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Le rêve dans l'Allemagne du XVIe siècle: Appropriations médicales et recouvrements confessionnels

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Claire Gantet*
Affiliation:
Université Paris I – Centre de Recherches en Histoire Moderne (CRHM, EA 127)Freie Universität Berlin

Résumé

Longtemps, la médecine du XVIe siècle fut présentée comme l’histoire d’un progrès au terme duquel les autorités antiques et le savoir purement livresque furent délaissés au profit d’idées formulées d’abord à Padoue et à Bologne, de l’anatomie de Vésale, de l’observation et de la dissection. L’exemple des débats relatifs au rêve dans l’Allemagne moderne montrent au rebours la complexité des champs institutionnels, culturels et intellectuels investis par la médecine ainsi que ses recouvrements partiels par la théologie.

Abstract

Abstract

Sixteenth-century medicine has long been regarded as a story of progress, at the end of which Ancient authorities and purely bookish knowledge were abandoned in favour of ideas, first formulated in Padua and Bologna, of Vesal's anatomy, of observation and dissection. The example of the debates on dreams in early modern Germany, on the contrary, shows the complexity of the institutional, cultural and intellectual fields occupied by medicine and its partial overlapping with theology.

Type
Les savoirs médicaux : textes, circulations, controverses
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2010

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References

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2- Sur la dispute des arts et les affrontements disciplinaires à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, voir Garin, Eugenio (dir.), La disputa delle arti nel Quattrocento, Rome, Istituto Poligrafico e Zecca dello Stato, [1947] 1982 Google Scholar ; Gilli, Patrick, La noblesse du droit. Débats et controverses sur la culture juridique et le rôle des juristes dans l’Italie médiévale (XIIe-XVe siècles), Paris, Honoré Champion, 2003 Google Scholar, et Gilli, Patrick, Verger, Jacques et Blevec, Daniel Le, Les universités et la ville au Moyen Âge : cohabitation et tension, Leyde, Brill, 2007 CrossRefGoogle Scholar.

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9- Ainsi le manuel de Johannes Grün, recteur de l’école de grammaire de Jüterborg, entre le Brandebourg et la Saxe, exposait en 1580 le De anima de Philipp Melanchthon, le successeur de Luther à Wittenberg, sous la forme, considérée pédagogique, de tableaux ramistes. Voir Grün, Johannes, Liber De Anima Dn. Philippi Melanthonis in diagrammata methodica digestus…, Vitebergae, Simon Gronenbergius, 1580 Google Scholar.

10- Voir l’excellent livre de Webster, Charles, Paracelsus: Medicine, magic and mission at the end of time, New Haven, Yale University Press, 2008 Google Scholar.

11- Voir, à titre de paradigme, Daston, Lorraine et Park, Katharine, Wonders and the order of nature 1150-1750, New York, Zone Books, 1998 Google Scholar. Plus proche de l’intellectual history et tout aussi excellent, Clark, Stuart, Thinking with demons: The idea of witchcraft in early modern Europe, Oxford/New York, Clarendon Press/Oxford University Press, 1997 Google Scholar.

12- Dans cette perspective, voir Burke, Peter, « L’histoire sociale des rêves », Annales ESC, 28-2, 1973, p. 329342 Google Scholar ; Goff, Jacques Le, « Les rêves dans la culture et la psychologie collective de l’Occident médiéval », Pour un autre Moyen Âge. Temps, travail et culture en Occident : 18 essais, Paris, Gallimard, 1977, p. 299306 Google Scholar. Plus centrées sur l’anthropologie historique, les études de Schmitt, Jean-Claude, Le corps, les rites, les rêves, le temps. Essais d’anthropologie médiévale, Paris, Gallimard, 2001 Google Scholar.

13- Cet article présente quelques aspects des premiers chapitres de ma thèse d’habilitation, soutenue le 7 mai 2008 à l’université libre de Berlin, qui paraîtra sous une forme légèrement réduite sous le titre Der Traum in der frühen Neuzeit. Ansätze zu einer kulturellen Wissenschaftsgeschichte début 2010 à Tübingen chez Max Niemeyer, dans la collection Frühe Neuzeit. Pour ce qui est du vocabulaire, un Français de l’époque moderne réservait le terme de songe à l’activité onirique, le mot rêve évoquant alors le délire. L’Allemand de cette époque n’employant que le terme Traum, je le traduis également par rêve et songe, entendus au sens de l’activité onirique. Sur l’évolution sémantique des mots songes et rêves dans la littérature française et leur interprétation, voir Schalk, Fritz, Somnium und verwandte Wörter in den romanischen Sprachen, Cologne, Westdeutscher Verlag, 1955 CrossRefGoogle Scholar et Dumora-Mabille, Florence, L’oeuvre nocturne. Songe et représentation au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2005 Google Scholar. On considère encore bien trop que l’interprétation du rêve prend sa naissance avec Freud. S’avèrent insuffisantes, par manque de contextualisation, les approches de Alt, Peter-André, Der Schlaf der Vernunft. Literatur und Traum in der Kulturgeschichte der Neuzeit, Munich, Beck, 2002 Google Scholar, et Gehring, Petra, Traum und Wirklichkeit. Zur Geschichte einer Unterscheidung, Francfort, Campus-Verlag, 2008 Google Scholar.

14- Dans la théologie scolastique, l’homme décédé, avant le Jugement dernier, réduit à une âme tandis que son corps est sous terre, constitue une « demi personne ». Lors du Jugement dernier, l’âme retrouve son propre corps, transfiguré, reconstituant ainsi la persona. Parmi une historiographie très abondante, voir Bynum, Caroline W., The resurrection of the body in western Christianity, 200-1336, New York, Columbia University Press, 1995 Google Scholar.

15- Bergamo, Mino, L’anatomie de l’âme. De François de Sales à Fénelon, Grenoble, J. Millon, 1994, p. 54 et 96Google Scholar. Plus descriptif, Erdei, Klára, Auf dem Wege zu sich selbst: Die Meditation im 16. Jahrhundert. Eine funktionsanalytische Gattungsbeschreibung, Wiesbaden, Harrassowitz, 1990 Google Scholar.

16- La christianisation du surnaturel s’était en effet opérée avec d’autant plus de facilité que la Bible, en particulier l’Ancien Testament, contenait plusieurs récits de rêves dit prophétiques : Daniel 7:12 ; Esdras 4 ; 1er livre de Samuel 28 ; Genèse 20:3, 28:12 sq., 31:10 sq., 31:24, 46:2 ; 1er livre de Samuel 3:1 ; 2e livre de Samuel 7:4 ; 2e livre des Rois 3:5 ; Daniel 2:19 sq. ; Matthieu 1:20, 2:13, 19, 22 ; Apocalypse de saint Jean 23:11, 27:23. Les textes bibliques étaient toutefois très réservés, voire négatifs face à l’activité des chiromanciens : Lévitique 19:26 ; Deutéronome 13:1-5, 18:9-12 ; Esaïe 29:7-8 ; Psaumes 72:20 ; Job 20:8-9 ; Qohéleth 6:6 ; Siracide 34:2-3, 7.

17- Gantet, Claire et Vidal, Fernando, « Âme », Bulletin de la Société française pour l’Histoire des Sciences de l’Homme, 28, 2005, p. 5060.Google Scholar

18- Aristote, De l’âme, I, 402a-b.

19- En conséquence, le XIIIe siècle fut traversé de cas de visionnaires, si bien que le chancelier de Paris, Jean GERSON (1363-1429), chercha des critères pour distinguer les esprits dans ses ouvrages De Distinctione Verarum Visionum A Falsis (1401) et De Probatione Spirituum (1415) et De examinatione doctrinarum (1423). Voir Paschal Boland, The concept of discretio spirituum in John Gerson's «De probatione spirituum » and «De distinctione verarum visionum a falsis », Washington, Catholic University of America Press, 1959.

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23- R. Klein, «L’enfer de Ficin », La forme et l’intelligible…, op. cit., p. 89-124.

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27- Rédigé en 1516, le Tractatus de immortalitate animae de Pietro Pomponazzi (1462-1524) déclencha aussitôt une telle polémique qu’il fut publiquement brûlé à Venise. Sommé de se justifier, l’auteur écrivit en 1518 une Apologia et en 1519 un Defensorium. Étant donné que l’entendement (la raison, l’esprit) ne pouvait pas exercer son activité sans l’aide de l’imagination, la formule aristotélicienne anima forma corporis signifiait qu’après le décès, l’âme et le corps dépérissaient ensemble. D’une analyse précise du De anima, Pomponazzi tirait la conclusion que l’âme, d’après Aristote, était mortelle. Même s’il conserva l’immortalité de l’âme au niveau de la foi, Pomponazzi fut considéré comme le chef de file de ceux qui niaient la doctrine de la résurrection de la chair.

28- Calvin, Jean, « Traité par lequel il est prouvé que les âmes veillent et vivent après qu’elles sont sorties des corps, contre l’erreur de quelques ignorants qui pensent qu’elles dorment jusques au dernier Jugement », OEuvres françoises de J. Calvin recueillies pour la première fois, précédées de sa vie par Théodore de Bèze et d’une notice bibliographique par P. L. Jacob, Paris, C. Gosselin, 1842, p. 25105 Google Scholar ; Id., Psychopannychia, éd. par W. Zimmerli, Leipzig,Deichert, 1932. Voir Hwang, Jung-Uck, Der junge Calvin und seine Psychopannychia, Francfort/Berne, Lang, 1991.Google Scholar

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30- « Resolutiones Lutheraniae super propositionibus suis Lipsiae disputatis (1519) », Werke WA, t. 11, p. 415. Stephens, W. Peter, The theology of Huldrych Zwingli, Oxford/New York, Clarendon Press/Oxford University Press, 1986, p. 139153 Google Scholar ; Kusukawa, Sachiko, The transformation of natural philosophy: The case of Philip Melanchthon, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 75123 CrossRefGoogle Scholar.

31- On établissait communément une sorte de chaîne dans les degrés de communication avec le divin. On distinguait ainsi, du plus négatif vers le plus positif, la possession diabolique, l’obsession diabolique (qui n’affectait que l’individu), le rêve, la vision (éveillée) et le miracle (question omniprésente, même, en filigrane, chez les protestants). La distinction entre ces états reste dans la pratique très floue. Les textes parlent souvent, par exemple, de Traum-Gesicht, c’est-à-dire de vision advenue en rêve.

32- J. Calvin, Traité par lequel il est prouvé que les âmes veillent…, op. cit., p. 25.

33- Kaufmann, Thomas, « Nahe Fremde. Aspekte der Wahrnehmung der ‘Schwärmer’ im frühneuzeitlichen Luthertum », in von Greyerz, K. (dir.), Interkonfessionalität, Transkonfessionalität, binnenkonfessionelle Pluralität. Neue Forschungen zur Konfessionalisierungs these, Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus, 2003, p. 179241 Google Scholar ; Dejeumont, Catherine, « Schwärmer, Geist, Täufer, Ketzer.De l’allié au criminel (1522-1550) », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français, 148-1, 2002, p. 2146 Google Scholar.

34- Ainsi, une Bible en bas-allemand, éditée vers 1478 et conservée à Wolfenbüttel, montre le Christ placé sous un essaim d’abeilles, tendant le doigt vers les abeilles et au-delà vers Dieu, figuré derrière un nuage : Biblia, Cologne, [Bartholomäus von Unkel, Heinrich Quentell ?], env. 1478.

35- Calvin, Jean, Institution de la religion chrétienne, Genève, Labor & Fides, [1562] 1955, t. I, V, 5Google Scholar : « Car voilà comment l’expose ailleurs Virgile, duquel j’ai récité les mots, voire suivant l’opinion reçue communément entre les Grecs et Latins : c’est que les abeilles ont quelque portion d’esprit divin, et ont puisé du ciel quelque vertu, d’autant que Dieu s’épand par tous traits de terre et de mer comme par le ciel. »

36- Ainsi, par exemple, dans la version allemande de l’Iconologie de Ripa, éditée à Augsbourg au milieu du XVIIIe siècle. Maser, Edward A. (dir.), Baroque and Rococo pictorial imagery: The 1758-60 Hertel edition of Ripa's Iconologia. Introd., translations, and 200 commentaries, New York, Dover, 1971, n° 185.Google Scholar

37- « Von[n] Mancherley Geschlechten der Troeum/ sampt jrer bedeütung/ ein kurtze erinnerung/ gezogen auß den Schrifften des Hochgelehrten Herren Philippi Melanthonis/ sehr nutzlich zuelesen », Troumbuechlin. Darin[n] warhafftig, aub Natürlichen ursachen/ auch der alten Philosophen/ und Weissagern der Heyden/ langwirigem brauch un[n] fleissiger nachtrach tung/ erklaert und aubgelegt werden/ alle Troeum… Alles durch M. Gualtherum H. Ryff in Truck verordnet…, Strasbourg, Emmel, 1555.

38- Melanchthon lut rapidement les De humanis corporis fabrica libri septem (1543) de Vésale, en fit une copie. En 1550, il corrigea en conséquence les erreurs anatomiques de son Commentarius de anima, issues de l’anatomie de Galien, qui reposait sur des dissections de singes. Texte du Liber de anima in Bretschneider, C. G. et Bindseil, H E. (éd.), Philippi Melanthonis Opera quae supersunt omnia, New York, Johnson Reprint, [1834-1860] 1963, t. 13, col. 5-178Google Scholar. Voir Kusukawa, S., The transformation…, op. cit., p. 83–11Google Scholar4 ; Nutton, Vivian, « The anatomy of the soul in early Renaissance medicine », in Dunstan, G. R. (dir.), The human embryo: Aristotle and the Arabic and European traditions, Exeter, University of Exeter Press, 1990, p. 136157 Google Scholar ; Helm, Jürgen, «Zwischen Aristotelismus, Protestantismus und zeitgenössischer Medizin: Melanchthons Lehrbuch De anima (1540/1552) », in Leonhardt, J. (dir.), Melanchthon und das Lehrbuch des 16. Jahrhunderts, Rostock, Rostock Universität, 1997, p. 175191 Google Scholar.

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41- La conception de l’imagination comme balneum diaboli est alors un trait largement protestant. Les catholiques voient plutôt le diable investir le corps humain en entier, d’où la pratique de l’exorcisme.

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44- Cette inflexion se décèle dès la fin du XVIe siècle et est patente au XVIIe siècle. Ceci à la différence de l’excellente étude de Michael Hagner, qui voit dans le XIXe siècle une césure décisive. Voir Hagner, Michael, Homo cerebralis. Der Wandel vom Seelenorgan zum Gehirn, Francfort/Leipzig, Insel, [1997] 2000.Google Scholar

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54- Ibid., p. 2275a1, 2279b1 et 2273b7.

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