Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
« Les affaires publiques le laissèrent indifférent, tant il était préoccupé des siennes. » Description de Frédéric Moreau le jour du « Dix-huit Brumaire » de Louis Napoléon (2 décembre 1851).
La question que j'aimerais examiner à travers une lecture de l'Éducation sentimentale de Flaubert est celle de l'interaction entre les niveaux documentaire, idéologique et critique, dans les rapports que le roman entretient avec la société et l'histoire. Cette question (ou cet ensemble de questions) ne peut certes épuiser l'interprétation du sens du roman, mais elle permet de poser une série significative d'interrogations relatives à la problématique d'une lecture politique et historique. Je me propose aussi de ne pas commencer par un classement hiérarchique de ces dimensions mais plutôt par une étude de leurs interactions — étude souvent négligée ou délibérément rejetée lorsqu'on présuppose l'existence d'une hiérarchie des niveaux, voire la suprématie plus ou moins grande d'un niveau sur les autres. J'envisage également de considérer les questions de forme dans le fonctionnement du texte non comme des fins autonomes en soi mais comme des éléments significatifs (aussi problématiques soient-ils) dans le cadre d'une interprétation politique et historique.
This article attempts to show how Flaubert's Sentimental Education places in radical jeopardy the rôle of the binary opposition between private and public sphères in the organization oflife and thought. More generally, it offers a critique of narrowly documentary uses of literature in histortography, and it argues Insteadfor a more complex reading of llterary texts—a reading that does not simply reinsert a text in its empirical contexts but indicates how a text responds to its contexts. In this manner, one may arrive at an understanding of how a text is Itself a historical event that may hâve crltical as well as documentary relations to its various empirical contexts.
1. Agulhon, Maurice, « Peut-on lire en historien l'Éducation sentimentale », dans Histoire et langage dans « l'Éducation sentimentale », Paris, CDU-SEDES, 1981, pp. 35–41 Google Scholar.
2. Paris, 1971-1972.
3. La Troisième République des lettres, de Flaubert à Proust, Paris, 1983. Compagnon se livre aussi à un examen d'ensemble de la critique littéraire en France. Il défend l'idée que le mélange de dogmatisme et d'impressionnisme subjectif, propre au xixe siècle à des critiques comme Taine, Faguet et Brunetière, se vit supplanter par une histoire positiviste de la littérature avec des hommes comme Gustave Lanson. A l'époque actuelle il est à craindre que les critiques comme Roland Barthes qui, selon Compagnon, sont aveugles à l'histoire spécifique de la critique littéraire en France et parfois même aux problèmes historiques en général, n'en viennent, par leur réaction compréhensible contre le positivisme, à répéter (avec quelques variantes) les traits marquants de la critique du xixe siècle.
4. Paris, 1955.
5. Correspondance 3, Paris, Club de l'Honnête Homme, 1975, p. 492.
6. L'Éducation sentimentale, Paris, Club de l'Honnête Homme, 1971, p. 359. La référence de la page sera indiquée après chaque citation.
7. Par « implications transformatrices », je fais allusion à ce qui prépare les choses, soit littéraires soit sociales, pour le changement mais qui n'explicite pas pourtant la nature précise de ce changement par rapport à une alternative désirable.