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Les Rites Obstétriques au Maroc. Un enjeu politique mérinide ?

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Abdessamad Dialmy*
Affiliation:
Université de Fès

Extract

« Un jour, en 1936, ma mère, Mme Feddoul Berrada, s'apprêtait à me mettre au monde. A la différence de ses accouchements précédents, celuici s'annonçait difficile. Les choses ne se passeraient pas normalement. On fit alors appel à Sidi Kacem Az-zizi, maitre de l'école coranique (msid) de Zqaq El ma, quartier où nous résidions à l'époque. Le maître nous envoya quatre (ou six) écoliers âgés de quatre â cinq ans. On leur donna un drap que ma mére (la parturiente) utilisait pour se couvrir, et un de mes oncles utérins les accompagna au sanctuaire de Moulay Idriss.

Summary

Summary

A rite, called the “spreading of the sheet”, was practiced in Fes from the 13th century til the 1950s. The rite finds its source in the social, religious and political history of the city during the Middle Ages.

In the first part of this study, after having established the existence of the Sheet rite in the 13th century, we will examine the content of the rite, in other words, the anthropological form of the rite that the oulema had occasion to judge. The latter, pretending to ignore the magico-pagan dimensions of the rite, were content to condemn the ritual for socio-economic reasons.

The second part of the paper analyses the main functions of the Sheet rite within the city and makes a distinction between a manifest, obstetrical function, aimed at warding off a demographic threat, and a latent function of islamic urban integration.

Finally, in the third part, the Sheet rite acquires a competitor in the Trousers rite, whose latent function is to provide the Merinides with the religious legitimacy that they were lacking since they took hold of power. One can also offer the hypothesis of a battle between the two rites, which would pose the question of the relationship of symbolic domination between the political cite and the civil society, between the Prince and the city.

Type
Rituels Juif et Musulman. Le Mariage et L'Accouchement
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1998

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References

1. C'est dans sa belle demeure de Zqaq el Hjar, Derb Drissi (Médina de Fès), le jeudi 19 août 1989, que le chérif My Ali Al Idrissi Al Keitouni me raconta cette histoire, celle desa naissance. Sa femme, ses enfants étaient également présents. Qu'ils trouvent ici l'expression de mes remerciements les plus sincères. Le chérif a observé la pratique de ce rite à Fés en 1952-1953.

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3. Version Benmansour/Jaznai : « Parmi les coutumes pratiquées, les maîtres d'école coranique envoyaient leurs écoliers lorsque l'accouchement s'avérait difficile pour la parturiente. lis [les écoliers] étendaient un drap qu'ils tenaient par les bouts et se promenaient avec dans les rues de la médina en répétant à haute voix : ô la parturiente son accouchement se prolonge, ô mon Dieu donne-lui la délivrance, par la grâce de Taha et Yasin, et du sage Coran. Les boutiquiers et les passants jetaient des figues, des dattes, de I'argent et des oeufs dans le drap. Les enfants rendent visite aux plus célèbres tombeaux des saints dans la ville, et trempent le drap dans leurs bassins et fontaines. lis ne eessent de faire cela jusqu'à ce qu'un oeuf ou plusieurs oeufs se brisent dans le drap. lis croient alors que la parturiente a accouché ou qu'elle est délivrée de ses douleurs. lis reviennent alors à l'école et le maître prend tout ce que le drap contient comme argent et victuailles. Cette coutume a disparu depuis trente ans à peu près », ibid., p. 59.

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5. Version Benmansour/IBN Abi Zar’ : « Les maîtres d'école coranique avaient coutume, en cas d'accouchement difficile, ou en cas de non-sortie du placenta, d'envoyer leurs écoliers déambuler dans les ruelles et les rues, en tenant par les bouts un drap et en chantant: Ô la parturiente son accouchement se prolonge, ô mon Dieu, donne-lui la délivrance, par la grâce de Taha et Yasin, et du sage Coran. Les boutiquiers et les passants jettent, au milieu du drap, de I'argent et quelques fruits sees tels que dattes, figues et raisins sees. Les enfants ne eessent de deambuler jusqu'à ce que la nouvelle de 1'accouchement et de la delivrance arrive, ou celle de sa mort ! », ibid., p. 74.

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7. Version Benmansour/IBN Al Qadi : « Parmi les coutumes pratiquées, les maîtres d'école coranique envoyaient leurs ecoliers lorsque l'accouchement s'avérait difficile à la parturiente. lis [les écoliers] étendent un drap qu'ils tiennent par les bouts et marchent avec dans les rues de la médina en répétant à haute voix : Ô la parturiente son accouchement se prolonge, ô mon Dieu donne-lui la delivrance, par la grâce de Taha et Yasin, et du Coran le sage. Les boutiquiers et les passants jettent des figues, des dattes, des pièces d'argent et des oeufs dans le drap. Les enfants rendent visite aux plus célèbres tombeaux des saints de la médina, et trempent le drap avec ce qu'il contient dans leurs bassins et fontaines. lis ne eessent de faire cela jusqu'à ce qu'un oeuf ou plusieurs oeufs du drap se brisent. lis croient alors que la parturiente a accouché ou a jeté le placenta s'il s'agit du placenta. A ce moment, ils reviennent à l'école coranique et le maître d'école prend tout ce qui s'est amassé dans le drap en argent et victuailles. Cettecoutume s'est poursuivie jusqu'à un passé proche, mais elle est actuellement en voie de disparition », ibid., pp. 59-60.

8. Par contre, notre informateur le chérif Al Idrissi affirme que le rite du drap a continué d'etre pratiqué à Fès dans les annees 1950.

9. L'ethnologie coloniale a collecté au moins deux versions du rite du drap, celle de Raynaud qui le considère comme un rite de magie sympathique, et celle de J. Join qui Fexpose comme une invocation d'enfantement. Onze ans après Raynaud, et R. Manneville écrivent: « Nous n'avons jamais retrouvé les pratiques suivantes qui ont été décrites par plusieurs auteurs. Raynaud signale ce rite de magie sympathique. Si une femme tarde à accoucher, on envoie chercher quatre petits enfants dans une école, on leur donne à tenir par les coins un assez grand linge au milieu duquel on met un oeuf de poule. Les gens versent alors de l'eau sur le linge jusqu'à ce que l'ceuf soit cassé, à ce moment, celle qui est en peine d'enfant est heureusement délivrée ». II est fort propable que ce rite n'a pas été pratiqué à Casablanca, ce qui explique que les deux auteurs ne l'aient pas observé. Voir Mathieu, J. et Manneville, R., Les accoucheuses musulmanes traditionnelles de Casablanca, Paris, Publications de 1'IHEM, 1952 Google Scholar, p. 9.

Quant à J. Join elle a collecté l'invocation suivante: « La parturiente, son accouchement se prolonge, Ô mon maitre accorde-lui la délivrance Par le mérite du pur (le prophéte), ô notre seigneur Et par le Coran magnifique

»Elle la commente ainsi : « Cette invocation est celle que récitaient les enfants des écoles coraniques auxquels on faisait souvent appel autrefois dans les cas d'accouchement laborieux. Portant un drap étendu, au milieu duquel se trouvait un oeuf, ils parcouraient le quartier en psalmodiant. Les femmes, sur leur passage se précipitaient, munies de jarres ou de seaux d'eau qu'elles lancaient sur l'oeuf dont le bris était considéré comme de bon augure ». Voir son article « Invocations pour l'enfantement », Hespéris, 3e-4e trimestre, 1953, pp. 341-349. J. Join renvoie, pour cette invocation, à J. Biarnay, Ethnographie, pp. 9-10, et à L. Brunot, Textes arabes de Rabat, p. 124 . J. Join cite aussi ces deux autres invocations:

  • 1)

    1) Ô monseigneur Telloq

    Sauve-la par 1'accouchement

    Le sanctuaire de Sidi Telloq se trouve dans la médina de Fès.

  • 2)

    2) Monseigneur Bou Serghin

    Ô oiseau aux pattes teintes de henné

    Délivre sans délai cette fille de bonne famille

    Ne la laisse pas dans les tourments.

    Sidi Bou Serghin est le protecteur des femmes en couches. C'est un saint dont le tombeau se trouve dans la région de Sefrou. II est l'objet d'un culte trés suivi par les femmes selon J. Join.

10. Par exemple, « Kitab et Bida’ » d'Abu al Hassan Assughayyin, manuscrit cité par NACIRI dans Yistiqsa, t. III, p. 103. « Le livre des hérésies et des signes de la déchéance du monde par le départ des gens de la vertu et de la religion » d'IBN Azzahra et « La réprimande des nouveautés et des hérésies » de Tartouchi.

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13. Ibn Khaldoun, A., La voie et la Loi, ou Le Maître et le Juriste, Paris, Sindbad, 1991, traduit, présenté et annoté par R. Pérez, Paris, Sindbad, p. 22 Google Scholar.

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15. R. PéREZ, La voix et la Loi…, op. cit., p. 30.

16. Le soufi atteint le stade suprême de la connaissance où tout lui est dévoilé, soit par la théophanie (Dieu se manifestant au shaykh, Ibn Arabi), soit par l'unité (l'homme s'unissant à Dieu, Ibn Sab'iin). La théorie du dévoilement (mukashafa) conduit à des sciences occultes, et à des pratiques dont la licéité n'est perdue que par le shaykh initiateur.

17. Nawazil, pluriel de nazila, cas d'espéce survenu au cours de l'histoire et ne trouvant pas de réponse dans les textes sacrés (Coran et Hadith).

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19. Ibid., pp. 251-252.

20. Comme la comparaison de la femme à l'ceuf, ou comme l'immersion de l'ceuf dans l'eau. De tels mécanismes se situent dans une magie sympathique païenne anté-islamique, largement utilisée dans le culte des saints.

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28. C'est le surnom de Mohamed'El Abdari el Fasi, mort en 737 de l'hégire.

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30. Ibid., vol. Ill, p. 299.

31. Ibid., vol. IV, p. 138.

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48. Wird: texte composé par le fondateur d'une confrérie, et que les adeptes ont à répéter dans leur retraite mystique.

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58. Ibn Abi Zar' Qirtas, op. cit., p. 285. Traduction personnelle.

59. C'est nous qui soulignons pour mettre en évidence l'emploi du présent.

60. Qirtas, p. 287.

61. L'auteur probable de la Dakhira est IBN ABI ZAR'.

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63. Lefaqih s'appelle Sidi Driss, il est aveugle. Je l'avais interviewé moi-même le mercredi 24août 1989.

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65. Un de mes collégues à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Fès, interviewé le mardi 22 août 1989.

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67. C'est le titre d'un livre des frères Tharaud, J. J., Fès ou les bourgeois de l'lslam, Paris, Plon, 1930 Google Scholar.

68. R. Letourneau, Fès avant le protectorat, op. cit., p. 188.

69. Ibid., p. 200.

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