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Les jeux de Pourim et leurs déclinaisons à Tripoli
Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
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Dire que la Bible constitue le texte fondateur de la société juive est une tautologie. Mais cette évidence cache de nombreuses questions. Les textes qui composent la Bible ne sont-ils que le reflet de créations littéraires passées, ou bien le texte biblique est-il devenu, au gré des générations et des pays, une force active qui a modelé la société juive ? Les juifs considéraient les livres bibliques comme constitutifs de leurs institutions et de leur mode de vie ; pourtant ils ont vécu pendant des siècles comme une société politiquement dépendante de civilisations qui prétendaient soit détenir des interprétations de ces livres qui supplantaient les leurs (le christianisme), soit que les juifs n'avaient plus accès à une version exacte de leurs propres Écritures (l'islam).
Summary
The story of Purim in the biblical book of Esther, provided a text which animated and was used to interpret Jewish life throughout the ages. Its relevance to Jewish communal life in the Diaspora was poignant because it takes place in a setting where Jews appear as a weak minority. The question of the relation of Jews to non-Jews is salient in the story, and various readings of that theme became relevant in different social and historical settings. This process is explored with reference to the Jewish community of Tripoli, Libya, with examples from the 18th through the mid-20th centuries. That community established two local Purims, celebrating the deliverance of the Jews and the general population of Tripoli on two occasions in the 18th century. In the mid-20th century, the biblical taie of Joseph, which is a prototype of the Esther story, was mobilized in a tense situation prevailing between Jews and Muslims. In all these instances, biblical themes and texts were used to express and guide complex situations in which Jewish life followed distinct trajectories while intertwined with society at large.
- Type
- Du Sacré au Profane
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- Copyright © Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1994
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11. La phrase mi khamokha (Qui est comme Toi ?) est tirée du chant de délivrance de Moïse après l'épisode de la traversée de la mer Rouge (Ex., 15,11). De nombreux chants de louange médiévaux étaient composés avec cette phrase d'ouverture qui servait dans diverses occasions liturgiques. Un de ces chants (piyyout) les plus célèbres a été composé par Yehoudah Halévi (1075-1141), poète et philosophe juif d'Espagne, à l'occasion du chabbat de Zakhor. Il s'agit du chabbat au cours duquel on lit le passage biblique appelé Zakhor (Dt., 25, 17-19), qui ordonne au peuple d'Israël de se souvenir d'Amalek, l'ancêtre éponyme d'Aman. Cette lecture précède la fête de Pourim. Cf. Davidson, I., Thésaurus of Mediaeval Hebrew Poetry (en hébreu), vol. III, New York, 1930, pp. 121–125 Google Scholar, et Hazzan, E., « La transformation d'un piyyout : le cheminement de “Mi Khemokha” depuis l'Espagne jusqu'à l'Orient et l'Afrique du Nord » (en hébreu), dans Culture and History : Sciacky Memorial Volume, Dan, J. éd., Jérusalem, 1987, pp. 67–76.Google Scholar
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15. H. Z. Hirschberg, History…, op. cit., p. 180 ss ; les deux hymnes ont été publiés dans un petit recueil intitulé, Mi khamokha, Tripoli, 1923. Ils figurent aussi dans Libyan Jewry de F. Zuaretz, A. Guweta, Ts. Shaked, G. Arbib et F. Tayar (en hébreu), Tel-Aviv, 1960, pp. 47-52. Plus récemment, ils ont été inclus dans un recueil d'hymnes des juifs de Tripoli, réunis par Zuaretz, F. et Tayar, F., Seu Zimrah, Tel-Aviv, 1972, pp. 197–206 Google Scholar.
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28. E. Bickerman émet l'hypothèse selon laquelle la fête de Pourim se serait développée dans le sens des simulacres de combats saisonniers qui se déroulaient à Suse et dans la campagne persane, pendant le mois d'Adar, et auxquels participaient les juifs, op. cit., pp. 109-202. Les simulacres de combat faisaient partie de la vie urbaine au Moyen-Orient et un autre exemple qui implique les juifs de Tripoli est analysé par H. E. Goldberg dans, Jewish Life…, op. cit., pp. 29-34 (cf. note 19).
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44. Un des premiers livres imprimés en caractères hébraïques, en Afrique du Nord, au XIXe siècle, est Yosef Hen, Alger, 1854. Il est écrit en judéo-arabe. C'est l'histoire de « Joseph le Juste, qu'il repose en paix, et de ce qui arriva à ses frères et à Zulaykha, épouse de Putiphar… ». Ce prénom pour désigner l'épouse de Putiphar fait son apparition dans la tradition post-coranique et dans la littérature juive de la fin du Moyen Age. Le sous-titre met en valeur une histoire chargée de sens pour des juifs plongés dans le milieu musulman.
45. De nos jours, en Israël, la célébration de la fête de Pourim offre une large variété de significations. Quant aux États-Unis, la fête y représente l'expression de l'ethnicité juive en rapport avec des valeurs que les juifs américains partagent avec la société au sein de laquelle ils vivent. Cf. Liebman, C., « Ritual, Ceremony and the Reconstruction of Judaism in the United States », dans Art and its Uses : The Visual Image and Modem Jewish Society. Studies in Contemporary Jewry 6, sous la direction de Cohen, R. I., New York, 1990, pp. 280–282.Google Scholar
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