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Patronat et capitaux français face a la seconde industrialisation: l'exemple du pétrole

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Philippe Marguerat*
Affiliation:
Université de Neuchâtel

Extract

Sur la nature et sur les performances du patronat français dans la seconde moitié du xixe siècle et dans la première moitié du xxe siècle, deux courants d'opinion s'affrontent. Le premier, que je serais tenté d'appeler le courant pessimiste, inspiré par les thèses de l'historien américain D. Landes, insiste sur le « retard économique français, retard dont serait responsable le manque d'esprit d'entreprise de ce patronat. A la source de ce manque, les représentants de ce courant dénoncent la structure familiale des entreprises, avec ce qu'ils estiment être ses deux corollaires : le recours quasi exclusif à l'autofinancement destiné à maintenir le contrôle de l'entreprise au sein du groupe familial et la recherche, de la part de l'entrepreneur, de son enrichissement personnel plus que de l'expansion de l'entreprise. D'où nécessairement des ambitions limitées et une grand prudence dans les investissements, s'accompagnant d'un retard certain face à l'innovation technique.

Summary

Summary

The example of the involvement of the Banque de Paris et des Pays-Basin oil investment in Romania after World War I illustrates the difficulties encountered by French capitalism during the Second Industrialization. Firstly, there were problems of financing linked to the relative restriction of the financial market which could only be mitigated by complex financial constructions in which large investment banks were called upon to play an essential role. Secondly, and most importantly, there were management problems tied to two factors: 1) the influence of investment banks, unfamiliar with and industrial vision of business management, and 2) the inappropriateness of the new bosses which becomes evident with the influence of banks: the managers were technocrats from the top universities and the state's technical corps, better trained to handle administrative and technical issues than to understand scientific progress.

Type
Histoire Économique: Nouvelles Hypothèses
Copyright
Copyright © Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1991

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References

Notes

1. Résumé de la position de D. Landes dans Rowley, A., Évolution économique de la France du milieu du 19e siècle à 1914, Paris, 1982, p. 316 Google Scholar.

2. notamment, Cf., « Familienstruktur und Industrieunternehmen in Frankreich (18. bis 20. Jahrhundert) », dans Famille zwischen Tradition und Moderne, Gôttingen, 1982, pp. 225238 Google Scholar.

3. A. Baudant, Pont-à-Mousson (1918-1939). Stratégies industrielles d'une dynastie lorraine, Paris, 1980. L'erreur initiale de stratégie, immobilisation dans l'investissement minier, est ellemême due à la volonté de la dynastie Cavallier de se hisser au niveau des maîtres de forge et d'en conserver le statut, considéré comme ennoblissant.

4. Parmi ces études, on signalera celles de P. Lanthier, « Les dirigeants des grandes entreprises électriques en France, 1911-1973 », dans Le patronat de la Seconde Industrialisation, Paris, 1979, pp. 101-136; de M. LÉVY-Leboyer, «Le patronat français, 1912-1973», ibid., pp. 137-200; de H. Morsel, «Le patronat alpin français et la seconde révolution industrielle, 1869-1939», ibid., pp. 201-208 ; et de A. Thépot, « Les ingénieurs du corps des Mines, le patronat et la seconde industrialisation », ibid., pp. 237-246.

5. Intervention de Lévy-Leboyer, M. dans L'ingénieur dans la société française, Paris, 1985, pp. 256257 Google Scholar.

6. Kuisel, R., Le capitalisme et l'État en France. Modernisation et dirigisme au XXe siècle, Paris, 1984, p. 160 Google Scholar.

7. Question qui ne saurait être résolue que par l'étude des diverses entreprises, que par la « Business history », champ largement négligé jusqu'ici. En tout cas dans le domaine de la seconde industrialisation.

8. Sur l'industrie électrotechnique, cf. les travaux d'A. Broder, notamment «La multinationalisation de l'industrie électrique française, 1880-1931. Causes et pratiques d'une dépendance», Annales ESC, 1984, pp. 1020-1043 ; et « Le commerce extérieur des matériels électriques et électrotechniques en France de 1892 à 1939 », dans La France des électriciens, 1880-1980, Paris, 1986, pp. 127-159. Sur l'électricité en général, cf. Lévy-Leboyer, M., « Histoire de l'entreprise et histoire de l'électricité », dans L'électricité dans l'histoire, Paris, 1985, pp. 1324 Google Scholar.

9. Marouerat, Ph., Banque et investissement industriel. Paribas, le pétrole roumain et la politique française, 1919-1939, Neuchâtel-Genève, 1987 Google Scholar.

10. Sur l'action de M. Champin dans la métallurgie de première transformation (tubes), cf. Omnès, C., De l'atelier au groupe industriel. Vallourec, 1882-1978, Paris, 1980;Google Scholar sur l'action de Mercier en général, cf. Kuisel, R., Ernest Mercier: French Technocrat, Berkeley-Los-Angeles, 1967 Google Scholar.

11. Sur tout cela, Ph. Marguerat, op. cit.

12. On pourrait y ajouter la reprise par la BUP, en 1923, en collaboration avec le groupe pétrolier belge Petrofina, de l'entreprise pétrolière roumaine Concordia. Il serait intéressant d'étudier le groupe pétrolier de la BUP (dont le principal actif de production est la Concordia), bien que ce groupe soit moins important que celui de Paribas.

13. J. Bouvier, «Système bancaire et inflation au xxe siècle. De 1913 à la Seconde Guerre mondiale », Bulletin de l'Institut d'histoire économique et sociale de l'Université de Paris I, n° 6, 1977, pp. 59-100.

14. Lévy-Leboyer, M., « The Large Corporation in Modem France », ManagerialHiérarchies, Cambridge (Mass.)-Londres, 1980, pp. 117160 Google Scholar.

15. Ph. Marouerat, op. cit., passim ; résultats analogues dans le cas de la Colombia.

16. Taux de profit réel = profit déclaré exprimé en lei 1921, en pourcentage du capital-actions versé exprimé en lei 1921.

17. A partir de 1928-1929, la banque et ses associés, estimant impossible de redresser l'exploitation industrielle de la Steava Romana, se rabattent sur une politique de courtage, consistant à vendre le plus possible de leur pétrole roumain, même à bas prix, ce qui a pour effet d'assurer de belles rentrées à Paribas et à ses associés, mais d'aggraver et d'accélérer les difficultés de la Steava Romana.

18. Cf. Ph. Marguerat, op. cit.

19. L'échec de l'exploitation industrielle va de pair avec l'extinction de l'entreprise, empêchée, par suite de ses difficultés, d'explorer et d'acquérir dans les années 1930 de nouvelles concessions.

20. Les holdings en question sont la Steava Française pour la Steava Romana et l'Omnium International de Pétroles pour la Colombia.

21. J. Mény, en particulier, cumule au début des années 1940 les postes clef: président de la CFP — dont il était déjà l'administrateur-délégué depuis 1929 — et chef de la Direction des Carburants.

22. M. LÉVY-Leboyer, «The Large Corporation… », art. cité.

23. Ce sont en fait les réviseurs anglais (Deloitte) de la Steava Romana qui, à partir de 1928- 1929, attirent l'attention des dirigeants du groupe pétrolier de Paribas sur l'impasse. Sur quoi, ces dirigeants, constatant le caractère irrémédiable des erreurs commises, optent pour la politique de courtage évoquée.

24. Une vision large ne signifie pas une vision superficielle ; tout au contraire, la chimie et la géologie doivent être comprises en profondeur, jusque dans leurs fondements, pour que les techniques pétrolières qui en dérivent puissent être vraiment maîtrisées et insérées dans le jeu des contraintes économiques qui pèsent sur les entreprises.

25. Cette nouvelle conception porte le nom d'«unification des champs pétroliers». C'est l'Anglo-Iranian qui semble être à l'origine de cette conception et de son utilisation.

26. Sur l'École Polytechnique et son enseignement, cf. T. Shinn, L'École Polytechnique, Paris, 1980; et, de manière plus générale, Ch. Kindleberger, «Technical Education and the French Entrepreneur», Entreprise and Entrepreneurs in Nineteenth and Twentieth-Century France, Baltimore-Londres, 1976, pp. 3-39, ainsi que Ch. Day, R., Education for the Industrial World, Cambridge (Mass)-Londres, 1987 Google Scholar.

27. A. THÉPot, art. cité.

28. R. Martin, Patron de droit divin…, Paris, 1984, pp. 19-20.

29. Ferrier, R. W., The History of the British Petroleum Company, vol. 1, The Developing Years, 1901-1932, Cambridge, 1982 Google Scholar.

30. Ch. Harvey, E., The Rio Tinto Company. An Economie History of a Leading International Mining Concern, 1873-1954, Penzance, 1981 Google Scholar.

31. Ingénieurs anglais issus notamment de la Royal School of Mines, dont l'enseignement est beaucoup plus scientifique et technique que celui de l'École des Mines de Paris, et ingénieurs américains ou allemands, ces derniers issus des Hautes Écoles Techniques allemandes, beaucoup plus orientées vers la recherche que les écoles d'application françaises ; cf. Ch. E. Harvey, J. Press, «Overseas Investment and the Professional Advance of British Métal Mining Engineers, 1851- 1914 », Economie History Review, 1989, pp. 64-86.

32. Sur les ingénieurs issus de l'École Centrale, cf. G. Ribeill, « Profil des ingénieurs centraux au 19e siècle. Le cas des centraux», dans L'ingénieur dans la société française, op. cit., pp. 111- 125 ; sur les Instituts de sciences appliquées des facultés des sciences, cf. Paul, H. W., From Knowledge to Power. The Rise of the Science Empire in France, 1860-1939, chap. 4, Cambridge, 1985 CrossRefGoogle Scholar, chap. 4.

33. H. Morsel, «Le patronat alpin français… », art. cité.

34. Le rôle des banques apparaît considérable dans le secteur électrique dans Pentre-deuxguerres. Il est malheureusement très mal connu, faute d'études précises.

35. Cette conclusion rejoint celle de M. Lévy-Leboyer à propos du secteur de l'électricité : ce n'est pas un problème financier qui explique le retard de ce secteur en France dans l'entre-deuxguerres ; c'est le problème des marchés. Cf. « Histoire de l'entreprise et histoire de l'électricité », art. cité. On pourrait aussi se demander si, plus que les marchés ou tout autant que les marchés, ce ne sont pas les performances du patronat électricien qui expliquent ce retard, question que M. Lévy-Leboyer élude : « Il est évident que ni les hommes ni leur qualification ne sont à mettre en cause. Les dirigeants de l'industrie électrique ont été recrutés à toutes les époques dans le personnel des ingénieurs, et plus particulièrement dans celui des polytechniciens, membres des corps de l'État, dont on ne saurait nier la compétence et le souci de l'intérêt national » (p. 16).

36. M. LÉVY-Leboyer, intervention dans L'ingénieur dans la société française, op.cit., pp. 256-257.

37. Un exemple : Mény, axé sur le forage dont il est un virtuose, allant jusqu'à innover dans sa technique, ne perçoit pas bien les bouleversements qui s'opèrent dans le raffinage et dans la compréhension du sous-sol, bouleversements qui ont pour effet de relativiser l'importance du forage et de toutes les améliorations qu'on pourrait lui apporter.

38. A propos de la cartellisation, présentée comme un apport, symbole du don d'organisation du patronat technocratique, il faudrait se demander si elle ne constitue pas plutôt la rançon du retard technique et du manque de compétitivité. C'est en tout cas ce qui ressort de l'étude de Pontà- Mousson par A. Baudant.