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Marc Pavé, La pêche côtière en France, 1715-1850. Approche sociale et environnementale, Paris, L’Harmattan, 2013, 300 p.

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Marc Pavé, La pêche côtière en France, 1715-1850. Approche sociale et environnementale, Paris, L’Harmattan, 2013, 300 p.

Published online by Cambridge University Press:  13 November 2023

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Abstract

Type
Histoire des pêches (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Cet ouvrage résulte de la publication de la thèse intitulée « Réglementation et organisation de la pêche côtière en France : 1715-1850 », soutenue en 2000 à l’université Paris IV-Sorbonne sous la direction d’Andrée Corvol. Organisé en deux grandes parties, chacune séparée en trois chapitres, il offre une analyse « par le haut » d’une activité essentielle sur les littoraux de la France moderne : la pêche côtière. En effet, sous l’Ancien Régime, à la différence de la grande pêche, la pêche côtière regroupe des activités diverses à des échelles qui ne le sont pas moins. Il s’agit d’abord de la capture des poissons de mer vendus frais au rivage, secteur d’activité auquel il faut associer des pêches moins artisanales, ou proto-industrielles, celles du hareng, du maquereau et de la sardine, qui donnent lieu à des préparations permettant leur transport et leur vente de manière différée par rapport au temps de leur capture. Cette question essentielle a fait l’objet de travaux d’étudiants dont les mémoires de recherche restent peu accessibles et appartiennent à ce vaste corpus documentaire que l’on appelle la littérature grise. Elle n’a été qu’effleurée dans l’ouvrage de référence paru sous la coordination de Michel Mollat, Histoire des pêches maritimes en France Footnote 1.

La première partie de l’ouvrage est consacrée au secteur et à la filière de la pêche côtière française entre 1715 et 1850. Le chapitre 1 s’intéresse à la diversité des procédés de capture. Le regard épouse la méthodologie des administrateurs. En effet sont tour à tour convoqués les procès-verbaux de visite de l’inspecteur François Le Masson du Parc (AN, fonds Marine, C5 18-26), le Traité général des pesches de Henri-Louis Duhamel du Monceau, les procès-verbaux de visite du commissaire Chardon (AN, fonds Marine, C5 177, 178 et 180) et, pour terminer, les rapports de l’Inscription maritime de 1814 à 1835 (AN, fonds Marine, C5 131-151bis). De ce tour d’horizon, il résulte que le centre de gravité des pêches côtières des années 1715 à 1850 penche clairement du côté des pêches « au rivage » (écluses, courtines, bordigues, madragues) qui dominent les pêches « embarquées ». Le chapitre 2 cherche à embrasser la complexité d’une activité partout présente, que ce soit au Ponant (Manche, golfe de Gascogne) ou au Levant. À partir d’une carte de synthèse, c’est la stabilité des lieux de pêche sur la période considérée qui s’impose. Dieppe et Boulogne, aspirées par la dynamique harenguière, dominent la pêche fraîche de la Manche orientale. La Bretagne Sud, de Brest à Vannes, est un autre pôle important, dont la locomotive reste l’exploitation de la sardine. Marseille exploite la sardine, l’anchois et le thon, mais décline (troisième port de pêche français en 1788 ; neuvième en 1850). Ce trio de tête surclasse les ports de Gironde et du Pays Basque, dont l’activité semble limitée ou en déclin. Ici, la vision des administrateurs impose ses limites à l’étude, qui minimise le rôle des côtes des provinces du Poitou, de l’Aunis et de la Saintonge, assez souvent absentes de l’analyse. Étudier la pêche côtière depuis les archives des ministères entraîne nécessairement un biais, que seule l’immersion dans les dossiers des amirautés (avant 1792) puis dans les quartiers de l’Inscription maritime pourra éclairer. Le même biais affecte l’étude quantitative du nombre de navires et de leur tonnage ou celle de l’effectif de marins pêcheurs. Les graphiques produits s’appuient sur des séries qui passent des années 1720 aux années 1820, sans égard, par exemple, pour les collections de rôles d’équipage détenus dans les échelons du Service historique de la défense des cinq arrondissements maritimes. Le chapitre 3 propose une géographie historique de la pêche côtière française en quatre régions. Les chiffres fournis sont très détaillés et la granulométrie portuaire proposée très fine. Le hareng de la Manche orientale, le maquereau de la Manche occidentale et la sardine du golfe de Gascogne ont occupé les marins-pêcheurs tandis que les pêcheries fixes ont continuellement fourni le poisson consommé en France jusqu’en 1830. Seules les conditions particulières de l’encadrement de la pêche côtière en Méditerranée (prud’homies) permettent une étude continue sur la période d’étude 1670 et 1830, y compris pendant le quart de siècle de guerre navale entre la France et l’Angleterre (1793-1815). Cette période interrompt pendant de longues années la possibilité de s’approvisionner via la grande pêche à Terre-Neuve. L’image d’une croissance importante de la flotte de pêche côtière, avec un facteur 2 et souvent davantage, entre 1792 et 1816, n’aurait-elle pu mieux interroger l’hypothèse que la pêche fraîche a alors dû pallier le défaut de morue salée ou séchée sur les étals ?

La deuxième partie s’intéresse aux cadres de gestion, de réglementation, d’étude et de représentation des pêches côtières en France. Le chapitre 4 fait le tour des institutions fondées sur la législation due aux Valois (1544, 1584) et surtout aux Bourbons (1681, 1689) avant les remises en cause révolutionnaires (loi sur l’Inscription maritime en 1794). Le fait que Paris ne soit pas une ville côtière, et qu’il faille l’approvisionner en produits de la mer, confère à la Picardie et surtout à la Normandie une place stratégique dans la politique de l’État. La carte qui présente les 50 sièges particuliers d’amirauté en rend bien compte. Le rôle de l’Inscription maritime et de ses 80 quartiers (et non 50) est également bien étudié. L’histoire du droit et des institutions donne le sentiment que la Révolution, l’Empire et a fortiori la Restauration prolongent et maintiennent les cadres d’Ancien Régime. Pour le gouvernement central, c’est une réalité, mais il conviendrait de la nuancer davantage sur le terrain : c’est ce que révèlent les quelques dossiers de répression et de contravention cités. Le pilotage de cette filière de pêche côtière, comme toute la pêche en général, ne peut compter sur les apports de la science appliquée, qui ne débute qu’autour de 1850. Le chapitre 5 s’appuie sur un corpus établi à partir de 135 années de production de textes réglementaires : 301 documents y sont étudiés. Une série de graphiques précise la fréquence annuelle avec laquelle l’État a statué sur les pêcheries fixes (23 % des actes), les pêches maritimes (15 %), le commerce de marée (6 %) tandis qu’un petit tiers des textes du corpus se consacre à une grande diversité de thèmes. Conformément à la nature des discours tenus sur la pêche et compte tenu de la modestie des moyens incitatifs à la disposition de l’État, la priorité va à la prohibition et à la limitation. Marc Pavé souligne de manière efficace les difficultés d’application des textes, dues en grande partie à l’émiettement et à l’inertie des acteurs. Le dernier chapitre de l’ouvrage revient sur le caractère diversifié et disséminé sur tout le littoral français de cette pêche côtière qui attire l’attention de l’État moderne pour des raisons d’abord stratégiques : le littoral, limes du pays, est une zone frontière à surveiller et contrôler, dont les pêcheurs embarqués paraissent indispensables pour la marine. Après 1715, l’État s’intéresse particulièrement au secteur et à la filière, créant des services spécifiques, dans la continuité de l’ordonnance de 1681, loi fondamentale du littoral. L’administration maritime est, sur l’ensemble de la période, l’interlocuteur principal des pêcheurs. Représentants des professionnels et administrateurs ont un langage commun, récurrent et unanime : la rhétorique de la surexploitation qui prétend expliquer les problèmes de l’activité par des pratiques de pêches néfaste, épuisant la ressource et détruisant les fonds. Cette rhétorique est renforcée par les lacunes du savoir scientifique, l’ichtyologie s’intéressant à la taxonomie et à l’anatomie, pas à l’activité. Pourtant, quelques naturalistes redécouvrent vers 1850 la pisciculture et fondent l’expertise halieutique, chargée de remédier au mythique dépeuplement des eaux, non vérifié, tandis que débute l’industrialisation du secteur. Unanime et jamais remise en cause, cette rhétorique de la dizette et de la stérilité a pourtant peu d’influence sur l’activité elle-même. À Marseille, Cassis et La Ciotat, les prud’homies de patrons pêcheurs – encore en place aujourd’hui – ont pouvoir, sans appel, de juger des conflits de pêche et organisent l’activité de manière très autonome. Elles ne sont pas contestées par leurs membres, dont les pratiques ne suscitent aucune crainte, sauf en cas de conflits avec des pêcheurs extérieurs. Alors la rhétorique reprend-elle toute sa place, les polémiques débouchant sur des impasses…

Dans cet ouvrage, sur sa période d’étude 1715-1850, M. Pavé s’est affronté à cette même réalité éclatée, diverse et souvent fuyante de la pêche côtière à laquelle l’État lui-même a dû faire face. Utilisant en grande partie la documentation produite au ministère et dans les commissions constituées par le pouvoir central, il restitue avec rigueur les difficultés expérimentées pour piloter un tel secteur. En bon historien, il alerte son lecteur sur les limites de la documentation qu’il analyse et explique honnêtement en quoi celles-ci traduisent bien les impuissances des autorités aux différentes époques. Cette difficulté à saisir une activité à l’échelle du village est également mise en lien avec la force des discours qui regrettent l’épuisement de la ressource et sont prompts à rejeter la faute sur ces pêcheurs côtiers que l’on contrôle si mal. En cela, cet ouvrage marque une étape et constitue un appel à interroger les archives des services déconcentrés de l’État (amirautés, quartiers, intendances, préfectures maritimes) pour multiplier les études de cas.

References

1 Michel Mollat (dir.), Histoire des pêches maritimes en France, Toulouse, Privat, 1987.