Introduction
On évalue à 192 000 le nombre d’élèves et d’étudiants identifiés comme étant en difficulté en Ontario. De plus, 96 000 élèves non officiellement identifiés bénéficient aussi de services et de programmes destinés à l’enfance en difficultéFootnote 1. Il s’agit de près de 14 % des effectifs étudiants, et ce nombre ne cesse de croîtreFootnote 2. Dans ce contexte, il est suggéré que parents et personnel scolaire s’associent afin de faire en sorte que tous les élèves s’inscrivent dans des situations d’apprentissage optimalesFootnote 3. Or, force est de constater que des parents dont les enfants éprouvent des difficultés vivent un véritable «parcours du combattant» quand ils font part de leurs souhaits au regard de la scolarisation de leur enfantFootnote 4. Le récent jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Moore en est un exempleFootnote 5. Il a fallu plus de dix ans pour que les parents de Jeffrey obtiennent gain de cause. La Cour rend justice en évoquant le fait que Jeffrey n’a pas bénéficié de services spécialisés suffisants en milieu scolaire alors qu’il éprouvait de sérieuses difficultés d’apprentissage.
Force est donc de constater que bien que des partenariats soient souhaités, en amont, entre parents et professionnels de l’école, il semble que le rôle des parents se situe encore trop souvent en aval, au moment de la contestation et des différents recours qui s’offrent à eux. Ce processus freine la mise en place d’une éducation réellement inclusive. En plus, on note un manque dans la littérature sur le sujet spécifique des recours. Certaines recherches, et notamment une analyse du Tribunal de l’enfance en difficulté de l’Ontario (TEDO) par Angela Veale, datent de plus de dix ansFootnote 6. Cet article souhaite combler cette lacune, car il est important que des données récentes sur l’existence, l’utilisation et l’utilité des recours puissent informer les politiques publiques en matière d’inclusion scolaire. Avec la philosophie de l’inclusion en toile de fond, la recherche porte sur les recours offerts aux familles en Ontario et, plus spécifiquement, sur le TEDO en tant qu’instance spécialisée chargée de trancher les litiges.
Un examen approfondi de la situation de recours offerts aux familles en situation minoritaire francophones est ici mené, car nos recherches antérieures indiquent l’existence de difficultés particulières que vit cette communauté par rapport à la recherche de l’inclusion scolaireFootnote 7. Depuis que les écoles de langue française ont obtenu leur pleine gestion en 1998, l’obligation d’offrir les mêmes services dont bénéficient la majorité anglophone devrait structurer la politique de l’enfance en difficulté et, notamment, la question du recours offerts aux familles. Le Manitoba et le Nouveau-Brunswick ont été choisis comme terrains de comparaison essentiellement en raison de la minorité francophone importante qui occupe ces provinces : près de 5 % en Ontario, près de 4 % au Manitoba et 30 % au Nouveau-Brunswick, seule province bilingue. Les recours en place dans ces provinces et leur utilisation par les familles anglophones et francophones sont présentés de manière générale, mais nous avons choisi d’approfondir la recherche en milieu minoritaire francophone dans ces provinces qui ont été au centre des crises scolaires du Canada francophone. La situation de la minorité francophone est noyée dans les études plus générales sur l’éducation inclusive et ainsi les difficultés et caractéristiques particulières ressortent rarement dans la recherche concernant les provinces majoritairement anglophones.
Dans un premier temps, il s’agira d’examiner les orientations politiques en faveur de l’éducation inclusive en Ontario, mais aussi dans les deux provinces de comparaison, et de mieux comprendre, par la suite, les procédures d’appel mises en place pour les parents dans ces contextes bien précis. Enfin, une analyse des affaires portées devant les tribunaux, notamment devant le TEDO, est effectuée dans le contexte spécifique de l’Ontario, avec une attention particulière à l’utilisation des recours par les parents dont les enfants sont inscrits à l’école de langue française. Les conclusions discutent de l’efficacité des voies de recours par rapport à l’objectif d’inclusion et les résultats de l’analyse pointent vers des questions fondamentales quant à la mise en place d’une approche véritablement inclusive de l’éducation.
I. La notion d’inclusion dans le milieu scolaire
Nous examinerons d’abord comment l’éducation spécialisée a évolué en passant de l’exclusion à la ségrégation et de l’intégration à l’inclusion. Malgré le développement d’un concept d’inclusion scolaire, la notion même d’inclusion demeure floue, étant parfois rattachée à l’intégration en classe ordinaire des enfants à besoins éducatifs particuliers et parfois s’élargissant à un modèle inclusif de la société qui doit s’adapter à tous.
1. La philosophie de l’inclusion
L’inclusion, dans le contexte scolaire, se situe dans un mouvement historique et politique de démocratisation de l’enseignement. Dans les provinces canadiennes, et dans le monde occidental de manière générale, on note que la participation des enfants handicapés à l’éducation formelle était de nature aléatoire, dépendant de la bonne volonté des écoles et des enseignants, des offres de placement dans des écoles gérées par des congrégations religieuses jusqu’aux années 1960, environFootnote 8. La plupart des enfants en situation de handicap étaient exclus des écoles ordinaires et le droit à l’éducation n’était pas universellement reconnu à tous. Les années 1960 marquent l’âge d’or de l’éducation spécialisée où tout un contingent de spécialistes soutient un système parallèle et ségrégué. C’est à la fin des années 1960 et du début des années 1970 qu’un véritable tournant s’opère, avec la réalisation que l’éducation spécialisée en milieu ségrégué ne produit pas les résultats escomptés et n’encourage pas l’intégration socialeFootnote 9. Les années 1970 sont aussi des années de développement remarquable dans la reconnaissance des droits de l’enfant avec, d’une part, la décision par les Nations Unies de développer une convention sur les droits de l’enfant et, d’autre part, la reconnaissance du droit à l’éducation, avec l’entrée en vigueur du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels, suivi de sa ratification par le Canada en 1976Footnote 10.
Dans les années 1970, une philosophie de l’intégration commence à être façonnée et ensuite mise en place au niveau des législations provinciales dans les années 1980. La nouvelle approche prônait l’intégration des élèves à besoins éducatifs particuliers dans les classes régulières. Le but était de faire en sorte que l’élève s’adapte et s’intègre à la classe ordinaire. Cette approche entrait dans une logique de développement social et d’égalité. Avec le mouvement des personnes handicapées dans les années 1980 et la promotion du modèle social du handicapFootnote 11, ainsi qu’avec l’avènement de la Charte canadienne des droits et libertés et le développement de la notion d’égalité en droits de la personne, on commence à adopter une perspective différente dans les années 1990. On reconnait que la simple intégration de l’élève handicapé dans une classe ordinaire ne suffit pas pour l’égalisation des chances. La classe et le contexte scolaire doivent être inclusifs et équitables pour répondre aux besoins de tous. Selon la philosophie de l’inclusion qui est émergente dans les années 1980 et se renforce dans les années 1990, il ne s’agit pas de demander à un élève, dont les besoins diffèrent de la norme, de s’adapter à un contexte et à des façons de faire prédéterminées, qui ont été conçus pour convenir à une majorité. Au contraire, il s’agit de s’adapter à une variété de besoins et de styles d’apprentissage et de créer une salle de classe dans laquelle la diversité est valorisée. Cette philosophie de l’inclusion est d’ailleurs prônée dans la Convention sur les droits des personnes handicapées, ratifiée par le Canada en 2010Footnote 12.
Pourtant, le concept de l’inclusion scolaire ne fait pas l’unanimité et les parents revendiquent tantôt l’inclusion en classe ordinaire en tant que but ultime, tantôt les services qui permettraient à leur enfant d’atteindre le meilleur niveau d’éducation possible, ou bien encore des programmes et même des classes ou institutions séparées. Tous recherchent l’égalisation d’opportunités ; les moyens d’y parvenir diffèrent toutefois. Du point de vue des conseils scolaires, l’offre de programmes diffère d’un lieu à l’autre. La Cour suprême du Canada est venue confirmer l’absence d’une approche unifiée à l’éducation des enfants handicapés dans l’affaire Eaton. Selon la Cour, il faut examiner le cas de chaque élève pour décider si un placement en classe ordinaire lui serait bénéfique ou s’il serait préférable que l’enfant soit placé dans une classe spécialiséeFootnote 13. On remarque, à la lecture du jugement, que le débat se situe encore beaucoup dans la dichotomie intégration/ségrégation, plutôt que dans une approche plus large et continue de l’inclusion, en tant que philosophie s’appliquant à un projet de société et reliée à des concepts comme le design universel.
2. Le concept d’inclusion dans les systèmes scolaires
En Ontario, ce n’est qu’en 1980 que la loi reconnait aux conseils scolaires l’obligation de fournir des programmes d’éducation à tous les enfants handicapés, quels que soient leurs capacités ou leurs handicapsFootnote 14. La politique concernant l’éducation des enfants handicapés suit depuis lors une logique de l’inclusion, mais indiquant certaines nuances. Notamment, dans son premier manuel d’information sur l’éducation à l’enfance en difficulté, en 1984, le ministère de l’Éducation de l’Ontario (MEO) annonce que « [e]very exceptional child has the right to be part of the mainstream of education to the extent to which it is profitable »Footnote 15. En 1994, le Ministère précise que « l’intégration des élèves en difficulté devrait être la norme en Ontario lorsque ce type de placement répond aux besoins de l’élève et qu’il correspond au choix des parents »Footnote 16.Depuis les années 2000, on constate que les politiques du MEO adaptent les principes de l’inclusion de manière large à tous les élèves. À la suite d’un rapport d’experts décrivant l’orientation inclusiveFootnote 17, le Ministère adopte une série de documents qui énoncent la politique de l’éducation inclusiveFootnote 18. Le MEO estime qu’un système d’éducation équitable et inclusif cadre avec ses trois priorités : 1) des hauts niveaux de rendement des élèves, 2) la réduction des écarts en matière de rendement des élèves et 3) l’accroissement de la confiance du public dans l’éducation publique.
Le MEO définit ainsi l’éducation inclusive comme étant une « [é]ducation basée sur les principes d’acceptation et d’inclusion de tous les élèves. L’éducation inclusive veille à ce que tous les élèves se sentent représentés dans le curriculum et dans leur milieu immédiat de même que dans le milieu scolaire en général dans lequel la diversité est valorisée et toutes les personnes sont respectées »Footnote 19. Les documents du MEO reconnaissent tous les motifs illicites de discrimination qui sont énoncés dans le Code des droits de la personne de l’Ontario, de même que divers enjeux sociétaux comme le racisme, le harcèlement sexuel, la violence fondée sur le sexe et le statut socioéconomiqueFootnote 20. Ces préoccupations démontrent que les politiques récentes sont en grande partie inspirées de la diversité croissante de la population ontarienne et cherchent à répondre aux problématiques liées à l’éducation des divers groupes ethniques, culturels et religieux. Bien que les enfants en situation de handicap soient compris dans cette diversité, l’éducation inclusive est surtout un concept qui s’inspire d’une certaine approche de la diversité.
Concernant les élèves en difficulté, la discussion tourne toujours autour de la question de l’intégration en classe ordinaire, sur laquelle on met l’emphase dans la législationFootnote 21, sans toutefois identifier cette intégration comme étant une composante de l’éducation inclusive. Les tribunaux ont certainement contribué à dissocier les notions d’inclusion et d’éducation en classe ordinaire, en déterminant qu’il n’existe pas de présomption en faveur d’un tel placement au niveau législatif ou constitutionnelFootnote 22.
Pourtant, le concept d’inclusion plus large n’a pas à être séparé de la question d’intégration scolaire. Ainsi, l’UNESCO prône un concept large d’éducation inclusive, qui veut que les écoles s’adaptent pour répondre aux besoins des groupes marginalisés et exclusFootnote 23, mais fait le lien entre l’éducation inclusive et l’éducation en classe ordinaire pour les enfants handicapés, en affirmant que « les écoles ordinaires ayant cette orientation intégratrice constituent le moyen le plus efficace de combattre les attitudes discriminatoires, en créant des communautés accueillantes, en édifiant une société intégratrice et en atteignant l’objectif de l’éducation pour tous »Footnote 24.
Le Manitoba et le Nouveau-Brunswick présentent des différences notables par rapport à l’Ontario quant à leur politique de l’inclusion. Le concept de l’inclusion s’applique au contexte de l’éducation de l’enfance en difficulté, comporte un aspect important d’intégration scolaire et se fonde sur l’égalité et l’inclusion sociale. Notamment, « [a]u Manitoba, on considère l’inclusion comme une source d’enrichissement qui sert à augmenter le bien-être de chaque membre de la collectivité »Footnote 25. Plus précisément, le ministère de l’Éducation du Manitoba énonce sa philosophie de l’inclusion en 2001Footnote 26 :
L’inclusion constitue une façon de penser et d’agir qui permet à chaque personne de se sentir acceptée et appréciée tout en se sentant en sécurité. Une collectivité qui favorise l’inclusion est elle-même dynamique et évolue au rythme des besoins changeants de ses membres. En reconnaissant les besoins de ceux-ci et en leur offrant l’appui nécessaire, une collectivité inclusive assure à ses membres l’occasion de jouer un rôle pertinent et l’égalité d’accès aux avantages qui leur reviennent à titre de citoyensFootnote 27.
Éducation Manitoba envisage donc l’inclusion dans l’optique d’un projet de société et, pour y arriver, le gouvernement vise une transformation du système scolaire afin que celui-ci réponde toujours mieux aux besoins de tous. À cet effet, le gouvernement a adopté sa législation sur l’« éducation appropriée », reflétant sa définition de l’inclusion et la rattachant à l’éducation de l’enfant dans la classe ordinaireFootnote 28. Sur son site, le Ministère précise que :
Pour les élèves ayant des besoins spéciaux, l’expérience scolaire devrait, autant que possible, être semblable à celle des autres élèves.
Pour que l’inclusion soit une réalité au Manitoba, les éducateurs devront
- faire en sorte que l’école et la classe forment des collectivités au sein desquelles tous les élèves, quels que soient leurs besoins et leurs aptitudes, éprouvent un sentiment d’appartenance et d’accomplissement;
- mettre en œuvre des pratiques permettant d’enseigner en même temps et de façon efficace à des élèves dont les besoins en matière d’apprentissage sont très variés;
- aider les élèves à relever plus facilement les défis de la diversitéFootnote 29.
L’approche manitobaine à l’inclusion est celle d’un véritable mainstreaming, puisque les programmes d’éducation appropriés ne sont pas limités à des catégories particulières d’étudiants et se rattachent à la notion de diversité. De plus, cette approche sert à harmoniser la législation avec les concepts d’égalité et de non-discrimination dans la Charte canadienne des droits et libertés et dans le Code des droits de la personne du ManitobaFootnote 30.
Le Nouveau-Brunswick, quant à lui, a été chef de file en matière de philosophie de l’inclusion scolaire et applique l’inclusion dans ses écoles depuis plus de vingt ansFootnote 31. L’article 12(3) de la Loi sur l’éducation stipule que le directeur général du district scolaire doit placer un élève exceptionnel dans une classe régulière, dans la mesure du possible, « pour que celui-ci y reçoive les services et les programmes d’adaptation scolaire et afin qu’il puisse participer avec des élèves qui ne sont pas des élèves exceptionnels »Footnote 32.
Le ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick définit l’éducation inclusive comme étant :
[. . .] à la fois une philosophie et un ensemble de pratiques pédagogiques qui permettent à chaque élève de se sentir valorisé, confiant et en sécurité de sorte qu’il puisse réaliser son plein potentiel. L’inclusion scolaire repose sur un système de valeurs et de croyances axées sur le meilleur intérêt de l’enfant et qui favorisent chez lui une participation active à ses apprentissages et à la vie scolaire, un sentiment d’appartenance, le développement social ainsi qu’une interaction positive avec ses pairs et sa communauté scolaire [. . .]Footnote 33.
L’orientation inclusive de cette province s’appuie sur la Loi sur les droits de la personne, qui réitère le principe fondamental de l’égalité de tousFootnote 34, ainsi que sur les travaux de la Commission des droits de la personne du Nouveau-BrunswickFootnote 35. Les principes généraux de l’éducation inclusive indiquent que l’éducation publique est : 1) universelle, étant donné que le programme d’études provincial est offert équitablement à tous les élèves d’un quartier, dans un milieu d’apprentissage inclusif commun partagé par les pairs correspondant à leur âge ; 2) individualisée et 3) souple et adaptée aux nouvelles réalitésFootnote 36. À l’instar du Manitoba, le Nouveau-Brunswick relie donc l’inclusion scolaire avec la société inclusive, le développement individuel de chaque enfant et l’inclusion en classe régulière.
Les approches adoptées au Manitoba et au Nouveau-Brunswick contrastent avec l’Ontario, où la loi ne dispose pas de garanties aussi fortes d’inclusion et où la politique de l’inclusion n’est pas nécessairement en lien avec l’éducation en classe ordinaire. La politique de l’éducation de l’Ontario repose sur des objectifs de rendement scolaire et de réputation de l’éducation publique, et le concept d’inclusion répond au besoin de relever le défi d’une société multiculturelle. Contrairement aux deux autres provinces étudiées, on n’y expose pas le lien entre les besoins éducatifs particuliers, l’inclusion scolaire et un projet de société plus large qui repose sur l’inclusion et le développement social.
II. Les recours prévus par la législation
Le système de l’éducation pour l’enfance en difficulté prévu par la loi en Ontario mérite une étude plus approfondie, vu la complexité des procédures et la situation des élèves francophones. Cette formalité contraste avec les systèmes du Manitoba et du Nouveau-Brunswick.
1. La formalité du système ontarien
L’Ontario a mis en place tout un système d’éducation de l’enfance en difficulté basé sur l’identification et le placement des élèves. Selon la loi, « élève en difficulté » signifie l’élève « atteint d’anomalies de comportement ou de communication, d’anomalies d’ordre intellectuel ou physique ou encore d’anomalies multiples qui appellent un placement approprié »Footnote 37. Les anomalies désignées par le MEO, qui doivent être utilisées pour qualifier un élève en difficulté au moment de l’identification, sont les anomalies de comportement, troubles envahissants du développement, autisme et troubles connexes, surdité et surdité partielle, troubles de la parole et du langage, difficulté d’apprentissage, douance, déficience intellectuelle légère, handicap de développement, handicap physique, cécité et basse vision et anomalies multiplesFootnote 38. Cette catégorisation, qui peut certes simplifier le développement et l’offre de programmes, peut être considérée comme une relique de l’approche médicale du handicap, entrainant des conflits entre parents et autorités scolaires, qui ne s’entendent au sujet de l’identification.
Pour ce qui est des procédures reliées à l’obtention de services spécialisés, il convient de distinguer entre la procédure formalisée, qui donne droit aux moyens d’appel, et la procédure non-formelle, qui permet tout de même d’obtenir des aménagements pour répondre aux besoins de l’élève. La procédure non-formalisée se fait dans le cadre de l’école et peut aboutir à l’élaboration d’un plan d’enseignement individualisé (PEI) pour l’élève. Le PEI est un document important autant pour les élèves formellement identifiésFootnote 39 que pour les « élèves ayant des besoins particuliers » non-formellement identifiésFootnote 40, puisqu’il établit les objectifs fixés pour l’élève en matière d’éducation, les adaptations et les services offerts à l’enfance en difficulté dont a besoin l’élève.
La procédure formalisée est régie par le Règlement 181/98, qui vient compléter la loi en matière d’identification et de placement d’élèves en difficulté. Le règlement prévoit la création de Comités d’identification, de placement et de révision en éducation de l’enfance en difficulté (CIPR) au sein de chaque conseil. Selon les besoins de l’élève, le CIPR va choisir entre plusieurs types de placement soit dans une classe ordinaire, soit dans une classe distincte. Il se peut, notamment, que l’élève soit placé dans une classe ordinaire avec des périodes en classe séparée, ou entièrement dans une classe ordinaire avec un soutien personnalisé. La loi laisse une grande marge de manœuvre aux conseils scolaires pour mettre en place des programmes d’étude et des systèmes de soutien pour les élèves en difficulté, ce qui signifie que les options varient d’un conseil à l’autre.
Les principaux recours disponibles aux parents en cas de désaccord concernent l’identification et le placement de leur enfant, et dans ce cas, on peut demander une deuxième réunion du CIPR. Si le désaccord persiste, les parents peuvent faire appel à la Commission d’appel en matière d’éducation de l’enfance en difficulté, qui est composée d’une personne choisie par le conseil, une personne choisie par les parents et une personne choisie en tant que président par les deux membres. Il est important de noter que les recommandations de la commission d’appel ne lient pas le conseil scolaire. En dernier recours, le règlement prévoit l’appel au TEDO, qui est composé de quatre membresFootnote 41. Les décisions du TEDO sont obligatoires pour les parties et définitives. Cette procédure formelle ne s’applique qu’à la décision d’identification et de placement prise par le CIPR. Tout comme dans la procédure informelle, il n’est pas possible de faire appel pour contester une programmation, plus spécifiquement un PEI, ou s’assurer que le PEI soit mis en œuvre.
2. Comparaison avec les recours au Manitoba et au Nouveau-Brunswick
Contrairement à l’Ontario, les lois et règlements du Manitoba et du Nouveau-Brunswick n’offrent pas de définition d’élève en difficulté selon des catégories spécifiques. Au Manitoba, une évaluation personnalisée est prévue lorsque l’étudiant a de la difficulté à atteindre les résultats d’apprentissage prévusFootnote 42. Alors que le Manitoba n’a même pas adopté de terme pour désigner les élèves qui, en Ontario, sont considérés comme des « élèves en difficulté », au Nouveau-Brunswick on a conservé le terme d’« élèves exceptionnels ». La Loi sur l’éducation du Nouveau-Brunswick mentionne que ce sont les observations par rapport aux « particularités de comportement, de communication, intellectuelles, physiques, de perception ou les particularités multiples d’une personne retard[a]nt son développement en matière d’éducation », qui peuvent rendre nécessaire la mise en place d’adaptations scolairesFootnote 43. Ce manque de catégorisation formelle dans ces deux provinces est reflété dans les recours qui sont également moins détaillés et formels qu’en Ontario.
Au Manitoba, c’est le Règlement 155/2005 qui traite des procédures de recours. C’est au coordonnateur des révisions, nommé par le ministre, que les plaintes sont acheminées après que les parents aient tenté de régler le problème au niveau de l’école et de la division scolaire. La loi permet aux divisions scolaires d’établir des processus d’appel qui leur sont propresFootnote 44. Selon la documentation du Ministère, le processus doit être équitable, rapide et ouvert. Il doit être tel que les parents et le personnel de la division scolaire soient informés d’avance sur le fonctionnement du processus et aient un délai raisonnable pour se préparer et présenter leur causeFootnote 45. Néanmoins, la mise en place de ce processus de révision ne semble pas être obligatoire et un examen des documents publiés par la Division scolaire franco-manitobaine ne permet d’identifier aucun système de recours propre à la division scolaire. La plupart des autres divisions scolaires ne semblent pas non plus avoir adopté de politique de règlement des différends et celles qui l’ont fait mentionnent des procédures simples, indiquant la chaine de commande que les parents doivent respecterFootnote 46.
Si le différend n’a pu être réglé au niveau de la division scolaire, le coordonnateur des révisions peut offrir un autre mode de règlement de la plainte, tel que la médiationFootnote 47. En dernier recours, un comité des révisions de trois membres est nommé par le ministre. Le comité rendra un rapport avec ses recommandations, qui pourra être révisé, surtout en cas de nouveaux éléments d’information. Finalement, les deux parties ont le droit de faire appel de la décision du comité devant le sous-ministre, dont la décision est définitive.
Plusieurs aspects distinguent la procédure manitobaine de la procédure ontarienne. D’abord, on cherche l’entente entre les parents et l’école tout au long du processus et on se dirige vers les procédures formelles en dernier recours. Cela fait en sorte que les procédures sont plus flexibles, puisqu’on laisse une latitude importante aux divisions scolaires pour déterminer les étapes à suivre et qu’on permet des suggestions de procédures alternatives aux parties, telles que la médiation. Une différence importante tient aussi au fait que le Ministère est impliqué dans le règlement de conflits, alors qu’en Ontario, le Ministère ne s’implique pas dans les questions individuelles. La différence la plus significative touche la substance des différends, puisque la loi permet aux parents de contester non seulement le placement, mais aussi « la façon dont les besoins de l’élève sont comblés »Footnote 48. L’identification n’est pas objet de contestation, puisque les programmes d’éducation appropriés ne sont pas réservés à des catégories d’élèves en particulier.
Au Nouveau-Brunswick, malgré une division des services éducatifs entre le secteur anglophone et le secteur francophone du ministère de l’Éducation et des différences au niveau des programmes et des services en adaptation scolaire qui en découlentFootnote 49, la procédure d’appel des décisions prises par les enseignants et administrateurs est la même pour les deux secteurs. Le droit d’appel est prévu dans la loi et comprend le placement ainsi que les services et programmes d’adaptation scolaire pour élèves exceptionnelsFootnote 50. Les demandes d’appel doivent être faites auprès du directeur général du district scolaire, qui peut ensuite ordonner que l’appel soit entendu par le comité d’appel de l’école, ou décider de l’acheminer au conseil d’éducation de district qui convoque un comité d’appel de district pour entendre l’appel. Le comité d’appel de district sert aussi d’instance d’appel des décisions du comité d’appel de l’école et sa décision est finale.
Les délais qui s’appliquent aux recours et à l’appel sont très courts au Nouveau-Brunswick par rapport à ceux que l’on applique en Ontario ou au Manitoba : cinq à dix jours, versus trente jours dans les deux autres provinces. Il semble incongru que le directeur général du district puisse décider de rendre une affaire directement à une instance supérieure sans que les parties puissent bénéficier de tous les niveaux d’appel. Ce qui est discutable également est la composition de ces comités d’appel. Le comité d’appel de l’école se compose de trois membres, tous nommés par le directeur général du district scolaireFootnote 51. Le comité d’appel du district est formé par le conseil d’éducation du district. Il y a donc un déséquilibre clair entre les deux parties au différend. Le même commentaire peut être fait concernant le comité de révision au Manitoba, dont les membres sont nommés par le ministre. La situation est différente en Ontario, où chacune des parties nomme un membre au comité d’appel et ces deux membres nomment ensuite conjointement un président.
Il convient de noter en dernier point que dans les trois provinces, il existe d’autres recours en dehors de la législation sur l’éducation. Premièrement, rien n’empêche les parties d’adresser une demande d’examen judiciaire de la décision administrative des institutions scolaires devant les tribunaux provinciaux. Deuxièmement, les parents peuvent se tourner vers les organismes de défense des droits de la personne en cas d’allégation de discrimination. Troisièmement, il est possible de déposer une plainte à l’ombudsman. De plus, au Nouveau-Brunswick, il est possible de contacter le défenseur des enfants, qui, contrairement aux deux autres provinces, a un mandat large, lui permettant d’examiner des violations des droits de l’enfant dans tous les domaines.
III. L’utilisation des recours
Nous examinons ici l’utilisation qui est faite des voies de recours aux familles en nous intéressant plus particulièrement aux recours les plus formels, c’est-à-dire les recours devant les tribunaux. Nous verrons que l’utilisation des recours en Ontario surpasse de loin la pratique au Manitoba et au Nouveau-Brunswick, bien que les résultats aient été largement décevants pour les familles.
1. Le Tribunal de l’enfance en difficulté
Un examen des décisions du TEDO démontre qu’il a été très peu utilisé, particulièrement par les familles francophones. Il y a eu au total 69 cas examinés entre 1984 et 2010Footnote 52. Entre 1984 et 1989, 15 cas ont été examinés, ce qui est un nombre élevé pour les premières années de l’existence du Tribunal. Entre 1990 et 2000, il y a eu une diminution des recours, mais la décennie suivante a connu une augmentation importante avec 43 recours entre 2000 et 2010. Parmi toutes ces affaires, il n’y a que six cas qui concernent l’éducation en langue française. Ce chiffre n’est pas représentatif du nombre de conseils scolaires francophones (12) par rapport aux conseils scolaires anglophones (60).
Parmi les six affaires concernant l’éducation en langue française, deux seules sont favorables aux parentsFootnote 53. Il est difficile de juger de la réussite des appels de manière générale, vu le nombre limité d’affaires portées devant le TEDO français. Une recherche parmi les décisions anglophones, qui sont plus nombreuses, indique qu’environ 70 % des décisions, prises entre 1984 et 2000, sont favorables aux conseils scolairesFootnote 54. La recherche sur les décisions ultérieures démontre cependant un changement de tendance, avec presque 50 % des décisions anglophones favorables en totalité ou en partie aux requêtes des parents. En examinant ces tendances, il est important de noter que les conseils scolaires sont la plupart du temps représentés par avocat, alors que souvent les parents ne le sont pasFootnote 55. Au niveau des affaires impliquant des francophones, la recherche confirme que les conseils scolaires ont à chaque fois été représentés par avocat, alors que les parents ne l’ont jamais été. Une requête d’ordonnance de représentation juridique par des parents invoquant la justice procédurale a été déboutée par le TEDO anglaisFootnote 56.
Alors que le TEDO a été créé pour offrir un recours pour les parents qui contestent une décision du CIPR, ne s’appliquant qu’à l’identification et au placement, les parents ont clairement vu dans ce recours une opportunité de discuter des problèmes au niveau de la programmation et des services. En effet, les parents sont souvent en désaccord avec le PEI ou alors veulent s’assurer que celui-ci soit bien appliqué, bien que là ne soit pas le rôle du TEDO. Le TEDO (anglais et français) a eu une attitude ambiguë face à ces requêtes, notant que la programmation n’est pas de son ressort, mais permettant généralement une discussion sur ce sujet et reconnaissant le fait que la programmation est intimement liée au placement. Notamment dans L & CSDCEO Footnote 57, le TEDO conjugue de manière très claire le placement avec les services à l’enfance en difficulté. Selon le Tribunal, le placement et les services étant inter-reliés, le recours pour contester un placement peut également inclure des questions concernant les services. Le TEDO se réfère notamment à l’article 17(1) du Règlement 181/98, qui demande au conseil d’assurer que le placement dans une classe ordinaire, conjugué aux services de l’enfance en difficulté appropriés, réponde aux besoins de l’enfant et respecte les préférences des parents. Donc, l’examen d’un placement doit aussi comporter l’examen des services connexes par rapport aux besoins de l’enfant.
L’impact des décisions des tribunaux administratifs est cependant limité. Ainsi, le terme « placement » n’a pas reçu une interprétation large dans toutes les décisions. Bien que le TEDO reconnaisse depuis longtemps le fait que le placement, qui n’est pas défini dans la législation, soit entremêlé avec les programmes et les servicesFootnote 58, dans certaines décisions, le Tribunal a précisé qu’il n’avait pas la compétence d’entendre des plaintes touchant aux programmes et services. En adoptant une interprétation plus restrictive, le TEDO a refusé d’émettre des ordonnances sur ces questionsFootnote 59 ou à astreindre le conseil scolaire à appliquer une programmation spécifique pour respecter les recommandations du TribunalFootnote 60. Plus particulièrement, le TEDO a refusé de reconnaitre certains programmes spécifiques, surtout des thérapies pour les enfants autistes, comme étant liés au placementFootnote 61.
En analysant les quelques affaires examinées par le TEDO français, on remarque qu’elles ressemblent beaucoup aux affaires anglophones quant aux demandes qui y sont formulées : placements spécifiques avec services et programmation appropriés. Pourtant, il y a certains problèmes qui touchent particulièrement les communautés francophones et qui rejoignent des problèmes identifiés dans un rapport sur l’éducation en langue française de 2004Footnote 62. Alors que tous les conseils sont tenus de mettre en place une multitude de programmes et de services pour répondre aux besoins des élèves en difficulté, les conseils de langue française n’y arrivent pas toujours de façon adéquate en raison des motifs qui leur sont particuliers. Dans L & CSDCEO Footnote 63, on note le manque de services en français en Ontario. Les parents ont dû faire des démarches pour trouver, dans le secteur privé, un ergothérapeute francophone spécialisé dans les troubles de dyspraxie et de dyslexie. Ils ont aussi entrepris des démarches pour inscrire leur enfant dans une clinique de lecture et d’écriture à Hull, au Québec. Selon le directeur de l’imputabilité et des services de soutien à la pédagogie au Conseil, le Conseil fait face à des difficultés financières particulières comme tous les autres conseils de langue française en Ontario. Dans L & CECCEO, le Tribunal reconnait tout simplement que « (l)e manque de personnel enseignant soit au niveau général, spécialisé ou suppléant, de même que le manque de professionnels pouvant prodiguer des services en français en Ontario, sont de connaissance publique et notoire ». Ainsi, « (l)e Conseil scolaire ne peut se porter garant de la disponibilité du personnel formé à la satisfaction des parents [ . . .] »Footnote 64. Ces affirmations sont encore confirmées en 2010 par les propos de parents, qui dénoncent le manque de services en français et reconnaissant l’impact négatif de cette situation sur les chances d’inclusion scolaire de leurs enfantsFootnote 65.
2. L’utilisation d’autres recours
Vu le nombre d’échecs des recours au TEDO et son attitude instable face à la programmation, plusieurs parents ont choisi de se diriger vers le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) depuis les années 1990 en invoquant une discrimination à l’encontre de leur enfant de la part du conseil scolaire. Le TDPO a donc dû se pencher sur la question de sa compétence par rapport à celle du TEDO. Alors qu’il était de l’intention du pouvoir législatif de donner la juridiction exclusive en matière d’éducation à l’enfance en difficulté au TEDOFootnote 66, le TDPO note la contradiction dans la position du TEDO. Alors que ce dernier reconnait que le placement, qui n’est pas défini dans la législation, est entremêlé avec les programmes et les servicesFootnote 67, il refuse d’entendre des plaintes touchant exclusivement aux programmes et services. Ainsi, le TDPO est d’avis qu’il peut avoir compétence sur les questions de programmes et de services à propos desquels le TEDO s’est déclaré incompétentFootnote 68.
Bien que le TDPO ait accepté d’examiner les requêtes des parents fondés sur la discrimination et touchant les services et la programmation, les décisions ont généralement été là aussi favorables aux conseils scolaires. En effet, le TDPO a adopté un standard peu élevé par rapport auquel il évalue les décisions prises par les conseils scolaires. Essentiellement, le Tribunal cherche à savoir si le conseil scolaire a mis en place des accommodements qui sont généralement en conformité avec le PEI de l’élèveFootnote 69. Il importe de noter que malgré les nombreux recours au TDPO, aucun recours n’a été intenté par les francophones. La lenteur de la procédure devant le TDPO a été identifiée par des parents comme la raison principale expliquant la décision de ne pas y recourir ou de se tourner vers d’autres recoursFootnote 70.
D’autres recours ont effectivement été tentés par les parents déboutés par le TEDO. L’utilisation de ces recours, qui n’est pas prévue par la loi, s’est révélée inefficace. Le dossier TEDO no.42 a été porté à l’attention d’abord du ministère de l’Éducation et ensuite de l’ombudsman, la plainte alléguant une mauvaise application de la Loi sur l’éducation (art. 8(3)). La réponse du MEO se cantonnait à indiquer la nature décentralisée du système de l’éducation en Ontario, voulant que le Ministère n’ait pas à se prononcer sur les décisions prises par les conseils scolaires en matière d’évaluation des besoins d’un élève et des services et programmes offerts à l’enfance en difficulté. La fonction de surveillance du MEO se limite à s’assurer qu’un cadre soit mis en place par les conseils pour l’offre de services et de programmes à l’enfance en difficulté. La réponse de l’ombudsman confirmait cette approcheFootnote 71.
3. Comparaison avec le Manitoba et le Nouveau-Brunswick
La situation dans les deux autres provinces étudiées est toute autre, vu la différence des procédures offertes et l’absence de tribunal spécialisé. Selon une recherche jurisprudentielle, il ne semble pas y avoir eu de recours devant les tribunaux du Manitoba ou devant la Commission des droits de la personne. Il serait intéressant de savoir si cette absence de recours est le résultat d’un processus efficace au niveau des écoles, des divisions scolaires et du Ministère, ou plutôt d’une difficulté d’accès à ces recours plus formels par les familles. Concernant les plaintes déposées auprès de l’ombudsman, il est impossible de savoir si celles-ci concernent l’éducation des enfants ayant des besoins particuliers, puisque le rapport annuel ne distingue pas parmi les différents types de plaintes contre une institution de l’éducation.
Au Nouveau-Brunswick, contrairement au Manitoba, quelques cas se sont rendus devant les tribunaux, mais ceux-ci sont bien moins nombreux qu’en Ontario. Dans ces affaires, les parents fondaient leur plainte sur la violation des droits d’égalité contenus dans la Charte canadienne des droits et libertés ou la Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick. Tout comme en Ontario, les tribunaux ont rejeté les demandes, adoptant un standard peu élevé pour évaluer les mesures prises par le secteur de l’éducation, reconnaissant les ressources limitées du Ministère et le caractère raisonnable des mesures prises par le district scolaireFootnote 72.
La seule affaire francophone au Nouveau-Brunswick est fondée sur la Loi sur l’éducation et l’obligation d’offrir une éducation gratuite à tous les enfants d’âge scolaireFootnote 73. Dans cette cause, la mère prétendait que l’éducation fournie à son fils dyslexique était inadéquate, car elle ne répondait pas aux besoins spécifiques de ce dernier qui n’atteignait pas les résultats d’apprentissage attendus. Elle demanda alors au ministère de l’Éducation de lui rembourser les frais encourus pour procurer des services privés à son enfant. Cette demande fut rejetée par la Cour. L’existence d’un plan d’intervention pour l’élève et l’offre de certains services ont rendu impossible à la demanderesse de démontrer que le Ministère avait failli à son obligation de fournir une éducation gratuite à son fils. Il est à prévoir, cependant, que le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Moore aura une influence sur l’évaluation, par les tribunaux, des capacités des districts scolaires à fournir des services requis par des spécialistes.
Il convient de noter finalement qu’il ne semble pas y avoir eu de demandes de révision judiciaire des décisions administratives par les organes du système scolaire, tels que le comité d’appel de district du Nouveau-Brunswick ou du sous-ministre au Manitoba. En Ontario, les quelques demandes de révision judiciaire n’ont pas donné gain de cause aux parentsFootnote 74.
Conclusion sur l’impact des recours pour l’inclusion
Le but de cet article était d’analyser les recours qui s’offrent aux parents d’élèves en Ontario tout en mettant à profit des éléments comparatifs provenant des situations scolaires du Manitoba et du Nouveau-Brunswick. Quelques éléments intéressants ressortent de cette étude comparative et permettent de tirer certaines conclusions et d’identifier des pistes de réflexion.
En premier lieu, force est de constater que la procédure prévue par la loi est bien plus formelle et mieux définie en Ontario qu’au Manitoba ou au Nouveau-Brunswick. Mais permet-elle aux parents de mieux se faire entendre et contribue-t-elle à une meilleure inclusion des élèves à besoins particuliers? Bien que la procédure soit bien définie, le cadre juridique ne semble pas favorable, puisque contrairement aux deux autres provinces, la loi et les politiques en Ontario ne présentent pas de garantie en faveur de l’inclusion. Il est donc plus difficile de contester des placements sur cette base.
En deuxième lieu, les élèves en difficulté et leurs parents font face à une autre difficulté : la procédure d’appel en Ontario ne permet pas de contester la programmation et les services, contrairement aux deux autres provinces. Bien que le TEDO ait reconnu l’existence d’un lien intrinsèque avec le placement, la pratique du Tribunal démontre que les parents ne peuvent pas compter sur les procédures en place pour revendiquer des services ou remettre en question la programmation mise en place pour leur enfant. Cet aspect se trouve à être particulièrement critique pour les familles francophones qui souffrent d’un manque de services en langue française.
Troisièmement, vu la formalisation de la procédure en Ontario, ainsi que son champ limité, il est peut-être désavantageux pour les Ontariens de ne pas avoir accès à des mécanismes de plainte au niveau du Ministère, de l’ombudsman ou du défenseur des enfants, contrairement au Nouveau-Brunswick, où toutes ces voies de recours sont disponibles. Notamment, l’intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes de l’Ontario a un mandat beaucoup plus restreint que le défenseur des enfants du Nouveau-Brunswick et ne peut s’intéresser qu’à l’éducation des enfants pris en charge par les institutions étatiques.
Ensuite, la formalisation des procédures est peut-être aussi un obstacle à des formes de résolution des conflits qui mettent l’accent sur les discussions et les compromis, comme la médiation. Le Manitoba surtout accorde une place importante à la médiation en tant que manière de résoudre un différend relié au placement et aux services. Il serait intéressant d’étudier les résultats de ces procédures moins formelles qui sont plus courantes dans les autres provinces. Sont-elles plus utilisées et plus favorables aux familles? Bien que plusieurs familles ontariennes se tournent vers la médiation à un moment donné de la procédure, les relations envenimées et les difficultés de communication entre les parties les poussent à s’orienter vers le TEDO. L’existence de procédures formalisées décourage-elle la communication positive et la recherche de compromis? Le TEDO reconnait cette difficulté et a maintes fois encouragé les parties à coopérer dans l’intérêt de l’enfant.
On peut aussi se demander pourquoi les familles francophones ne semblent pas avoir beaucoup bénéficié des recours en Ontario. Une recherche empirique pourrait apporter un éclairage sur les raisons qui empêchent les parents francophones d’avoir recours aux procédures judiciaires. Sont-ils informés des limites des recours judiciaires, ou ont-ils moins accès à la représentation juridique? On note toutefois que la judiciarisation de l’éducation de l’enfance en difficulté n’a pas été particulièrement favorable à l’inclusion scolaire et l’obtention de services qui facilitent cette inclusion puisque les familles sont, le plus souvent, déboutés devant les tribunaux. Des solutions fondées sur la collaboration entre tous les acteurs impliqués dès la planification de la programmation auraient certainement un impact positif autant sur l’inclusion scolaire que sur la manière de régler les différends. Ces conclusions appellent à la réflexion si l’on souhaite réellement, dans l’optique d’une approche inclusive, associer les parents à la mission éducative qui devrait mobiliser tous les acteurs, incluant les élèves et leur famille.