Au risque d’énoncer une vérité de La Palice, toute université a besoin de revenus pour exister. Au Québec comme ailleurs dans le monde, le financement étatique occupe une place importante – voire prédominante – dans les sources de revenus des établissements. Or, l'ampleur qu'a pris le financement des universités dans les finances publiques depuis les années 1960, de même que la montée de certains courants intellectuels dans les années 1980, a incité un grand nombre de gouvernements à réviser les subventions versées aux établissements afin de les offrir dans un cadre normatif et prévisible que l'on appelle couramment une « formule de financement » (Bouchard-St-Amant et al., Reference Bouchard St-Amant, Brabant and Germain2020). Mieux comprendre la relation entre l’État et ses universités par la lunette de la formule de financement qui les lie : c'est l'objectif que se sont fixés Pier-André Bouchard-St-Amant, Laurence Vallée, Lucie Raymond-Brousseau et Matis Allali en publiant Démystifier la formule de financement des universités. Le cœur de l'ouvrage, composé de dix chapitres, se décline en trois parties.
La première regroupe les chapitres 1 à 3 et situe l'architecture conceptuelle et empirique de l’œuvre. On y décrit avec beaucoup d'efficacité le choix de la théorie économique de l'intervention de l’État, ce à quoi succède une présentation exhaustive des archétypes des formules de financement dans d'autres juridictions. Le chapitre 3 s'appuie sur le cadre ainsi échafaudé pour décrire en détail la formule de financement québécoise. Pour beaucoup de lecteurs, ce chapitre constituerait la pièce de résistance de l'ouvrage. Ce n'est pourtant que le premier de cet ouvrage qui se plonge ainsi dans les particularités du financement universitaire.
Les chapitres 4 à 7 constituent ce que les auteurs appellent « une exploration empirique » (3) du sujet. Le lecteur est successivement plongé dans une analyse fine des variations de financement entre les établissements (chapitre 4), des effets de la pondération sur le financement des établissements (chapitre 5) et des ajustements mis en place par les établissements en réponse aux diverses composantes de la formule (chapitre 6). Dans le chapitre 7, les auteurs appliquent les résultats des réformes des chapitres précédents pour en mesurer les impacts sur le financement de chacun des dix-neuf établissements québécois. À lui seul, ce chapitre illustre à la fois la pertinence et l'originalité de la contribution de l'ouvrage.
Le propos de la troisième partie s'organise autour de deux axes. Les chapitres 8 et 10 décortiquent deux composantes de la formule de financement : la subvention de contrepartie (servant d'incitatif au développement philanthropique, chapitre 8) et les subventions conditionnelles (chapitre 10). Entre les deux, on trouve le chapitre qui s'avère être le moins « classique » de ce genre de monographie : une exploration de modèles prédictifs pour le financement québécois (chapitre 9).
Le domaine de l'enseignement supérieur ne souffre pas d'une pénurie d'ouvrages spécialisés. Dans cet immense bassin, le corpus de monographies qui compose le champ de l'analyse systémique est déjà plus circonscrit, et se réduit encore plus lorsque l'on s'intéresse spécifiquement à la question du financement des établissements. Si l'on s'intéresse au Québec, le corpus d'ouvrages spécialisés est réduit à zéro. Il ne manque pourtant pas d’écrits gouvernementaux ou institutionnels pour décrire et musarder sur la question. Il ne manque pas non plus d’études sur un aspect particulier de l'architecture du financement universitaire (on pense notamment à Trahan et Carreau, Reference Trahan and Carreau2010, ou à Crespo, Beaupré-Lavallée et Dubé, Reference Crespo, Beaupré-Lavallée and Dubé2011), souvent sous forme de rapport de recherche, de mémoire ou de thèse; trois formats qui limitent l'ampleur du phénomène ou de son analyse.
Deux aspects manquaient donc cruellement au corpus québécois : d'une part une description exhaustive du système de financement d'un État, s'appuyant d'autre part sur une analyse de l'ensemble des paramètres plutôt qu'un seul. Démystifier la formule de financement des universités comble ces manques à l’égard de la situation québécoise. Le format monographique permet aux auteurs de présenter et d'explorer la question à un degré de précision qui n'existait pas jusqu’à maintenant. Ils n'ont pas eu à faire l’économie du détail dans la description des mécanismes de financement, ce qui leur permet de mettre successivement en lumière des rouages essentiels de la formule de financement et des épiphénomènes révélateurs de ses fondements politiques et sociétaux. Une fois le système décrit sous toutes ses coutures, l’équipe d'auteurs a pu, dans le même ouvrage, approfondir certains aspects clés du financement. La qualité des descriptions et des analyses, combinée au caractère de l'ouvrage dans sa globalité, font de Démystifier la formule de financement des universités un ouvrage qui viendra appuyer la recherche et l'enseignement dans plusieurs champs de l'enseignement supérieur. À cet égard, mentionnons, à titre d'exemples, l'analyse de politiques en enseignement supérieur et l'administration des établissements universitaires au Québec.
En entrelaçant les analyses économiques et celles relevant des politiques publiques, Bouchard-St-Amant et ses collaborateurs ont néanmoins dû faire certains choix. On trouve ici la limite de l'ouvrage, non pas dans la qualité de ses descriptions ou de ses démonstrations, mais bien dans l'omniprésence du constat que les sujets abordés dans plusieurs chapitres auraient gagné à être considérés de points de vue autres que celui de l’économie publique. En ce sens, il faut rappeler au futur lectorat que l'ouvrage se veut la base d'une programmation de recherche nationale, non sa conclusion.