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Souverainetés et autodéterminations autochtones : Tïayoriho'ten’ Geneviève Nootens et Geneviève Motard (dir.), Québec: Presses de l'Université Laval, 2022, pp. 270

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Souverainetés et autodéterminations autochtones : Tïayoriho'ten’ Geneviève Nootens et Geneviève Motard (dir.), Québec: Presses de l'Université Laval, 2022, pp. 270

Published online by Cambridge University Press:  09 March 2023

Éléna Choquette*
Affiliation:
Université du Québec en Outaouais ([email protected])
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © The Author(s), 2023. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Geneviève Motard et Geneviève Nootens rassemblent dans ce nouvel ouvrage les contributions d'une douzaine de chercheuses et chercheurs sur la question des souverainetés autochtones. Dans l'introduction qu'elles cosignent, Motard et Nootens définissent les paramètres du débat qu'elles mettent en place. En Occident, la souveraineté renvoie le plus souvent au droit absolu, perpétuel et indivisible des gouvernements étatiques à « être obéis » (2). Historiquement, l'exercice de la souveraineté des États coloniaux a exclu les peuples autochtones du domaine du politique. L'ouvrage s'attache à étudier les expressions contemporaines des souverainetés et autodéterminations autochtones.

Dans l'introduction, les directrices rapportent bien l'ambivalence de la notion de souveraineté dans le contexte des luttes autochtones pour l'exercice de leur droit à l'autodétermination. D'une part, le concept de souveraineté peut reconduire la logique coloniale qui soutient notamment que seules les grandes communautés dotées d'un gouvernement étatique souverain constituent des « nations ». Cette logique conduit à la conclusion que les peuples autochtones, qui vivent maintenant à l'intérieur des frontières des États coloniaux ne recoupant en rien la cartographie des nations autochtones, ne peuvent que difficilement aspirer à une souveraineté–dont plusieurs ne veulent d'ailleurs pas. D'autre part, les directrices notent que des leaders autochtones s'approprient la notion de souveraineté, malgré son bagage colonialiste, pour porter l'autodétermination autochtone. C'est entre ces deux pôles que s'inscrivent les neuf chapitres du livre, autant de contributions s'intéressant aux expressions autochtones de souveraineté et d'autodétermination « en dehors du cadre juridico-normatif de l’état colonial » (1).

Le livre collectif a le grand mérite de considérer certaines questions parmi les plus fondamentales et épineuses qui touchent les relations entre les peuples autochtones et les États coloniaux. Comment concilier le droit autochtone avec l'ordre constitutionnel et juridique qui prévaut dans ces États ? Comment les politiques publiques peuvent-elles soutenir la résurgence autochtone ? Pour répondre à ces questions, les contributions partent du concept de Tïayoriho'ten’ qui, chez les Wendats, signifie « dans nos propres mots », « selon nos propres lois, nos propres coutumes ».

Parmi les chapitres les plus porteurs et radicaux, on remarque celui d'Aimée Craft et de Sabrina Diotte. Elles proposent que la politique qui consiste à délocaliser les parturientes autochtones dans les hôpitaux des grandes villes canadiennes produit une « une double dissociation–des connaissances autochtones et des rites–qui se traduit physiquement par l'exclusion des nations autochtones de leur territoire et spirituellement par la désagrégation des rapports spirituels avec la Terre mère » (174). Plusieurs nations autochtones affirment leur souveraineté territoriale par les naissances, soutiennent Craft et Diotte. De ce fait, l'institutionnalisation et la médicamentation des accouchements, qui ont eu pour effet de délocaliser les naissances, doivent être repensées. Dans le même esprit, le chapitre de Kiera Ladner sur la résurgence constitutionnelle autochtone propose avec audace de considérer l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui oblige tous les gouvernements étatiques canadiens à agir dans l'optique de la réconciliation, comme un des piliers de l'ordre constitutionnel canadien.

D'autres contributions ne repensent pas la décolonisation des États coloniaux de manière aussi fondamentale. Dans leur chapitre sur les modèles de gouvernance forestière, Jean-Michel Beaudoin, Guy Chiasson et Luc Bouthillier ne prennent pas toujours la pleine mesure de l'exigence, formulée avec justesse par Craft et Diotte, d'abandonner la notion de souveraineté comme un ensemble de droits fonciers qui permet d'exercer une emprise sur la terre (195). À certains égards, le chapitre de Lorinda Riley semble nager à contrecourant de la démarche décoloniale. Elle y avance cinq principes qui doivent être respectés pour reconstruire la légitimité interne des gouvernements tribaux aux États-Unis, lourdement endommagée, comme elle le rappelle, par l'imposition d'un mode de gouvernance par les autorités coloniales. Ces critères comprennent notamment le respect des processus, la transparence et la participation. La pertinence des critères avancés n’étant pas suffisamment étayée, leur légitimité n'est en l'espèce pas démontrée. La contribution de Michael Eliott sur le colonialisme d’établissement constitue une réponse intéressante au chapitre de Riley. Il y propose que la « souveraineté autochtone fait face à des exigences asymétriques lorsqu'il s'agit de se définir et de se circonscrire en échange d'un espoir d’être reconnues » (106). Plutôt que de s'engager dans cette voie, il propose de délégitimer l'ordre politique prédominant, c'est-à-dire d'interrompre les mécanismes de relégitimation coloniale qui re-assujettissent les souverainetés autochtones (102).

En définitive, toutes les contributions ne partagent pas une même vision de ce qu'exige la décolonisation. Pour certaines, la souveraineté autochtone peut être réalisée sans que les institutions coloniales ne soient fondamentalement remises en question. Le chapitre de Viviane Toki sur les tribunaux autochtones va aussi dans ce sens, puisqu'il permet de continuer à « travailler dans le cadre du système juridique occidental dominant » (203). Pour d'autres, l'exercice du droit autochtone à l'autodétermination passe par le refus d'obéir à toutes les lois et institutions qui reconduisent la logique coloniale de la dépossession autochtone. Cette ambivalence dans la définition des exigences de la décolonisation se reflète dans l'introduction des directrices de l'ouvrage. Elles y posent la question radicale de la souveraineté ou des ordres constitutionnels et juridiques autochtones, mais reviennent aux conséquences de cette souveraineté pour l’État de droit, la démocratie et les politiques publiques sans pleinement problématiser le caractère colonial de ces institutions. En fait, cette ambivalence marque l'ensemble des débats sur la souveraineté autochtone et, en définitive, cet ouvrage collectif rapporte très bien toute la gamme des plus récentes propositions faites dans le sens de l'affirmation des souverainetés autochtones. Par ailleurs, ce manuscrit représente une contribution à la science politique québécoise, canadienne et autochtone d'autant plus attendue qu'elle paraît en français, alors que peu de titres sont publiés sur ce sujet en dehors de l'anglophonie.