Published online by Cambridge University Press: 11 October 2017
IL y a, au musée Carnavalet, une peinture du XVIe siècle, qui représente le charnier des Innocents, sur l'emplacement actuel du square. On voit une église, des chapelles, les maisons de la rue Saint- Denis. C'est une place enclose de bâtiments assez disparates, et qui évoque en plus petit l'esplanade du Temple à Jérusalem, qui entoure la mosquée d'Omar : il y a ici une tour de bois, isolée comme un minaret ; ailleurs un prêchoir, comme les mihrabs musulmans. De grandes croix espacées, quelques pierres tombales. Au premier plan, des fossoyeurs sont en train d'enterrer un mort simplement enveloppé dans un suaire, tandis que s'immobilise autour d'eux un groupe compact de prêtres et d'assistants. Mais la place n'est point déserte : elle s'anime du passage de personnages, hommes, femmes, qui vont à leurs affaires ou à leurs plaisirs ; des enfants se battent ; un mendiant couché à terre, presque entièrement nu, demande la charité.
page 289 note 1. L'article, le bel article qu'on va lire est le dernier en date de ceux que, pendant tant d'années, Maurice’ Halbwachs a donnés aux Annales. Je l'avais en main dès 1943. Je le destinais à l'un des cahiers de Mélanges que je publiais ailors pour éviter aux Annales d'être traitées polioièrement en périodique. La censure do Vichy en prit connaissance et l'écarta. Sans doute, le stupide qui jeta les yeux sur les épreuves n'alla-t-il pas (plus loin que le titre : « Pas d'enfants, peu de décès », qui lui parut annoncer quelque propagande subversive et malthusienne : Je Maréchal voulait que « son État » se repeuplât — donc, au panier l'article. ! Mais je fis garder la composition, sachant qu'un jour viendrait… Le jour est venu ; mais Maurice Halbwachs n'est plus là pour le voir. Nos amis de l'étranger savent maintenant comment, arrêté sans aucun motif — j ‘y insiste — et même sans aucun prétexte, par la Gestapo, à Paris en 1944, oe savant entre tous humain et pacifique, cet esprit d'une étonnante curiosité, — toujours possédé, quand on le rencontrait, par quelque nouvelle passion intellectuelle qu'il vous exposait avec cette sorte d'enthousiasme- sans fracas qui était précisément sa marque, — se trouva, sans savoir pourquoi, jeté brutalement dans un camp de torture et de mort, y tomba malade, et ne put pas survivre aux affreux traitements qu'il endura. « Sans savoir pourquoi. » Mais nous, nous savons. Et c'est pourquoi nous garderons sa mémoire, ici, dans cette revue qu'il connut sous ses. incarnalions successives depuis l'origine, qu'il aima et à qui il donna quelques-uns des meilleurs fruits de son esprit ingénieux, équitable et toujours en éveil.