Hostname: page-component-586b7cd67f-t7czq Total loading time: 0 Render date: 2024-11-23T22:35:29.419Z Has data issue: false hasContentIssue false

Légitimité des normes environnementales dans la gestion locale de la forêt à Madagascar

Published online by Cambridge University Press:  02 January 2013

Marie-Hélène Bérard
Affiliation:
Faculté de droit, Université Laval, Ville de Québec (Québec) G1V 0A6, Canada Courriel: [email protected]

Abstract

In 1996, the Madagascan state enacted Law 96-025 (the GELOSE Law), which transferred the management of certain renewable natural resources to local populations by means of negotiated contracts. This legal strategy was innovative in many ways, namely by prescribing the use of Dina, a local traditional convention, in management-transfer contracts. By using Dina, the state claimed to reconcile the “legal” with the “legitimate” and to favour a sustainable management of these resources. This article focuses on the conditions of legitimacy of environmental norms in a pluralistic legal context marked by globalization. The use of Dina has not in fact contributed to an increased legitimacy of environmental norms, thanks to significant differences between its use and local regulatory procedures, insufficient governmental coordination in the implementation of Law 96-025, and a lack of resonance of sustainable development.

Résumé

En 1996, l'État malgache promulguait la loi 96-025 (loi GELOSE) visant à transférer la gestion de certaines ressources naturelles renouvelables aux communautés locales par le biais de contrats négociés. La stratégie juridique adoptée s'avérait innovatrice à plusieurs égards, notamment en prescrivant l'utilisation du Dina, une convention locale traditionnelle, dans les contrats de transfert de gestion. En intégrant les Dina, les autorités étatiques prétendaient réconcilier le «légal» et le «légitime» et favoriser ainsi une gestion durable de ces ressources. Cet article s'intéresse aux conditions de légitimité des normes environnementales dans un contexte juridique pluraliste et marqué par la mondialisation. Il démontre que l'utilisation des Dina n'a pas favorisé une plus grande légitimité des normes environnementales à cause du décalage entre les nouveaux Dina et les modes de régulation locale, d'une coordination étatique insuffisante de la mise en œuvre de la loi 96-025 et d'un manque de résonance de la notion de développement durable.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Canadian Law and Society Association 2011

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

1 Loi 96-025 du 10 septembre 1996 relative à la gestion locale des ressources naturelles renouvelables, Journal Officiel (J. O.) du 14 octobre 1996, p. 2377–2385.

2 En nous appuyant sur la typologie de Le Roy et Wane (1982), nous faisons une distinction entre les Dina endogènes qui relèvent du droit traditionnel, les Dina coutumiers adoptés lors de la période coloniale et postcoloniale et les Dina GELOSE qui appartiennent davantage au droit local. Il est important de préciser que ces différents types de Dina existent en parallèle sur le terrain et empruntent les uns des autres. En d'autres mots, les Dina GELOSE n'ont pas fait disparaître les Dina endogènes qui continuent de régir certains aspects importants de la vie des villageois, comme la sécurité ou l'entraide villageoise, et certains Dina coutumiers comme les Dina de reboisement se retrouvent parfois en compétition avec les Dina GELOSE pour encadrer l'accès et l'utilisation des ressources de la forêt. Pour la typologie, voir É. Le Roy et M. Wane, « La formation des droits non-étatiques », dans P. Touzard (dir.), Encyclopédie juridique de l'Afrique, t. 1, « L'État et le droit », Abidjan, Nouvelles éditions africaines, 1982, p. 355.

3 Office National pour l'environnement de Madagascar (ONE), Élaboration de schéma directeur et de Dina type pour la gestion locale communautaire des feux, juin 1996, p. 44Google Scholar.

4 Service d'Appui à la Gestion de l'Environnement (SAGE), en ligne : <http://www.madagascarsage.org/spip.php?rubrique6> (site consulté le 12 juillet 2010).

5 Bertrand, A., «La gestion contractuelle, pluraliste et subsidiaire des ressources renouvelables à Madagascar (1994-1998)» (1999) 3 (2) African Studies Quarterly, en ligne : <http://web.africa.ufl.edu/asq/v3/v3i2.htm>Google Scholar (site consulté le 12 juin 2008).

6 Razafindrabe, M., «Les aspects humains de la gestion des ressources naturelles à Madagascar: quelques jalons d'une anthropologie du droit», dans E. Le Roy (dir.), Quelques jalons d'une anthropologie du droit, Paris, Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris, 1998, p. 76Google Scholar.

7 Les observations de nos visites sur le terrain, de même que les discussions informelles avec des informateurs, ont aussi été consignées. Les entrevues et les notes de recherche ont été traitées et analysées au moyen du logiciel de traitement de données qualitatives N'Vivo. Ce logiciel nous a permis de trier le matériel qualitatif en fonction de nos trois axes de recherche et de dégager les thèmes récurrents. Nous avons codé les quarante entrevues et les notes de terrain, et croisé ces informations avec les rapports d'évaluation de la loi 96-025, les rapports d'experts, les synthèses d'ateliers et la littérature académique pour dégager les convergences et les divergences dans les perspectives des différents acteurs de la mise en œuvre de la loi 96-025.

8 Agenda 21, Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement, Organisation des Nations Unies (ONU), (Doc. NU, A/CONF.151/26/Rev.1) vol. 1 (1993), paragr. 8.13 et 8.14.

9 La rationalité formelle du droit est définie par Weber comme « la mise en cohérence logique et […] la systématisation abstraite des règles juridiques », Coutu, M., «Légitimité du droit et transformation de la culture juridique», dans B. Melkevik, (dir.), Transformation de la culture juridique québécoise, Ste-Foy, Presses de l'Université Laval, 1998, p. 7071Google Scholar.

10 Belley cité dans M. Coutu, supra, note 9, p. 80.

11 Bernstein, S., «Legitimacy in Global Environmental Governance», (2005) 1 (2) Journal of International Law & International Relations, p. 142Google Scholar.

12 O. Barrière, Droit négocié de gouvernance locale : la charte de territoire pour une gestion concertée de l'environnement, ERSA, «Gouvernance locale et développement durable», Paris, 2007, p. 1718Google Scholar. Voir aussi Hesseling, G., «Legal and Institutional Incentives for Local Environmental Management», dans H. S. Marcussen (dir.), Improved Natural Resource Management, Roskilde, International Development Studies, 1996, p. 113Google Scholar.

13 Delville, P. Lavigne, «Conditions pour une gestion décentralisée des ressources naturelles. Entre “community failures”, “market failures” et “state failures”, construire de nouveaux “communs”», L'État et la gestion locale durable des forêts en Afrique francophone et à Madagascar, Paris, l'Harmattan, 2006, p. 167Google Scholar.

14 Brechin, S., Wilshusen, P. R., Fortwangler, C. L. et West, P. C., «Beyond the Square Wheel: Toward a More Comprehensive Understanding of Biodiversity Conservation as Social and Political Process», (2002) 15 Society and Natural Resources, p. 43CrossRefGoogle Scholar.

15 Lambert-Habib, M.-L., «Décentralisation constitutionnelle et environnement», (2004) 1 Revue juridique de l'environnement, p. 1819Google Scholar.

16 Convention sur la diversité biologique, ONU, 1992, en ligne : <http://www.cbd.int/doc/legal/cbd-fr.pdf.

17 «The most important role for international law in a global society that is both integrated and fragmented may be as the expression of fundamental norms (or values) among peoples […]», Brown-Weiss, E., «The Changing Structure of International Law», dans M. Prieur et C. Lambrechts (dir.), Les hommes et l'environnement : Quels droits pour le vingt-et-unième siècle?, Paris, Éditions Frison-Roche, 1998, p. 6Google Scholar.

18 Le philosophe du droit Lon L. Fuller s'est intéressé indirectement à la question de la légitimité dans le cadre de ses recherches sur les dimensions implicites du droit (implicit law). Fuller pensait que l'existence même du droit repose sur le lien entre les lois édictées et les pratiques et conventions sociales. Voir Postema, J., «Implicit Law» dans W.J. Witteveen, W. van der Burg, (dir.), Rediscovering Fuller: Essays on Implicit Law and Institutional Design, Amsterdam, Amsterdam University Press, 1999, p. 265Google Scholar.

19 Brunnée, J. et Toope, S. J., «Environmental Security and Freshwater Resources : Ecosystem Regime Building», (1997) 91 American Journal of International Law, p. 31CrossRefGoogle Scholar.

20 Brunnée, J. et Toope, S. J., «International Law and Constructivism: Elements of an Interactional Theory of International Law» (20002001) 39 Columbia Journal of Transnational Law, p. 74Google Scholar.

21 Raharijaona, H., «Le droit malgache et les conventions de fokonolona», dans J. Poirier (dir.) Etudes de droit africain et de droit malgache, Paris, Cujas, 1965, p. 49Google Scholar.

22 D'autres définitions du Dina insistent davantage sur les rituels: «un accord ou une convention passé par les membres d'un Fokonolona, à l'intérieur duquel ceux-ci font un serment coutumier», Ravelojaona dans Rajaona, R. A., «Le dinam-pokonolona, mythe, mystique ou mystification?», (1980) 7 Annuaire des pays de l'Océan Indien, p. 145Google Scholar; et aussi «une convention ou accord entre les membres d'une communauté déterminée où chaque membre doit marquer son adhésion par des serments ou des imprécations et dans laquelle des sanctions ou malédictions sont prévues ou réservées à ceux qui ne respectent ou n'appliquent pas les termes convenus», Razanabahiny, V., Le Dina: convention entre les membres de communautés villageoises, cas de la réserve naturelle intégrante d'Andohahelo Tolagnaro, Mémoire de CAPEN, Filières Lettres Malagasy, 1995, p. 67Google Scholar.

23 Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (organisme français).

24 Fonds mondial pour la nature (World Wildlife Fund).

25 Consortium Resolve-PCP-IRD, Évaluation et perspectives des transferts de gestion des ressources naturelles dans le cadre du Programme Environnemental 3, Rapport final, phase 2: analyse qualitative, octobre 2004, p. 86Google Scholar.

26 Wiederkehr cité dans Ralalarirmanga, H. C. S., Droit, pratiques locales et gestion durable des ressources naturelles renouvelables: Étude de cas sur l'application de: la GÉLOSE à Ambohirano Merikanjaka, mémoire de diplôme d'études approfondies, École supérieure des sciences agronomiques, Université d'Antananarivo, février 2006, p. 57Google Scholar.

27 Goedefroit, S., «La restitution du droit à la parole», (2006) 178 Études rurales, p. 50Google Scholar.

28 Randriamanalina, D. J., «Logique communautaire et gestion des ressources naturelles renouvelables terrestres chez les Betsimisaraka du nord-est», (2002) 2 Cahiers du C3EDM, p, 22Google Scholar.

29 Entrevue 010 (juriste).

30 Entrevue AT-004 (chercheur étranger).

31 Ralalarimanga, supra note 26, p. 36.

32 Entrevue Com-4 (villageois).

33 Entrevue Com-9 (villageois).

34 Entrevue AT-019-020 (ONG national).

35 D'après Ralalarimanga, supra note 26, p. 24.

36 Ibid., p. 83.

37 ONE, Cellule GELOSE, Où en est la GELOSE en cette fin 1998? Bilan et priorités pour 99, décembre 1998, p. 5Google Scholar.

38 Montagne, P., «Transfert de gestion, gestion locale et décentralisation à Madagascar» dans A. Bertrand, P. Montagne et A. Karsenty, L'État et la gestion locale durable des forêts en Afrique francophone et à Madagascar, Paris, l'Harmattan, 2006, p. 413Google Scholar.

39 Consortium RESOLVE-PCP-IRD, Évaluation et perspectives des transferts de gestion des ressources naturelles dans le cadre du Programme Environnemental 3, Rapport final, phase 2: analyse qualitative, octobre 2004, p. 25Google Scholar (annexe).

41 Ramamonjisoa, B., «Origines et impacts des politiques de gestion des ressources naturelles à Madagascar», (2004) 155 (11) Schweiz Z. Forstwes, p. 6CrossRefGoogle Scholar.

42 Aubert, S., «La gestion patrimoniale des ressources forestières à Madagascar», dans M.-C. Cormier-Salem et al. (dir.), Patrimonialiser la nature tropicale - Dynamiques locales et enjeux internationaux, Paris, IRD Edition, Collection colloques et séminaires, 2002, p. 120Google Scholar.

43 Babin, D. et Bertrand, A., «Comment gérer le pluralisme: subsidiarité et médiation patrimoniale», (1998) 49 (194) UNASYLVA, p. 6Google Scholar.

44 Weber, J., Conservation, développement et coordination: peut-on gérer biologiquement le social?, Colloque panafricain «Gestion communautaire des ressources naturelles renouvelables et développement durable», Harare, 24-27 juin 1996, p. 12Google Scholar.

45 En 2000, une trentaine de contrats ont été adoptés alors que les responsables en prévoyaient au moins 400 selon Maldidier, C., 1996-2000: La décentralisation de la gestion des ressources renouvelables à Madagasacar: les premiers enseignements sur les processus en cours et les méthodes d'intervention, Antananarivo, 2001, p. 8Google Scholar.

46 Antona, M., Motte-Biénabé, E. et al. , «Rights Transferts in Madagascar Biodiversity Policies», (2004) 9 (6) Environment and Development Economics, p. 834CrossRefGoogle Scholar.

47 Cette expression a été utilisée par des chercheurs malgaches lors de l'Atelier MOGED-ECO sur la gestion des ressources naturelles à Madagascar présenté dans le cadre de la 8è Conférence scientifique biennale de la Société internationale pour une économie écologique qui s'est déroulée du 11 au 14 juillet 2004 à Montréal.

48 Goedefroit, supra note 27, p. 49.

49 Consortium RESOLVE-PCP-IRD, Évaluation et perspectives des transferts de gestion des ressources naturelles dans le cadre du Programme Environnemental 3, Rapport final de synthèse, Janvier 2005, p. 4Google Scholar.

50 Entrevue (consultant malgache).

51 Entrevue (chercheur étranger).

52 Muttenzer, F., «La mise en œuvre de l'aménagement forestier négocié, ou l'introuvable gouvernance de la biodiversité à Madagascar» (2001) 26 Bulletin du LAJP 11Google Scholar.

53 Antona et al., supra note 46, p. 841.

54 Entrevue AT-015 (ONG internationale).

55 Entrevue Inst-006 (fonctionnaire); entrevue AT-023 (consultant).

56 Entrevue AT-001-002-003 d) (technicien d'appui); entrevue Inst-003 (fonctionnaire).

57 Consortium RESOLVE-PCP-IRD, supra note 49, p. 20.

58 Antona et al., supra note 46, p. 840.

59 Rajaonson, B. et al. , Proposition d'une politique de décentralisation de la gestion des ressources renouvelables et des feux de végétation, Antananarivo, Office statistique et informatique pour la programmation du développement (OSIPD), ONE, 1995, p. 61Google Scholar.

60 Entrevue AT-006-007 (ONG internationale).

62 Antona et al., supra note 46, p. 834.

63 Goedefroit, supra note 27, p. 54.

64 Entrevue AT-021 (chercheur malgache).

65 Site web du SAGE: <http://www.madagascarsage.org/spip.php?rubrique6, (consulté le 3 Janvier 2010).

66 Entrevue Inst. 010 (juriste malgache).

67 «Manuel de procédure GELOSE», dans ONE, Atelier sur les résultats des études sur le terrain concernant la gouvernance et la tenure des ressources naturelles, Mantasoa, 7-9 septembre 1994.

68 Ranjatson, J.-P., «Pluralisme du discours normatif et syncrétisme du droit de la pratique: les situations foncières de la colonisation agraire dans deux cas malgaches», colloque La mondialisation contre le développement, UMR IRD-UVSQ, no. 063, 10-11 juin 2004, p. 12Google Scholar.

69 Charte de l'environnement malagasy, Ministère de l'Environnement, des Eaux et Forêts, en ligne: <http://www.droit-afrique.com/images/textes/Madagascar/Mada-Charteenvironnement.pdf>.

70 Loi n° 90-033 du 21 décembre 1990 portant Charte de l'Environnement malagasy (J.O. n° 2035 du 24.12.90, p. 2540) modifiée par la loi n° 97-012 du 6 juin 1997 (J. O. du 09.06.97, p. 1171, Edition spéciale et n° 2584 du 12.07.99, p. 1479) et par la Loi N° 2004-015 du 19 août 2004 modifiant et complétant certaines dispositions de l'annexe à la loi n° 90-033 du 21 décembre 1990 portant Charte de l'Environnement Malgache et de la loi n° 97 – 012 du 06 juin 1997.

71 Loi 96-025, supra note 1.

72 Loi constitutionnelle no. 2007-001 du 27 avril 2007 portant révision de la Constitution.

73 M'Bokolo, E., L'Afrique au XXe siècle: le continent convoité, Paris, Éditions du Seuil, 1985, p. 262Google Scholar.

74 Entrevue AT-012-013 (consultant malgache).

75 Entrevue Inst-004 (haut fonctionnaire).

76 Entrevue AT-018 (ONG internationale).

77 Commission Mondiale sur l'Environnement et le Développement, Notre avenir à tous (Rapport Brundtland), Montréal, Éditions du Fleuve, 1988, p. 51Google Scholar.

78 Même dans nos contextes du Nord, les intérêts à courte vue de nos décideurs, certains lobbys et même le droit, ne sont pas toujours en mesure de prendre en compte les durées de la nature; voir à ce sujet de Sadeleer, N., «Les enjeux de la temporalité dans le droit de l'environnement», dans P. Gérard, F. Ost et M. van de Kerchove (dir.), L'accélération du temps juridique, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 2000, p. 909Google Scholar.

79 Entrevue AT-014 (chercheur malgache).

80 Clammer, J., Poirier, S., et Schwimmer, E. (dir.), «Introduction», dans Figured Worlds: Ontological Obstacles in Intercultural Relations, Toronto, University of Toronto Press, 2004, p. 19Google Scholar.