Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
L'« Alignement de la rue dite de Dora Grossa de la métropole de Turin » semble offrir au spécialiste de l'histoire urbaine la confirmation d'un parcours interprétatif déjà expérimenté dans de nombreuses capitales régionales de l'Europe du milieu du XVIIIe siècle. C'est en fait un édit royal qui sanctionne en 1736 la volonté pragmatique de la monarchie et de sa cour . Et c'est l'architecte du roi — Benedetto Alfieri — qui dicte les normes auxquelles devront se tenir les « conducteurs » des travaux de construction. Un discours fonctionnaliste et mercantile sert à légitimer une intervention urbanistique destinée à compléter la réorganisation des «quartiers militaires» de Turin, entamée par Filippo Juvarra avec l'alignement de la rue de Porta Palazzo. Un parcours qui est également une mise en ordre de sources, une possible définition des modalités du récit historiographique.
This article on architectural history analyses the relationship between the design of a street and its construction in Turin at an historical moment (1736-1776) which has often been used to verify functionalist and morphological theories on architectural history. Analysing the making of the decision, the social actors of the clashing interests, the differences between types, originally drawn up by the architect of the Court, and the street as really was build up, the article suggests an architectural quality as result of a negotiation that can be today read in the thousand imperfections that mark the build up architecture. Working on different sources, the article suggests a possible archeological approach to the architectural history, grounded on contemporary reliefs, surveyors's analysis, erecting yard data.
1. « Raccolta Duboin », 16 livres en 31 volumes, Turin 1818-1869, édit royal du 27 juin 1736. Notre documentation date toutefois l'édit du 22 juin: cf. la note 23.
2. Archivio Storico de la Commune de Turin (ASCT), Per il dirizzamento délia Contrada detta di Dora Grossa della Metropoli di Torino coll. X, vol. 47, 22 juillet 1739.
3. Ibid. les règles concernent la similitude d'ornement des façades et «l'uniformité symétrique des différentes parties, de manière à ce que (l'îlot) semble une seule maison ».
4. ASCT, papiers non classés, 1750. Le projet porte l'en-tête suivant: « Il présente disegno continente la Piazza d'Armi alla Porta Palazzo all'allargam. to délia Contrada che da d.a. Porta Palazzo va a terminare alla Torre con la lineaz. ne d'essa linea sovra la pianta di tutte le case che devono demolirsi… Torino li 3 maggio 1729». C'est un autographe de Filippo Juvarra.
5. L'acception du terme de « Métropole » pour désigner la ville de Turin se trouve dans l'édit qui décide de l'alignement, mais il n'y aura à ce propos de discussion concrète qu'en 1775. ASCT, Registri de’ Verbali del Congresso degli Edili vol. 1, p. 9 bis (15 mai 1775).
6. P. Scarzella, Les grandi riplasmazioni settecentesche entro la Città Vecchia: via di Porta Palazzo (via Milano), via del Senato (Via Corte d'Appello), via Dora Grossa (via Garibaldi) e piazza délie Erbe (Piazza Palazzo di Città) Turin, 1968, vol. 1, tome 2, pp. 1276-1310.
7. C. Olmo, « Mille e una Place Maubert », dans Le città del mondo e il futuro délie metropoli Milan, 1988, p. 95 ss.
8. Perrot, J.-C., Genèse d'une ville moderne. Caen au XVIIIe siècle, Paris, 1975, p. 9.Google Scholar
9. Archivio di Stato de Turin (AST), Memorie e Sentimenti in proposito del dirizzamento délia Contrada di Dora Grossa e per stabilire i siti de’ Cimiteri in luoghi appartati sez. di corte dell'Inventario délie scritture délia Città e Provincia di Torino, 1750, Premier Mémoire, 25 février 1736, n° 16, maz. 5, fasc. 9.
10. Ibid. p. 2/15.
11. Ibid. pp. 3/15-7/15.
12. ASCT, Instruzione a capii che si deve osservareper la nuova fabricha délia Piazza di Porta Palazzo in questo anno 1731 Scritture private, 1731-1732. Ces instructions sont signées par Filippo Juvarra, et par Carlo Francesco Polaro et Carlo Francesco Bettino, maîtres-maçons. Ce document est à comparer avec la Lista dei lavori eseguiti, efatti eseguire dalli Capi Mastri Polaro e Bettino, attorno allafabbrica délia Città sita a Porta Palazzo…. ASCT, papiers non classés, 4263, fac. man. 6-25 juin 1735. Les travaux ne peuvent être considérés comme réellement finis qu'à la fin du xvme siècle, ASCT, Registro de’ Verbali del Congresso degli Edili, op. cit. Coll. X., vol. I, 10 mai 1791.
13. Memorie e sentimenti…, op. cit. pp. 14-15/15: «Il faut donc bel et bien promouvoir cette ornementation et cette commodité de la ville, mais par voie d'incitation, de sorte que cela se fasse librement, et progressivement, dans le but de faire quelque chose d'utile, et sans loi qui oblige à davantage qu'à vendre au juste prix, sans engagement de l'État; car le prix ne peut jamais être fixé par voie légale, à moins que l'État n'en fasse toute la dépense, sans léser les tiers ».
14. L'approche est de Manuel Da Maia lui-même et elle est analysée, pour la première fois par Franca, J. A., Una città dell'illuminismo: La Lisbona del Marchese di Pombal, Rome, 1972, p. 130 Google Scholar (éd. frse, Une ville des Lumières: la Lisbonne de Pombal Paris, 1965).
15. AST, Memorie e sentimenti…, op. cit. premier mémoire, op. cit. pp. 10-15.
16. AST', Memorie e sentimenti… op. cit. troisième mémoire, 30 mars 1736, p. 1/8.
17. Les obligations concernant les mesures avaient déjà été indiquées dans le second mémoire du 26 mars 1736: AST, Memorie e sentimenti…, op. cit. second mémoire, 26 mars 1736, pp. 1-2/3: « Pour ce qui concerne l'égalité d'élévation des nouveaux bâtiments, bien que la minute de l'édit en fasse état, nous faisons cependant remarquer que cette nécessité d'une hauteur uniforme peut empêcher bien des gens de construire (…) et il nous semblerait donc suffisant que l'édit ordonnât, au lieu de cette égalité d'élévation, que la hauteur des nouveaux bâtiments ne soit pas inférieure à celle que l'on croira, suivant l'avis d'un expert, proportionnée à la largeur de la nouvelle rue ».
18. AST, Memorie e sentimenti…, op. cit. second mémoire, op. aï., p. 1/3.
19. Ibid.
20. AST, Memorie e sentimenti…, op. cit. troisième mémoire, 30 mars 1736, p. 1/8.
21. Ibid. pp. 1-3/8.
22. Ibid. p.7/8. Le moyen terme proposé par les conseillers du Roi est le suivant: « Il suffit que les façades ne soient pas entre elles d'une difformité trop malséante », déclaration qui ne sera pas reprise dans l'édit et que Benedetto Alfieri rendra plus rigide dans l'édit du 22 juillet 1739, où seront mises en forme les règles du « modèle ».
23. AST', Memorie e sentimenti… quatrième mémoire (il s'agit de l'édit daté du 22 juin 1736), pp. 4-4/12.
24. ASCT, Per il Dirizzamento délia Contrada detta di Dora Grossa délia Metropoli di Torino Coll. X, vol. 47, 22 juillet 1739.
25. AST, Progetto per la rettilineazione délia Contrada di Dora Grossa e per la regolarizzazione délia Piazza d'Erbe e délie Contrade che vi affluiscono Documents, To n° 19.
26. OLMO, C., «I molti cantieri dell'architetto », dans GABETTI, R. et OLMO, C., Aile radicidell'architettura contemporanea, Turin, 1989, p. 156 ss.Google Scholar
27. ASCT, Per il dirizzamento délia Contrada detta di Dora Grossa di Torino Coll. X, vol. 47, 22 novembre 1736. La négociation est particulièrement intéressante parce qu'elle concerne également des terrains sur la colline. Le rapport d'estimation est d'Antonio Maria Lampo.
28. ASCT, op. cit. vol. 47, 17 avril 1739.
29. Ibid.
30. Ibid.
31. ASCT, Registro de'Verbali e Informazioni riguardanti le case 1751, Vicariato, 8. Les conflits qui opposent surtout les gérants des maisons et les locataires impliquent, parfois, l'établissement d'une expertise sur l'état de la maison, comme par exemple dans le cas de la Maison, rue du Pô, appartenant au comte Carlo Michelangelo Lodi, dont le gérant est M. Calleri.
32. C'est une des rares sources qui permettent réellement de comprendre, par exemple, qui sont à Turin « les gens qui montent sur les toits ».
33. La définition par le Royaume de Savoie du prix de la terre se fait presque parallèlement aux événements liés à la transformation de la via Dora Grossa et c'est la définition du cadastre savoyard au cours des dix années comprises entre 1728 et 1738, tandis que les réflexions les plus autorisées, comme celles de Pompeo Neri, ne sont pas directement applicables à la situation turinoise.
34. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 47, 11 mai 1739.
35. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 47, 22 juillet 1739.
36. La première référence explicite à la différenciation entre valeur intrinsèque et valeur extrinsèque de la terre se trouve dans une expertise d'Antonio Maria Lampo, le 28 février 1739 (ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 47, 28 février 1739).
37. Comme le font les propriétaires Pettenati et Cimosa en 1741 (ASCT, Per il dirizzamento… op. cit. vol. 47, f. 202) en déclarant un revenu global de 715 lires.
38. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 47, Manifesto de'signori delegati per il dirizzamento délia Contrada di Dora Grossa… che amplia alla Contrada che da Porta Palazzo tende alla Torre… 8 octobre 1755.
39. C'est l'architecte Tommaso Prunotto qui met explicitement en relation la situation, la qualité et le revenu d'un immeuble, le 18 novembre 1758. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 48, 18 novembre 1758.
40. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 48, 7 avril 1758.
41. Il s'agit de la casa Anselmetti, et les experts qui s'opposent sont Emmanuele Rocca et Sebastiano Riccati; l'expertise du Vicariat est de Tommaso Prunotto, et date du 10 novembre 1759.
42. ASCT, Perildirizzamento…, op. cit. vol. 47, 18 novembre 1754.
43. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 47, 8 octobre 1756, dessin deBenedetto Alfieri pour les maisons environnant la Piazza délie Erbe. Le dessin est accompagné de considérations relatives à la nécessité de libérer les arcades des activités économiques et de faciliter le « passage ».
44. Le 3 octobre 1742, on décide de fixer une seule fois la mesure de la superficie (et non plusieurs fois par étage), décision qui rencontre une opposition immédiate: « ce qui me paraît contre toute raison et justice », ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 47, 3 octobre 1747.
45. C. OLMO, La tecnologia e il conflitto nella costruzione délia città, op. cit. p. 13 ss.
46. Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 47, 18 novembre 1754.
47. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 48, 10 novembre 1759.
48. Le second volume, surtout, celui qui comprend les expertises faites entre le 25 août 1757 et le 23 décembre 1771, fournit d'amples possibilités de «visites» aux chantiers de la via Dora Grossa.
49. ASCT, Péril dirizzamento…, op. cit. vol. 47, 20 août 1738. La maison du comte Occello se trouvait dans l'îlot de San Gaetano.
50. ASCT, Perildirizzamento…, op. cit. vol. 47, 15 mars 1740.
51. C'est le cas, par exemple, de la maison du comte d'Avroche qui donne sur la Piazza délie Erbe. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 49, 13 février 1773.
52. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 47, 30 octobre 1742.
53. C'est le cas du mur qui se trouve entre la casa Ricler et la casa Cavour, comme il ressort du rapport de Luigi Barberis daté du 22 janvier 1772. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 49, c. 4, 22 janvier 1772.
54. Les conflits peuvent concerner plusieurs propriétaires, comme la comtesse Barbara Bruno di Cussanio, le comte Domenico Ambrogio di Chialambert, Domenico Antonio Sobreri, Francesco Antonio Chisot, Giovanni Andréa Villa. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 49, 25 mai 1772. Les rapports d'estimation sont de Giovan Battista Pagano et de Paolo Francesco Rocca.
55. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 48, jour de la Saint-Michel 1757. La boutique appartient à Filiberto Calcagno et comprend également une arrière-boutique, trois pièces au premier étage, une cantine et un cabinet.
56. Le rapport de l'architecte Giuseppe Boni illustre le conflit entre le marquis de Villanova et deux maîtres-maçons, à propos des travaux effectués dans la maison appartenant au marquis dans l'îlot de San Gabriele. L'architecte Tommaso Prunotto y revient le 21 juillet 1769. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 48, 12 septembre 1768 et 21 juillet 1769.
57. L'architecte Paulo Emilio Rocca met en lumière l'inexpérience du maître-maçon Castelli dans la démolition d'une maison construite par l'architecte Pagano, dans un procès qui verra s'opposer plusieurs conceptions du métier et au cours duquel les différentes parties produisent des dessins d'un grand intérêt pour comprendre à quel point la technologie est objet de conflit dans ces années-là. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 49, 27 janvier 1772, 10 et 20 février 1772.
58. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 49, c. 127, 10 octobre 1772. De Bernardo Vittone, on a conservé une expertise (signée avec Carlo Antonio Canavasso et Paolo Rocca) de la maison de l'abbé Venere et de celle du comte de Bollengo, datée du 30 août 1769.
59. Ibid.
60. Fuga délie fabbriche di via Dora Grossa, da Piazza Castello fendendo ail inizio a parte destra treize dessins faits par l'architecte Carlo Bosio. ASCT, n° 1107, cat. 10, maz. 1, n° 19, cartella 58, datés de 1775.
61. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 48, lOoctobre 1757 et 3 février 1758. L'estimation est de Tommaso Prunotto.
62. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 47, p. 3.
63. Progetto per la rettilineazione délia Contrada detta di Dora Grossa e per la regolarizzazione délia Piazza d'Erbe e délie contrade che vi affluiscono AST, Documents, To 19.
64. Les trois volumes de Per il dirizzamento… sont également riches de cartes précises qui indiquent les emplacements des propriétés et des interventions.
65. Ce sont trois maître-maçons, Bettino, Maffei et Martirolo qui achètent la maison du comte de Pamparato.
66. L'analyse comparée des sources concernant les propriétaires de la via Dora Grossa ne mentionne pas de diminution en pourcentage de la propriété nobiliaire, tandis qu'elle indique un élargissement et une dispersion des autres types de propriétaires.
67. C. OLMO, La città negoziata, op. cit. p. 3 ss.
68. C'est justement la comparaison entre les deux documents et les trois volumes de Per il dirizzamento… qui permet de dater les deux cartes: à la moitié des années cinquante pour la première, et dix ou douze ans après pour la seconde.
69. ASCT, Per il dirizzamento, op. cit. vol. 47, 24 mars 1740. Les deux experts sont Emmanuele Rocca et Carlo Antonio Canavasso.
70. Les commerçants qui apparaissent sont en réalité très nombreux, des fromagers de la Piazza délie Erbe à Giuseppe Maria Drago et à Domenico Pescione, mais toujours, après 1757.
71. ASCI, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 49, a. 47, 24 mars 1772.
72. La casa Sclopis reformule en termes économiques ce que l'édit de Benedetto Alfieri avait établi en termes esthétiques: nous sommes le 15 novembre 1758.
73. CAVALLO, S., « Edifici e strutture per la carità a Torino nel xvn e XVIII secolo. Committense e stratégie simboliche délie élites urbane», Turin, mémoire de doctorat, 1989.Google Scholar
74. ASCT, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 49, 13 février 1773.
75. ASCI, Per il dirizzamento…, op. cit. vol. 49, 2 février 1773.
76. ASCT, Visite e relazioni degli architetti Vicariato 376, 12 novembre 1791.
77. ASCT, Visite e relazioni degli architetti, op. cit. 2 août 1792.
78. C. Olmo, « Turin et ses miroirs fêlés », Annales ESC n° 4, 1989, pp. 772-776.