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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  24 May 2019

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Abstract

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Résumés / Abstracts
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© Éditions de l'EHESS 

Sebouh David Aslanian

Une vie sur plusieurs continents Microhistoire globale d’un agent arménien de la Compagnie des Indes orientales, 1666-1688

En 1666, Jean-Baptiste Colbert décidait d’engager Martin di Marcara Avachinz, un marchand arménien originaire de Perse et d’Inde, comme agent de la Compagnie française des Indes orientales nouvellement instituée. Ce dernier réussit à négocier, auprès du souverain du sultanat de Golconde, l’octroi d’un édit qui permettait aux Français d’ouvrir un comptoir dans le port de Masulipatam en 1669. Cependant, peu de temps après, Marcara fut brutalement arrêté, torturé et envoyé en France par ordre de son supérieur, François Caron. Cet article propose une analyse fouillée des factums, les mémoires judiciaires produits durant son procès tenu à Paris à la suite de sa libération en 1675. À travers une « microhistoire globale » de la vie de Marcara, suivie d’un continent à l’autre, il s’agit de mieux comprendre les mécanismes du commerce de longue distance dans l’océan Indien. L’enjeu est d’abord de comparer le réseau de la Compagnie française des Indes orientales et des autres compagnies à charte avec celui des diasporas négociantes « sans État », représentées ici par les marchands arméniens venus de la Nouvelle-Djoulfa, la ville d’où est originaire Marcara, à la périphérie de la capitale safavide Ispahan. L’article examine ensuite le fonctionnement et le rôle des factums dans la France de l’époque moderne. Enfin, il revient sur la façon dont l’histoire « exceptionnellement normale » de la vie de Marcara témoigne des perceptions françaises de l’Orient, notamment de l’hostilité et de la crainte à l’égard de certaines communautés de marchands, banquiers et courtiers arméniens et indiens.

A Life Lived Across Continents: A Global Microhistory of an Armenian Agent of the Compagnie des Indes orientales, 1666-1688

In 1666, French minister of finance Jean Baptist Colbert hired Martin di Marcara Avachinz, an Armenian merchant from Iran and India, as an agent for his newly established Compagnie française des Indes orientales. Soon after the Armenian secured a royal edict from the ruler of the sultanate of Golconda (Southern India) to set up a French trading center in the port of Masulipatam in 1669, he was summarily arrested, tortured, and sent to France by his superior François Caron. This article provides a close reading of judicial sources known as factums, produced during Marcara’s sensational trial following his release from prison in 1675. Through a “global microhistory” of Marcara’s life across continents, this essay seeks to contribute to a deeper understanding of early modern long-distance trade in the Indian Ocean. It does so by comparing the network of the Compagnie des Indes orientales and other joint-stock corporations with the “stateless” nature of the trade diaspora network represented by Armenian merchants from Marcara’s township of New Julfa on the outskirts of the Safavid capital of Isfahan. The essay sheds light on how factums functioned in early modern France and concludes by exploring how the “exceptionally normal” story of Marcara’s life provides a useful window onto French perceptions of the Orient and the fear induced by certain mercantile communities such as Armenian and Indian bankers and brokers.

Darío G. Barriera

Gouverner les campagnes Analyse micro-sociale et construction institutionnelle (Río de la Plata, fin du xviiie siècle)

À la fin du xviiie siècle, la monarchie hispanique imagina de nouvelles solutions pour gouverner ses territoires compris entre le Sud de l’Amazonie, le détroit de Magellan et la cordillère andine. Peuplées de cultivateurs et d’éleveurs, ces immenses régions rurales restaient mal connues des autorités. Pourtant, parmi les réformes conduites en Amérique par Charles III – notamment l’adoption du système de l’intendance –, aucune n’abordait de front l’administration des campagnes, une question importante pour deux raisons. Premièrement, la majeure partie des habitants du Río de la Plata vivait à la campagne. Deuxièmement, les longues distances séparant ces territoires des villes où étaient fixées les représentants du pouvoir monarchique (Santa Fe, Buenos Aires ou Madrid) constituaient un défi de taille pour les autorités chargées de gouverner ces populations. L’abandon d’une analyse surplombante au profit d’une approche au ras du sol, attentive aux dynamiques locales, permet d’éclairer le fonctionnement de ces espaces éloignés des centres politiques de la monarchie. À travers une analyse microhistorique d’une série de transformations institutionnelles survenues dans la province du Río de la Plata, cet article montre comment des individus gouvernés réussirent à prendre part au gouvernement de leur territoire. La mobilisation de leurs réseaux leur permit de créer des institutions et une communauté politique locale.

Governing the Countryside: Microsocial Analysis and Institutional Construction (Río de la Plata, Late Eighteenth Century)

At the end of the eighteenth century, the Hispanic Monarchy imagined new solutions for governing its territories between the south of the Amazon, the Strait of Magellan, and the Andean cordillera. Populated by farmers and shepherds, these huge rural areas remained poorly known to the authorities. Yet among the reforms conducted in America by Charles III—including the adoption of the intendancy system—none tackled the administration of the countryside head-on. This problem is key for two reasons. In the first place, most of the population of the Río de la Plata lived in rural areas. Second, the enormous distances that separated these areas from the urban centers where representatives of the Monarchy resided (Santa Fe, Buenos Aires, or Madrid) posed a challenge that the authorities had to face in order to govern these populations. Shifting from a “top-down” perspective to a ground-level analysis attentive to local dynamics makes it possible to shed new light on how these spaces far removed from the centers of power functioned. Through the microhistorical analysis of a series of institutional transformations affecting the Río de la Plata, this article shows how the governed came to participate in the government of their region, mobilizing their networks to create a community and institutions on a local scale.

Jessica Marglin

La nationalité en procès : droit international privé et monde méditerranéen

Cet article emploie la microhistoire d’une affaire transnationale qui se déroulait entre l’Italie et la Tunisie pendant les années 1870 et 1880 pour éprouver le droit international grâce à une approche qui va au-delà des frontières de l’Occident. L’affaire Samama contre Samama présente un litige fort compliqué, examiné par les cours de justice italiennes pendant près d’une décennie. La principale difficulté du procès concernait la nationalité de Nissim Samama, un juif né à Tunis, et, partant, l’ordre juridique qui pouvait décider de sa succession. Le Code civil italien promettait de respecter les droits nationaux des ressortissants étrangers, mais ces derniers étaient a priori considérés comme occidentaux uniquement. Or une affaire où il était question à la fois du droit tunisien et du statut des juifs interrogeait les fondements mêmes de l’ordre juridique international. En portant devant les tribunaux le problème de la nationalité de Samama, le procès dévoilait plusieurs failles et tensions au sein des théories émergentes du droit international : comment des États non occidentaux tels que la Tunisie pouvaient-ils s’intégrer dans l’ordre juridique international naissant ? Comment le droit international envisageait-il le droit musulman ? Quel était le statut de la nation juive dans un monde de nationalités de plus en plus exclusives ? Les actes d’un tel procès permettent de prendre la mesure des débats et des réflexions entre les spécialistes de droit international sur les ambiguïtés propres à leur discipline. De même, ils donnent un accès privilégié à la façon dont les Maghrébins concevaient le droit international. Les controverses qui en résultent mettent au jour les tensions inhérentes à un droit international qui ne cesse d’hésiter alors entre particularisme occidental et universalisme.

Nationality on Trial: International Private Law across the Mediterranean

This article uses a single, transnational legal case that played out between Italy and Tunisia in the 1870s and 1880s to tell a truly global history of international law—that is, one that goes beyond the boundaries of the West. Samama v. Samama was a fabulously complicated case that dragged on in Italian courts for almost a decade. The crux of the legal arguments concerned the nationality of Nissim Samama, a Jew born in Tunis; Samama’s nationality, in turn, would determine which legal system regulated his estate. The Italian Civil Code enshrined respect for the national law of a foreigner, but such foreigners were presumed to be Western. A case involving the national law of Tunisia and the status of Jews called the very foundations of the international legal system into question. In putting Samama’s nationality on trial, the case opened up debate over fissures in the emerging theory of international law: How could non-Western states like Tunisia fit into an international legal order? How did Islamic law intersect with international law? What was the status of Jewish nationhood in a world increasingly based on exclusive nationalities? The Samama case offers access to the voices of European international lawyers debating the ambiguities of their field, as well as those of Maghrebis articulating their own vision of international law. The resulting arguments exposed tensions inherent to an international legal system uncomfortably balanced between universalism and Western particularism.

Roberto Zaugg

Le crachoir chinois du roi Marchandises globales, culture de cour et vodun dans les royaumes de Hueda et du Dahomey (xviie-xixe siècle)

Acteurs majeurs de la traite transatlantique des esclaves, les royaumes de Hueda et du Dahomey (Sud du Bénin actuel) se sont insérés dans les flux mondiaux de marchandises. Entre le xviie et le xixe siècle, les biens importés y ont alimenté des pratiques de consommation ostentatoire et des attitudes de largesse ritualisée dont les manifestations ont été essentielles à la consolidation de la souveraineté des monarques. En mettant l’accent sur deux marchandises en particulier (le tabac et la porcelaine) ainsi que sur des pratiques comportementales (fumer, cracher), cet article étudie la façon dont ces biens étaient matériellement et symboliquement intégrés à la culture de cour et associés à des croyances religieuses et à des pratiques rituelles du vodun. Il associe une enquête micro-historique reposant sur des sources écrites avec des découvertes archéologiques, des observations anthropologiques et l’analyse de sources visuelles et sculpturales, afin de mettre en évidence des aspects récurrents de la scénographie de cour, de comparer les significations des pratiques corporelles dans différentes régions du monde et d’identifier les liens matériels engendrés par le commerce mondial. L’article montre ainsi que les palais royaux ont été des laboratoires essentiels d’un changement esthétique et de nouvelles cultures de consommation élitiste. Au cours de ce processus, les éléments d’origine étrangère ont non seulement enrichi la culture matérielle des palais, illustrant la splendeur mondiale des monarques, mais ils se sont également chargés de nouvelles significations qui ont intégré ces biens et les pratiques afférentes dans des codes culturels spécifiques à certaines régions.

The King’s Chinese Spittoon: Global Commodities, Court Culture, and Vodun in the Kingdoms of Hueda and Dahomey (Seventeenth to Nineteenth Centuries)

As key players of the transatlantic slave trade, the monarchies of Hueda and Dahomey (in modern-day southern Benin) connected themselves to global commodity flows. From the seventeenth to the nineteenth century, imported merchandise fueled practices of conspicuous consumption and ritualized largesse, the performance of which was pivotal in consolidating the rulers’ power. Focusing on specific items (tobacco, porcelain), as well as on behavioral practices (smoking, spitting), this article examines how these goods were materially and symbolically integrated into courtly culture and associated with religious beliefs and ritual practices of Vodun. In order to track recurring aspects of courtly scenography, to compare the signification of bodily practices in different parts of the world, and to identify material links engendered by global trade, it combines microhistorical investigation based on written records with archaeological findings, anthropological observations, and the analysis of visual sources and sculptural artefacts. This contribution argues that royal palaces constituted crucial laboratories of aesthetic change and new cultures of elite consumption. In this process, exogenous elements not only enriched the material culture of the palaces, celebrating the rulers’ global splendor; they were also charged with new meanings that inscribed foreign goods and related practices into specifically regional cultural codes.

Christel Freu

Écrire l’histoire du travail aujourd’hui Le cas de l’Empire romain

Trois livres récents questionnent la manière d’aborder le travail sous l’Empire romain et d’en écrire l’histoire : les sources que privilégient les historiens, l’échelle d’observation à laquelle ils se situent et les présupposés théoriques qui les guident. Ces réflexions montrent qu’il existe bien des manières d’écrire l’histoire du travail, un domaine désormais éclaté en multiples sous-champs qui ne dialoguent pas forcément entre eux. Grâce à la relecture de sources traditionnelles, littéraires et épigraphiques, ainsi qu’à l’apport décisif de l’archéologie et des papyrus, l’histoire traditionnelle du travail et des métiers s’est considérablement renouvelée. On s’interroge maintenant sur les causes de la spécialisation poussée des métiers à Rome et sur l’existence d’une véritable division du travail. Par ailleurs, la recherche archéologique aide à améliorer la compréhension des techniques et des processus productifs, et, par là, à dresser une typologie des identités socio-professionnelles des patrons et de leurs employés dans les boutiques et les ateliers romains. Dans une tout autre direction, le travail est considéré, d’un point de vue macro-économique, comme une force à mobiliser par l’entrepreneur : les questions sur la productivité comparée des esclaves et de la main-d’œuvre libre ont été remplacées par celles sur les coûts de transaction du travail salarié et du travail dépendant. Le débat demeure vif entre les historiens qui estiment que le marché du travail n’est pas développé, du fait du poids toujours important des réseaux clientélaires et du travail dépendant, et ceux qui décrivent une économie de marché libre, où le travail est devenu une marchandise.

Recent Reflections on the History of Labor: The Case of the Roman Empire

Three recently published books raise the question of labor in the Roman Empire. The present article aims to investigate the sources privileged by historians, the scale of observation on which their analysis is situated, and the theoretical assumptions that guide them. These reflections show that there are multiple ways of writing labor history, currently divided into different subfields which do not always communicate with one another. Thanks to new readings of ancient literature and epigraphy, and to the contribution of papyri and archaeology, the traditional history of work and trades has been widely renewed. An important line of questioning examines the reasons for the high degree of trade specialization in the Roman Empire, as well as the existence of a true division of labor. Archaeology helps us understand the technologies and processes of production, making it possible to establish a typology of the socioprofessional identities, from employers to employees, that existed in the shops and workshops of the Roman world. A quite different approach investigates the organization of labor from a macroeconomic perspective, seeing it as a force mobilized by employers: comparisons between the productivity of slaves and that of free workers have been replaced by analyses of the transaction costs of free hired labor versus servile manpower. Finally, debate continues between historians who consider that the labor market of the Roman Empire was limited by clientelist networks and servile labor, and those who describe a free-market economy where labor had become a commodity.

Catherine Kikuchi

Concurrence et collaboration dans le monde du livre vénitien, 1469-début du xvie siècle

Le début de l’imprimerie en Europe est l’histoire non seulement d’un grand succès économique et commercial, mais aussi de risques importants pris par les individus. Le nécessaire approvisionnement en papier est l’occasion de conflits et exige une disponibilité constante en capital ; la rentabilité de l’industrie du livre est soumise à une bonne appréciation du marché de la consommation. À Venise, n’importe qui peut se lancer dans l’industrie du livre et cette concurrence est amèrement décriée par les imprimeurs à la fin du xve et au début du xvie siècle. Cette situation les conduit à formuler les risques économiques qu’ils prennent dans les suppliques de privilèges qu’ils demandent aux autorités vénitiennes et à conceptualiser des réalités de leur milieu, en particulier la concurrence. Ce terme, toujours pris dans un sens négatif, est pourtant extrêmement rare dans les documents de la pratique comme dans les textes théoriques de cette époque. Cette formalisation de la concurrence est contrebalancée par la nécessité de collaborer au sein de cette industrie. Celle-ci peut être abordée par le biais de l’analyse des réseaux sociaux. La confiance est restaurée par les collaborations dans un groupe restreint et se nouent des réseaux de collaborations denses dans lesquels les concurrents deviennent partenaires. Cela permet aussi à certains acteurs de créer autour d’eux de larges consortia, entraînant la constitution d’une économie oligopolistique, typique des industries sans réglementation étatique.

Competition and Collaboration in the Venetian Publishing Industry: From 1469 to the Early Sixteenth Century

The early history of printing in Europe is one of great economic and commercial success, but also of significant risks taken by those involved. The supply of paper, essential to the functioning of a press, could cause conflicts and required constantly available capital: the profitability of the book industry depended on the growth of the market. In Venice, anyone could set up as a printer, creating competition that was strongly criticized by printers and booksellers in the late fifteenth and early sixteenth century. This prompted them to formulate the economic risks they faced in supplica addressed to the Venetian authorities, and to conceptualize the realities of their situation, especially in terms of competition. This word, always used in a pejorative sense, is nevertheless rare in both theoretical and practical documents of the time. However competitive this economic milieu was, it was counterbalanced by the necessity of collaboration, a phenomenon that can be studied through Social Network Analysis. Trust was restored through the constitution of dense collaborative networks, in which competitors became partners. Yet this also enabled some actors to establish strong consortia, leading to the kind of oligopolistic economy typical of industries without state regulation.