On sait que l'école orientaliste française s'est, jusqu'à une époque récente, consacrée essentiellement au domaine maghrébin. On connaît les travaux de G. Marçais, de Robert Brunschvig, de Roger Le Tourneau, travaux qui ont été prolongés par les recherches de toute une nouvelle génération d'arabisants, français ou tunisiens de formation française. Le résultat en est que l'âge islamique araboberbère de l'histoire ifrîqiyenne est aujourd'hui presque entièrement « couvert » par la recherche. Mais si la conquête arabe elle-même a été étudiée par les Égyptiens, cette période de mutation et d'organisation qu'est Vaprès-conquête est restée dans l'ombre. Nous avons voulu, ici, combler cette lacune en renvoyant pour plus de détails à des analyses publiées ailleurs.
Ce qui frappe dans la conquête arabe du Maghreb est qu'elle a été longue, pénible, difficile. Ici, à la différence de l' Orient, l'effondrement de la domination byzantine, obtenu dès le premier choc, n'entraîna pas la sujétion immédiate du pays. Les forces autochtones, plus ou moins bien organisées, résistèrent en effet longuement et avec acharnement. Mais les Berbères adoptèrent presque tous la nouvelle foi et c'est à l'intérieur de ce cadre idéologique qu'il leur arriva de combattre la domination arabe. L'on peut dire ainsi que la tragédie de la conquête et l'installation de l' Islam par la violence avaient fait naître le monde berbère au sens de sa destinée historique.
Le véritable artisan de la conquête de l' Ifrîqiya fut Hassan ibn No'mân (76-84 H.), mais il fallut encore deux ans environ à son successeur Mûsâ ibn Nusayr pour parachever son œuvre. A la date de 86 H., l' Ifrîqiya sort de l'ère confuse et héroïque de la conquête et entre dans une phase d'organisation, dans ce qu'on a convenu d'appeler le « siècle des wulât ». Or précisément, cette mutation de fait coïncida avec un changement de statut juridique. Jusqu'ici l' Ifrîqiya — qu'elle ait été un simple territoire livré au Djihâd et à la guerre sainte ou, à partir de 55 H., dotée du statut de province avec son walî et sa ville-camp — était de toutes les façons une dépendance de la wilâya d' Egypte.