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Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
(…) por ce est il droiz que li contes le vos die, car autrement seroit ce uns enlacemenz de paroles se il ne devisoit la vérité et il n'esclairoit ces choses porquoi eles furent ainsi establies.
Au-delà d'un enchevêtrement de paroles trompeuses, illusoires car se bornant à effleurer la surface des choses, le récit se réclame d'une ambition plus haute : dire la vérité, faire la lumière sur tous les événements racontés, en circonscrire l'origine, en déterminer la cause. Toutefois, pour échapper à cette circularité déprimante, qu'il récuse, force lui est de recourir à d'autres paroles, d'ourdir d'autres toiles, si bien qu'il se trouve entraîné, pris au piège de sa propre logique, dans un engrenage sans fin. Les diverses Suites du Merlin s'inscrivent dans un tel processus. Ces textes, volontiers prolixes, qui visent à faciliter l'insertion du corps étranger que constitue le Merlin dans le cycle du Lancelot-Graal, ont vocation à explorer les antécédents de faits déjà connus qui seront exposés plus loin, compte tenu du décalage existant entre la chronologie interne du récit et celle de la composition.
The study of the Sagremor character in the Suites du Merlin présents some interesting views on the composition of thèse texts that aim at bridging the gap in the Lancelot- Graal cycle. Sagremor has been endowed with a genealogy which turns out to be muddled and contradictory. A short biography aims to explain thefiery spirit, difficult to control, characteristic ofhim. An outstanding event in the biography seems to be a close copy of an épisode appearing in several médiéval narratives, including Philippe de Remy's La Manekine. But such borrowing proves in turn to be lacking in rigour and somewhat absurd. By wishing to bring out the character's entire past, the authors ofthe Suites hâve ended up by making him obscure andproblematic. Such are thesnaresin writing.
1. Livre d'Artus, H. O. Sommer éd., The Vulgate Version of Arthurian Romances, Washington, 7 vols, 1908-1913, vol. VII, p. 171 (1-4).
2. Nous limiterons cependant cette étude à un corpus homogène, sinon cohérent, constitué par les romans en prose de la « vulgate arthurienne », et plus spécialement le Lancelot et les Suites du Merlin. Pour une vision d'ensemble, voir la dissertation de Beyer qui comporte une édition des fragments du roman allemand Segremor (diss. Marbourg, 1909). Il y a dans cet ouvrage, antérieur à l'édition Sommer, des remarques utiles et perspicaces. L'auteur a utilisé, pour la partie qui nous intéresse, l'adaptation de Paulin Paris.
3. L. F. Flutre, Table des noms propres… figurant dans les romans du Moyen Age, Poitiers, CESCM, 1962. Pour des précisions complémentaires, voir G. D. West, An Index of Proper Names in French Arthurian Prose Romances, Toronto, 1978 : « Sa(i)gremor is the son of the king of Hongrie and Blasque, his mother being a daughter of Adrian, emperor of Constantinople — whence he is occasionally entitled de Constantinoble — and a nephew of the wife of Brangoire or a stepson of Brangoire. (…) In SM (H), Sa(i)gremor is the son of a duke called Nabur. » La présentation est ici plus nuancée et plus respectueuse de la diversité des textes, malgré une tendance, sans doute inévitable, à privilégier certaines leçons.
4. Merlin, G. Paris et J. Ulrich éds, Paris, SATF, 1886, t. I.
5. Les textes cités le sont d'après les volumes II et VII de l'édition Sommer (cf. ci-dessus, n. 1). Les citations du Lancelot sont faites d'après la récente édition d'A. Micha, Lancelot, Genève, Droz, 8 vols parus, 1978-1982.
6. Le terme peut, en principe, désigner à la fois le neveu et le petit-fils. Voir toutefois la remarque de R. R. Bezzola : « La signification “petit-fils” est en ancien français très rare. » (« Les neveux », Mélanges Jean Frappier, Genève, Droz, 1970, p. 91) Au demeurant, il nous suffit d'établir le caractère mouvant et en définitive impraticable de l'état-civil de Sagremor.
7. H. O. Sommer, The Vulgate Version… Index of Names and Places to volumes I-VII, Washington, 1916. (” Sagremor le Desree is often erroneously styled the “neveu” of the emperor of Constantinoble ; as he was the son of a daughter of the emperor, it is évident that he must be his grandson. »)
8. Il y a en réalité deux royaumes d'Estrangore dans la Suite Vulgate. Sur l'un d'eux règne Caradoc, sur l'autre Brangore. Cf. A. Micha, « La Suite-Vulgate du Merlin, étude littéraire », Zeitschrift fur romanische Philologie, LXVI, 1951, p. 38. Article repris dans A. Micha, De la chanson de geste au roman, Genève, 1976.
9. A. Micha éd., t. II, p. 197. Ces données incohérentes jouent inévitablement des tours aux remanieurs. Ainsi dans Guiron le Courtois (§ 81) :” Helyan le bloy (…)estoit oncles de Saigremor le Desreés. » (ms. B.N. fr. 337, fin XIIIe siècle), cité par R. LA Thuilliere, Guiron le Courtois, Genève, Droz, 1966. Mention incompatible, à première vue avec les données antérieures (Hélain est le petit-fils d'une soeur de l'empereur. Sagremor est neveu, fils ou petit-fils du même empereur.) C'est sans doute à cause du titre qui lui est attribué (empereur de Constantinople) qu'Hélain devient ici Yoncle de Sagremor, puisque celui-ci est présenté le plus souvent comme le neveu de l'empereur.
10. La Quête du Saint Graal, trad. par E. Baumgartner, Paris, 1979, p. 247, n. 5.
11. Déjà, à propos de Chrétien de Troyes, J. GYÔRY parle du « poétique désarroi généalogique de notre romancier ». « Prolégomènes à une imagerie de Chrétien de Troyes », Cahiers de Civilisation médiévale, X, 1957, p. 378. Voir aussi, plus largement, Lenora D. Wolfgano, « Perceval's Father : Problems in Médiéval Narrative Art », Romande Philology, XXXIV, 1, août 1980, pp. 28-47.
12. Ce que Philippe de Beaumanoir appelle « lignage droit de descendement » et « lignage de costé » (Coutumes de Beauvaisis, A. Salmon éd., Paris, 1899, ch. XIX).
13. Cf. R. H. Bloch, « Le roman courtois (ou chevaleresque) exprime toujours une certaine anxiété à l'égard des origines de la famille — anxiété qui se manifeste dans la quête des noms et des lignages, dans le souci des mariages et des héritages, et dans l'obsession de l'inceste et des naissances illégitimes. », « Étymologies et généalogies : théories de la langue, liens de parenté et genre littéraire au xme siècle », Annales E.S.C., n° 5, sept-oct. 1981, p. 960.
14. Loomis, R. S., Arthurian Tradition and Chrétien de Troyes, New York, 1949.Google Scholar W. Nitze et H. Williams, Arthurian Names in the Perceval of Chrétien de Troyes, Univ. of California Publications in Modem Philology, vol. 38, n° 3, Berkeley - Los Angeles, 1955, pp. 265-298. Il se peut que le nom de l'arbre (sorte de figuier) ait été rendu familier aux lecteurs du Moyen Age par ce passage des Évangiles (Luc, XIX, 4) où l'on voit Zachée monter sur un sycomore pour voir le Christ (” ascendit in arborem sycomorum »). Nous croyons trouver un écho de cette familiarité dans cette note de Mandeville : « De celle cité (Jéricho) fut Zaceus, qui fut nayns, qui monta sur le sagremor pour veoir Nostre Seigneur, quant il estoit si petit qu'il ne le povoit veoir pour les autres genz. » (Mandeville's Travels, Texts and translations by Malcolm Letts, vol. II, Londres, The Hakluyt Society, 1953, p. 282.)
15. Planche, A., « La dame au sycomore », dans Mélanges Jeanne Lods, Paris, 1978, p. 511.Google Scholar
16. M. Pastoureau, « Formes et couleurs du désordre : le jaune avec le vert », Médiévales, 4, mai 1983, pp. 62-73. On nous permettra une petite réserve de détail qui ne met nullement en cause l'orientation de cette excellente étude. Il nous semble que la mention de l'heure de none n'intervient qu'une fois dans le texte et n'est pas reliée systématiquement à la boulimie de Sagremor. Aussi nous paraît-il que M. Pastoureau accorde trop d'importance à ce détail et qu'il est peut-être hasardeux de voir en Sagremor un héros solaire (qui serait d'ailleurs plutôt un négatif qu'un homologue de Gauvain puisque l'accès de faiblesse culminerait vers midi).
17. L'expression est empruntée à J. Fourquet, Wolfram d'Eschenbach et le Conte del Graal, 2’ éd., Paris, P.U.F., 1966, p. 51 (cf. Parzival, 286, 28 ; 287, 4). Traduction d'E. Tonnelat : les grelots d'or « tintaient avec un son clair », rééd. Paris, Aubier, 1977, t. I, p. 249. Je remercie vivement B. Gicquel d'avoir attiré mon attention sur ce détail qui confirme ou recoupe une impression de M. Pastoureau : « En ce sens, je peux dire que les armoiries de Sagremor sont les plus bruyantes jamais créées par l'imagination médiévale. » Art. cit., p. 70. Sagremor est l'homme du tumulte et du bariolage. L'association du jaune et du vert, ainsi que les grelots, demeureront du reste parmi les attributs du Fou de cour.
18. Paulin Paris, Les romans de la Table Ronde, Paris, Techener, 1875, t. IV, p. 28.
19. P. Gallais, « Scénario pour l'Affaire Sagremor », dans Mélanges Rila Lejeune, Gembloux, 1969, pp. 1025-1028.
20. Nous empruntons ces exemples, qui nous semblent cependant représentatifs de la mentalité médiévale, à des récits de la Renaissance : Les seréesàt Guillaume Bouchet, sieur de Brocourt, éd. par C. E. Roybet, t. IV, Paris, A. Lemerre, 1875, p. 59. A l'extrême fin du xvni= siècle encore, un médecin allemand cite le cas d'un enfant nourri au lait de truie qui présentait un penchant certain à la malpropreté et recherchait les endroits fangeux pour s'y vautrer. Cit. par F. Loux et M.-F. Morel, « L'enfant et les savoirs sur le corps. Pratiques médicales et pratiques populaires dans la France traditionnelle », Ethnologie française, 1976, t. 6, pp. 309-324.
21. E. R. Curttus, La littérature européenne et le Moyen Age latin, trad. française J. Bréjoux, Paris, P.U.F., 1956, p. 168.
22. D. Desclais Berkvam, Enfance et maternité dans la littérature française des XIIe et XIIIe siècles, Paris, Champion, 1981, p. 52.
23. Pour un aperçu sur ce point, voir notre étude, « Aspects du père incestueux dans la littérature médiévale », dans Amour, mariage et transgressions au Moyen Age (Actes du colloque d'Amiens, 24-27 mars 1983), D. Buschinger et A. Crepin dir., Göppingen, 1984, pp. 47-62.
24. M. Delbouille, « Apollonius de Tyr et les débuts du roman français », dans Mélanges Rita Lejeune, op. cit., pp. 1171-1204. Voir en outre les indications données par M. Zink, Le roman d'Apollonius de Tyr, Paris, U.G.E., 10/18,1982.
25. La Manekine, éd. par H. Suchier, OEuvres poétiques de Philippe de Rémi, sire de Beaumanoir, t. I, Paris, S.A.T.F., 1884. La Belle Hélène de Constantinople est encore inédite. Il en existe plusieurs analyses fondées tantôt sur le poème, tantôt sur les versions en prose. Celle qui prend le mieux en compte les divergences de la tradition manuscrite est sans doute celle de R. Ruths, Die französischen Fassungen des Roman de la belle Helaine, diss. Greifswald, 1897. Sur les manuscrits, voir P. Verhuyck, « Les manuscrits du poème de La Belle Hélène de Constantinople », Studi Francesi, n° 47-48, 1972, pp. 314-324. Mai und Beaflor, Leipzig, 1848. On notera que, dans le roman anglais é'Emaré (XIVe siècle) dont la trame est analogue à celle des oeuvres citées, le fils de l'héroïne, en compagnie duquel celle-ci aborde, affaiblie et affamée, à Rome, est appelé Sagremour. Coïncidence ou indice de traditions convergentes dont le Livre d'Artus permettrait de pressentir le réseau ?
26. Une certaine confusion entre Grèce et Hongrie ne paraît pas, en certaines occasions, impossible. Ainsi, dans Claris et Laris, le roi de Hongrie mène ses Grecs au combat : « Molt iert apressez rois Henris,/Car assegié l'avoit Saris/Qui estoit rois de Honquerie ; / 0 lui ot grand chevalerie./ Li Grieu sont entor la cité. » (V. 29 766-29 770). On a d'autre part signalé que, selon l'une des combinaisons présentées plus haut, le gendre de l'empereur de Constantinople et père de Sagremor était roi de Hongrie.
27. F. Chathxon, « De l'utilisation des IIIe et IVe livres des Rois dans le Songe du Vergier », Revue du Moyen Age latin, t. XIX (pp. 225-262) et t. XXI (pp. 234-251).
28. Romania, LXXX, 1959, pp. 82-85.
29. Florence de Rome, A. Wallenskold éd., Paris, S.A.T.F., 1909, t. I, p. 104.
30. Voir sur ce sujet les commentaires brillants et parfois paradoxaux de R. Dragonetti, La vie de la lettre au Moyen Age, Paris, Le Seuil, 1980, notamment p. 124 ss.
31. La question est difficile. Un bon exemple récent est donné par la note de K. V. Sinclair, « Comic Audigier in England », Romania, t. 100, 1979, pp. 257-259. Est-il légitime d'inférer de la présence d'une formule figurant dans une lettre d'Edouard Ier du 3 mars 1304 (” Quant la guerre fu finee, si trest Audigier s'espee ») l'existence d'une version perdue d'Audigier ?
32. B. Gicquel, « Le Jehan et Blonde de Philippe de Rémi peut-il être une source du Willelhalm von Orlens ? », Romania, t. 102,1981, pp. 306-323. En dépit de l'incomparable érudition de l'auteur, l'évocation de la carrière littéraire de « Philippe de Rémi » par H. Suchier n'est pas exempte d'hypothèses fragiles ou de préjugés hasardeux. Ainsi : « Les Fatrasies ne peuvent être regardées comme l'oeuvre d'un âge mûr. » (p. XX). D'autre part, Suchier semble enclin à situer vers 1250 la naissance de Beaumanoir (encore que l'addition de la p. CLIX ébranle l'argumentation). Or il admet que c'est lors d'un voyage en Angleterre effectué vers 1261-1265 que Beauma-noir aurait trouvé le sujet de La Manekine. Celui-ci aurait eu entre 11 et 16 ans. B. Gicquel est alors fondé à parler avec quelque ironie de « Rimbaud médiéval » (p. 310). Voir sur ce point les Actes du colloque international Philippe de Beaumanoir (Groupe d'étude des monuments et oeuvres d'art du Beauvaisis), Beauvais, 1984, et en particulier la contribution de R. H. Bautier, pp. 5-17.
33. Sur la thématique générale de la « translation » vers l'Occident dans Yestoire et dans le Merlin, voir E. Baumgartner, L'arbre et le pain, Paris, Sedes, 1981, p. 37. Il ne nous semble pas cependant que l'itinéraire occidental de Sagremor — lequel apparaît du reste dans une section différente du recueil — relève de cette inspiration.
34. A. J. Surdel, « A propos de la traduction des textes littéraires médiévaux. La Manekine, roman du xme siècle », Annales de l'Est, t. 33, 1981, pp. 71-75.
35. A. Leupin, Le Graal et la littérature, Lausanne, L'Age d'homme, 1982, p. 52. Voir aussi A. Leupin, « Qui parle ? Narrateurs et scripteurs dans la Vulgate arthurienne », Digraphe, vol. 20, 1979, pp. 81-109.
36. Une première version de cette étude a été présentée comme communication au xine congrès de la Société internationale arthurienne, Glasgow, août 1981.