Introduction
Le manque d’engagement dans des occupations constitue un enjeu majeur pour les résidents en centre d’hébergement. « L’occupation fait référence à l’ensemble des activités et tâches de la vie quotidienne auxquelles les individus et les différentes cultures donnent un nom, une structure, une valeur et une signification. L’occupation comprend tout ce qu’une personne fait pour prendre soin d’elle (soins personnels), se divertir (loisirs) et contribuer à l’édifice économique et social de la communauté (productivité) » (Association canadienne des ergothérapeutes, 2002, p. 202). Plusieurs études démontrent que les personnes âgées ayant un trouble neurocognitif vivant en centre d’hébergement passent la majorité de leur temps sans être engagées dans une occupation (Cohen-Mansfield, Dakheel-Ali, & Marx, Reference Cohen-Mansfield, Dakheel-Ali and Marx2009; Wood, Womack, & Hooper, Reference Wood, Womack and Hooper2009). Un trouble neurocognitif (ou démence) est caractérisé par des atteintes dans un ou plusieurs domaines cognitifs qui affectent le fonctionnement quotidien et représente un déclin par rapport au niveau de fonctionnement antérieur (American Psychiatric Association, 2015; Société Alzheimer de l’Ontario, 2022). L’engagement est défini comme l’action de se mobiliser ou de participer à une occupation (Houghton Mifflin Company, 2004). Un faible niveau d’engagement dans des occupations est associé à la solitude, à l’ennui et à une diminution du fonctionnement et de l’affect (Cohen-Mansfield, Dakheel-Ali, Jensen, Marx, & Thein, Reference Cohen-Mansfield, Dakheel-Ali, Jensen, Marx and Thein2012; Schreiner, Yamamoto, & Shiotani, Reference Schreiner, Yamamoto and Shiotani2005). Fahlman et ses collaborateurs (Fahlman, Mercer-Lynn, Flora, & Eastwood, Reference Fahlman, Mercer-Lynn, Flora and Eastwood2013) définissent l’ennui comme « l’expérience d’être désengagé du monde et coincé dans un présent apparemment sans fin et insatisfaisant […] l’expérience aversive de vouloir, mais d’être incapable de s’engager dans une activité stimulante et satisfaisante » (traduction libre) (p. 68). Cette conception de l’ennui suggère qu’il serait associé au manque d’interaction entre la personne et son environnement.
L’agitation, l’errance et l’apathie sont des comportements réactifs communs chez les personnes âgées ayant un trouble neurocognitif (Brodatry & Burns, Reference Brodatry and Burns2012; Voyer & Bourque, Reference Voyer, Bourque and Voyer2013). L’agitation est définie comme un comportement socialement inapproprié, comprenant des gestes moteurs répétitifs ainsi que des comportements physiques ou verbaux pouvant être associés à de l’agressivité (Cohen-Mansfield, Marx, & Rosenthal, Reference Cohen-Mansfield, Marx and Rosenthal1990). En centre d’hébergement, l’agitation peut représenter un risque à la sécurité de la personne et de son entourage et déranger les autres résidents et l’équipe de soins. Selon Algase et ses collaborateurs (Reference Algase, Moore, Vandeweerd and Gavin-Dreschnack2007), l’errance est définie comme un comportement fréquent de locomotion dans l’espace sans but perceptible ou une déambulation qui semble désorientée, pouvant se manifester par des patrons observables (ex. : même trajet effectué en boucle, allers-retours répétés entre deux points) ou par des déplacements en apparence aléatoires. L’errance peut être associée à des risques de chute, de fuite ou d’égarement (Algase, Moore, Vandeweerd, & Gavin-Dreschnack, Reference Algase, Moore, Vandeweerd and Gavin-Dreschnack2007; Lai & Arthur, Reference Lai and Arthur2003). Quant à l’apathie, elle est caractérisée par une diminution de manifestations d’émotions, d’intérêt ou de motivation, ainsi que par une réduction des comportements dirigés vers un but et de la réactivité aux stimuli de l’environnement (Robert et al., Reference Robert, Onyike, Leentjens, Dujardin, Aalten and Starkstein2009). L’apathie contribue au déclin de la cognition et du fonctionnement quotidien, entraînant une diminution de l’autonomie et parfois une altération des relations interpersonnelles (Massimo, Kales, & Kolanowski, Reference Massimo, Kales and Kolanowski2018). Outre leurs effets sur les personnes âgées elles-mêmes, les comportements réactifs d’agitation, d’errance et d’apathie peuvent engendrer, entre autres, un sentiment d’impuissance, de l’épuisement ou de la dépression chez les aidants (Bourque & Voyer, Reference Bourque, Voyer and Voyer2021).
Chez les personnes présentant des troubles neurocognitifs, le manque d’engagement peut mener à l’apparition de comportements réactifs (Cohen-Mansfield, Reference Cohen-Mansfield2000). Un comportement réactif réfère à une réponse en geste, en actions ou en mots (ex. : errance, agitation, apathie) d’une personne qui a des atteintes cognitives face à son environnement social, personnel ou physique pour communiquer un besoin ou un sentiment d’inquiétude (Société Alzheimer de l’Ontario, 2017). Dans l’étude de Cohen-Mansfield et ses collaborateurs (Reference Cohen-Mansfield, Dakheel-Ali, Marx, Thein and Regier2015), trois besoins non comblés prédominants ont été identifiés chez 89 résidents ayant des troubles neurocognitifs en centre d’hébergement : le besoin d’interaction sociale (solitude), la privation sensorielle (ennui) et le besoin d’occupations significatives. Ces besoins non comblés, associés à un manque d’engagement, peuvent s’expliquer par la combinaison des effets des troubles neurocognitifs qui entraînent une difficulté croissante à communiquer ces besoins et à trouver une manière appropriée pour y répondre. Des déficits sensoriels liés à l’âge, à la monotonie de l’environnement des centres d’hébergement et des interventions inadaptées effectuées par l’environnement humain (ex. : soignant) ou au niveau de l’environnement non humain (ex. : environnement construit ou physique) constituent certains des éléments qui ne permettent pas de répondre adéquatement aux besoins exprimés lors de comportements réactifs (Cohen-Mansfield, Dakheel-Ali, Marx, Thein, & Regier, Reference Cohen-Mansfield, Dakheel-Ali, Marx, Thein and Regier2015; Hancock, Woods, Challis, & Orrell, Reference Hancock, Woods, Challis and Orrell2006).
Selon le Modèle de l’engagement (Comprehensive Process Model of Engagement) de Cohen-Mansfield et ses collaborateurs (Cohen-Mansfield, Thein, Dakheel-Ali, & Marx, Reference Cohen-Mansfield, Thein, Dakheel-Ali and Marx2010), l’engagement d’un individu dans une occupation est influencé par des facteurs personnels (ex. : fonction cognitive, intérêt) et environnementaux (ex. : lieu, personnes présentes, luminosité, température). Selon ce modèle, le niveau d’engagement de la personne influence son affect qui modifie, ensuite, ses comportements. Certaines études ont démontré que l’engagement augmente l’affect positif, aidant ainsi à réduire l’agitation (Buettner, Lundegren, Lago, Farrell, & Smith, Reference Buettner, Lundegren, Lago, Farrell and Smith1996; Cohen-Mansfield & Werner, Reference Cohen-Mansfield and Werner1997). Pour répondre aux besoins des personnes et diminuer ainsi l’expression de comportements réactifs, agir sur le niveau d’engagement des personnes avec des troubles neurocognitifs en apportant des modifications aux facteurs personnels et environnementaux s’avère une voie à explorer. Il s’avère alors pertinent de s’intéresser aux interventions touchant l’environnement humain et non humain permettant de réduire les comportements réactifs en optimisant l’engagement. Ces types d’intervention concordent avec les orientations du plan d’action gouvernemental du Québec 2018–2023 (Gouvernement du Québec, 2018) encourageant les approches non pharmacologiques et l’amélioration de la formation offerte au personnel pour réduire l’usage des médicaments antipsychotiques dans la gestion des comportements réactifs chez les résidents en centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD).
Au niveau de l’environnement non humain, des recommandations liées à l’aménagement des milieux de vie de la clientèle âgée ayant des troubles neurocognitifs sont proposées dans la littérature. Par exemple, la recension des écrits de Mathiasen et ses collaborateurs (Mathiasen, Kirkeby, & Sigbrand, Reference Mathiasen, Kirkeby and Sigbrand2018) fait ressortir quatre aspects du design des centres d’hébergement qui répondent à des besoins spécifiques pour cette population, soit une atmosphère chaleureuse et familière, une stimulation sensorielle, un contact avec la nature et la vie en petits groupes. Plusieurs projets d’habitations suivent ces recommandations. Par exemple, le gouvernement du Québec a annoncé le projet de Maisons des aînés qui vise à adapter certains CHSLD pour les rendre plus modernes, plus fonctionnels et centrés sur les besoins des personnes âgées vivant avec des troubles neurocognitifs en tentant de recréer un milieu de vie ressemblant à celui du domicile. Ce type d’établissement sera composé d’unités de vie qui regroupent chacune 12 résidents partageant des caractéristiques et des intérêts similaires, des chambres individuelles avec une salle de toilette privée, des espaces communs favorisant l’engagement des résidents et de leurs proches dans des activités. Il offre une conception réduisant toute ressemblance avec le milieu institutionnel, notamment avec des postes infirmiers dissimulés et des espaces extérieurs accessibles, sécuritaires et ouverts à la communauté (Labbé, Reference Labbé2019; Ministère de la Santé et des services sociaux du Québec, 2019). Un autre exemple est un village spécialement conçu pour les personnes présentant des troubles neurocognitifs, ouvert depuis 2019 en Colombie-Britannique. Le village nommé The Village est basé sur le modèle européen Hogeweyk Care Concept (ou Dementia village) offrant des soins centrés sur la personne dans des environnements plus petits avec un décor moins institutionnel. Il est composé de 6 maisons, ressemblant à des chalets au décor familier, comprenant 12–13 chambres privées avec salle de bain attenante. Les pièces communes sont aménagées pour encourager l’occupation, la socialisation et l’engagement. Sur son terrain clôturé (2 hectares), le village comprend des commerces (ex. : épicerie, salon de coiffure) ainsi que des espaces extérieurs aménagés et accessibles aux résidents comme des jardins sensoriels, des potagers et des sentiers pédestres. Le concept de village offre une liberté de déplacements aux résidents favorisant ainsi les interactions sociales et une vie plus active (Cucchi, Reference Cucchi2019; The Village Langley, 2020). De plus, il est possible d’effectuer des aménagements dans des environnements déjà existants pour les rendre plus adaptés aux besoins des personnes atteintes de troubles neurocognitifs, par exemple : camoufler les équipements médicaux pour diminuer l’aspect institutionnel de l’environnement physique ou personnaliser les chambres des résidents avec des objets qui leur sont familiers et significatifs pour améliorer leur capacité à s’orienter et pour diminuer leur anxiété (Voyer & Allaire, Reference Voyer and Allaire2020).
Des études s’intéressent aux effets des interventions non pharmacologiques spécifiquement sur la réduction des comportements d’agitation chez les personnes âgées vivant avec des troubles neurocognitifs, comme celle de Kong, Evans, and Guevara (Reference Kong, Evans and Guevara2009). Ces derniers concluent que le type d’intervention statistiquement significatif pour réduire les comportements d’agitation sont les interventions basées sur la stimulation sensorielle, alors que les modifications de l’environnement et la formation des soignants, entre autres, ne s’avèrent pas être significativement efficaces pour réduire l’agitation. D’autres recensions (Robinson et al., Reference Robinson, Hutchings, Dickinson, Corner, Beyer and Finch2007; Theleritis, Siarkos, Politis, Katirtzoglou, & Politis, Reference Theleritis, Siarkos, Politis, Katirtzoglou and Politis2018) abordent l’efficacité de différentes interventions pour réduire les comportements d’errance et d’apathie, considérant principalement des interventions basées sur l’occupation. Des recensions des écrits documentent l’influence de l’environnement non humain, dans les centres d’hébergement, sur les comportements (ex. agitation, errance) et le bien-être des résidents; des liens entre le bien-être des résidents et leur engagement sont parfois mentionnés sans toutefois être élaborés (Chaudhury, Cooke, Cowie, & Razaghi, Reference Chaudhury, Cooke, Cowie and Razaghi2018; Marquardt, Bueter, & Motzek, Reference Marquardt, Bueter and Motzek2014). Ces recensions des écrits indiquent plusieurs éléments qui influencent favorablement les comportements et le bien-être des résidents tel que la taille des unités et un décor de type résidentiel. Dans les études de Chaudhury et collaborateurs (Reference Chaudhury, Cooke, Cowie and Razaghi2018) et Marquardt et collaborateurs (Reference Marquardt, Bueter and Motzek2014), le concept d’engagement avec l’environnement humain et non humain est rarement abordé et mesuré. Par conséquent, la présente étude vise à répondre à la question suivante : « Quels sont les moyens d’intervention au niveau de l’engagement avec l’environnement humain et non humain qui diminuent les comportements d’errance, d’apathie et d’agitation chez les personnes âgées ayant des troubles neurocognitifs vivant en centre d’hébergement? »
Modèle de compétence
Le Modèle de compétence s’intéresse à la relation entre la personne et son environnement (Rousseau, Reference Rousseau and Morel-Bracq2017) qui sont constamment en interaction et qui s’influencent mutuellement. Au niveau de la personne, on considère les effets des caractéristiques physiques, cognitives, et sensorielles, des attitudes et des comportements qui agissent sur cette interaction. Au niveau de l’environnement, on considère deux dimensions : la dimension humaine référant aux individus avec qui les personnes interagissent et la dimension non humaine comprenant les éléments physiques du milieu (ex. : architecture, objets). L’interaction entre la personne et son environnement non humain se manifeste par ses activités et celle avec son environnement humain par ses rôles. Selon ce modèle, lorsque l’interaction entre la personne et son environnement est efficace (concordance entre les capacités/incapacités de la personne et les demandes/ressources de l’environnement), la personne est considérée comme étant en situation de compétence et en mesure d’accomplir ses activités et ses rôles. À l’inverse, lorsqu’il y a un manque de cohérence entre les capacités de la personne et les demandes de l’environnement, l’interaction est inefficace, et ainsi la réalisation des activités et des rôles n’est plus possible; il s’agit alors d’une situation de handicap (Rousseau, Reference Rousseau and Morel-Bracq2017).
Le Modèle de compétence sera utile pour considérer les effets de l’interaction entre les personnes âgées présentant des troubles neurocognitifs et leur environnement immédiat (humain, non humain) sur leur engagement occupationnel en centre d’hébergement. On s’intéresse particulièrement aux influences des caractéristiques de la personne (comportements réactifs liés aux troubles neurocognitifs) de même qu’aux dimensions humaines (intervenants de l’équipe de soins) et non humaines (caractéristiques physiques de l’environnement) du milieu de vie sur cette interaction (les activités et les rôles).
Méthodologie
La présente étude est une revue de la portée qui vise à présenter l’étendue des connaissances disponibles sur le sujet (Arksey & O’Malley, Reference Arksey and O’Malley2005). La méthodologie est basée sur la méthode proposée par Arksey et O’Malley (Arksey & O’Malley, Reference Arksey and O’Malley2005) modifiée par Levac et ses collaborateurs (Reference Levac, Colquhoun and O’Brien2010). Les étapes suivantes ont été effectuées : (a) identifier la question de recherche, (b) identifier les études pertinentes, (c) sélectionner les études, (d) cartographier les données, et (e) collecter, résumer et rapporter les résultats. La question de recherche était la suivante : « Quels sont les moyens d’intervention au niveau de l’engagement avec l’environnement humain et non humain qui diminuent les comportements d’errance, d’apathie et d’agitation chez les personnes âgées ayant des troubles neurocognitifs vivant en centre d’hébergement? »
Identification des études pertinentes
La recherche visait à inclure les articles portant sur les effets des interventions au niveau de l’environnement humain et non humain et sur les comportements réactifs (apathie, errance et agitation) chez les personnes présentant des troubles neurocognitifs vivant en centre d’hébergement. Les formes de maladies considérées comprenaient celles liées à la démence : d’Alzheimer, vasculaire, à corps de Lewy, la démence due à la maladie de Parkinson ou à la maladie de Huntington et la dégénérescence frontotemporale (American Psychiatric Association, 2015).
Pour identifier les études pertinentes, les bases de données suivantes ont été consultées : Medline, CINALH, Embase et Psycinfo. La stratégie de recherche était la suivante : (dementia OR alzheimer) AND [(nursing home OR homes for the aged OR residential facilities OR long term care OR housing for the eldery) OR (nursing OR aged OR elder* OR old OR care OR geriatric*) ADJ1 (center* OR home* OR facilit* OR unit*)] AND [(environment OR health facility environment OR environment design OR social environment OR facility design and construction OR nursing home design and construction OR care environment* OR environment modification* OR environment rearrangement*) OR (social OR architecture OR design* OR physic*) ADJ1 (environment* OR space OR facilit* OR home* OR unit* OR residence*)]. Les termes ont été cherchés dans le titre, le résumé et les mots-clés des articles.
Sélection des études
Les études parues de janvier 2017 à avril 2020, publiées en anglais ou en français, ont été incluses. Les revues de la littérature, peu importe le type, ont été exclues; cependant, leurs listes de références ont été consultées pour trouver des études répondant aux critères établis. La gestion des résultats a été réalisée à l’aide de l’outil Covidence. Une première sélection a été effectuée en considérant les titres et les résumés des articles, puis une deuxième à partir des textes complets de manière indépendante, par les deux étudiantes (MG, RB) en fonction des critères d’inclusion (concordance de 88%). En cas de désaccord, une troisième réviseuse (CL une collaboratrice clinicienne ou JR coauteure) a été consultée pour en arriver à une décision. Les listes de référence des articles retenus ont ensuite été consultées et les études citées répondant aux critères établis et n’ayant pas été trouvées lors de la recherche initiale ont été incluses. Au final, 21 articles ont été inclus dans la présente étude (Figure 1).
Cartographier les données
Une grille de collecte de données, basée sur le protocole Prisma (Moher, Liberati, Tetzlaff, Altman, & Group, Reference Moher, Liberati, Tetzlaff, Altman and Group2009), a été utilisée pour extraire et organiser les données tirées de chacun des articles retenus. La grille comprend (1) référence, (2) but de l’étude et hypothèses, (3) cadre conceptuel, (4) devis identifié par l’auteur, (5) type de devis selon le formulaire de révision critique élaboré par McMaster University Occupational Therapy Evidence-Based Practice Research Group (Letts et al., Reference Letts, Wilkins, Law, Stewart, Bosch and Westmorland2007), (6) cote à l’échelle Physiotherapy Evidence Database (Pedro)(Maher, Sherrington, Herbert, Moseley, & Elkins, Reference Maher, Sherrington, Herbert, Moseley and Elkins2003), (7) cote à l’outil Mixed Methods Appraisal Tool (MMAT)(Hong et al., Reference Hong, Pluye, Fabregues, Bartlett, Boardman and Cargo2018), (8) site de recherche, (9) population cible, (10) recrutement, (11) critères d’inclusion, (12) critères d’exclusion, (13) échantillon, (14) procédure de collecte des données, (15) instruments d’évaluation, (16) analyse des résultats, (17) intervention nommée ou type d’intervention, (18) descriptions de l’intervention, (19) comportement modifié et (20) résultats. Les deux étudiantes (MG, RB) ont procédé, de manière indépendante, à l’extraction des données des cinq premiers articles pour ensuite comparer leurs résultats et modifier la grille (concordance de 85%). Les deux étudiantes ont procédé à la collecte de données des seize articles restants, individuellement, puis chacune a comparé ses grilles avec celles de sa collègue.
Collecter, résumer et rapporter les résultats
La cartographie des données a permis d’analyser les articles répondant à notre question de recherche (Arksey & O’Malley, Reference Arksey and O’Malley2005). Les articles ont été séparés selon le comportement ciblé (apathie, errance, agitation ou baisse d’engagement), puis selon le type d’intervention (basée sur l’environnement humain, non humain ou sur une combinaison des deux). L’analyse qualitative et quantitative des données recueillies a permis d’identifier les interventions, de dégager les similitudes et les différences entre les interventions présentées et leurs effets lorsque les résidents présentent de l’apathie, de l’errance, de l’agitation ou une baisse d’engagement.
Résultats
Parmi les 21 études retenues, plusieurs proviennent de l’Australie (n = 6), suivis des États-Unis (n = 3), du Canada (n = 3), du Royaume-Uni (n = 2), de la France (n = 2), des Pays-Bas (n = 2), puis d’Israël, de la Belgique et de la Corée qui en comptent respectivement une. Afin de répondre à la question de recherche, les résultats sont structurés selon les devis des études, les populations étudiées, les variables mesurées et leurs instruments d’évaluation, ainsi que les types d’interventions et leurs effets sur les différents comportements réactifs.
Devis des études
Plus de la moitié des études présentent des devis quantitatifs (n = 13) (tableau 1), six études présentent des devis qualitatifs (tableau 2) et deux autres des devis mixtes (tableau 3). Les scores des études au MMAT varient entre 1 et 4 (cote maximale de 5) et la majorité d’entre elles obtiennent un score de 4 (moyenne = 3,14). Parmi les trois études de type essai clinique randomisé, deux études (Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Murfield, Thalib, Beattie and Shum2017; Moyle et al., Reference Moyle, Murfield, Jones, Beattie, Draper and Ownsworth2019) obtiennent un score de 8 au PEDRO (cote maximale de 11) et une autre un score de 7 (Ballard et al., Reference Ballard, Corbett, Orrell, Williams, Moniz-Cook and Romeo2018).
Population à l’étude
Les personnes âgées présentant un trouble neurocognitif constituent la population à l’étude de la plupart des articles (n = 18). Dans trois de ces études, les participants ont un diagnostic de maladie d’Alzheimer (Bautrant et al., Reference Bautrant, Grino, Peloso, Schiettecatte, Planelles and Oliver2019; Fisher & Buchanan, Reference Fisher and Buchanan2018; Inventor et al., Reference Inventor, Farran, Paun, Cothran, Rajan, Swantek and McCann2018), tandis que le type de démence n’est pas un critère d’inclusion précisé dans les autres études. De plus, un article s’intéresse aux personnes âgées avec ou sans trouble neurocognitif vivant en centre d’hébergement (Choi, Jung, & Kim, Reference Choi, Jung and Kim2018). Le niveau de sévérité des troubles neurocognitifs est précisé dans sept études : une étude cible des résidents ayant un niveau de démence léger à modéré (Lee, Chaudhury, & Hung, Reference Lee, Chaudhury and Hung2017), trois autres de modéré à sévère (Ballard et al., Reference Ballard, Corbett, Orrell, Williams, Moniz-Cook and Romeo2018; Inventor et al., Reference Inventor, Farran, Paun, Cothran, Rajan, Swantek and McCann2018; Jao, Liu, Williams, Chaudhury, & Parajuli, Reference Jao, Liu, Williams, Chaudhury and Parajuli2019) et trois de niveau sévère (Bautrant et al., Reference Bautrant, Grino, Peloso, Schiettecatte, Planelles and Oliver2019; Chang et al., Reference Chang, Edenborough, Nicholls, Johnson, Brownhill and Simard2019; Choi et al., Reference Choi, Jung and Kim2018). Le personnel soignant travaillant en centre d’hébergement auprès de personnes âgées ayant un trouble neurocognitif prend part à sept études (Berastegui, Monfort, & Boudin, Reference Berastegui, Monfort and Boudin2017; Collier & Jakob, Reference Collier and Jakob2017; Graham & Fabricius, Reference Graham and Fabricius2019; Jao, Algase, Specht, & Williams, Reference Jao, Algase, Specht and Williams2016; Moyle et al., Reference Moyle, Murfield, Jones, Beattie, Draper and Ownsworth2019; Moyle, Jones, Dwan, & Petrovich, Reference Moyle, Jones, Dwan and Petrovich2018; Van Hecke, Van Steenwinkel, & Heylighen, Reference Van Hecke, Van Steenwinkel and Heylighen2019) et deux études incluent également les familles des personnes âgées (Chang et al., Reference Chang, Edenborough, Nicholls, Johnson, Brownhill and Simard2019; Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Dwan and Petrovich2018).
Variables mesurées et instruments d’évaluation
Concernant les comportements réactifs, l’apathie est évaluée à l’aide d’instruments validés dans trois études. L’instrument Person-Environment-Apathy Rating (PEAR) scale est utilisé dans deux articles (Jao et al., Reference Jao, Liu, Williams, Chaudhury and Parajuli2019; Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Dwan and Petrovich2018) et Video Coding Protocol-Incorporating Observed Emotion scheme (VC-IOE) dans une autre étude (Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Murfield, Thalib, Beattie and Shum2017). Cinq études ont mesuré les comportements d’errance dont quatre par des observations et des entrevues (Graham & Fabricius, Reference Graham and Fabricius2017, Reference Graham and Fabricius2019; Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Dwan and Petrovich2018; Van Hecke et al., Reference Van Hecke, Van Steenwinkel and Heylighen2019), puis, pour la cinquième, en comptabilisant le nombre et la durée des épisodes d’errance, sans instrument validé (Bautrant et al., Reference Bautrant, Grino, Peloso, Schiettecatte, Planelles and Oliver2019). L’agitation est mesurée dans onze études. Le Cohen-Mansfield Agitation Inventory (CMAI) est utilisé dans quatre articles (Ballard et al., Reference Ballard, Corbett, Orrell, Williams, Moniz-Cook and Romeo2018; Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Murfield, Thalib, Beattie and Shum2017; Moyle et al., Reference Moyle, Murfield, Jones, Beattie, Draper and Ownsworth2019; Tartarini, Cooper, Fleming, & Batterham, Reference Tartarini, Cooper, Fleming and Batterham2017), dont la version courte de l’instrument pour l’un d’entre eux (Moyle et al., Reference Moyle, Murfield, Jones, Beattie, Draper and Ownsworth2019). L’instrument interRAI Long-Term Care Facilities Assessment System (interRAI LTCF) est utilisé pour mesurer l’agitation dans une étude (Choi et al., Reference Choi, Jung and Kim2018). Trois études mesurent l’agitation par observation directe sans instrument validé (Bautrant et al., Reference Bautrant, Grino, Peloso, Schiettecatte, Planelles and Oliver2019; Collier & Jakob, Reference Collier and Jakob2017; Fisher & Buchanan, Reference Fisher and Buchanan2018) et l’une d’elles utilise l’instrument Video Coding Protocol-Incorporating Observed Emotion scheme (VC-IOE) conjointement au CMAI (Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Murfield, Thalib, Beattie and Shum2017). Les comportements d’agitation sont également abordés en entrevue dans cinq études (Berastegui et al., Reference Berastegui, Monfort and Boudin2017; Chang et al., Reference Chang, Edenborough, Nicholls, Johnson, Brownhill and Simard2019; Collier & Jakob, Reference Collier and Jakob2017; Graham & Fabricius, Reference Graham and Fabricius2017; Moyle et al., Reference Moyle, Murfield, Jones, Beattie, Draper and Ownsworth2019).
L’engagement a été mesuré dans 15 articles. L’instrument Group Observational Measurement of Engagement (GOME) est utilisé dans l’étude de Cohen-Mansfield (Reference Cohen-Mansfield2020), Maastricht Electronic Daily Life Observation tool (MEDLO-tool) dans celle de De Boer et ses collaborateurs (Reference de Boer, Beerens, Katterbach, Viduka, Willemse and Verbeek2018), Dementia Care Mapping (DCM) dans celle de Lee et ses collaborateurs (Reference Lee, Chaudhury and Hung2017), Video Coding Protocol-Incorporating Observed Emotion scheme (VC-IOE) dans celle de Moyle et ses collaborateurs (Reference Moyle, Jones, Dwan and Petrovich2017) et l’instrument Revised Index for Social Engagement dans celle de Choi et ses collaborateurs (Reference Choi, Jung and Kim2018). Dans quatre études (Chu, Khosla, Khaksar, & Nguyen, Reference Chu, Khosla, Khaksar and Nguyen2017; de Boer et al., Reference de Boer, Beerens, Katterbach, Viduka, Willemse and Verbeek2018; Inventor et al., Reference Inventor, Farran, Paun, Cothran, Rajan, Swantek and McCann2018; Luyten, Braun, Jamin, van Hooren, & de Witte, Reference Luyten, Braun, Jamin, van Hooren and de Witte2018), l’engagement est mesuré par observation (grille d’observation ou description) ou par entrevue (Chang et al., Reference Chang, Edenborough, Nicholls, Johnson, Brownhill and Simard2019; Graham & Fabricius, Reference Graham and Fabricius2017, Reference Graham and Fabricius2019; Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Dwan and Petrovich2018; Van Hecke et al., Reference Van Hecke, Van Steenwinkel and Heylighen2019). Des comportements en lien avec l’engagement sont mesurés dans trois études : dans l’étude de Lee et ses collaborateurs (Reference Lee, Chaudhury and Hung2017) les comportements de retrait sont mesurés avec l’instrument Multidimensional Observation Scale for Elderly Subjects (MOSES); dans celle de Ballard et ses collaborateurs (Reference Ballard, Corbett, Orrell, Williams, Moniz-Cook and Romeo2018); la qualité des interactions positives entre les patients et le personnel soignant est mesurée à l’aide de l’outil Quality of Interaction Scale (QUIS); puis, dans celle de Choi et ses collaborateurs (Reference Choi, Jung and Kim2018), la réduction de l’interaction sociale est évaluée à l’aide de interRAI-LTCF.
Types d’interventions et leurs effets sur les comportements réactifs
Interventions au niveau de l’environnement non humain
Dans deux études, les auteurs analysent les effets d’interventions de loisirs impliquant des robots. L’étude de Moyle et ses collaborateurs (Reference Moyle, Jones, Murfield, Thalib, Beattie and Shum2017) évalue les effets de séances individuelles non dirigées avec PARO, un robot sous les traits d’un bébé phoque, sur l’engagement, l’apathie et l’agitation. Cette étude démontre que, lorsque les fonctionnalités robotiques sont activées, les résidents montrent un engagement visuel et verbal significativement plus élevé avec l’objet que le groupe pour lequel les fonctionnalités robotiques sont désactivées. La même étude démontre que l’utilisation de PARO améliore l’affect des résidents après 10 semaines d’interventions en comparaison aux séances de soins réguliers et qu’elle semble efficace pour réduire l’agitation lorsqu’évaluée par observation; toutefois aucune diminution statistiquement significative n’est démontrée. Dans une autre étude des mêmes auteurs (Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Dwan and Petrovich2018), les séances non dirigées avec des poupées ressemblant à des bébés semblent diminuer l’agitation; toutefois, les résultats ne sont pas statistiquement significatifs. De plus, dans cette dernière étude, le personnel soignant perçoit une réduction des comportements d’errance chez les résidents. L’étude de Chu et ses collaborateurs (Reference Chu, Khosla, Khaksar and Nguyen2017) évalue les effets de séances d’activités de groupe avec un autre type de robots, soit des robots sociaux qui jouent au bingo et chantent des chansons; cette étude démontre que la majorité des résidents s’engagent positivement en interagissant avec les robots, ce qui conduit à une amélioration de leurs interactions sociales.
Deux études de Graham et Fabricus (Reference Graham2017; Reference Graham and Fabricius2019) évaluent les effets de murales peintes camouflant les portes d’une unité fermée sur l’engagement et sur les comportements de recherche de sortie ou de fuite. Les deux études s’entendent sur l’efficacité de murales peintes camouflant les portes d’une unité fermée pour aider à réduire la fréquence des comportements de tentatives de sortie. Selon le personnel de l’unité, la murale est particulièrement efficace pour diminuer les comportements chez les nouveaux résidents puisqu’ils ne réalisent pas qu’il s’agit d’une porte (Graham & Fabricius, Reference Graham and Fabricius2017). L’une des études intègre aussi des aimants interactifs sur la murale qui représentent des objets familiers (ex. : vase, trophée) que les résidents peuvent manipuler (Graham & Fabricius, Reference Graham and Fabricius2019). Dans cette étude, les résidents s’engagent de différentes manières avec les aimants sur la murale; par exemple, en les explorant visuellement, en les manipulant et les déplaçant ou en les transportant avec eux sur l’unité. Certains membres du personnel rapportent que la murale suscite des interactions sociales positives avec les résidents, mais certains perçoivent également qu’ils ont un rôle à jouer au niveau de la gestion des aimants afin de permettre aux résidents d’en bénéficier (ex. : intervenir pour éviter les altercations lorsque deux résidents sont à la murale au même moment, nettoyer les aimants, les récupérer dans l’unité à la fin de la journée). Dans une autre étude de Graham et Fabricus (Reference Graham and Fabricius2017), la murale sans aimant suscite également l’engagement des résidents qui la regardent attentivement et tentent de toucher les objets peints sur la porte et les murs, comme s’ils étaient en trois dimensions.
Dans quatre études, les auteurs observent l’influence de l’environnement non humain (stimuli sensoriels, organisation de l’espace) sur l’engagement et les comportements des résidents (Cohen-Mansfield, Reference Cohen-Mansfield2020; Lee et al., Reference Lee, Chaudhury and Hung2017; Tartarini et al., Reference Tartarini, Cooper, Fleming and Batterham2017; Van Hecke et al., Reference Van Hecke, Van Steenwinkel and Heylighen2019). L’étude de Cohen-Mansfield (Reference Cohen-Mansfield2020), examinant la relation entre les caractéristiques environnementales et l’engagement des participants pendant les activités de groupe, montre qu’un bruit de fond élevé diminue le niveau d’engagement. L’étude de Van Hecke et ses collaborateurs (Reference Van Hecke, Van Steenwinkel and Heylighen2019) démontre que, en plus de considérer l’orientation spatiale pour offrir suffisamment de lumière naturelle, la conception de l’espace de circulation dans l’unité doit assurer un environnement qui permet de circuler librement sans obstacle, ainsi que des aires de repos afin de favoriser l’engagement dans les déplacements et les interactions sociales. Concernant l’errance, l’étude de Van Hecke et ses collaborateurs (Reference Van Hecke, Van Steenwinkel and Heylighen2019) rapporte que les autocollants ou les affiches pour camoufler les portes de sortie semblent inefficaces. L’étude de Lee et ses collaborateurs (Reference Lee, Chaudhury and Hung2017) compare les comportements de résidents vivant dans deux types d’unités de soins : une petite unité avec un décor familier (12 chambres individuelles, petit corridor) et une grande unité dite traditionnelle (15 chambres doubles, grand corridor). L’étude montre que l’unité de petite taille comporte des caractéristiques plus positives dans la conception, dont la qualité de l’éclairage et des stimuli visuels, tactiles et acoustiques, et offre une atmosphère plus familiale. Les résidents de cette unité démontrent un engagement plus élevé avec leur environnement, alors que ceux de la plus grande unité interagissent pendant de plus courtes périodes et adoptent davantage de comportements de retrait (Lee et al., Reference Lee, Chaudhury and Hung2017). Une autre étude décrit l’impact de la température ambiante sur les comportements d’agitation et montre que leur fréquence augmente significativement lorsque la température intérieure s’éloigne de 22,6 °C, peu importe si elle augmente ou si elle diminue (Tartarini et al., Reference Tartarini, Cooper, Fleming and Batterham2017).
Interventions au niveau de l’environnement humain
Trois études s’intéressent aux soignants qui constituent le principal environnement humain avec lequel les résidents en centre d’hébergement interagissent (Ballard et al., Reference Ballard, Corbett, Orrell, Williams, Moniz-Cook and Romeo2018; Choi et al., Reference Choi, Jung and Kim2018; Jao et al., Reference Jao, Liu, Williams, Chaudhury and Parajuli2019). L’étude de Jao et ses collaborateurs (Reference Jao, Algase, Specht and Williams2019) analyse les impacts des caractéristiques des stimulations environnementales fournies lors d’interactions en dyades résidents-soignants pendant les soins. Deux caractéristiques, parmi six, sont identifiées comme étant statistiquement associées à une réduction de l’apathie, soit un stimulus adapté aux besoins et préférences du résident et un stimulus qui encourage l’expression ou l’engagement du résident (ex. : rétroaction). Les quatre autres caractéristiques environnementales évaluées (clarté et force de stimulation, accessibilité physique, et implication dans l’interaction) ne sont pas associées à l’apathie.
L’étude de Ballard et ses collaborateurs (Reference Ballard, Corbett, Orrell, Williams, Moniz-Cook and Romeo2018) étudie les effets du programme Well-being and Health for People Living with Dementia (WHELD), un programme de formation offert au personnel qui promeut des soins centrés sur les besoins, les capacités et les intérêts des résidents en centre d’hébergement. Suite à la formation du personnel, les auteurs rapportent une diminution significative de l’agitation chez les résidents atteints d’Alzheimer en comparaison aux soins réguliers. Selon l’étude de Choi et ses collaborateurs (Reference Choi, Jung and Kim2018), les relations inconfortables avec des membres du personnel ou d’autres résidents constituent l’un des facteurs les plus importants engendrant l’agitation chez les résidents atteints de troubles neurocognitifs. De plus, cette étude démontre que l’engagement social n’est pas associé significativement aux comportements d’agitation chez les résidents ayant un trouble neurocognitif, alors qu’il est le facteur contributif le plus important des comportements d’agitation chez les résidents sans trouble neurocognitif.
Interventions au niveau de l’environnement humain et non humain combinées
L’étude de Fisher et Buchanan (Fisher & Buchanan, Reference Fisher and Buchanan2018) mesure les effets d’une intervention qui consiste à présenter à une résidente un objet correspondant à ses préférences (ex. : vidéo de bébé, boîte à musique) et à l’orienter vers cet objet pendant que les soins sont prodigués. Celle-ci montre une diminution importante des comportements d’agressivité verbale (réduction de 75 %) et physique (réduction de 70 %) chez cette résidente connue pour avoir des comportements agressifs lors des soins.
Deux études s’intéressent à des interventions s’inscrivant dans une approche sensorielle qui font intervenir à la fois l’environnement humain et non humain. D’abord, l’étude de Collier et Jakob (Collier & Jakob, Reference Collier and Jakob2017) explore les perceptions du personnel soignant par rapport à l’utilisation d’espaces multisensoriels en centre d’hébergement auprès de personnes âgées ayant des troubles neurocognitifs, soit des environnements comprenant des équipements qui stimulent les cinq sens (ex. : fibres optiques, diffuseur d’arômes, système de son avec musique apaisante). Le personnel perçoit ces espaces comme étant bénéfiques aux résidents ayant habituellement de la difficulté à s’engager dans une activité en raison de la sévérité de leur condition. Les espaces sensoriels semblent avoir un effet calmant sur les résidents présentant des troubles neurocognitifs lorsqu’ils sont agités ou agressifs, particulièrement chez ceux ayant un niveau de maladie sévère. Le personnel trouve également que l’utilisation d’équipements sensoriels est favorable à l’amélioration de leur relation avec le résident. Toutefois, plusieurs membres du personnel rapportent ne pas savoir comment utiliser l’équipement multisensoriel ou aménager un espace sensoriel de manière optimale pour répondre aux besoins des résidents. Chang et ses collaborateurs (Reference Chang, Edenborough, Nicholls, Johnson, Brownhill and Simard2019), quant à eux, étudient les éléments de réussite de la formation du personnel Namaste Care Program axée sur l’intégration d’occupations individualisées de stimulation sensorielle dans un environnement calme. Les auteurs rapportent que l’utilisation d’une gamme d’objets qui stimulent les sens (ex. : musique, odeurs) suscite des souvenirs et favorise l’interaction, la communication verbale et non verbale, ainsi que l’engagement des résidents ayant des troubles neurocognitifs.
Deux études comparent les comportements des résidents dans des milieux de soins ayant différentes caractéristiques au niveau de l’environnement humain et non humain (de Boer et al., Reference de Boer, Beerens, Katterbach, Viduka, Willemse and Verbeek2018; Inventor et al., Reference Inventor, Farran, Paun, Cothran, Rajan, Swantek and McCann2018). L’étude d’Inventor et ses collaborateurs (Reference Inventor, Farran, Paun, Cothran, Rajan, Swantek and McCann2018) compare l’impact de différents facteurs environnementaux sur les comportements négatifs (ex. : agressivité physique ou verbale, un manque de coopération ou des comportements répétitifs) des résidents d’une unité de soins spécialisée pour les troubles neurocognitifs avec ceux vivant dans une unité traditionnelle hébergeant à la fois des résidents présentant ou non un diagnostic de trouble neurocognitif. Les résultats ne montrent aucune différence significative dans le nombre total de comportements d’agitation ou de grimacement chez les résidents des deux types d’unités (stade de maladie modéré à sévère); cependant les résidents des unités spécialisées présentaient davantage de comportements de type agressifs. L’étude montre aussi que les résidents d’unités de soins spécialisés (troubles neurocognitifs) s’engagent davantage dans des activités structurées ou de groupes et qu’ils passent plus de temps en dehors de leurs chambres en présence de résidents et d’autres personnes, alors que ceux vivant dans des unités traditionnelles participent plutôt à des activités solitaires et sont plus isolés. L’étude de De Boer et ses collaborateurs (Reference de Boer, Beerens, Katterbach, Viduka, Willemse and Verbeek2018), qui compare trois unités dans des résidences de petite taille, montre un plus grand taux de participation dans un environnement plus petit et familier (ex. : employés ne portant pas d’uniforme, contrôle des résidents sur l’heure du lever et du coucher). Ce type d’environnement est mesuré par l’outil OAZIS-Dementia et réfère à des aspects environnementaux non humains, comme un décor familier et des aspects organisationnels, tels que la possibilité pour les résidents de décider à quelle heure ils souhaitent se lever et se coucher.
L’étude de Bautrant et ses collaborateurs (Reference Bautrant, Grino, Peloso, Schiettecatte, Planelles and Oliver2019) évalue les impacts du réaménagement d’une unité de soins à la fois en modifiant l’environnement humain (ex. : couleur des uniformes) et non humain (ex. : l’augmentation de l’éclairage durant la journée, l’utilisation de musique apaisante durant la nuit, les murs peints en beige clair). Suite au réaménagement de l’unité, l’étude démontre 1) une diminution significative du nombre et de la durée des épisodes d’errance et 2) une réduction significative du nombre d’épisodes d’agitation et de comportements agressifs ainsi qu’une réduction de leur durée moyenne, particulièrement lors des heures tardives.
L’étude de Graham et Fabricus (Reference Graham2017) analyse le processus de création d’une murale de diversion sur la porte de sortie d’une unité de soins fermée ainsi que ses effets à long terme sur les comportements des résidents. Les auteurs rapportent une diminution de l’agitation des résidents pendant les séances de peinture lorsque l’artiste est présente sur l’unité. Ils rapportent aussi que la présence de l’artiste sur l’unité pour peindre la murale attire l’attention des résidents qui s’approchent d’elle pour observer et pour discuter, entre autres, d’aspects esthétiques ou d’éléments de la murale et de souvenirs suscités par cette dernière. Les résidents ont eu l’opportunité de contribuer à la murale en choisissant le design et en faisant des suggestions lors de sa confection.
Dans deux études, les auteurs mesurent les effets d’activités guidées faisant intervenir des éléments technologiques sur l’engagement et le niveau d’apathie des résidents. L’étude de Luyten et ses collaborateurs (Reference Luyten, Braun, Jamin, van Hooren and de Witte2018) évalue les effets de séances de groupe avec VENSTER, une installation d’art interactif sous la forme d’un écran reproduisant une fenêtre. L’étude montre que les séances permettent d’évoquer des interactions avec l’environnement humain qui ont majoritairement lieu entre un résident et un soignant, ainsi que des interactions entre les résidents et l’installation d’art interactif. Le contenu présentant des scènes interactives est plus efficace pour générer des réponses chez les résidents en comparaison aux scènes apaisantes et stimulantes. Toutefois, la majorité des interactions humaines sont initiées par les soignants, et l’engagement actif des résidents avec VENSTER (ex. : pointer l’écran, faire des gestes, taper des mains) est la plupart du temps encadré initialement par un soignant (Luyten et al., Reference Luyten, Braun, Jamin, van Hooren and de Witte2018). L’étude de Moyle et ses collaborateurs (Reference Moyle, Jones, Dwan and Petrovich2018) indique que l’expérimentation d’une forêt en réalité virtuelle lors de séances individuelles guidées par un animateur entraîne une diminution significative de l’apathie des résidents pendant l’expérience, mais qui n’est pas maintenue après l’exposition (Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Dwan and Petrovich2018).
Dans leur étude, Berastegui et ses collaborateurs (Reference Berastegui, Monfort and Boudin2017) ont développé un diagramme d’analyse clinique et d’aide à la prise de décision pour gérer les comportements d’agitation verbale. Ce dernier, basé sur l’expérience de professionnels travaillant auprès de personnes âgées présentant des troubles neurocognitifs, indique que la cible des interventions doit être l’élément déclencheur du comportement. Cinq principaux éléments déclencheurs des cris sont identifiés : douleur physique ou morale et réactions émotionnelles; isolement social, sous-stimulation ou hypersensibilité à la stimulation et aux soins; déficit sensoriel ou source d’inconfort; réminiscences et réémergences de souvenirs douloureux; perte des capacités langagières. Parmi les modalités d’interventions proposées pour réduire les cris, on retrouve le soutien apporté par la présence de la famille ou d’un animal, l’utilisation d’interventions entraînant une détente ou une stimulation ainsi que des interventions modifiant l’environnement (ex. : modification de la luminosité).
Discussion
La communauté scientifique s’intéresse de plus en plus aux interventions non pharmacologiques pour la gestion des comportements réactifs chez les personnes âgées ayant des troubles neurocognitifs. Ce changement dans la façon d’envisager les interventions peut s’expliquer par le développement des connaissances concernant les effets souvent néfastes de la médication antipsychotique fréquemment utilisée pour contrôler (diminuer) certains comportements plutôt que de répondre aux besoins des personnes (Gustafsson, Karlsson, & Lövheim, Reference Gustafsson, Karlsson and Lövheim2013). Ce changement est également relié aux prises de position de certains gouvernements, comme celui du Québec, qui reconnaît le besoin de réduire l’usage des antipsychotiques chez les résidents des CHSLD présentant des comportements réactifs en encourageant l’utilisation d’approches non pharmacologiques et l’amélioration de la formation offerte au personnel (Gouvernement du Québec, 2018). Par conséquent, la recherche à l’égard de traitements alternatifs, par exemple aux contentions, pour diminuer efficacement les comportements réactifs et améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de troubles neurocognitifs et de leur entourage, s’est intensifiée. De plus, l’origine variée des études incluses (Europe, Océanie, Amérique du Nord et Asie) suggère que la gestion des comportements réactifs en centre d’hébergement constitue une problématique d’intérêt à l’échelle mondiale. À ce titre, dans une préoccupation éthique, l’usage des contentions, qu’elles soient chimiques (ex. : médication) ou physiques (ex. : ceinture au fauteuil), est controversé et légiféré dans plusieurs pays. D’ailleurs, de nouvelles approches émergent pour tenter de remédier à l’usage des contentions. Prenons l’exemple de l’errance : des auteurs proposent d’aborder la problématique d’errance (wandering) selon une nouvelle perspective, soit la « promenade » (wayfairing) (Graham, Reference Graham2017); cette dernière propose, notamment, une conception des environnements (milieux de vie) qui permet la libre circulation. Toutefois, compte tenu que différentes causes peuvent expliquer l’errance (ex. : besoin non répondu), et qu’il ne s’agit pas uniquement du besoin de circuler, l’application des principes de cette nouvelle perspective (wayfairing) nécessite d’être nuancée.
Dans les études mesurant les effets d’interventions basées sur l’environnement humain ou non humain, le concept d’engagement n’est pas systématiquement abordé ni mesuré par les auteurs en lien avec les comportements réactifs. Lorsque le concept d’engagement est étudié, on remarque qu’il n’y a pas de consensus sur la manière de le définir et de le mesurer, ce qui peut amener une confusion par rapport au concept d’engagement d’un auteur à un autre. Dans l’étude de Choi et ses collaborateurs (Reference Choi, Jung and Kim2018), l’engagement est défini comme le niveau de participation dans des interactions sociales et des activités significatives, alors que dans celle de Cohen-Mansfield (Reference Cohen-Mansfield2020), la mesure de l’engagement tient également compte de l’attitude de la personne envers l’activité et de son niveau d’activité ou de passivité. Plusieurs auteurs ne définissent pas le concept d’engagement dans leurs études (Chang et al., Reference Chang, Edenborough, Nicholls, Johnson, Brownhill and Simard2019; Collier & Jakob, Reference Collier and Jakob2017; Lee et al., Reference Lee, Chaudhury and Hung2017) ou notent simplement l’engagement sur une échelle dichotomique (engagé ou non engagé) (Chu et al., Reference Chu, Khosla, Khaksar and Nguyen2017; de Boer et al., Reference de Boer, Beerens, Katterbach, Viduka, Willemse and Verbeek2018), ce qui est limitatif par rapport à l’interprétation des comportements qui témoignent ou non de l’engagement d’un résident. De plus, les études utilisent des instruments d’évaluation différents pour mesurer l’engagement, limitant ainsi la comparaison de l’efficacité des interventions et les conclusions qui peuvent en être tirées. Au contraire, on constate que les comportements d’agitation, d’errance et d’apathie sont plus clairement définis et que plusieurs études utilisent les mêmes instruments pour les mesurer, ce qui s’explique par le fait que ces comportements sont plus faciles à observer que l’engagement d’un résident. Par exemple, le CMAI (Cohen-Mansfield, Marx, & Rosenthal, Reference Cohen-Mansfield, Marx and Rosenthal1989) est utilisé dans quatre des huit études mesurant l’agitation (Ballard et al., Reference Ballard, Corbett, Orrell, Williams, Moniz-Cook and Romeo2018; Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Murfield, Thalib, Beattie and Shum2017; Moyle et al., Reference Moyle, Murfield, Jones, Beattie, Draper and Ownsworth2019; Tartarini et al., Reference Tartarini, Cooper, Fleming and Batterham2017), et le PEAR scale (Jao et al., Reference Jao, Algase, Specht and Williams2016) est utilisé dans deux (Jao et al., Reference Jao, Liu, Williams, Chaudhury and Parajuli2019; Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Dwan and Petrovich2018) des trois études mesurant l’apathie.
Au niveau de la population à l’étude, on remarque que le type et la sévérité des troubles neurocognitifs ne sont pas des critères de sélection considérés dans la plupart des études, ce qui peut influencer les résultats. En effet, selon Van Hecke et ses collaborateurs (Reference Van Hecke, Van Steenwinkel and Heylighen2019), les besoins des personnes âgées en termes d’espace pour se déplacer, de stimulation sensorielle et de contact social peuvent varier selon le type et le stade de la maladie. Les auteurs suggèrent de considérer cette variabilité au niveau des besoins en offrant différentes options lors des recommandations d’interventions sur l’environnement pour favoriser l’engagement afin de diminuer les comportements réactifs. De manière spécifique, en lien avec notre question de recherche, la suite de la discussion porte sur les comportements réactifs, soit l’apathie, l’errance, l’agitation, puis sur l’engagement.
Apathie
À la lumière des résultats, il s’avère que l’apathie est le comportement le moins ciblé. Deux des trois interventions sont des séances individuelles impliquant un robot ou de la réalité virtuelle. Les séances d’expérimentation d’une forêt virtuelle ont seulement démontré des effets significatifs sur l’apathie, à court terme (Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Dwan and Petrovich2018), alors que les séances non dirigées avec le robot PARO ont démontré des résultats positifs après 10 semaines d’intervention (Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Murfield, Thalib, Beattie and Shum2017). Les résultats positifs avec le robot PARO peuvent s’expliquer par le fait qu’il s’agit d’un objet attrayant avec lequel les résidents ont une interaction directe et concrète, entre autres par le toucher, contrairement aux interventions de réalité virtuelle. La troisième étude (Jao et al., Reference Jao, Liu, Williams, Chaudhury and Parajuli2019) a identifié deux caractéristiques des stimulations de l’environnement humain significativement associées à une réduction d’apathie dans le contexte de soins, soit la spécificité et la rétroaction. La première caractéristique rejoint l’approche centrée sur la personne, privilégiée auprès de la clientèle âgée atteinte de troubles neurocognitifs (Levallois, Reference Levallois2013; Stokes, Reference Stokes2017), puisqu’elle implique d’offrir des stimulations adaptées aux besoins et préférences. La rétroaction environnementale, quant à elle, réfère au fait d’encourager le résident à s’engager dans la tâche ou dans une interaction avec le soignant. Cet engagement de la personne diminue l’apathie, ce qui concorde avec le Modèle de l’engagement de Cohen-Mansfield et collaborateurs (Reference Cohen-Mansfield, Dakheel-Ali and Marx2010). Cependant, Jao et ses collaborateurs (Reference Jao, Liu, Williams, Chaudhury and Parajuli2019) ne précisent pas comment la rétroaction est effectuée par le personnel lors des soins. Ce manque de précisions sur les interventions effectuées (ex. : déroulement, contexte, ressources requises) empêche d’évaluer sa faisabilité dans un milieu de soins particulier et de la reproduire fidèlement, limitant ainsi son utilité concrète au niveau clinique.
Errance
Les interventions visant à diminuer les comportements d’errance consistent majoritairement en des modifications de l’environnement non humain sur des unités de soins. En effet, le réaménagement d’une unité (ex. : variation de l’éclairage, changement d’uniformes pour les équipes soignantes de jour et de nuit) s’est avéré efficace pour diminuer significativement les comportements d’errance (Bautrant et al., Reference Bautrant, Grino, Peloso, Schiettecatte, Planelles and Oliver2019). Ce résultat suggère que fournir des indices au niveau de l’environnement permettant aux résidents de mieux s’orienter dans le temps est associé à une diminution de l’errance. L’efficacité de techniques pour camoufler les portes d’unités, ayant fait l’objet de trois études, démontre des résultats mitigés sur la réduction des comportements de recherche de sortie; ces résultats mitigés peuvent être expliqués par les différences au niveau des types de stimuli qui sont étudiés (ex. : des autocollants qui cachent partiellement la porte versus une murale qui cache complètement la porte). D’après Graham et Fabricus (Reference Graham and Fabricius2017), la confection d’une murale sur la porte et les murs adjacents semble particulièrement efficace auprès des nouveaux résidents de l’unité qui ne réalisent pas qu’il s’agit d’une porte de sortie; par contre, dans l’étude de Van Hecke et ses collaborateurs (Reference Van Hecke, Van Steenwinkel and Heylighen2019), l’utilisation d’autocollants ou d’affiches sur les portes est inefficace pour diminuer l’errance. Cette différence peut s’expliquer par le fait que les autocollants ne camouflent pas entièrement les portes de sortie comme le fait une murale, ce qui ne permet pas de détourner complètement l’attention des résidents pour diminuer les tentatives de recherches de sortie. Bien que ces stratégies d’interventions ne soient pas appliquées à la personne elle-même, elles se situent tout de même dans la logique d’utilisation de contentions, tel que discuté précédemment.
Agitation
Plus de la moitié des études se sont intéressées aux effets d’interventions permettant de diminuer les comportements d’agitation, puisque ceux-ci engendrent souvent des conséquences dérangeantes ou même dangereuses pour la personne et son entourage. Par exemple, orienter un résident vers des objets familiers correspondant à ses préférences, lors des séances de soins, s’avère efficace pour diminuer de manière importante l’agitation (Fisher & Buchanan, Reference Fisher and Buchanan2018) qui peut être en lien avec une résistance aux soins; cependant, la généralisation de cette étude est limitée puisque l’échantillon ne comportait qu’une seule participante. Certaines caractéristiques de l’environnement non humain ont été reliées à une diminution des comportements d’agitation. En effet, Tartarini et ses collaborateurs (Reference Tartarini, Cooper, Fleming and Batterham2017) ont trouvé qu’une température ambiante de 22,6 °C était associée à une plus faible fréquence des comportements d’agitation et que le réaménagement d’une unité spécialisée pour les personnes âgées avec des troubles neurocognitifs (ex. : l’augmentation de l’éclairage durant la journée, l’utilisation de musique apaisante durant la nuit, les murs peints en beige clair, etc.) permet de diminuer significativement la fréquence et la durée moyenne des épisodes d’agitation et de comportements agressifs (Bautrant et al., Reference Bautrant, Grino, Peloso, Schiettecatte, Planelles and Oliver2019). Certaines modifications de l’environnement non humain (ex. : modification de la luminosité selon le moment de la journée) sont suggérées dans le diagramme d’analyse clinique et d’aide à la prise de décision pour les comportements d’agitation verbale développé par Berastegui et ses collaborateurs (Reference Berastegui, Monfort and Boudin2017). L’utilisation d’équipement stimulant les sens (ex. : fibres optiques, diffuseur d’arômes) est identifiée par le personnel soignant comme un élément permettant d’apaiser les résidents atteints de troubles neurocognitifs (Berastegui et al., Reference Berastegui, Monfort and Boudin2017; Chang et al., Reference Chang, Edenborough, Nicholls, Johnson, Brownhill and Simard2019; Collier & Jakob, Reference Collier and Jakob2017). Contrairement à ce qui était attendu, Inventor et ses collaborateurs (Reference Inventor, Farran, Paun, Cothran, Rajan, Swantek and McCann2018) n’ont pas trouvé de différence entre la quantité de comportements d’agitation observés dans les deux types d’habitation (unité de soins spécialisée versus unité de soins traditionnelle). Toutefois, étant donné que les auteurs ne donnent aucune description des environnements humain et non humain des deux unités à l’étude, il est possible que les deux types d’habitation considérés soient similaires au niveau de certains facteurs environnementaux (ex. : configuration de l’espace, ratio soignants-patients) qui peuvent exercer une influence sur la manifestation de comportements d’agitation. Les caractéristiques propres à chaque unité, et non considérées dans l’étude d’Inventor et de ses collaborateurs (Reference Inventor, Farran, Paun, Cothran, Rajan, Swantek and McCann2018), pourraient donc avoir un plus grand impact que le type d’unité (unité de soins spécialisée versus unité de soins traditionnelle) en tant que tel. Quant à elle, l’utilisation de robots et de poupées lors de séances individuelles semble efficace pour diminuer l’agitation, mais aucune diminution significative n’a été mesurée à l’aide d’instruments validés (Moyle et al., Reference Moyle, Jones, Murfield, Thalib, Beattie and Shum2017; Moyle et al., Reference Moyle, Murfield, Jones, Beattie, Draper and Ownsworth2019). Les séances individuelles avec une poupée ou avec PARO permettraient de répondre à un besoin d’interaction ou de stimulation chez les résidents atteints de troubles neurocognitifs.
Au niveau humain, il est rapporté que la relation entre les résidents et le personnel de soins est importante pour limiter les comportements agressifs. La formation du personnel, telle que les programmes WHELD (soins centrés sur le client) (Ballard et al., Reference Ballard, Corbett, Orrell, Williams, Moniz-Cook and Romeo2018) et Namaste Care (approche sensorielle dans les activités quotidiennes) (Chang et al., Reference Chang, Edenborough, Nicholls, Johnson, Brownhill and Simard2019) a été associée à une diminution de l’agitation chez les résidents atteints d’Alzheimer. De plus, Graham et Fabricus (Reference Graham and Fabricius2017) ont démontré que la présence d’un artiste interagissant avec les résidents d’une unité fermée a eu des effets positifs sur leurs comportements agités. En effet, la confection d’une murale a suscité l’intérêt de nombreux résidents, facilitant ainsi le contact avec l’artiste les encourageant à discuter, entre autres, des éléments de la murale et de l’art en général. Ceci suggère que l’art peut être un sujet de discussion favorable aux interactions sociales et à la diminution d’agitation, mais, comme soulevé dans l’étude de Luyten et ses collaborateurs (Reference Luyten, Braun, Jamin, van Hooren and de Witte2018), l’implication d’un tiers est souvent nécessaire pour initier et faciliter les échanges. Les résultats de l’étude de Graham et Fabricus (Reference Graham and Fabricius2017) font aussi ressortir qu’une augmentation des interactions sociales sur l’unité de soins est favorable à une diminution de l’agitation. Finalement, l’étude de Choi et ses collaborateurs (Reference Choi, Jung and Kim2018) rapporte que l’agitation est fréquemment causée par des relations inconfortables avec des membres du personnel ou d’autres résidents. Cette étude montre le rôle déterminant de l’environnement et du contact humain sur les comportements d’agitation. Dans les dernières années, le nombre de patients attitrés à une infirmière a augmenté en raison des différentes réformes, et il est fréquent qu’une infirmière malade ne soit pas remplacée (Rochefort, Reference Rochefort2019). Présentement, en CHSLD, une dyade, composée d’une infirmière et d’une infirmière auxiliaire, est responsable de 20 à 27 résidents (Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec, 2020). De plus, en raison d’un manque important de préposés aux bénéficiaires en CHSLD (Gouvernement du Québec, 2020), ceux-ci doivent fréquemment s’occuper de plus de patients que le ratio de 6 à 7 résidents par préposé recommandé par l’échelle Voyer (Protecteur du citoyen, 2018). De ce fait, la situation actuelle, au Québec, n’est pas optimale pour favoriser un contact fréquent entre les résidents et les intervenants de la santé, limitant ainsi les interactions sociales pouvant contribuer à diminuer l’agitation.
Engagement
Plusieurs études font ressortir des caractéristiques de l’environnement non humain favorisant un niveau d’engagement plus élevé comme la conception d’espaces de circulation sans obstacle avec une luminosité naturelle suffisante (Van Hecke et al., Reference Van Hecke, Van Steenwinkel and Heylighen2019). Les résultats de cette étude appuient également la tendance aux unités de petite taille pour favoriser le niveau d’engagement (Lee et al., Reference Lee, Chaudhury and Hung2017), plutôt qu’une unité traditionnelle. Toutefois, l’étude de De Boer et ses collaborateurs (Reference de Boer, Beerens, Katterbach, Viduka, Willemse and Verbeek2018) démontre que les unités de petite taille ne sont pas toutes équivalentes; elles comportent des différences au niveau de leurs caractéristiques physiques et organisationnelles pouvant influencer le niveau d’engagement des résidents. Dans l’étude de De Boer et ses collaborateurs (Reference de Boer, Beerens, Katterbach, Viduka, Willemse and Verbeek2018), des caractéristiques comme un décor familier et un contrôle des résidents sur leur horaire de lever et de coucher sont associées à un niveau d’engagement plus élevé à la fois dans les occupations et dans les interactions sociales. La stimulation des sens est une caractéristique qui a également été associée à un meilleur niveau d’engagement dans plusieurs études. Par exemple, la qualité des stimuli visuels, tactiles et acoustiques dans l’unité de petite taille était supérieure à celle de l’unité traditionnelle (Lee et al., Reference Lee, Chaudhury and Hung2017). De plus, l’utilisation d’équipement multisensoriel (Chang et al., Reference Chang, Edenborough, Nicholls, Johnson, Brownhill and Simard2019; Collier & Jakob, Reference Collier and Jakob2017) et l’installation d’une murale de camouflage comportant des aimants (Graham & Fabricius, Reference Graham and Fabricius2019) semblent soutenir l’engagement des résidents. Il apparaît donc que certains environnements non humains comportent un meilleur potentiel thérapeutique en lien avec l’engagement des résidents; cependant ils ne sont pas nécessairement utilisés de manière indépendante et optimale par les résidents. En effet, plusieurs études font ressortir le rôle du personnel soignant pour faciliter l’engagement. Luyten et ses collaborateurs (Reference Luyten, Braun, Jamin, van Hooren and de Witte2018), précisent que les interactions humaines et l’engagement actif des résidents avec VENSTER étaient majoritairement initiés et encadrés par un soignant. Le support offert par le personnel soignant pour s’engager avec l’environnement non humain peut fournir des opportunités d’interactions positives avec les résidents, mais cela peut être perçu comme une charge de travail supplémentaire par les soignants (Graham & Fabricius, Reference Graham and Fabricius2019). De plus, un manque de connaissance par rapport à l’équipement disponible peut représenter un obstacle à son utilisation optimale et ainsi réduire les bienfaits potentiels chez les résidents; il faut donc considérer le besoin de formation et de soutien des soignants pour favoriser l’utilisation de l’environnement non humain à son plein potentiel (Collier & Jakob, Reference Collier and Jakob2017). Finalement, les interventions qui comprennent des robots (PARO et robots sociaux lors de groupes d’activités) semblent efficaces pour susciter l’engagement des personnes âgées ayant des troubles neurocognitifs, même sans l’implication d’un soignant.
Forces et limites de l’étude
Trois forces méritent d’être soulevées, soit l’utilisation d’un cadre conceptuel pour structurer notre revue de la portée qui explique la relation personne-environnement et la rigueur dans l’application de la méthodologie de Levac et ses collaborateurs (Levac, Colquhoun, & O’Brien, Reference Levac, Colquhoun and O’Brien2010). De plus, les résultats de l’étude orientent les professionnels de la santé vers des pistes d’intervention; toutefois, la description des méthodes interventions et du contexte dans lequel elles ont été réalisées est généralement peu détaillée dans les différentes études. Concernant les limites de l’étude, l’une des limites est liée à la diversité dans les définitions des concepts-clés (ex. : engagement), ce qui amène parfois une confusion par rapport à ce qui est considéré ou non comme l’engagement d’une personne et qui complexifie la comparaison de l’efficacité des différentes interventions. Une autre limite est liée au fait que certains auteurs ne décrivent pas suffisamment l’environnement (ex. unité de soins spécialisée) dans lequel se déroulent les interventions, ce qui limite les conclusions qui peuvent en être tirées.
Conclusion
Cette revue de la portée couvre différentes interventions au niveau de l’environnement humain et non humain ayant des effets sur l’engagement pour réduire les comportements réactifs d’apathie, d’agitation et d’errance chez les personnes ayant des troubles neurocognitifs vivant en centre d’hébergement. Plusieurs interventions au niveau de l’environnement humain et non humain semblent efficaces pour diminuer les comportements réactifs et permettre aux personnes âgées de s’engager de différentes manières avec leur environnement (humain, non humain); cependant, le support de l’environnement humain semble nécessaire à l’utilisation optimale de plusieurs interventions. L’engagement n’est pas un concept défini de manière consensuelle ni systématiquement abordé et mesuré dans les études sur les comportements réactifs. Il s’avère essentiel, pour des études futures, de s’intéresser davantage au concept d’engagement et à la manière de le mesurer, objectivement. La formation et l’implication du personnel soignant pour soutenir l’engagement des résidents représentent également une voie à explorer davantage lors de futures études.
Remerciements
Nos remerciements à l’Équipe SCPD de l’IUGM et particulièrement à Mesdames Chloé Aquin, Marie-Andrée Bruneau, Catherine Lavallée et Caroline Ménard pour le partage des réflexions dans la formulation de la question de recherche et la pertinence de cette revue de la portée.