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« Toute littérature est assaut contre la frontière » Note sur les embarras historiens d’une rentrée littéraire

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Patrick Boucheron*
Affiliation:
Université de Paris 1/Panthéon-Sorbonne

Résumé

Les romanciers d’aujourd’hui écrivent-ils l’histoire? Telle est l’une des questions qui occupa la critique lors de la rentrée littéraire 2009. Cet article propose une mise en perspective de cette construction discursive, qui met en scène un conflit frontalier entre l’histoire et la fiction romanesque, celle-ci étant caractérisée par un appel du réel. On y analyse en particulier la réception du roman de Yannick Haenel, Jan Karski, décrivant l’emballement médiatique d’une polémique mettant en jeu la difficile question des limites de la représentation de la Shoah dans le cinéma et la littérature. Au-delà de la question des temps du récit et de la mémoire, il s’agit également de comprendre de quoi la littérature porte témoignage. Car l’embarras des historiens provient aussi de l’épreuve révisionniste qui les amène à se faire les gardiens vigilants d’une frontière entre réel et fiction que tout pourtant, dans leurs pratiques d’écriture comme dans leur épistémologie, contribue à faire trembler.

Abstract

Abstract

Are novelists becoming historians nowadays? Journalists and literary critics hotly debated this question throughout the 2009 “literary fall season”. This paper aims at analyzing the discourses which highlighed a conflict of borders between professional historians and novelists. In this perspective, the reception of Yannick Haenel’s novel, Jan Karski, is of particular interest. My article describes the various aspects of the controversy on Jan Karski, which raised the delicate issue of the representation of the Holocaust in literature and on-screen. Beyond the conflicting temporalities of storytelling and memory, my purpose is to understand the embarrassment of historians with novels with historical content. It originated from their fight against denialism in the 1980s, which encouraged them to consider themselves as vigilant guardians of the border between fiction and reality, which their own writing practices and their epistemology undermine at the same time.

Type
Chronique
Copyright
Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2010

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References

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3 - Bayard, Pierre, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus?, Paris, Éd. de Minuit, 2006 Google Scholar.

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8 - Haenel, Yannick, Jan Karski, Paris, Gallimard, 2009 Google Scholar.

9 - Tessarech, Bruno, Les sentinelles, Paris, Grasset, 2009 Google Scholar.

10 - Voir, dans ce numéro, le compte rendu de Florent Brayard, p. 534-538.

11 - « Est-ce une preuve de l’essoufflement de l’imaginaire romanesque français ? Le résultat d’une frustration fantasmagorique d’une ou deux générations qui n’ont jamais vécu de près ou de loin la guerre ni même entendu le doux cliquetis des armes chargées à blanc, suppression du service militaire oblige ? L’envie de se colleter avec le Mal pour en extraire la beauté, comme le revendiquait Baudelaire ? La croyance naïve que narrer les horreurs hitlériennes est la voie la plus simple pour rafler lecteurs et prix, à l’exemple de Jonathan Littell ? »

12 - On trouve une conceptualisation de cette notion de « jeu littéraire » dans Lahire, Bernard, La condition littéraire. La double vie des écrivains, Paris, La Découverte, 2006, p. 72-81 Google Scholar. Elle permet, pour le sociologue, de rendre compte – bien mieux selon lui que le « champ littéraire » de Pierre Bourdieu – de la variabilité des degrés d’investissement des écrivains dont la plupart ne vivent pas uniquement de leur plume, et qui sont par conséquent « des acteurs-participants dont la caractéristique la plus fréquente est de ne pas être tout entiers inscrits dans ce jeu » (p. 81).

13 - Pour un bilan récent, voir Gasparini, Philippe, Autofiction. Une aventure du langage, Paris, Le Seuil, 2008 Google Scholar, ainsi que les nombreuses ressources mises en ligne sur le site www.autofiction.org animé par Arnaud Genon et Isabelle Grell, chercheurs de l’équipe « Autofiction » (ITEM/CNRS).

14 - Ndiaye, Marie, Trois femmes puissantes, Paris, Gallimard, 2009 Google Scholar.

15 - Asibong, Andrew et Jordan, Shirley (dir.), « Marie NDiaye. L’étrangeté à l’œuvre », Revue des sciences humaines, 293, 2009 Google Scholar.

16 - Ce qui permet à Nelly Kaprièlian, interviewant pour l’occasion l’auteur de Trois femmes puissantes, de lui poser cette très étrange question: « Qu’est-ce que la littérature apporte par rapport aux reportages de presse ? » C’est également lors de cet entretien que Marie NDiaye, à la question «Vous sentez-vous bien dans la France de Sarkozy?» répond le désormais fameux « Je trouve cette France-là monstrueuse. » Dix jours après l’obtention du prix Goncourt, un député UMP écrivait au ministre de la Culture pour dénoncer « ces propos d’une rare violence » (qui étaient, deux mois et demi plus tôt, passés inaperçus) et s’interroger sur la nécessité d’imposer un « devoir de réserve » aux écrivains. La polémique qui s’en suivit, faisant les gros titres des journaux (le vendredi 13 novembre, Libération consacre à nouveau sa couverture à Marie NDiaye qui l’avait déjà obtenue le mardi 2 novembre au lendemain de l’obtention de son prix) achève de transformer la réception d’un roman en événement politique susceptible d’être interprété en termes sociologiques.

17 - Carrere, Emmanuel, D’autres vies que la mienne, Paris, POL, 2009 Google Scholar; Id., Un roman russe, Paris, POL, 2007.

18 - La meilleure définition de ce genre incertain se trouve peut-être paradoxalement sous la plume de Lejeune, Philippe, Le pacte autobiographique, Paris, Éd. du Seuil, 1975, p. 15 Google Scholar, qui pointait une limite possible de la dynamique romanesque: « Le héros d’un roman déclaré tel peut-il avoir le même nom que l’auteur ? Rien n’empêcherait la chose d’exister, et c’est peut-être une contradiction interne dont on pourrait tirer des effets intéressants. Mais dans la pratique, aucun exemple ne se présente à l’esprit d’une telle recherche.» Dans sa forme expérimentale (une «recherche», précisément, qui assume d’ailleurs toutes ses réminiscences proustiennes), l’autofiction est une réplique à la théorie critique de P. Lejeune: c’est deux ans plus tard que le terme d’autofiction fait son apparition sur la quatrième de couverture d’un livre de Doubrovsky, Serge, Fils, Paris, Éd. Galilée, 1977 Google Scholar, dont la polysémie du titre, parce qu’elle le rend proprement imprononçable, met d’emblée en péril le contrat de lecture: « fiction d’événements et de faits strictement réels ».

19 - Cette question de la prise de conscience d’une crise de l’écriture académique en histoire et des séductions qu’exercent sur certains historiens des formes narratives ou des procédés littéraires ayant cours dans la fiction est l’envers de celle que l’on tente d’évoquer ici. Contentons-nous de signaler que les deux sont fréquemment nouées dans les commentaires des critiques, notamment lors de la rentrée littéraire 2009. Voir, par exemple, Assouline, Pierre, « Où sont les notes ? », L’Histoire, 345, 2009, p. 98 Google Scholar: « Les historiens devraient profiter de ce moment de doute général pour examiner leurs certitudes héritées de la tradition, de l’académisme et de l’habitude. Le temps est peut-être venu de repenser l’écriture de l’histoire. »

20 - Je remercie Pascale Richard, attachée de presse chez Gallimard, de m’avoir confié ce dossier, qui constitue la base documentaire des analyses qui suivent.

21 - Haenel, Yannick, Cercle, Paris, Gallimard, 2007 Google Scholar, prix Décembre et prix Roger Nimier. Son premier roman, Les petits soldats, fut publié par la Table ronde en 1996, les suivants dans la collection « L’Infini » des éditions Gallimard: Introduction à la mort française en 2001, Évoluer parmi les avalanches en 2003. Il a également publié, dans la même collection, un essai en collaboration avec François Meyronnis, Prélude à la délivrance, 2009, ainsi qu’une rêverie poétique sur la tapisserie de la Dame à la Licorne: À mon seul désir, Paris, RMN/Argol, 2005.

22 - Voir le recueil dirigé par Haenel, Yannick et Meyronnis, François (dir.), « Ligne de risque », 1997-2005, Paris, Gallimard, 2005 Google Scholar, dans la préface duquel ils réaffirment l’intention d’une revue qui « se voulait d’abord une insurrection contre l’étiolement de la vie littéraire, contre sa réduction au calibrage marchand. Parfois avec un ton grand seigneur (cela nous a été reproché) ».

23 - Karski, Jan, Mon témoignage devant le monde. Histoire d’un État secret, éd. par Gervais, C. et Panné, J.-L., Paris, Éd. Point de mire, [1944] 2004 Google Scholar.

24 - Notamment ceux que fournissent Wood, E. Thomas et Jandowski, Stanisław M., Karski: How one man tried to stop the holocaust, New York, John Wiley & Sons, 1994 Google Scholar.

25 - Pierre Assouline, « Éloge du ‘Cavalier polonais’ », post du 29 août 2009: http://passouline.blog.lemonde.fr/2009/08/29.

26 - Entretien avec Bernard Loupias, Le Nouvel Observateur, 27 août 2009.

27 - Entretien avec Éric Loret, Libération, 22 octobre 2009.

28 - Entretien avec Oriane Jeancourt Galignani, Transfuge, 32, 2009.

29 - Entretien avec Marie Chaudey, La Vie, 27 août 2009.

30 - Entretien avec É. Loret, op. cit .

31 - Ibid .

32 - Entretien avec O. Jeancourt Galignani, op. cit .

33 - Cité par B. Lahire, La condition littéraire..., op. cit., p. 41.

34 - Sans toutefois signaler le rapprochement que l’on peut faire avec le livre de Jean Milner, Claude, Les penchants criminels de l’Europe démocratique, Lagrasse, Verdier, 2003 Google Scholar, notamment lorsqu’il affirme de manière, pour le coup, tranchante: « Le réel que les Européens du continent s’appliquent patiemment à dissimuler depuis 45 est celui-ci: si l’on s’en tient aux critères généralement admis pour évaluer la réussite ou l’échec d’un programme politique, l’extermination des Juifs d’Europe a été menée à son terme. Ayant totalement échoué par ailleurs, Hitler a, sur ce point, atteint le but qu’il s’était fixé. L’Europe continentale d’après 45 est telle qu’il la rêvait; elle est pratiquement judenrein . Spécialement à l’Est » (p. 61).

35 - Wieviorka, Annette, « Faux témoignage », L’Histoire, 349, 2010, p. 30-31 Google Scholar, ici p. 30.

36 - Sartre, Jean-Paul, « Préface », L’idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, Paris, Gallimard, [1971] 1988, vol. 1, p. 7 Google Scholar. « L’Idiot de la famille est la suite de Questions de méthode . Son sujet: que peut-on savoir d’un homme aujourd’hui ? » Mais Sartre ajoute: « c’est qu’un homme n’est jamais un individu; il vaudrait mieux l’appeler un universel singulier: totalisé et, par là même, universalité par son époque, il la retotalise en se reproduisant en elle comme singularité. » Dès lors se comprend mieux la phrase qui ouvre le dernier paragraphe: «À présent, il faut commencer. Comment? Par quoi? Cela importe peu: on entre dans un mort comme dans un moulin» (p. 8). La phrase est reprise par Lanzmann, Claude, Le lièvre de Patagonie, Paris, Gallimard, 2009, p. 51 Google Scholar.

37 - Littell, Jonathan, Les Bienveillantes, Paris, Gallimard, 2006 Google Scholar, prix Goncourt 2006.

38 - Wieviorka, Annette, L’ère du témoin, Paris, Hachette, [1998] 2002 Google Scholar.

39 - Meyronnis, François, De l’extermination considérée comme un des beaux-arts, Paris, Gallimard, 2007 Google Scholar.

40 - Comme le suggère ici même F.Brayard dans son compte rendu déjà cité.

41 - Solchany, Jean, « Les Bienveillantes ou l’histoire à l’épreuve de la fiction », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine , 54-3, 2007, p. 159-178 CrossRefGoogle Scholar, ici p. 171.

42 - Ibid., p. 175.

43 - Ibid., p. 176. Et l’auteur d’ajouter: « Le défi de la perpétuation de la mémoire de la Shoah dans les décennies à venir ne pourra être relevé sans l’aide de la littérature et plus encore du cinéma » (p. 176).

44 - C’est ce que tente de faire ici même Emmanuel Bouju dans son article.

45 - Blanchot, Maurice, L’écriture du désastre, Paris, Gallimard, 1980, p. 132 Google Scholar.

46 - Rivette, Jacques, « De l’abjection », Cahiers du cinéma, 120, 1961, p. 54-55 Google Scholar, ici p. 55, repris dans de Baecque, Antoine (dir.), Théories du cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, 2001, p. 37-40 Google Scholar, ici p. 40.

47 - Voir sur ce point de Baecque, Antoine, L’histoire-caméra, Paris, Gallimard, 2008, p. 98-103 Google Scholar.

48 - Daney, Serge, Persévérance. Entretien avec Serge Toubiana, Paris, POL, 1994, p. 16 Google Scholar.

49 - A. de Baecque, L’histoire-caméra, op. cit., p. 55 sq .

50 - A. Wieviorka, L’ère du témoin, op. cit., p. 129.

51 - Lanzmann, Claude, « Le monument contre l’archive ? Entretien », Les cahiers de médiologie, 11, 2001, p. 271-279 CrossRefGoogle Scholar, ici p. 274.

52 - Wajcman, Gérard, L’objet du siècle, Lagrasse, Verdier, 1998, p. 247 Google Scholar.

53 - Ibid., p. 127.

54 - D’où la controverse qui opposa G. Wajcman à Georges Didi-Huberman, ce dernier critiquant la philosophie de l’inimaginable à partir d’une analyse des quatre photographies que des membres du Sonderkommando d’Auschwitz-Birkenau parvinrent à prendre clandestinement en août 1944, donnant à voir des images malgré tout de l’extermination, images qui survivaient à la mort des témoins: Wajcman, Gérard, « De la croyance photographique », Les Temps modernes, 613, 2001, p. 47-83 Google Scholar; Didi-Huberman, Georges, Images malgré tout, Paris, Éd. de Minuit, 2003 Google Scholar.

55 - Agamben, Giorgio, Ce qui reste d’Auschwitz. L’archive et le témoin, Paris, Payot & Rivages, [1998] 2003, p. 34-35 Google Scholar.

56 - C. Lanzmann, Le lièvre de Patagonie, op. cit., p. 526.

57 - Voir notamment l’article d’Antoine Perraud et Sylvain Bourmeau sur le site Mediapart du 26 janvier 2010 (http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/260110/yannick-haenel-riposte-claude-lanzmann-et-annette-wieviorka), l’enquête de Jérôme Dupuis et Emmanuel Hecht dans L’Express à la même date, la double page d’É. Loret dans Libération le 1er février – le lendemain paraissant dans le même quotidien une tribune du romancier Marc Weitzmann intitulée « Haenel et ses tabous imaginaires », évoquant notamment les œuvres d’Aharon Appelfeld, Jiri Weil et Danilo Kisˇ.

58 - Jan Karski, « Shoah », Esprit, février 1986, p. 112-114: « Toutefois, cette limitation rigoureuse du sujet du film donne l’impression que les juifs ont été abandonnés par l’humanité entière devenue insensible à leur sort. Cela est inexact et, de surcroît, déprimant, notamment pour les générations juives actuelles et futures. Les juifs ont été abandonnés par les gouvernements, par ceux qui détenaient le pouvoir, politique et spirituel. Ils n’ont pas été abandonnés par l’humanité » (p. 114).

59 - C’est le cas, notamment, lors du témoignage de Karski, qui apparaît à plusieurs reprises en voix off sur de longs plans de coupe (un zoom arrière sur la statue de la liberté dans la baie de New York, un lent travelling circulaire autour du Capitole de Washington, des paysages industriels de la Ruhr, la terre morte d’Auschwitz, un panorama de Varsovie...). Dans son roman, Haenel ne se contente pas de décrire, mais commente certains de ces effets visuels. Ainsi lorsqu’on voit la Maison-Blanche au moment où le courrier de l’Armée secrète énonce lentement le message dont il était porteur: cette « image de l’impassibilité monumentale de la démocratie américaine suggère une distance, un malentendu, un dialogue de sourds» (p. 22). Comme toute interprétation, celle-ci est contestable; mais ce qui ne l’est pas est que, par son art du montage, l’auteur du film a bien ici réalisé une œuvre de fiction cinématographique dans la mesure où il a choisi librement de confronter la parole d’un témoin à d’autres images que celles du témoin qui parle.

60 - Propos recueillis par N. Kaprièlian, « Quelle liberté pour le romancier ? », Les Inrockuptibles, 10 février 2010, p. 14-17, ici p. 16.

61 - À confronter avec le récit qu’en donne C. Lanzmann dans Le lièvre de Patagonie, op. cit., p. 510-513, où l’on apprend plus prosaïquement ceci: « j’avais accepté ce que Karski me demandait: selon la coutume américaine, il voulait être payé. Nous signâmes donc un contrat aux termes duquel il s’engageait à ne paraître dans aucun film (ni aucune émission de télévision) tant que le mien ne serait pas sorti » (p. 510) – d’où une longue correspondance, de 1979 à 1985, au cours de laquelle Karski manifestait son impatience.

62 - Hilberg, Raul, Exécuteurs, victimes, témoins. La catastrophe juive, 1933-1945, Paris, Gallimard, [1992] 1994, p. 333-337 Google Scholar.

63 - Ciechanowski, Jan, La rançon de la victoire. Les raisons secrètes de l’immolation de la Pologne, Paris, Plon, 1947, p. 239 Google Scholar.

64 - C’est ce que lui a reproché Andréa Lauterwein dans une tribune publiée dans Le Monde daté du 13 janvier 2010, « Le romancier est-il un passeur de témoin ? », les vers du poème « Gloire de cendres », Niemand /zeugt für den /Zeugen, ne pouvant être traduits sous la forme interrogative (« Qui témoigne pour le témoin ? ») de l’exergue du roman de Yannick HAENEL (qui se justifie en répondant sur le blog de P. Assouline, La république des livres du 15 février 2010 rendant compte de cette affaire dans l’affaire). Plus fondamentalement, A. Lauterwein refuse radicalement l’idée qu’il puisse y avoir passage de témoin entre ce qu’elle appelle les « textes canoniques » des rescapés de la Shoah et les romanciers d’aujourd’hui, « car reproduite l’incommunicabilité des témoins, c’est nier la situation existentielle précise (de la mort à la vie et retour) qui l’a engendrée, c’est nier le rapport spéculaire du témoin aux morts ».

65 - Haenel, Yannick, « La littérature à l’époque du nihilisme planétaire », in Le roman, quelle invention ! Les Assises internationales du roman 2008, Paris, Christian Bourgois, 2008, p. 181-191 Google Scholar, ici p. 190.

66 - Propos recueillis par M. Landrot dans Télérama, 30 septembre 2009.

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68 - Wieviorka, Annette, Auschwitz, 60 ans après, Paris, Robert Laffont, 2005 Google Scholar: « Bombarder Auschwitz ? », p. 192-226, ici p. 224.

69 - Voir sur ce point Colonomos, Ariel, « Une morale internationale de la mise en accusation », L’Année sociologique, 54-2, 2004, p. 565-587 CrossRefGoogle Scholar.

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72 - Grynberg, Anne, « Une mémoire saturée ? », Les Cahiers de la Shoah, 6, 2002, p. 123-160 Google Scholar.

73 - « J’ai exagéré le trait afin que cette surdité devienne, aux yeux des lecteurs, insupportable. Cela s’appelle la satire et appartient au registre de ce que l’on nomme la littérature » affirme Yannick Haenel dans une tribune publiée dans Le Point du 18 février 2010. Répondant aux critiques de Kazimierz Pawelek, ancien sénateur de Pologne et président de l’Association des amis de Jan Karski qui, dans la livraison précédente de l’hebdomadaire, écrivait pour « mettre en garde » les lecteurs contre la nocivité d’un livre qui « nuit à l’image de Jan Karski », Haenel place le débat sur le terrain des usages politiques de la mémoire en Pologne et réaffirme les droits de la littérature.

74 - J. Ciechanowski, La rançon de la victoire..., op. cit., p. 240-255. C’est à une question de Roosevelt sur les camps de concentration que Karski répond: « Je suis persuadé, monsieur le Président, qu’il n’y a pas d’exagération dans ce qu’on raconte sur le traitement infligé aux Juifs. Les autorités clandestines polonaises sont absolument certaines que les Allemands ont l’intention d’exterminer toute la population juive d’Europe » (p. 242-243).

75 - J. Karski, Mon témoignage devant le monde..., op. cit., p. 412. Lorsque l’entretien s’achève, alors que le Président semble « aussi frais, reposé et souriant qu’au début de l’entretien », Karski est quant à lui « très fatigué », « Toutefois, ce n’était pas une fatigue ordinaire, mais bien plus la lassitude satisfaite qu’éprouve le travailleur en donnant son dernier coup de marteau ou l’artiste en signant son œuvre. » Il s’assoit sur un banc et regarde les passants: « ils étaient tous bien vêtus, semblaient en bonne santé et satisfaits de leur sort » (p. 413).

76 - Car « la question du témoignage est liée par essence à celle du mensonge possible » (entretien avec É. Loret, op. cit. ) et Haenel n’élude pas cette question, notamment lorsqu’il rend compte de la visite de Karski dans le camp de Belzec au deuxième chapitre du roman, trouant son « résumé » de cette incise: « C’est l’un des passages les plus discutés de son livre; certains pensent même qu’il est impossible que Jan Karski ait vraiment vu ce qu’il décrit » (p. 101).

77 - Cité par Céline Gervais et Jean-Louis Panne, «Tombeau pour Jan Karski », in J. Karski, Mon témoignage devant le monde..., op. cit., p. VII-XXVII, ici p. XXI.

78 - Voir note 37.

79 - C’est également l’idée qu’a soutenue F. Brayard dans l’émission La fabrique de l’histoire qu’E. Laurentin a consacrée au rebondissement de la polémique Haenel/Lanzmann, le 29 janvier 2010: le troisième chapitre de Jan Karski donne voix à « un des futurs possibles de la mémoire du génocide» dans lequel «tout le monde est coupable, sauf les victimes ».

80 - Cité par Fresco, Nadine, « Les redresseurs de morts », La mort des juifs, Paris, Le Seuil, 2008, p. 180-246 Google Scholar, ici p. 180, reprenant un article, parmi les premiers consacrés au révisionnisme, paru dans Les Temps modernes, 407, 1980, p. 2150-2211.

81 - Brayard, Florent, Comment l’idée vint à M. Rassinier. Naissance du révisionnisme, Paris, Fayard, 1996, p. 442 Google Scholar.

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84 - Voir Ginzburg, Carlo, Un seul témoin, Paris, Bayard, 2007 Google Scholar (en attendant la nouvelle traduction de Il filo e le tracce. Vero falso finto, Milan, Feltrinelli, 2006, à paraître en 2010 chez Verdier).

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