Avec la question de son indépendance en retrait, plusieurs croyaient que le Québec acceptait l'ordre constitutionnel canadien. Après tout, depuis la création du Parti québécois (PQ), le nationalisme québécois n’était-il pas intimement associé à l'idée d'indépendance ? L'effacement de l'un ne devrait-il pas se traduire par un affaiblissement de l'autre? Ce serait oublié que la question nationale est plutôt composée de trois dimensions : la question de l'avenir politique (le clivage Oui-Non), la question identitaire et la question de la défense des intérêts régionaux ou nationaux (Bélanger, Nadeau, Henderson et Hepburn, Reference Bélanger, Nadeau, Henderson and Hepburn2018).
L'importance de la question nationale ne disparaît donc pas avec le déclin de la saillance de la seule question de l'avenir politique. Porté principalement par la Coalition avenir Québec (CAQ) depuis son arrivée au pouvoir, ce débat se serait graduellement déplacé vers les deux autres termes de l’équation. Trois ans avant sa victoire électorale, selon une expression largement reprise par les médias, le parti a effectué un « virage nationaliste ». Cette entreprise fut amorcée à l'occasion d'un conseil général en 2015, puis entérinée par un congrès. Voici comment s'exprimait alors François Legault : « Le projet national de la CAQ se démarque clairement des autres options mises sur la table concernant l'avenir du Québec. D'abord, par son objectif central qui est d'accroître l'autonomie et les pouvoirs du Québec dans le Canada. » (Chouinard, Reference Chouinard2015).
Le nationalisme de la CAQ vise donc à accroître l'autonomie du Québec au sein du Canada. Il s'inscrit ainsi dans le courant du nationalisme autonomiste qui viserait, selon Louis Balthazar (Reference Balthazar and Sarra-Bournet2001), au maintien et à l'émancipation d'une identité nationale et ce, sans pour autant déboucher sur l'accession à l'indépendance.
En marge de la gestion de la pandémie, plusieurs politiques reposant sur cette conception du nationalisme auront marqué le premier mandat du gouvernement de la CAQ. Ce fut notamment le cas de la loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) et de la reconnaissance unilatérale de la nation québécoise dans la Constitution canadienne ; une modification intégrée à une large réforme de la Charte de la langue française (Loi 96). Cela s'est aussi traduit par un nationalisme économique plus affirmé de l’État québécois.
Arrivée au pouvoir, la CAQ aura également contraint ses principaux adversaires à ajuster leurs discours en lien avec l'identité québécoise. Le Parti libéral du Québec (PLQ) a voulu courtiser l’électorat francophone sans s'aliéner sa base anglophone. Dirigé par Dominique Anglade, il a d'abord tenté de renouer avec le nationalisme (Montigny, Reference Montigny2020). Puis, il a reculé face à cet enjeu lors du débat portant sur l'adoption du projet de loi 96 (Robitaille, Reference Robitaille2022). Quant au PQ, après avoir remis la tenue d'un référendum sur l'indépendance au cœur de son engagement, il en est venu à durcir ses prises de position dans le dossier linguistique (Bellerose, Reference Bellerose2022). De son côté, Québec solidaire (QS) a voté en faveur de la loi 96, tout en modifiant sa position face au dossier de la laïcité. Le parti propose désormais d'amender la loi sur la laïcité pour permettre le port de signes religieux aux personnes en position d'autorité (Pilon-Larose, Reference Pilon-Larose2022). Au niveau canadien, l’évolution récente du nationalisme québécois surprend. Partis politiques, chroniqueurs et des membres de la société civile ont d'ailleurs senti le besoin de réagir aux initiatives autonomistes du gouvernement du Québec (Coyne, Reference Coyne2022; Macfarlane, Reference Macfarlane2022; Radio-Canada 2021 ; Pirro, Reference Pirro2021).
Le déclin électoral du PQ et la saillance de son option fondamentale furent déjà largement étudiés (Dufour et Montigny, Reference Dufour and Montigny2020; Montigny, Reference Montigny2018; Mahéo et Bélanger, Reference Mahéo and Bélanger2018; Dufresne Tessier et Montigny, Reference Dufresne, Tessier and Montigny2019). On commence aujourd'hui à s'intéresser au déclin électoral du PLQ. Adversaire de longue date du PQ sur l'axe Oui-Non (à l'indépendance du Québec), le PLQ des vingt dernières années s'est surtout défini en opposition à l'option du PQ. Or, à l'image des frères siamois, le déclin de l'un n'entrainerait-il pas aussi le déclin de l'autre? Une des clés d'analyse pour comprendre le succès de la CAQ dans son premier mandat ne serait-elle pas sa capacité, par son nationalisme autonomiste, à être davantage en phase avec les attentes d'une majorité d’électeurs sur la question nationale ? Cela n'expliquerait-il pas aussi les difficultés rencontrées par le PLQ ?
Pour répondre à ces questions, nous utilisons des données provenant d'un sondage Synopsis. Celui-ci fut réalisé en ligne en juin 2021. Sur le plan méthodologique, il s'agit donc d'un sondage non-probabiliste (Panel web). Les données obtenues reposent toutefois sur un échantillon représentatif de 1000 Québécois et Québécoises de plus de 18 ans. Le libellé précis des questions se retrouve en notes de fin de texte.Footnote 1
Un nationalisme québécois toujours structurant
Trois types de données nous indiquent que le déclin du clivage Oui-Non ne se traduit pas par un déclin du nationalisme au Québec. Nous avons ainsi mesuré la désirabilité du nationalisme québécois, l'importance du rôle identitaire de l’État québécois et la pertinence du nationalisme au Québec.
Le graphique 1 regroupe les réponses à cette question : dans quelle mesure le terme nationalisme québécois est-il positif ? Le nationalisme québécois récolte une perception positive pour près d'un répondant sur deux. Pour un répondant sur quatre, il est perçu comme neutre alors qu'il n'est négatif que pour le quart restant. Dans les données plus détaillées, on observe que le nationalisme est perçu positivement, peu importe l’âge des répondants. On note cependant une fracture importante selon l'affiliation partisane, puis selon la langue.
Le nationalisme québécois est d'ailleurs perçu négativement par 67% des électeurs du PLQ. Cela marque une réelle fracture avec l’époque du « Maîtres chez nous » de Jean Lesage ou de la société distincte de Robert Bourassa. Sur le plan linguistique, il est perçu négativement par 61% des non-francophones, mais par seulement 14% des répondants francophones. Un repositionnement nationaliste du PLQ apparaît donc être un passage obligé pour reconquérir le vote francophone. En raison de la forte opposition observée auprès de sa base électorale, cela représente toutefois un réel défi de leadership.
L'importance accordée au rôle que doit jouer l’État dans la défense de l'identité québécoise constitue une autre façon de mesurer l'importance du nationalisme québécois. Or, les données présentées au graphique 2 indiquent un appétit toujours présent. 26% sont satisfaits du rôle joué actuellement par l’État québécois, mais 53% de répondants souhaitent qu'il en fasse davantage.
En somme, plus de trois répondants sur quatre indiquent que le gouvernement doit continuer à défendre ainsi l'identité québécoise ou même en faire davantage. Seulement 16% indiquent qu'il doit en faire moins sur cet enjeu. Encore là, le PLQ se démarque des autres partis. 44% de ses électeurs affirment que l’État québécois doit en faire moins, comparativement à 6% et à 4% pour la CAQ et le PQ. C'est le cas de 17% des répondants appuyant QS.
Nous avons également voulu savoir, sur une échelle de 1 à 10, laquelle de deux positions à propos du nationalisme québécois rejoignait le plus les répondants. Nous avons regroupé les réponses de chaque spectre et celles du centre, soit de 1 à 4 et de 7 à 10, alors que les positions 5 et 6 sont classées comme représentant la catégorie « neutre ». Nous avons retenu quatre qualificatifs. Ils sont présentés au graphique 3.
Le nationalisme québécois est là pour durer selon 58% des répondants. Il ne serait que passager pour 16% d'entre eux. Il est toujours nécessaire pour 42% des répondants et jugé inutile à 34%. Il est enfin jugé « actuel » ou être de son époque selon 40% des répondants. Notons qu'environ un répondant sur quatre demeure plutôt neutre envers ces trois qualificatifs.
De nouveaux moteurs pour le nationalisme québécois
Le nationalisme québécois aurait aussi évolué depuis la première victoire du Parti québécois en 1976. Des données tirées d'un sondage de 2016 (Castonguay, Reference Castonguay2016) illustraient ce changement selon différents thèmes. Nous avons souhaité remettre à jour ces données. Les résultats en 2021 présentés au tableau 1 corroborent, de façon générale, la validité des changements observés en 2016 en lien avec cette question : « Parmi les éléments suivants, lesquels associez-vous davantage au nationalisme d'aujourd’hui et au nationalisme d'il y a 40 ans? ». Seul l'enjeu linguistique semble redevenir davantage actuel.
Dans l'ordre, l'intégration des nouveaux arrivants, la valorisation du succès des Québécois à l'international, la réussite économique tant individuelle que collective des Québécois et un Québec reconnu et plus autonome au sein du Canada sont davantage associés au nationalisme actuel. L’État québécois comme source de fierté, l'engagement politique des artistes et une lutte face à une élite anglophone relèvent davantage d'un nationalisme passé. La mise en valeur du territoire québécois et de ses ressources ainsi que la défense de la langue française s'avèrent plutôt des thèmes partagés. Au sujet de l'immigration, soulignons que nos données indiquent que celle-ci est perçue positivement par une vaste majorité des répondants. En effet, 75% sont en accord avec l'affirmation que, de façon générale, les immigrants font bénéficier notre société par leur travail, leur talent et leur culture. Leur réussite passe cependant par leur intégration à la société d'accueil.
D'ailleurs, lorsque l'on demande aux Québécois d'associer à un mot le nationalisme québécois de 2021, la question linguistique se démarque. À une question ouverte, près d'un répondant sur cinq y ont associé comme premiers mots ceux de « Français/Francophonie » ou « langue ». Le mot fierté vient ensuite à 7%. La graphique 4, à l'aide d'un nuage de mots, illustre le poids de chacun des mots retenus par les répondants. Avec respectivement 4% et 2% y apparaissent également des mots plus négatifs, tels que séparation et racisme. Notons là aussi un clivage linguistique et partisan important. Ces mots furent d'abord soulevés par 10% et 8% des non-francophones ainsi que par 16% et 6% des électeurs libéraux.
Le nationalisme québécois et la CAQ
Un sondage CROP réalisé en 2016 indiquait que le PQ était le parti le plus nationaliste pour 44% des répondants, suivi par le PLQ à 21%, QS à 12% et la CAQ à seulement 8% (Castonguay, Reference Castonguay2016). Les données de 2021 indiquent que le virage nationaliste-autonomiste de la CAQ aurait depuis percolé au sein de l'opinion publique. À la question « Dans quelle mesure associez-vous chacun des partis suivants au nationalisme québécois ? », 65 % des répondants y associent maintenant la CAQ. Tel que l'illustre le graphique 5, elle arrive derrière le PQ, à 80%, mais devant QS, à 62%. Seulement 17% des répondants associent le nationalisme au PLQ. Dans ce cas, trois répondants sur quatre partagent plutôt l'avis contraire.
Nous avons également souhaité cerner comment la population percevait le nationalisme de la CAQ. Pour ce faire, nous avons identifié cinq axes permettant de définir le nationalisme du parti de François Legault.Footnote 2 Nous avons donc posé la question suivante en lien avec ceux-ci : « Dans quelle mesure chacune des affirmations suivantes correspond-elle à l'idée que vous vous faites du nationalisme du gouvernement actuel de la Coalition avenir Québec (CAQ) de François Legault ? » Les résultats présentés au graphique 6 indiquent que c'est bel et bien le cas.
L'axe « rétablir la fierté nationale » est associé à la CAQ par 71% des répondants. Ceux de « miser sur la réussite économique » et d’« exercer au maximum les pouvoirs de l'Assemblée nationale » atteignent 79%. Alors que « réclamer davantage d'autonomie dans le cadre fédéral » se situe à 74% et celui de « redonner à l’État québécois son rôle de promoteur et de protecteur de la langue française et d'une culture commune » atteint 78%.
En adoptant des thèmes qui collent davantage au nationalisme québécois contemporain, la CAQ a donc su profiter, voire contribuer, à l’érosion du clivage Oui-Non. Nos données indiquent d'ailleurs que faire la souveraineté du Québec ne serait la priorité que de 3% de l’électorat. Pire, même chez les deux partis indépendantistes, ce ne serait le cas que pour 15% des électeurs du PQ et que pour 4% pour ceux de QS.
Conclusion
En plus de mieux cerner les assises du nationalisme québécois contemporain, nos résultats permettent notamment de comprendre les défis posés au PLQ par le réalignement du système partisan québécois. Le nationalisme québécois demeure perçu positivement, comme étant une avenue pérenne, voire nécessaire. Il repose cependant sur de nouveaux enjeux, notamment l'intégration réussie des nouveaux arrivants, la réussite économique et le rayonnement international. Le caractère francophone du Québec y demeure également très associé.
Dans plusieurs endroits, le concept de nationalisme est généralement teinté négativement. Ce n'est toutefois pas le cas dans le contexte québécois. Le nationalisme y est plutôt associé à l'affirmation d'une société francophone minoritaire qui évolue sur un continent essentiellement anglophone. Nous observons cependant un clivage perceptuel important sur le plan linguistique, mais aussi partisan. Ce clivage se manifeste également en lien avec l'identité première des répondants. Ceux qui se considèrent d'abord Québécois conçoivent le nationalisme positivement à 86%, alors que ceux qui se considèrent d'abord Canadiens ne sont que 19% à penser ainsi. Dans le cas de ces derniers, le nationalisme québécois semble toujours être associé à l'enjeu de l'indépendance. Voilà qui limite la portée possible de tout virage nationaliste que pourrait souhaiter la direction du Parti libéral pour renouer avec un électorat plus francophone. Cela peut aussi contribuer à expliquer le recul de Dominique Anglade sur le front linguistique et les tentatives récentes de son parti pour ramener l'axe Oui-Non dans le débat politique (Bossé, Reference Bossé2022).
Il convient par ailleurs de rappeler que le nationalisme québécois est passé par différentes phases dans son histoire. Ainsi, le républicanisme des Patriotes était plus près des valeurs de laïcité et d’émancipation. Jusqu'au milieu du XXème siècle, le nationalisme québécois fut ensuite plutôt défensif et axé sur la survivance de la société canadienne-française. À compter de la Révolution tranquille, il devint davantage ouvert sur le monde et inclusif. Sont depuis Québécois tous ceux et celles qui habitent sur son sol. Il s'incarna ensuite par la quête du grand soir de la reconnaissance, que ce soit par l'indépendance ou par une refonte constitutionnelle du régime canadien lui garantissant un statut particulier. Ni l'une ni l'autre de ces options ne se réaliseront. Tant et si bien que le nationalisme québécois contemporain s'exprime aujourd'hui différemment. Incarné par la CAQ, il emprunte une troisième voie autonomiste qui semble être en phase avec les attentes d'une majorité de Québécois.
Ce nationalisme québécois n'est plus en mode défensif ou en quête de reconnaissance. Le Québec affirme tout simplement son identité sans attendre. Enjeu par enjeu, l’État québécois vise à étendre son autonomie un gain à la fois. Cela se reflète par l'adoption d'un nouveau cadre régulant le vivre-ensemble qui repose sur la laïcité et s'oppose au multiculturalisme canadien. Cela s'exprime aussi par la modification unilatérale de la Constitution canadienne pour qu'il y soit enchâssé que le Québec forme une nation et que le français est sa langue commune. Cela se manifeste aussi sur le plan économique, avec l'objectif de réduire l’écart de richesse vis-à-vis la moyenne dans les provinces canadiennes. Cette nouvelle approche a jusqu’à maintenant trouvé ancrage auprès de l'opinion publique. Elle contraint ainsi les principaux acteurs politiques à se redéfinir ou à réagir. C'est d'abord le cas au Québec, mais ce l'est aussi au niveau canadien.
Conflit d'intérêt
Je déclare ne pas avoir d'intérêts personnel ou financier qui affecteraient les résultats de recherche.