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L'espace politique éthiopien

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Jacques Bureau*
Affiliation:
C.N.R.S.

Extract

Restée indépendante des puissances coloniales au xixe siècle, l'Ethiopie n'a cependant pas échappé à l'impératif et à l'arbitraire des limitations frontalières imposées par l'Europe. L'actualité nous le rappelle constamment. Des provinces entières d'Ethiopie revendiquent aujourd'hui une autre identité — érythréenne, oromo ou Somalie — alors que le gouvernement d'Addis- Abeba, fort d'une tradition très ancienne, leur oppose l'indivisibilité du territoire légué par ses prédécesseurs. Mieux encore, beaucoup d'Éthiopiens estiment que leur pays n'est pas à la mesure de l'Empire que les souverains ambitionnaient légitimement d'unir dans la seconde moitié du xixe siècle, parce qu'il est amputé d'une partie de son domaine, maintenant placé sous la souveraineté des Etats voisins, comme les Républiques de Djibouti et de Somalie.

Summary

Summary

Two institutions symbolized the Ethiopian state and guarantee its perpetuity until the 20th century: the Crown of the Salomonians and the orthodox Monophysite Church. The Prince, emulating Constantine, extended his domain under the banner of the Christ. And in the tumultuous wake of his armies, the clergy bore the sacred message, preaching, converting, building. Eventually, the empire would be that archipelago of parishes and monasteries placed under the protection of the Christian Prince. But it is not yet a nation state. To conquer was a duty but that logic of expansion has ils reverse side. The Church had not at first the means to accomplish its mission, to convert and to civilize. The Empire also had to reckon with another force. Islam in the 20th century laid claim to as many followers as Christianity and with them numerous populations which although politically subject remained culturally unconquerable: in particular, the Oromo representing a third if not half of the Ethiopian population.

At the close of the 19th century expansion came to an end. The Emperor Menelik extended his territory but under colonial pressure accepted the delimitation of this domain within the bounds of internationaly recognized frontiers: a phenomenon without precedent on the African continent. The international recognition of the Ethiopian frontiers thus completed the imperial mission but in no way leads to the unification of the people. Ethiopia remains divided into “one hundred nations” and it was necessary to await 1985 for the project of a federation of the Republics of Ethiopia, as in the Soviet Union after the October Revolution.

Type
Espaces Politiques et Espaces Mythiques
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1985

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References

Notes

1. Répondant en mai 1963, au Dr Aden Abdulla Osman, Président de la République Somalienne, le Premier ministre éthiopien déclarait : « Depuis plus de trois mille ans, l'Ethiopie existe en tant qu'État indépendant et que nation. Les frontières historiques de l'Ethiopie s'étendent de la mer Rouge à l'océan Indien, y compris tous les territoires situés entre eux… Il n'existe aucune preuve historique qu'il y ait jamais eu d'État ou de Nation Somali… », cité par Mesfin Wolde Mariam, The Ethio-Somalia Boundary Dispute, Addis-Abeba, 1964, p. 12. Opinion antérieure à la révolution mais qui n'en reste pas moins commune.

2. Ne citons qu'un exemple de ces désaccords qui réapparaissent à l'occasion de chaque congrès d'études éthiopiennes. Baxter, P. T. W., « Vercingetorix in Africa : Some Problems Arising from Levine's Inclusion of the Oromoin his Delineation of Ethiopia as a Culture Area », Abbay, CNRS, n° 9, 1978, pp. 159166 Google Scholar.

3. Le principal artisan de cette thèse, D. Levtne, Greater Ethiopia, Chicago, 1974, soutient l'idée d'une unité culturelle éthiopienne.

4. Sur cette question des nationalismes en conflit dans la Corne de l'Afrique, voir I. M. Lewis éd.,Nationalism and SelfDétermination in the Horn of Africa, Londres, 1983.

5. Voir par exemple : Arnauld d'Abbadoe, Douze ans de séjour dans la Haute-Ethiopie (Abyssinie), rééd., Cité du Vatican, 1980, pp. 89-96.

6. Voir H. Marcus, The Life and Times of Ménélik II, Oxford, 1975, p. 128.

7. Voir E. Ullendorff, Ethiopia and the Bible, Londres, 1968, pp. 131-145.

8. J'utilise ici l'édition de Wallis Budge, The Queen of Sheba and Her Only Son Menyelek, Londres, 1922, ici, p. 16.

9. Budge, pp. 95-99.

10. Que s'est-il passé en effet ? Comme l'écrit André Caquot : « Sans doute une prise de conscience du conflit religieux opposant l'Ethiopie monophysite à l'Europe (occidentale et orientale) chalcédonienne. » « La Royauté Sacrale en Ethiopie », Annales d'Ethiopie, tome II, 1957, p. 209.

11. Budge, p. 164.

12. Caquot, op. cit., p. 209.

13. S'inspirant de traditions juives, égyptiennes, arabes et éthiopiennes, le Kàbrâ-Nàgàst pourrait avoir été composé au vic siècle (Budge, p. vm). Il ne nous parvient que dans sa version « moderne », du début du xrve siècle, dont les sources ont été étudiées par D. A. Hubbard, The Literary Sources of the KebraNagast, Ph. D. St. Andrews University, 1956.

14. La prophétie, contenue dans un apocryphe qui daterait du xvi’ siècle, (R. Rasset, Les Apocryphes éthiopiens, vol. XI, Paris, 1909), annonce le retour d'un roi qui rassemblera son peuple et restaurera l'Église. Plusieurs personnages de l'histoire éthiopienne se sont cru cet élu (H. Weld-Blundell, The Royal Chronicle of Abyssinia, 1769-1840, Cambridge, 1922, pp. 515- 516. L'auteur rappelle aussi l'existence d'une prophétie identique à Rome). Cet « amant de Jérusalem » est aussi quelquefois le fiancé de Jérusalem (S. Rubenson, King of Kings, Tewodros of Ethiopia, Addis-Abeba, 1966, p. 60, note 50).

15. Sur le rôle de l'Église dans le royaume d'Ethiopie, Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1270-1524, Oxford, 1972, où l'auteur analyse le développement simultané de l'Église et de l'État au cours de cette période.

16. Les Tables de la Loi sont d'après la tradition conservées dans l'Église Sainte-Marie-de-Sion, à Axoum. Église qui aurait été construite au rvc siècle. Détruite par les musulmans au xvr=, elle est reconstruite en 1665. C'est là qu'en principe les rois sont couronnés depuis 1270. En fait, quatre empereurs sont sacrés à Axoum.

17. Caquot, op. cit.

18. R. Basset, « Études sur l'histoire d'Ethiopie », Journal asiatique, Paris, 1882, p. 312, note 414.

19. Plus précisément l'Abouna, qui est le chef de l'Église d'Ethiopie, vient d'Egypte où il est désigné par le patriarche d'Alexandrie, jusqu'en 1951 quand l'Église d'Ethiopie devient autocéphale. Et l'Ichégé, lui-même éthiopien, responsable de l'autorité administrative dans l'Église. A partir de 1951, les deux fonctions sont confondues.

20. Ce terme péjoratif sert aux Éthiopiens des hauts-plateaux à désigner les habitants des basses-terres, dont ils ont fait le commerce jusqu'au début du xxe siècle. A propos du commerce des esclaves, des historiens éthiopiens entreprennent aujourd'hui des études qui nous apportent un matériau nouveau. Tekalign Wolde Mariam, Three ex-Slave Narratives from South West Ethiopia, Addis-Abeba, Université, Départ. d'Histoire, 1980, et Slavery and the Slave Trade in the Kingdom of Jimma, Id., 1984.

21. L'exemple le plus célèbre étant celui des Falashas, plusieurs fois soumis à des conversions massives et forcées. Uixendorff, « Excursus on the Falashas », dans Ethiopia and the Bible, pp. 115-118.

22. Taddesse Tamrat, op. cit., pp. 233-235.

23. Voir toujours J. S. Trtmingham, Islam in Ethiopia, Londres, 1952. On peut espérer un renouvellement de l'étude de l'islam en Ethiopie par une meilleure appréciation des sources locales : Hussein Ahmed, Studies on Ethiopian Islam : Retrospect and Prospect, Séminaire du dépt. histoire, Université d'Addis-Abeba, avril 1983.

24. En particulier Zâr'a-Ya'iqob (1434-1468). Taddesse Tamrat, op. cit., chap. vi.

25. La première ambassade européenne pour l'Ethiopie quitte le Portugal en 1486. Basset, Études…, note 113. Mais ce n'est qu'en 1541 que les Portugais débarquent à Massaouah 400 hommes commandés par Christophe de Gama et contribuent à sauver le royaume chrétien de l'invasion islamique.

26. Cité dans J. Bruce, Voyages aux Sources du Nil, Paris, 1791, tome IV, p. 275.

27. Sur la christologie de l'Église d'Ethiopie : Abba Ayala Takia-Haymanot, La Chiesa Etiopica et la sua dottrina cristologica, Rome, 1973. Très sommairement on peut dire qu'il y a trois écoles : 1) le Christ n'est pas Dieu par nature ; il le devient par la Grâce de Dieu au moment de son baptême. Autrement, il est le fils charnel de Marie ; 2) le Christ n'est pas Dieu par nature mais il le devient par l'onction de l'Esprit-Saint, après son baptême. Comme les rois et les prophètes, le Christ est oint ; 3) les deux natures du Christ, humaine et divine, sont parfaitement unies dans sa personne. C'est la foi officielle de l'Église qui s'intitule, en conséquence : Église Éthiopienne orthodoxe de l'Union (cf. The Ethiopian Orthodox Church, Addis-Abeba, 1970).

28. Les Oromo qu'on avait coutume d'appeler Galla jusqu'à la Révolution de 1974 qui réhabilite leur nom. Sur le rôle des Oromo dans l'histoire éthiopienne, voir Levine, loc. cit., chap. 9. Et Mordechai Abir, Ethiopia, the Era of the Princes, Londres, 1968, chap. v.

29. Sur toute cette période, voir Weld-Blundell, loc. cit., édition des chroniques royales de 1769 à 1840. Et le témoignage de d'Abbadoe, loc. cit.

30. A propos de cette renaissance historiographique, voir Caquot, , « Les “ chroniques abrégées “ d'Ethiopie », Annales d'Ethiopie, tome II, 1957.Google Scholar

31. Lorsque les royaumes du Sud se prévalent de l'origine septentrionale de leurs rois, c'est pour revendiquer une égalité de statut avec les Amhara et les Tigré qui leur est en général refusée. Voir par exemple : Haberland, « Notes on the History of the Southern Ethiopian Peoples », dans Colloque international sur les couchistiques, Paris, CNRS, 1975. Bureau, J., « Comment s'écrit l'histoire d'une province d'Ethiopie », Abbay, n° 11, 1982, pp. 225241 Google Scholar.

32. Taddesse Tamrat attribue par exemple l'instabilité du xixe siècle à la destruction de la prison royale par les musulmans, p. 301.

33. Voir H. Marcus, op. cit., n. 6.

34. Bureau, J., « Note sur les anciens droits fonciers éthiopiens », L'Ethnographie, 1983, pp. 717 Google Scholar. Berhanou Abebe, Évolution de la propriété foncière au Choa, Paris, 1971. M. Cohen et D. Weintraub, Land and Peasants in Impérial Ethiopia, Assen, 1975. Hoben, A., Land Tenure among the Amhara of Ethiopia. Chicago, 1973 Google Scholar. Nadel, , « Land Tenure on the Erythrean Plateau », Africa, XVIII, 1, pp. 122 Google Scholar. Richard Pankhurst, State and Land in Ethiopian History, Addis-Abeba, 1966.

35. L'expression d'un museo dipopoli serait du savant Conti Rossini, qui pouvait l'entendre comme l'expression de la diversité culturelle éthiopienne. Mais son caractère péjoratif n'échappe pas aux Éthiopiens qui n'y reconnaissent par leur nation. Sur la conquête et le gouvernement de l'Afrique Orientale, cf. Angelo Del Boca, Gli Italiani in Africa Orientale, Rome, 1976. 36. Levine fait une intéressante critique de cette approche dans le 2e chapitre de Greater Ethiopia.

37. Après les journaux des associations éthiopiennes en Europe et aux États-Unis, dans les années soixante et soixante-dix, comme Struggle et Challenge, cette négation de l'Ethiopie apparaît dans un livre qui présente surtout l'intérêt d'avoir été écrit par un ancien personnage influent de l'Empire : Berket Habte Sellasse, Conflict and Intervention in the Horn of Africa, New- York, 1980. Revue et critique du livre dans l'organe du Parti, Meskerem, vol. II, n° 8, mars 1982, « TheEmpty Cry of Secessionists… », pp. 27-43. Voir aussi dans Tubiana éd., Modem Ethiopia, Rotterdam, 1980, pp. 447-457, Hagos Gebre Yesus, « The Bankruptcy of the Ethiopian “ Left “ : Meison-EPRP, a Two Headed Hydra. A Commentary on the Ideology and Politics of National Nihilism ».

38. Voir I. M. Lewis éd., Nationalism…, op. cit.

39. C'est en particulier la tâche de l'Institut pour l'Étude des Nationalités éthiopiennes, créé en 1983, qui doit préparer la rédaction d'une nouvelle constitution, tenant justement compte de la diversité culturelle. D'inspiration soviétique, cette politique des nationalités a été longuement exposée par le président Mengsitu dans son discours du 1er mai 1983.