Rédigé par le journaliste à La Presse Canadienne, Thomas Laberge, cet essai est le résultat d'un mémoire de maîtrise terminé en 2018 à l'Université du Québec à Montréal (UQAM) et d'entrevues réalisées avec des dirigeants de partis politiques de la droite libertarienne en sol canadien et québécois : Maxime Bernier, chef du Parti populaire du Canada (PPC); son conseiller Martin Masse; Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec (PCQ); l’économiste Vincent Geloso. Une curieuse tentative de fiction conclut l'essai lorsque l'auteur présente ce que serait un gouvernement libertarien québécois, en 2025. Plus académique dans sa première moitié, plus journalistique par la suite, l'essai est écrit dans un langage clair et facile d'accès. Pour qui ne connaît pas le courant libertarien, il s'agit donc d'une belle entrée en la matière pour en apprendre davantage sur ce courant d'idées et son impact politique qui, comme le dit justement Laberge, reste mal connu, notamment parce qu'il est plutôt informe.
En effet, le lecteur constatera que le courant libertarien est un drôle d'objet politique, et ce, parce qu'il n'appartient pas en propre à un parti. On le retrouve du côté du PCQ, surtout depuis qu’Éric Duhaime en est devenu le chef, ainsi que du côté de Maxime Bernier et du PPC, possiblement le plus authentique libertarien sur la scène politique canadienne avec son ami et collaborateur Martin Masse. Ce caractère diffus est d'ailleurs présent du côté des sources américaines du libertarianisme qui sont présentées dans le premier chapitre. Laberge décrit cette famille, ainsi que les fondateurs du courant libertarien – surtout la figure d'Ayn Rand – avec efficacité, même si c'est de manière un peu scolaire. Cela dit, il ne s'agissait pas, pour l'auteur, d'examiner dans le détail l'ensemble des débats et des contradictions qui minent la famille libertarienne ou encore de démolir le libertarianisme, mais plutôt de construire une base théorique pour évaluer l'importance de ce courant au nord de la frontière canado-américaine. Dans le chapitre 2, l'auteur présente cette histoire des libertariens au Québec, en revenant sur certains débats, comme ceux autour de la Grande Noirceur. Les libertariens ont en effet tendance à porter un regard plutôt bienveillant sur les années Duplessis (1936–1939,1944–1959), et ce, parce que l’État se tenait dans une position de retrait (75). En fait, la lecture de ce chapitre permet de rappeler que si le courant libertarien a connu une exceptionnelle vitalité avec la pandémie de COVID-19, comme Laberge le montre dans le chapitre 4, il était bien présent avant 2020. Ainsi, le libertarianisme n'est pas seulement un variant idéologique de la pandémie, même si celle-ci a permis de donner une actualité nouvelle à la critique de l’État sous la forme d'une dénonciation d'une supposée « dictature sanitaire ».
Dans le lot, le chapitre 3 est particulièrement intéressant, car il revient sur une difficulté sur laquelle butent les libertariens, spécialement au Québec, et qui est la suivante : comment en effet s'insurger contre l’État alors que celui-ci a joué un rôle central dans la prise en main nationale et économique des Québécois à partir des années 1960? Cette interrogation est d'autant plus intéressante que Duhaime et Masse ont milité pour l'indépendance du Québec (104–105), mais que, graduellement, ils sont devenus inconfortables avec le projet souverainiste. Ils en sont venus à y voir une sorte de fausse solution qui ne réglait en rien le problème de l’étatisme qui, selon eux, paralyse la liberté individuelle. En même temps, il semble que la dimension identitaire du nationalisme continue de persister, Martin Masse affirmant même, en entrevue, qu'il se trouve dans une posture de combat pour « sauver la civilisation occidentale » (159). Est-ce seulement par calcul politique pour élargir la base partisane de leur formation que Maxime Bernier et Martin Masse incluent des dimensions identitaires dans le programme du PPC avec une demande de restreindre le nombre d'immigrants dans une fourchette comprise entre 100 000 ou 150 000 nouveaux arrivants? (115). Si l'ouvrage permet de poser la question, il ne permet cependant pas d'y répondre avec certitude. Pour cela, il aurait fallu un corpus élargi permettant une analyse plus longue sur le plan temporel, question d'analyser en profondeur les premiers libertariens comme Jean-Luc Migué et Pierre Lemieux, et de voir si cette défense de l'identité était complètement absente ou non du discours des pionniers québécois. Néanmoins, Laberge met la question sur la table, si on peut dire. En ce sens, il s'agit d'un essai qui indique des pistes de réflexion pour qui voudra poursuivre le travail d'investigation de ce courant idéologique présent au Québec et au Canada, dont il serait téméraire de prédire la disparition. De ce point de vue, il invite aussi à de futures analyses comparatives entre le Québec et d'autres provinces comme l'Alberta, là où le libertarianisme n'a pas attendu la pandémie pour se manifester.