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Le marranisme Histoire intelligible et mémoire vivante
Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
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«Les miracles qu’ils [les Juifs] racontent pourraient lasser mille bavards. Mais ce dont ils s’enorgueillissent le plus, c’est qu’ils comptent beaucoup plus de martyrs que n’importe quelle autre nation et que chaque jour s’accroît le nombre de ceux d’entre eux qui, pour leur foi, souffrent avec une extraordinaire force d’âme; et ceci n’est pas une légende; parmi bien d’autres, j’ai connu moi-même un certain Judas, dit le Fidèle, qui s’est mis à chanter au milieu des flammes, et tandis qu’on le croyait mort, l’hymne: “À toi, mon Dieu, j’offre mon âme”: il est mort en chantant.» Spinoza a été apparemment trahi par sa mémoire, puisqu’il n’a pu rencontrer «Judas le Fidèle», brûlé à Valladolid en 1644 sans avoir jamais quitté la péninsule Ibérique, mais il fait en tout cas écho, dans ce passage de sa réponse à Albert Burgh, à la célébration des martyrs telle que la pratiquait de son temps la communauté juive d’Amsterdam. Des martyrs, ou en tout cas de ceux qui, au gré de cette communauté, sont «les siens»: toutes les victimes de l’Inquisition espagnole ou portugaise ne se sont certes pas réclamées de ce judaïsme pour lequel on les envoyait au bûcher.
- Type
- Observatoires du religieux Minorités: les marranes
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2002
References
À propos de Wachtel, Nathan, La foi du souvenir. Labyrinthes marranes, Paris, Le Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 2001, 500 Google Scholar p.
1 - Spinoza, Baruch, « Lettre 76 », in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléïade », 1954, p. 1291 Google Scholar.
2 - Baruch-Benoît a peut-être confondu Judas le Fidèle avec Isaac de Castro Tartas, brûlé trois ans plus tard à Lisbonne, mais qui, né dans la région des Landes à Tartas, où ses parents venus du Portugal avaient trouvé refuge, était passé par Amsterdam avant de partir pour le Brésil hollandais; c’est aux Pays-Bas que Menasseh ben Israël a connu celui-ci « personnellement » (comme il le signale dans Espérance d’Israël, Paris, Vrin, 1979, p. 163 Google Scholar); le très jeune Spinoza a donc également pu le rencontrer (cf. Roth, Cecil, « Le chant du cygne de don Lope de Vera», Revue des études juives, 97, 1934, p. 103 Google Scholar, n. 2).
3 - L’auteur a en réalité examiné les pièces d’un bien plus grand nombre de dossiers; mais c’est autour des procès de dix « personnages » que son livre est organisé.
4 - N. Wachtel en fait la remarque: le chroniqueur de l’autodafé qui se déroula à Lima en janvier 1639 a « éminemment (et, ici aussi, paradoxalement) contribué à transmettre la mémoire de Maldonado » (p. 73). De fait, son récit, publié à Madrid l’année suivante, a servi de source à Isaac Cardoso pour décrire les circonstances de la mort de Maldonado dans son ouvrage de 1679 intitulé Las Excelencias de los Hebreos (cf. Yerushalmi, Yosef Hayim, De la Cour d’Espagne au ghetto italien. Isaac Cardoso et le marranisme au XVIIe siècle, Paris, Fayard, [1971] 1987, pp. 379–380 Google Scholar).
5 - Vegh, Claudine, Je ne lui ai pas dit au revoir. Des enfants de déportés parlent, postface de Bruno Bettelheim, Paris, Gallimard, 1979 Google Scholar.
6 - Wachtel, Nathan, «Le temps du souvenir», Annales ESC, 35-1, 1980, pp. 146–148 Google Scholar, ici p. 148. Pour un témoignage de la continuité de cette problématique chez N. Wachtel, voir sa Leçon inaugurale au Collège de France, Paris, Collège de France, 1993, p. 17.
7 - R«vah, Israël S. L’hérésie marrane dans l’Europe catholique du 15 au 18 siècle », in Le Goff, J. (éd.), Hérésies et sociétés dans l’Europe des XVe-XVIIIe siècles, Paris-La Haye, Mouton, 1968, pp. 327–339 Google Scholar, repris dans ID., Des Marranes à Spinoza, Paris, Vrin, 1995, pp. 63-75. Voir la description concordante de Roth, Cecil dans son article: « The Religion of the Marranos», Jewish Quarterly Review (N. S.), XXII, 1931-1932, pp. 1–33 Google Scholar, qui fournit la matière du chapitre 7 de son livre Histoire des marranes, Paris, Liana Levi, [1932] 1990 Google Scholar.
8 - Novinsky, Anita a publié, sur la base de la source inquisitoriale, la liste de 1819 nouveaux-chrétiens établis dans l’Amérique portugaise au XVIIIe siècle et fichés par l’Inquisition, avec indication du lieu de résidence et de la profession: Inquisição. Rol dos culpados. Fontes para a história do Brasil/Séc. XVIII, Rio, Editora Expressão e Cultura, 1992 Google Scholar; se reporter aussi à ID., « Consideraciones sobre los criptojudíos hispano-portugueses: el caso de Brasil», in A. Alcala (éd.), Judíos. Sefarditas. Conversos. La expulsión de 1492y sus consecuencias, Valladolid, Ambito Ediciones, 1995, pp. 513-522.
9 - Une diaspora où l’on ne cesse de transmettre des nouvelles (ou des rumeurs) sur les événements d’Espagne et du Portugal, et le sort des marranes. Un exemple: le kabbaliste Hayym Vital rapporte dans son Livre des visions, rédigé pour l’essentiel à Damas entre 1609 et 1612, qu’il a eu l’occasion de rencontrer un médecin ayant fréquenté la cour espagnole. Celui-ci lui aurait confié avoir été au courant d’entretiens secrets entre un ecclésiastique nouveau-chrétien et Philippe III: tout y passait, depuis la valeur de l’« Ancienne Loi » jusqu’à la politique à suivre sur la question des Pays-Bas ! Le passage est cité dans Ben-Sasson, H. H., Histoire des Juifs au Moyen Age [en hébreu], Tel-Aviv, Dvir, 1969, pp. 290–291 Google Scholar (trad. angl., A History of the Jewish People, Cambridge, Harvard University Press, 1976 Google ScholarPubMed).
10 - Comme l’indique au passage Baroja, Julio Caro, Los Judíos en la España moderna y Contemporánea, Madrid, [1963] 1986, t. 2, p. 417 Google Scholar.
11 - Par exemple par Vicente Da Costa-Mattos, auteur du Breve discurso contra a heretica perfidia do judaismo (1623; trad. esp. dès 1628). Cf. Escamilla-Colin, Michele, « Recherches sur les traités judéophobes des XVIe et XVIIe siècles», in Tollet, D. (éd.), Les textes judéophobes et judéophiles dans l’Europe chrétienne à l’époque moderne, Paris, PUF, 2000, pp. 27–50 Google Scholar.
12 - Cf. le passage de la Lettre apologétique d’Orobio à Juan de Prado (1664), in Israël S. Révah, Spinoza et Juan de Prado, Paris-La Haye, Mouton, 1959, p. 132 (et l’analyse de Y. H. Yerushalmi, De la Cour d’Espagne..., op. cit., p. 265).
13 - Cf. l’extrait de l’Épître invective d’Orobio cité dans Yovel, Yirmiyahu, Spinoza et autres hérétiques, Paris, Le Seuil, 1991, p. 95 Google Scholar (Carl Gebhardt l’avait publié dans son article de 1923: « Juan de Prado », repris dans Ansaldi, Saverio (éd.), Spinoza, judaïsme et baroque, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2000, pp. 45–64,Google Scholar ici p. 58, mais avait fait une erreur dans l’identification du personnage décrit, I. S. Révah, Des Marranes à Spinoza, op. cit., p. 227.
14 - Si l’on suit l’interprétation de Kaplan, Yosef: From Christianity to Judaism: The Stor of Isaac Orobio de Castro, Oxford, Oxford University Press, [1983] 1989, pp. 77–78 Google Scholar et 98 sq
15 - Israël S. Révah, « La religion d’Uriel da Costa, marrane de Porto, d’après de documents inédits », in ID., Des Marranes à Spinoza, op. cit., pp. 77-108.
16 - Gershom Scholem cherche dans ces formulations à situer « le point essentiel d divergence entre le judaïsme et le christianisme »; les polémistes médiévaux y auraien parfaitement souscrit (ceci noté sans ironie aucune, mais au contraire pour souligne avec quelle justesse elles rendent une démarche ou un certain état de la sensibilité « Pour comprendre le messianisme juif », in ID., Le messianisme juif. Essais sur la spiritualit du judaïsme, Paris, Presses Pocket, 1992, p. 23.
17 - Pour le Moyen Âge, il suffit de renvoyer brièvement à la série d’essais de Talmage, Fran réunis dans Apples of Gold in Settings of Silver. Studies in Medieval Jewish Exegesi and Polemics, édités par Walfish, Barry Dov, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies, 1999 Google Scholar; pour les auteurs marranes, voir par exemple Élie de Montalte, né au Portugal en 1567 et mort à Tours en 1616 (le rabbin Saül Lévi Morteira convoyant son corps pour inhumation au cimetière juif d’Ouderkerk, près d’Amsterdam). Dans ses Proposiçiones convinientes... il dénonce une foi chrétienne qui est un « voile noir placé devant les yeux de la raison » (cf. Cooperman, Bernard, « Eliahu Montalto’s “Suitable and Incontrovertible Propositions”: A Seventeenth-Century Anti-Christian Polemic», in Twersky, I. et Septimus, B. (éds), Jewish Thought in the Seventeenth Century, Cambridge, Harvard University Press, 1987, pp. 469–498 Google Scholar).
18 - Usque, Samuel, Consolaçam ás tribulaçoens de Israel, Coïmbre, França Amado, 1901-1908, t. III, p. LVII Google Scholar b.
19 - Menasseh Ben Israël, Espérance d’Israël, op. cit., n. 2, p. 164. Cf. l’analyse de Schorsch, Ismar, «From Messianism to Realpolitik: Menasseh ben Israel and the Readmission of the Jews to England», Proceedings of the American Academy for Jewish Research, 45, 1978, pp. 187–208, ici pp. 203–205 CrossRefGoogle Scholar.
20 - Sur la carrière dans la tradition martyrologique juive de la figure de Hannah et ses fils, voir Cohen, Gerson D., «Hannah and her Seven Sons in Hebrew Literature», Studies in the Variety of Rabbinic Cultures, Philadelphie, 1991, pp. 39–60 Google Scholar (l’étude, dans l’original en hébreu, date de 1955).
21 - Parmi lesquels Cecil Roth, Histoire des marranes, op. cit., p. 136; et ID., « Religion et martyrologie parmi les marranes », in Guerres saintes et martyrologie dans l’histoire juive et l’histoire générale, Jérusalem, The Historical Society of Israel, 1968, pp. 93-105, ici p. 96 [en hébreu].
22 - Intervention de Gershom Scholem, à la suite d’une conférence de Israël S. Révah, dans J. Le Goff, Hérésies et sociétés. .., op. cit., p. 338. Voir aussi ses remarques sur le sabbatianisme: « Abraham Cardoso et la théologie du sabbatianisme », (1928), in Aux origines religieuses du judaïsme laïque. De la mystique aux Lumières, Paris, Calmann-Lévy, 2000, pp. 103–124 Google Scholar, p. 106 (avec référence à Gebhardt et à la Lettre de Jérémie); et dans « La rédemption par le péché», Le messianisme juif..., op. cit., pp. 158-159.
23 - Swetschinski, Daniel M., «Un refusde mémoire. Les Juifs portugais d’Amsterdam et leur passé marrane», in Benbassa, E. (dir.), Mémoires juives d’Espagne et du Portugal, Paris, Publisud, 1996, pp. 69–78 Google Scholar.
24 - Cette interprétation se fonde sur la traduction donnée dans la Vulgate de l’original grec; elle est défendue par Nicolas de Lyre. Pour la discussion du passage, et de ses différentes versions, voir l’ouvrage en portugais sur la défense de la Loi orale d’ Aboav, Emmanuel, Nomologia o Discursos Legales (Amsterdam, 1629, pp. 213–214 Google Scholar, et dans l’édition hébraïque récente procurée par les soins de Moises Orfali, Jérusalem, Ben-Zvi Institute, 1997, p. 197).
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