C'est pour la philosophie une entreprise audacieuse que de liberer l'humanite et de la soustraire aux terreurs du monde objectif. […] Que l'on donne à l'homme la conscience de ce qu'il est, et il apprendra bientôt à devenir ce qu'il doit être» (Schelling, Premiers écrits (1794–1795), p. 56). La liberté qui constitue l'essence du moi et le point de départ de la philosophie devait done d'abord connaître une réalisation théorique.
41 Le problème directeur n'est done pas désormais la détermination de l'être de l'absolu comme moi ou encore comme objet, mais «l'énigme du monde, la question de savoir comment l'absolu peut sortir de soi-même et s'opposer un monde» (Schelling, Lettres philosophiques sur le dogmatisme et le criticisme, p. 180).
42 Ibid., p. 153.
43 Ibid., p. 191–192.
44 Ibid., p. 199.
46 Ibid., p. 208.
47 Ibid., p. 209.
48 Ibid., p. 209. Pour une discussion plus détaillée du rapport entre l'esthétique et l'intuition intellectuelle, on se reportera à la postface de Courtine, notamment p. 254 sq.
49 Cf. l'extrait de la huitieme Lettre cité par Courtine (ibid., p. 251).
50 Ibid., p. 210.
51 Cf. Seelmann, Kurt, «Wechselseitige Anerkennung und Unrecht. Strafe als Postulat der Gerechtigkeit?», Archiv für Rechts- und Sozialphilosophie, vol. 73 (1997), p. 228, 234.Google Scholar
52 «[…] il faut une politique économique» (Weil, Éric, Hegel et l'État. Cinq conférences suivies de Marx et la philosophie du droit, Paris, Vrin, 1994, p. 93).Google Scholar
53 Phd., §324, trad. Vieillard-Baron, p. 378. Contrairement à ce dernier, mais à l'instar des autres traducteurs, je pense qu'il faut prendre ici le terme «idée» dans son sens usuel. Cf. Weil, Hegel et l'État, p. 84, la note 25.
54 Cf. Ricoeur, Le juste, p. 11, 106–107; Ricœur, Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 231.Google Scholar
55 Cité d'après Seelmann, «Wechselseitige Anerkennung und Unrecht. Strafe als Postulat der Gerechtigkeit?», p. 231.
56 Dans un contexte politique où règne l'injustice, la rébellion pourrait d'ailleurs être légitime comme le remarque Seelmann (ibid., p. 230–231).
57 Sur la présence de cette requête au paragraphe 228 de la Philosophie du droit, cf. Stillman, Peter G., «Hegel's Idea of Punishment», Journal of the History of Philosophy, vol. 14, (1976), p. 180–181.CrossRefGoogle Scholar
58 «Ne faudrait-il pas dire, à titre d'idéal au moins, que la sanction aurait attaint son but, rempli sa finalité, si la peine était, sinon acceptée, du moins comprise par qui la subit? […] Du moins pouvons-nous retenir de l'argument de Hegel que seul un être raisonnable peut être puni. Tant que la sanction n'a pas été reconnue elle-même pour raisonnable par le condamné, elle n'a pas atteint ce dernier comme être raisonnable» (Ricœur, Le juste, p. 200–201). Notons que si ce consentement constitue un idéal, il n'en est pas moins possible contrairement à ce que soutient, parmi d'autres, Hobbes. L'expérience montre en effet qu'il y a des criminels qui reconnaissent leur crime et qui acceptent leur peine. On peut raisonnablement penser qu'une telle possibilité s'accroît du fait que l'accusé peut avoir un véritable procès et que la peine n'est pas cruelle. Ce qui exclut la peine de mort.
59 Ricoeur, Soi-même comme un autre, p. 233.
60 Rappelons la célèbre définition aristotélicienne de la justice comme un bien étranger.