Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Les historiens n'ignorent pas la lenteur de l'évolution des esprits dans le monde pré-industriel, mais ne la mesurent pas toujours exactement. Un brillant article de Jean Céard a montré récemment toute la richesse d'un débat sur les géants qui mobilisa les théologiens, les savants et les gens de lettres et qui, bien loin de s'achever au début du XVIIe siècle, comme le suggérait l'auteur, se poursuivit jusqu'à la création de la paléontologie, dans les premières années du XIXe siècle.
Belief in giants originally inhabiting the entire earth (in pursuance ofthe old idea of nature's degeneration), or a part ofit, is far from dying out, as is throught to be the case at the beginning of the 17th century. Grounded on the Bible and a great number of classic authors, from Homer to Saint Augustin, and supported by the constant discovery of gigantic bones in the earth, the belief is maintained among many individuals right up to the end of the 18th century. Even though the true animai origin of thèse remains appeared obvious as from Antiquity, no scientific proof of the fact was to be had in the modem sensé before Cuvier. For centuries, believers and sceptics debated without coming to any décision, giants being credited by many clergymen, trying to defend the documentary truth of the Scriptures ail the more as Church authority was on the wane since the end ofthe 17th century.
1. J. Céard, « La querelle des géants et la jeunesse du monde », The Journal of Médiéval and Renaissance Studies, VIII, 1, printemps 1978, pp. 37-76.
2. P. Borel, Les Antiquitez, raretez, plantes, minéraux… de la Ville, & comté de Castres… Avec le Roolle des principaux cabinets, & autres Raretez de l'Europe, comme aussi le Catalogue des choses rares de Maistre Pierre Borel, Castres, 1649(et reprint 1973), p. 133.
3. K. Pomian, « La culture de la curiosité », Le temps de la réflexion, III, 1982, pp. 337-359.
4. L. Bernon, Recueil des pièces curieuses apportées des Indes, d'Egypte, & d'Ethiopie…, Paris, 1670.
5. Mercure François…, t. X, Paris, 1625, p. 392.
6. K. Park et L. Daston, « Unnatural Conception : the Study of Monsters in Sixteenth- and Seventeeth-Century France and England », Past and Présent, n° 92,1981, pp. 20-54.
7. « Lettres de Michel Bégon, annotées par feu Louis Delavaud et Charles Dangibeaud », Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, XLVII, 1925, p. 246(16 janvier 1695).
8. Thorndike, L., A History of Magic and Expérimental Science, vol. VII et VIII, New York, 1958.Google Scholar
9. La polémique est retracée par L. Thorndike, op. cit., t. VIII, chap. XXIV.
10. M. Rudwick, The Meaning of Fossils. Episodes in the History of Paleontology, New York, 1972, 2e éd. revue, 1976 ; R. Porter, The Making ofCeology. Earth Science in Britain, 1660-1815, Cambridge, 1977.
11. Shepard, O., The Lore of the Unicorn, Boston et New York, 1930 (rééd. 1979).Google Scholar
12. Allen, E. Héron, Barnacles in Nature and Myth, Londres, 1928.Google Scholar
13. E. Stresemann, « Was wussten die Schriftsteller des XVI. Jahrhunderts von dem Paradiesvögeln. Ein Beitrag zur Geschichte der Ornithologie », Novitates Zoologicae, XXI, 1914, pp. 13-24.
14. Cl. Du Molinet, Le Cabinet de la Bibliothèque de Sainte-Geneviève, Paris, 1692 (posthume), p. 185.
15. H. Bresc, « Le temps des géants », Temps, mémoire, tradition au Moyen Age, Actes du XIIIe Congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, Aix-en- Provence, 1982 (1983), pp. 245-266.
16. La Bible de Jérusalem traduit frileusement par « héros ».
17. Cl. N. Peiresc, Lettres…, éd. Ph. Tamizey De Larroque, t. IV, p. 589, t. VII, pp. 739-741 ; Y. Bezard, Fonctionnaires maritimes et coloniaux sous Louis XIV. Les Bégon, Paris, 1932, pp. 177-179 (extrait d'une lettre de Rigord à Bégon en 1699, sur un Pyrénéen de 125 ans).
18. Deux siècles plus tard, Solin (I, 91), qui situe la trouvaille en 68-67 av. J. C , réduit cette taille à trente-trois coudées (voir Pline L'Ancien, Histoire naturelle, livre VII, éd. R. Schilling, collection Budé, Paris, 1977, p. 159, qui donne les coudées en équivalent moderne).
19. Commode compilation des voyageurs dans J. de Laet, Nieuwe wereldt, ofte Beschrijvinghe van West Indien…, Leyde, 1625, trad. L'Histoire du Nouveau-Monde, ou description des Indes occidentales, Leyde, 1640, voir pp. 435 et 439.
20. D. Murray, Muséums : their History and their Use, 3 vol., Glasgow, 1904, t. I, pp. 45- 50 ; H. Bresc, op. cit., n. 15.
21. « Le monde vieillissant peu à peu et les aliments perdant leur vigueur, il a diminué et diminue chaque jour davantage ».
22. « Et voilà sans aucun doute la raison pour laquelle, sur toute l'étendue de la terre, on a trouvé si fréquemment des cadavres d'une masse si gigantesque. »
23. CitédeDieu, XV, 9. Sur tout cela, J. Ceard, op. cit.,n. 1.
24. T. Fazello, De Rébus siculis décades duae…, Palerme, 1558, trad. ital., Venise, 1573, p. 33.
25. G. Maggi, Variarum lectionum…, Venise, 1564, repris dans De Gigantibus, Heidelberg, 1603, cité par J. Ceard, op. cit. n. 1, pp. 61-63.
26. Le livre II des Origines Antwerpianae, Anvers, 1569, pp. 128-226, forme une Gigantomachia, citée par J. Ceard, ibidem, pp. 63-64.
27. On trouve une liste des trouvailles faites dans la région dans G. Cuvter, Recherches sur les ossemens fossiles où l'on rétablit les caractères de plusieurs animaux…, Paris, 1812, éd. refondue et augmentée, Paris et Amsterdam, 5 vols, 1821-1824, t. 1,1821.
28. J. Spon, Voyage d'Italie, deDalmatie, de Grèce et du Levant… 1675 et 1676, Lyon, 1678, rééd. Amsterdam, 1724, t. I, p. 2.
29. G. Cuvier, op. cit., 1821, p. 102.
30. Bon nombre de livres modernes, qui s'ignorent souvent les uns les autres, font état de l'affaire. Citons les principaux : G. Cuvier, 1812, éd. 1821, op. cit. ; R. Vaucaire, Étude sur Habicot. L'anatomie et la chirurgie de son temps, Paris, 1891 ; D. Murray, op. cit., n. 20 ; O. Abel, Vorzeitliche Tierreste im Deutschen Mythus, Brauchtum und Volksglauben, Iéna, 1939 ; W. Ley, The Longfish, the Dodo & the Unicorn. An Excursion into Romantic Zoology, New York, 1941, éd. revue et augmentée, 1948 ; R. Carrtngton, Mermaids andMastodons, Londres, 1957 (trad. Paris, 1957). J. Ceard, op. cit., n. 1, a donné la chronologie et une excellente analyse de la querelle.
31. J. Riolan, Gigantomachiepour respondre à la Gigantostologie, s.l, 1613 ; L'Imposture descouverte des os humains supposez, et faussement attribués au Roy Theutobochus, Paris, 1614 ; Gigantologie. Histoire de la grandeur des géants, où il est démonstré que de toute ancienneté les plus grands hommes, et géants, n'ont esté plus hauts que ceux de ce temps, Paris, 1618.
32. Vesontio civitas imperialis libéra, Sequanorum metropolis…, Lyon, 1618 ; voir 1” partie, chapitre v, p. 196-199, « De prisca Bisontinorum & Burgundionum proceritate. »
33. A. Kircher, Mundus subterraneus, in XII libros digestus, Amsterdam, 1665 (1664 selon le frontispice).
34. P. Gassendi, Viri illustris Nicolai Claudii Fabricii de Peiresc… vita, La Haye, 1651, p. 210 et 366 ; Peiresc, Lettres…, éd. Ph. Tamizey De Larroque, t. VII, pp. 86-87, 94 (lettres à Thomas d'Arcos, 1630).
35. Lettres…, t. II, p. 293 ; A. Bresson, « Un zoologiste en quête de nouveaux savoirs », Les Fioretti du quadricentenaire de Fabri de Peiresc, éd. J. Ferrier, Avignon, 1981, pp. 328-329.
36. Lettres…, t. V,pp. 477-478,746.
37. Bibliothèque de Carpentras, Ms 1821, f° 70 et 140, cité par H. Bresc, op. cit., n. 15, p. 254. Le même manuscrit contient des notes sur le géant Guillaume Imbert, de Draguignan, et sur la longévité des Abyssins et des Topinambas (citées par P. Humbert, Un amateur : Peiresc, 1580-1637, Paris, 1933).
38. Th. Bartholin, Historiarum anatomicarum rariorum. Centuria I… VI, 3 vol., Copenhague, 1654-1661, Cent, i, Hist. xcvm, pp. 157-164, « Gigantum ossa. »
39. Th. Bartholin, Epistolarum medicinalium a doctis vel ad doctos scriptarum centuria I-IV, 3 vol., Copenhague, 1663-1667, t. I, pp. 223-227 (Lettre Lin, 12 mai 1644).
40. R. Plot, The Natural History of Oxford shire, Oxford, 1677.
41. Conversations de l'académie de Monsieur l'abbé Bourdelot, contenant diverses Recherches, Observations, Expériences… Le tout recueilli par le Sr Le Gallois…, Paris, 1672, (rééd. 1673) ; sur le personnage et son académie, Harcourt Brown, Scientific Organization in Seventeenth Century France (1620-1680), Baltimore, 1934, chapitre xi.
42. Traduction italienne, Venise, 1573, Ire décade, livre I, pp. 34-39, 2e décade, livre I, pp. 339-341. Les principaux titres ultérieurs sont : M. Valguarnera, Discorso dell'origine ed antichità diPalermo, Palerme, 1614 ; Ph. Cluver, Sicilia antiqua…, Palerme, 1619 ; V. Auria, La Sicilia inventrice, o vero, le invenzioni lodevoli nate in Sicilia… con H divertimenti geniali, osservazioni, e giunte all'istessa di D. Antonino Mongitore, Palerme, 1704 (que je résume plus bas) ; F. Aprtle, Délia Cronologia universale délia Sicilia, Palerme, 1725.
43. O. Abel, 1939, op. cit., n. 30, pp. 97-114, explique que certains « géants » étaient tenus pour des cyclopes parce que le crâne des éléphants, qui n'est pas sans ressemblance avec celui de l'homme, présente en son centre une cavité double, mais sans séparation médiane, qui faisait penser à un œil unique.
44. J. Céard, op. cit., n. 1, p. 60, fait remarquer que Fazello ne veut pas discuter en détail pourquoi il y a eu plus de géants en Sicile qu'ailleurs et pourquoi les races de géants ont disparu, sans doute parce qu'il n'a guère confiance dans la théorie de la décroissance de la race humaine.
45. G. F. Abela, Délia descrittione di Malta isola nel Mare siciliano… Libri Quattro, Malte, 1647, pp. 143-148.
46. L'historien de Paris venait de visiter, nous dit Mongitore, les sites de Messine, Taormina, Catane, Syracuse et Girgenti. Ce voyage de Sauvai était inconnu de l'historiographie française avant H. Bresc, op. cit., n. 15.
47. G. Cuvier, op. cit., 1812, éd. 1821, n. 27, notamment p. 97.
48. A.L. Adams, Notes of a Naturalist in the Nile Valley and Malta…, Edimbourg, 1870, pp. 216-223 et 232-233 (je dois cette référence à l'amitié d'Annie Caubet).
49. Th. Ryckius, Oratio de Cigantibus…, Leyde, 1681 (éd. consultée : Etienne de Byzance (Stephanus Byzantius), Leipzig, 1825, t. 11, pp. 179-211).
50. Nihil valere débet auctoritas contra manifestant sensuum experientiam (p. 210).
51. Cl. Comiers, « Histoire générale des Géants », Mercure Galant, mars 1692, pp. 82-131.
52. Précisons toutefois qu'il adopte le calcul moderne de la coudée, soit un pied et demi, et non deux pieds : le géant d'Erice ne dépasse donc pas cent mètres de haut…
53. Le chevalier de Jaucourt dans l'Encyclopédie lui répondra sur ce point : dans quelques siècles, en voyant la statue de Henri IV sur le Pont-Neuf, ne croira-t-on pas que ce bon roi était un géant ?
54. « Si tu demandes à la Nature pourquoy les Enfans que tu produis à présent n'ont pas la hauteur de ceux des premiers Siècles, elle te répondra que ceux-là naquirent dans sa jeunesse, & que ceux-ci sont produits dans le temps de sa vieillesse, quand la matière défaut. Ainsi ils sont de moindre taille que tes Ayeux, & tes Successeurs seront encore plus petits », Esdras, IV, chap. 5, verset 72, cité par Cl. Comters, op. cit., n. 49, pp. 91-92.
55. Journal des Sçavants, 28 janvier 1692.
56. Th. H. Lunsingh-Scheurleer, « Un amphitéâtre d'anatomie moralisé », dans Leiden University in the Seventeenth Century. An Exchange ofLearning, Th. H. Lunsingh-Scheurleer et G.H.S. Posthumus Meyjes éds., Leyde, 1975, pp. 217-277.
57. Philosophical Transactions, vol. XV, 1685, n° 168, pp. 880-881 ; vol. XXII, 1700, n° 261, pp. 487-508 ; Journal de Trévoux, septembre-octobre 1701, pp. 289-302.
58. Sur tout cela, G. Cuvier, op. cit. n. 27, pp. 120 ss., qui cite également un article de J.G. Hoyer.
59. « Sur les Géants », Histoire de l'Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres. Depuis son Establissement jusqu'à présent…, 2 vols, Paris, 1717, t. I, pp. 125-128.
60. Ibidem, III, [années 1711-1717], rééd. Paris, 1746, pp. 157-162.
61. Ibidem, V [années 1718-1725], Paris, 1729, pp. 379-384.
62. 2e éd. révisée, Paris, 1730, t. II, pp. 158-161.
63. H. Sloane, « Mémoire sur les dents et autres ossemens de l'éléphant, trouvés dans terre », Histoire de l'Académie royale des Sciences. Année 1727. Avec les Mémoires de Mathématiques & de Physique…, Paris, 1729, (Mémoires…, pp. 305-334).
64. P. Lambeck, Commentariorum de… Bibliotheca caesarea vindobenensi liber primus… octavus, Vienne, 8 vol., 1665-1679, t. VI et VIII.
65. L. Bourguet et P. Cartier, Traité des pétrifications, Paris, 1742, pp. 133-151.
66. T. VI, pp. 217-230.
67. « De l'existence des Géans. Sentiment de M. Mahudel », Nouveaux Mémoires d'histoire, de critique et de littérature, t. I, Paris, 1749, article 12, pp. 130-139.
68. J. Torrubia, Aparato para la Historia natural española, Tomo primero. Contiene muchas dissertaciones physicas…, Madrid, 1754, § 10, « Gigantologia española », pp. 52-79. Ce texte a été développé dans un livre entier, de toute rareté (cité par O. Abel, 1939, op. cit. n. 30, avec la date de 1754, et par le chevalier de Jaucourt, qui ne l'a pas vu, avec la date de 1756), dont il existe une traduction italienne, publiée à Naples en 1760 (Gigantologia Spagnola vendicata).
69. Voir, sur ce spécialiste de la lutte contre les erreurs vulgaires; P. Burke, Popular Culture in Early Modem Europe, Londres, 1978, p. 242.
70. D. Diderot et J. d'Alembert, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers…, t. VII, Paris, pp. 536-538.
71. Auteur d'un voyage sur les côtes du Chili et du Pérou en 1712,1713 et 1714.
72. S. P. Dance, Animal Fakes and Frauds, Maidenhead, 1976, chap. 11.
73. Concours médical, 11 mai 1924 ; cité dans le Bulletin de la Société d'Histoire de la Pharmacie, IV, 1925, p. 54.