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Sinclair Bell et Teresa Ramsby (dir.) Free at Last! The Impact of Freed Slaves on the Roman Empire Londres, Bristol Classical Press, 2012, 212 p.

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Sinclair Bell et Teresa Ramsby (dir.) Free at Last! The Impact of Freed Slaves on the Roman Empire Londres, Bristol Classical Press, 2012, 212 p.

Published online by Cambridge University Press:  25 April 2024

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Abstract

Type
Race et esclavage (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

« Donner une voix aux sans voix » (p. 1) : tel est le projet ambitieux que formule le propos liminaire de cet ouvrage coordonné par deux spécialistes nord-américains de l’esclavage dans l’Antiquité romaine. Prenant acte de l’historiographie consacrée aux affranchis (les travaux de Susan Treggiari, de Heinrich Chantraine, de Gérard Boulvert, de Jean Andreau, de Paul Weaver et, plus récemment, la synthèse de Henrik Mouritsen Footnote 1 ), le point de vue adopté ici est celui de l’individu à travers l’étude des formes bien spécifiques d’autoreprésentation qui figurent sur les inscriptions et dans la culture visuelle des monuments funéraires. Il s’agit de saisir l’articulation entre, d’un côté, ce qui est du ressort de la législation et des mécanismes de la manumission et, d’un autre côté, la capacité d’«  agency  » – c’est-à-dire la marge d’action – des esclaves et des affranchis. L’ouvrage se subdivise en huit chapitres qui s’organisent selon une double approche du milieu affranchi. D’une part est mise en œuvre une perspective d’étude externe par le prisme réticulaire, quand, d’autre part, ce milieu domestique est appréhendé par le biais interne de trajectoires individuelles et de l’histoire culturelle.

L’ouvrage s’ouvre par un article de Barbara E. Borg, « The Face of the Social Climber: Roman Freedmen and Elite Ideology », qui conduit une analyse sur le traitement des affranchis dans l’art du portrait. Du point de vue idéologique, la présentation d’une galerie de portraits permet de démontrer que les affranchis adoptent une physionomie qui décalque les traits des hommes politiques les plus éminents de leur temps (César, Cicéron, Crassus et Agrippa). Le recours à une grammaire stylistique conforme à celle des élites et l’adoption de portraits connus (reproduction du type Tusculum pour César sur le portrait de Publius Rufus à Rome, imitation d’un portrait de Crassus sur le relief des Licinii à Alatri) mettent en lumière l’instrumentalisation de l’idéologie nobiliaire au service de l’expression d’une ascension sociale. Cette forme d’autoreprésentation mimétique constitue un truchement par lequel les affranchis expriment leur adhésion à des valeurs et des idéaux moraux ( consilium , ratio , sententia , auctoritas , fortitudo ) incarnés par de hauts dignitaires. En adoptant par le portrait cet ethos aristocratique, les affranchis signifient leur entrée dans un monde normé auquel ils veulent s’assimiler par l’emploi quasi outrancier des codes iconographiques.

Pauline Ripat étudie ensuite le rôle des affranchis dans la transmission de l’information (« Locating the Grapevine in the Late Republic: Freedmen and Communication »). Paradoxalement, l’historiographie s’est surtout intéressée à la communication depuis les hautes sphères jusqu’au menu fretin. Pourtant, il apparaît que l’élite politique a trouvé dans les affranchis un canal de diffusion de l’information efficace en termes de relai de l’opinion des couches inférieures de la population. Via leur réseau personnel, les affranchis représentent un atout non négligeable pour les impétrants aux magistratures. Ils apparaissent comme une forme de mobilisation des couches populaires lors des moments clefs des campagnes politiques. Surtout, l’exercice des professions de circulator (héraut d’une congrégation plébéienne ou d’un cercle politique) et de praeco (crieur public) les place dans une position privilégiée pour disséminer, au service de leur patron, une information officieuse et interdite propre à séduire les foules.

Dans le chapitre suivant, Teresa Ramsby examine les témoignages épigraphiques et les graffitis qui jalonnent la maison de Trimalcion. Il ressort de cette étude que les inscriptions font l’objet d’une stratégie bien précise mise en place par l’affranchi parvenu. Une dissymétrie du discours épigraphique est en effet observée selon que celui-ci est destiné à apparaître à l’intérieur ou à l’extérieur de sa domus . Sur les parties externes de sa maison, Trimalcion se présente sous les traits rigides du paterfamilias (linteau promettant cent coups de fouet à l’esclave qui sortirait sans l’accord de son maître, peinture «  caue canem  » dans le vestibule). Un rapprochement est fait entre l’inscription précisant que Trimalcion dîne dehors les deux derniers jours du mois de décembre et un titulus de Pompéi ( CIL , IV, 8352). T. Ramsby met en évidence l’importance que revêt la profession de lapidarius (tailleur de pierres) pour les affranchis à travers le personnage du marbrier Habinnas. Une comparaison est faite entre le rôle que jouent les écrivains et les artistes auprès des puissants, et celui qui est tenu par les tailleurs de pierre auprès des affranchis. Le marbrier est celui par lequel passe nécessairement la transmission du roman personnel.

Koenraad Verboven tente ensuite de dresser le bilan de la place occupée par les affranchis en termes économiques dans la péninsule italienne (« The Freedman Economy of Roman Italy »). À l’expression d’« économie esclavagiste » il semble falloir préférer celle de «  freedmen economy  » (« économie des affranchis », p. 88). Cela se justifie par le fait que les affranchis, détenteurs de connaissances pointues, sont pensés par les maîtres comme un personnel irremplaçable, contrairement aux esclaves souvent peu spécialisés dans leurs tâches. La proportion d’affranchis est évaluée dans cet article à un dixième de la population. À ce titre, K. Verboven juge que le taux d’affranchis dans les cités d’Herculanum et d’Ostie (respectivement 75 % et 60 % d’individus portant des cognomina , soit des surnoms, grécisants) n’est pas représentatif des pourcentages italiens. L’examen d’une documentation variée (tablettes du banquier pompéien Lucius Caecilius Iucundus, livres de comptes des Sulpicii , sigillée arétine) permet d’établir que les affranchis occupent une place de choix dans le commerce international au long cours. L’auteur met en évidence, à travers les textes juridiques (Édit de Dioclétien sur les prix, Digeste), les stratégies patronales qui se tissent autour de l’éducation du personnel domestique et des retours sur investissement qui peuvent en être attendus. Analysé sous le prisme d’une continuité de la dépendance ( opera officiales , opera fabriles, mandatum, societas ), l’affranchissement apparaît pour le dominus plus rentable que le maintien des esclaves dans un statut servile.

Dans une contribution intitulée « Deciphering Freedwomen in the Roman Empire », Marc Kleijwegt interroge la représentativité du cas d’Acilia Plecusa, affranchie qui épouse son patron chevalier, connue par une série d’inscriptions de Singilia Barba , en Bétique ( CIL , II2, 5780 et 5784). L’étude, qui cherche à identifier la manière dont la manumission affecte les trajectoires des femmes affranchies dans leur vie personnelle et familiale, conclut que le mariage avec des affranchis doit être compris comme un choix délibéré par les patrons qui espéraient ainsi, via la Lex Iulia augustéenne, garder la main sur leurs épouses (séparation incomplète des biens, impossibilité de bénéficier une seconde fois du conubium , soit le droit de contracter un mariage en justes noces, en cas de divorce, et incapacité d’intenter une action en justice pour récupérer leur dot après une séparation).

Consacré aux colombaria (monuments funéraires composés de plusieurs niches qui abritent les urnes des défunts) de l’, Urbs , l’article de Carlos R. Galvao-Sobrinho interroge les raisons de l’apparition de sépultures collectives d’esclaves et d’affranchis à l’âge augustéen et de leur déclin à partir de l’époque flavienne. L’hypothèse fonctionnaliste, qui a fait florès sous les plumes de Helke Kammerer-Grothaus Footnote 2 et de Keith Hopkins Footnote 3 , et selon laquelle le succès du colombarium doit être corrélé à la surpopulation romaine et au manque de place pour les espaces funéraires, est énergiquement réfutée. L’auteur attribue, au contraire, cette modification de la sociabilité funéraire à la fragilisation des associations des franges suburbaines de Rome par les lois juliennes (limitation de l’affranchissement, resserrement de l’encadrement sur les collèges privés et sur les associations de voisinage à vocation économique dont les affranchis sont souvent les représentants). Les lois édictées par Auguste auraient impulsé un repositionnement des affranchis dans la familia en induisant le développement de liens de solidarité horizontaux entre les membres de cette dernière. Le colombarium doit être interprété comme l’expression d’une nouvelle sociabilité servile autour des rites funéraires dans un espace aménagé pour les affranchis (autels, sépultures, inscriptions privées) et jalousement gardé. Pour rendre compte du désintérêt croissant pour ce type de commémoration collective à partir des années 70 ap. J.-C., l’auteur propose une autre explication, complémentaire. La volonté de s’affranchir d’une identité conférée par la familia pour se tourner vers la quête d’une identité familiale restreinte et cellulaire serait la seconde raison de la transformation des types de monuments à l’époque flavienne.

La grande force de cet ouvrage est de s’inscrire à la croisée de deux méthodes d’appréhension – interne et externe – de la sphère des affranchis. Cette double approche revêt un intérêt certain en ce qu’elle remet en cause l’idée de la stricte dépendance qui colle, dans l’historiographie, à l’étude du monde des affranchis. En adoptant le point de vue des affranchis, il apparaît que, par-delà le vernis de la législation, ces derniers savent s’immiscer dans les interstices vacants de la législation et, via des stratégies de contournement, exploiter la marge de manœuvre laissée à leur portée par leurs patrons.

References

1. Henrik Mouritsen, The Freedman in the Roman World , Cambridge, Cambridge University Press, 2011.

2. Helke Kammerer-Grothaus, « Camere sepolcrali de’ Liberti e Liberte di Livia Augusta ed altri Caesari », Mélanges de l’École française de Rome , 91-1, 1979, p. 315-342, ici p. 315.

3. Keith Hopkins, Death and Renewal: Sociological Studies in Roman History , Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 214.