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L’histoire qui revient La forme cinématographique de l’histoire dans Caché et La Question humaine

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Antoine de Baecque
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Résumé

Parfois, l’histoire passe dans un film, et ce passage le transforme, conditionnant des « formes cinématographiques de l’histoire ». Nous prenons deux exemples récents où l’histoire revient dans un film pour le bouleverser: Caché (2005), film français du cinéaste autrichien Michael Haneke, et La Question humaine, réalisé par Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval en 2007. Dans le premier, remonte une violence aux racines historiques, à travers les événements du 17 octobre 1961 et le sort fait aux Français musulmans d’Algérie en métropole. Dans La Question humaine, qui se déroule également à Paris de nos jours, l’histoire, celle du système d’extermination nazi, s’infiltre peu à peu dans l’enquête interne que mène dans son entreprise un responsable des ressources humaines, remettant en cause sa personnalité et sa fonction. Ni Caché ni La Question humaine ne sont à proprement parler des « films historiques ». Pourtant, ce sont bien deux films d’histoire. Car, dans un contexte polémique, ils sont déterminés par certaines formes cinématographiques de l’histoire (le palimpseste, l’effet spectral, le récit policier) que nous tentons ici d’analyser.

Abstract

Abstract

History sometimes emerges in the course of a film, thus transforming the film in the process, and defining the ‘cinematographic forms of history’. This article takes up two recent examples in which history intrudes to unsettle a film: Caché (2005), a French film by Austrian director Michael Haneke, and La Question Humaine (2007), directed by Nicolas Klotz and Élisabeth Perceval. In the first one, historical violence–rooted in the events of October 17, 1961 and the treatment in metropolitan France of French Muslims from Algeria–impinges on the narrative. In the second one, also set in contemporary Paris, the history of the Nazi system of extermination gradually infiltrates the auditing process carried out by a Human Resources manager within his own company, challenging both his personality and his profession. While neither Caché nor La Question Humaine can, strictly speaking, be said to be ‘historical films’, they are undeniably history films, insofar as they are informed, within a polemical context, by certain cinematographic forms of history (the palimpsest, the spectral effect, the police report) analyzed in this paper.

Type
Cinéma et histoire
Information
Annales. Histoire, Sciences Sociales , Volume 63 , Issue 6 , December 2008 , pp. 1275 - 1301
Copyright
Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2008

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References

1 - Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval ont déposé une partie de leurs archives de travail (carnets de notes, scénarios, plans de tournage, livres annotés) à la Cinémathèque française. Ces dossiers seront bientôt consultables sur place à la bibliothèque du Film (BiFi), mais, en attendant, je les remercie de m’avoir autorisé la consultation de ces documents. La note du 5 juin 1942 est reproduite (en large partie) dans le scénario du film, La Question humaine, f. 66-67. Elle est également citée dans le livre Kogon, d’Eugen, Langbein, Hermann et Rückerl, Adalbert, Les chambres à gaz, secret d’État, Éd. du Seuil, Paris, 1987, p. II-V Google Scholar.

2 - De Baecque, Antoine, L’Histoire-caméra, Paris, Gallimard, 2008, notamment l’introduction, « Les formes cinématographiques de l’histoire », p. 13-42 Google Scholar.

3 - Verbe employé ainsi, dans un contexte d’hallucination dans l’histoire, par Gilles Deleuze dans: « Le cerveau, c’est l’écran. Entretien avec Gilles Deleuze », Cahiers du cinéma, 380, 1986, p. 25-34, repris dans Deleuze, Gilles, Deux régimes de fous: textes et entretiens, 1975-1995, éd. par Lapoujade, D., Éd. de Minuit, 1992, p. 263-272 Google Scholar.

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13 - Ibid., notamment le chapitre « L’histoire comme mythe », p. 70-76.

14 - BiFi, Cinémathèque française, Archives N. Klotz, dossier de presse de La Question humaine, f. 14.

15 - À propos de cette maîtrise de la peur par le cinéma américain classique, on lira: Lafond, Frank, Jacques Tourneur, les figures de la peur, Rennes, PUR, 2007 CrossRefGoogle Scholar; Leutrat, Jean-Louis, Vie des fantômes. Le fantastique au cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, 1995 Google Scholar; Mellier, Denis, L’écriture de l’excès. Fiction fantastique et poétique de la terreur, Paris, H. Champion, 1999 Google Scholar; Id., Les écrans meurtriers. Essais sur les scènes spéculaires du thriller, Liège, Éd. du Céfal, 2002; Tomasovic, Dick, Le palimpseste noir. Notes sur l’impétigo, la terreur et le cinéma américain contemporain, Crisnée, Yellow Now, 2002 Google Scholar; Thoret, Jean-Baptiste, Le cinéma américain des années 70, Paris, Cahiers du cinéma, 2006 Google Scholar.

16 - W. Benjamin, Paris..., op. cit., p. 493.

17 - BiFi, Cinémathèque française, Notes de travail de Michael Haneke pour Caché . Je remercie M. Haneke de m’avoir autorisé à consulter ces documents avant même qu’il les dépose à la Cinémathèque.

18 - BNF Numav 42177. Philip BROOKS et Alan Hayling, Une journée portée disparue, 1992, vidéocassette VHS (52 minutes).

19 - À propos de cette absence d’image dans la fabrique de mémoire de l’événement du 17 octobre 1961, on lira le texte de Lemire, Vincent et Potin, Yann, «‘Ici On Noie Les Algériens’. Fabriques documentaires, avatars politiques et mémoires partagées d’une icône militante (1961-2001) », Genèses, 49, 2002, p. 140-162 CrossRefGoogle Scholar.

20 - Le film de P. Brooks et A. Hayling utilise aussi les images photographiques d’Élie Kagan, qu’on retrouve dans l’ouvrage: Einaudi, Jean-Luc et Kagan, Élie, 17 octobre 1961, Arles/Paris, Actes Sud/BDIC, 2001 Google Scholar.

21 - Dewerpe, Alain, Charonne. 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État, Paris, Gallimard, 2006, p. 646-669 Google Scholar, met en lumière ce jeu concurrent des deux mémoires, celle du 17 octobre et celle du 8 février.

22 - Einaudi, Jean-Luc, La bataille de Paris. 17 octobre 1961, Paris, Éd. du Seuil, 1991, p. 14-15 Google Scholar.

23 - J.-L. Einaudi et É. Kagan, 17 octobre 1961, op. cit.; J.-L. Einaudi, « Dix ans après », La bataille de Paris..., op. cit., p. 5-16; Id., Octobre 1961. Un massacre à Paris, Paris, Fayard, 2001. Cette production éditoriale, à laquelle s’ajoutent plusieurs films, témoigne du « retournement» des mémoires: désormais, le 17 octobre 1961 est une date mémorielle importante, tandis que le 8 février 1962 tend à être oublié. A ce propos, on lira l’introduction générale du livre de House, Jim et Macmaster, Neil, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire, Paris, Tallandier, 2008, p. 15-41 Google Scholar.

24 - Déclaration de Lionel Jospin, Premier ministre, le 5 mai 1999.

25 - Concernant cette mobilisation des historiens contre l’article 4 de la loi du 23 février 2005, on lira deux utiles synthèses écrites dans l’instant: Olivier Grandmaison, Le Cour, « Sur la réhabilitation du passé colonial de la France », in Blanchard, P., Bancel, N. et Lemaire, S. (dir.), La fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial, Paris, La Découverte, 2006, p. 96-103 Google Scholar; « Laissons les historiens faire leur métier. Entretien avec Françoise Chandernagor », L’Histoire, 2, 2006, p. 77-85.

26 - Petre-Grenouilleau, Olivier, « Les identités traumatiques. Traites, esclavage, colonisation », Le Débat, 136, 2005, p. 93-107 CrossRefGoogle Scholar.

27 - P. Blanchard, N. Bancel et S. Lemaire (dir.), La fracture coloniale..., op. cit.

28 - BiFi, Cinémathèque française, Archives N. Klotz, La Question humaine, cahiers de tournage, décembre 2005-février 2006, f. 5-6.

29 - Bauman, Zygmunt, Modernité et holocauste, Paris, La Fabrique, 2002, repris en édition de poche en 2008 aux éditions Complexe, avec une postface d’Enzo Traverso, «Du management au génocide», p. 269-277 Google Scholar.

30 - BiFi, Cinémathèque française, Archives N. Klotz, É. Perceval, feuille glissée dans Modernité et holocauste .

31 - Z. Bauman, Modernité et holocauste, op. cit., quatrième de couverture.

32 - BiFi, Cinémathèque française, Archives N. Klotz, dossier de presse de La Question humaine, f. 15.

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35 - E. Traverso, La violence nazie..., op. cit., p. 50-51.

36 - Ibid., p. 46.

37 - Anders, Günther, Nous, fils d’Eichmann: lettre ouverte à Klaus Eichmann, Paris, Payot et Rivages, 1999 Google Scholar; et plus particulièrement sur le camp comme « production industrielle de cadavres »: Id ., L’obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, Paris, Éd. de l’Encyclopédie des nuisances/Éd. Ivrea, [1956] 2002, p. 38.

38 - E. Traverso, Le passé, modes d’emploi..., op. cit., p. 84-85.

39 - BiFi, Cinémathèque française, Archives N. Klotz, lettre d’E. Traverso à N. Klotz, s. d. Le chercheur revient sur la place du film, La Question humaine, par rapport au débat sur la « modernité de la Shoah », dans sa postface à Modernité et holocauste, op. cit., p. 277.

40 - BiFi, Cinémathèque française, Archives N. Klotz, La Question humaine, cahiers de tournage, décembre 2005-février 2006, f. 17.

41 - Z. Bauman, Modernité et holocauste, op. cit., p. 11.

42 - BiFi, Cinémathèque française, Archives N. Klotz, lettre d’E. Traverso, op. cit .

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44 - Ibid., p. 19-20.

45 - Ibid., p. 235.

46 - Ce cycle polémique a été lancé en 2001 par la publication du livre de Finkelstein, Norman G., L’industrie de l’holocauste. Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs, Paris, La Fabrique, 2001 Google Scholar. Parmi les intellectuels publiés par La Fabrique, on peut citer, notamment, Z. Bauman, E. Traverso, J. Rancière, Rony Brauman...

47 - BiFi, Cinémathèque française, Archives N. Klotz, lettre d’Ariel Schweitzer, s. d.

48 - Rivette, Jacques, « De l’abjection (Kapo) », Cahiers du cinéma, 120, 1961, p. 54 Google Scholar.

49 - C. Lanzmann, Shoah, op. cit., p. 6.

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51 - Didi-Huberman, Georges, Images malgré tout, Paris, Éd. de Minuit, 2003 Google Scholar.

52 - Ibid., p. 118. Les quatre images sont reproduites dans C. Cheroux (dir.), Mémoire des camps..., op. cit., p. 225.

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54 - BiFi, Cinémathèque française, Archives N. Klotz, lettre de N. Klotz à A. Schweitzer, s. d.

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58 - Sans doute le film est-il un peu insistant: le « Farb » de l’entreprise renvoyant à « IG Farben », le complexe chimique fabriquant le Zyklon B; les fumées qui, régulièrement, s’échappent des « cheminées-crématoires »; la figure de Karl Rose, commanditaire de l’enquête, enfant d’un Lebensborn, nostalgique de l’ordre noir.

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