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Langues d'Islam et sociétés médiévales

Published online by Cambridge University Press:  20 January 2017

Résumé

L’Italie renaissante (1370-1520) offre un champ d’exploration privilégié pour poser à nouveaux frais la question de la circulation des connaissances arabes et portant sur l’arabe dans l’espace méditerranéen, à l’intersection du Dār al-Islām et de l’Europe latine. Une approche inspirée de la sociolinguistique et combinant histoire des réseaux marchands, curiaux et communautaires et étude des témoignages textuels permet de dépasser les clivages traditionnels pour reconstituer les contours de cultures multiples, en perpétuelle évolution. Les « arabes italiens » de la Renaissance sont en effet alimentés aussi bien par les réseaux marchands italiens dans le monde arabe que par les pratiques linguistiques des communautés juives péninsulaires et, surtout, siciliennes. Les connaissances de tous ordres ainsi accumulées trouvent des débouchés originaux dans les cours du Quattrocento, intéressées à des stratégies de déploiement de savoirs linguistiques exotiques, sans pour autant être pérennisées au travers d’un enseignement orientaliste encore à venir.

Abstract

Abstract

Renaissance Italy offers an ideal vantage point from which to reexamine the circulation of Arabic (whether as first-hand knowledge or second-hand familiarity) throughout the space of the Mediterranean, at the juncture between the Dār al-Islām and Latin Europe. An approach inspired by sociolinguistics, combined with an investigation of mercantile, community, and court networks and a study of textual sources allows us to move beyond traditional historiographical divisions and to map the outlines of multiple linguistic cultures that were constantly evolving. The development of these “Italian Arabics” was not only a consequence of the contacts between the Arab world and various Italian mercantile networks during the Renaissance period. It also depended on the linguistic culture of the Jewish communities that were based in the Peninsula and above all in Sicily. The multifaceted knowledge that emerged came to be prized in certain Italian courts of the Quattrocento, which developed a keen interest in the propagandistic exhibition of exotic languages. This nascent cultural dynamic did not, however, acquire a stable foundation during this period: an academic European Orientalism was yet to come.

Type
Langues d'Islam (XIe-XVe siècle)
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2015 

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Footnotes

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Je remercie vivement Éric Vallet, qui a considérablement enrichi cette introduction tant par ses nombreuses suggestions bibliographiques que par l’idée de l’ouverture initiale.

References

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2- Mayeur-Jaouen, Catherine, Livre blanc des etudes francaises sur le Moyen-Orient et les mondes musulmans, GIS Moyen-Orient et Mondes musulmans, 2014, http://majlisremomm.fr/livre-blanc Google Scholar.

3- Voir l’article-manifeste publié par trois figures majeures des études arabes en France : Cheikh-Moussa, Abdallah, Toelle, Heidi et Zakharia, Katia, « Pour une re-lecture des textes littéraires arabes : éléments de réflexion », Arabica, 46-3, 1999, p. 523540 Google Scholar, ou encore Gonzalez-Quijano, Yves, « Littérature arabe et société : une problématique à renouveler. Le cas de la Nahdøa », Arabica, 46-3, 1999, p. 435453 CrossRefGoogle Scholar.

4- Quitte, dans certaines occasions, à les faire sortir de l’espace du DĀr al-IslĀm. Voir Grévin, Benoît, « De Damas à Urbino. Les savoirs linguistiques arabes dans l’Italie renaissante (1370-1520) », Annales HSS, 70-3, 2015, p. 635663.Google Scholar

5- La volonté de cohérence avec le dossier présenté qui concerne surtout l’arabe sous différentes formes et dans des contextes variés (dans le DĀr al-IslĀm ou dans ses rapports avec d’autres espaces, dans les sociétés islamiques, juives ou chrétiennes, dans plusieurs registres linguistiques, stylistiques ou littéraires…) et le berbère, tout en abordant ponctuellement la question du persan, du turc et d’autres langues « classiques » ou non classiques de l’Islam médiéval, a conduit à centrer ces réflexions introductives sur le statut de l’arabe (des arabes) pour l’historien médiéviste. Il va sans dire que l’importance et la richesse des cultures linguistiques turco-persanes, et la complexité des interactions entre arabes, turcs et persans dans le Mashreq et le monde turco-iranien médiéval, mériteraient la constitution d’un autre dossier et un cycle de réflexions ultérieures (infra, p. 565, 569 et 572).

6- Fück, Johann, ‘Arabīya. Recherches sur l’histoire de la langue et du style arabe, trad. par Denizeau, C., Paris, M. Didier, [1950] 1955 Google Scholar.

7- Pour un essai d’approche comparée de l’histoire des langues de l’Occident latin et de l’Islam médiéval, voir Grévin, Benoît, Le parchemin des cieux. Essai sur le Moyen Age du langage, Paris, Éd. du Seuil, 2012 Google Scholar.

8- L’arabe est l’un des quatre exemples canoniques utilisés dans son article fondateur sur la notion par Ferguson, Charles A., « Diglossia », Word, 15, 1959, p. 325340 CrossRefGoogle Scholar.

9- Yves Gonzalez-Quijano, « La renaissance arabe au XIXe siècle : médiums, médiations, médiateurs », in B. HALLAQ et H. TOELLE (dir.), Histoire de la litterature arabe moderne, vol. 1, 1800-1945, Arles, Sindbad-Actes Sud, 2007, p. 17-113 ; Id., « Littérature arabe et société… », art. cit.

10- Sur l’importance de la symbiose politico-culturelle turco-persane dans le « second islam », voir Hodgson, Marshall G. S., The Venture of Islam: Conscience and History in a World Civilization, vol. 2, The Expansion of Islam in the Middle Periods , Chicago, University of Chicago Press, 1974 CrossRefGoogle Scholar ; Allsen, Thomas T., Culture and Conquest in Mongol Eurasia, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 CrossRefGoogle Scholar ; et l’article de synthèse de Loiseau, Julien, «De l’Asie centrale à l’Égypte : le siècle turc », in Boucheron, P. (dir.), Histoire du monde au XVe siecle, Paris, Fayard, 2009, p. 3350 Google Scholar.

11- Le réveil des études textuelles et sociohistoriques sur le Coran est notable depuis plusieurs années : Gilliot, Claude et Larcher, Pierre, « Language and Style of the Qur’Ān », in McAuliffe, J. (dir.), Encyclopaedia of the Qur’Ān, Leyde, Brill, 2003, vol. 3, p. 109135 Google Scholar ; Azaiez, Mehdi et Mervin, Sabrina (dir.), Le Coran. Nouvelles approches, Paris, CNRS Éditions, 2013 Google Scholar ; et, parmi ses nombreux travaux récents, Dye, Guillaume, « Réflexions méthodologiques sur la ‘rhétorique coranique’ », in De Smet, D. et Amir-Moezzi, M. A. (éd.), Controverses sur les ecritures canoniques de l’islam, Paris, Éd. du Cerf, 2014, p. 147176 Google Scholar.

12- Sur la culture poétique arabe ancienne, outre divers travaux de Pierre Larcher, voir Paoli, Bruno, De la theorie a l’usage. Essai de reconstitution du systeme de la metrique arabe ancienne, Damas, Institut français du Proche-Orient, 2008 Google Scholar.

13- Larcher, Pierre, « Moyen arabe et arabe moyen », Arabica, 48-4, 2001, p. 578609 CrossRefGoogle Scholar ; Grand’henry, Jacques et Lentin, Jérôme (dir.), Moyen arabe et varietes mixtes de l’arabe a travers l’histoire, Louvain, Peeters, 2008.Google Scholar

14- Voir la référence classique de Blau, Joshua, The Emergence and Linguistic Background of Judaeo-Arabic, Jérusalem, Ben-zvi Institute, [1965] 1999.Google Scholar

15- Voir dans Aillet, Cyrille, Les Mozarabes. Christianisme, islamisation et arabisation en peninsule Iberique, IXe-XIIe siecle, Madrid, Casa de Velázquez, 2010 Google Scholar, la relecture des dynamiques linguistiques en al-Andalus entre le VIIIe et le XIIe siècle.

16- Pour une tentative de retracer les voies des échanges (notamment) linguistiques entre monde arabe et latin dans la Méditerranée à partir du XIIIe siècle, voir Benoît GRÉVIN (dir.), Maghreb-Italie. Des passeurs medievaux a l’orientalisme moderne, Rome, École française de Rome, 2010, et Id., Le parchemin des cieux…, op. cit.

17- Pour un exemple caractéristique de ce courant d’analyse (largement littéraire) qui valorise de manière expérimentale l’arabité de la culture européenne, au prix de diverses torsions herméneutiques, en empruntant le discours de déconstruction de la science européenne sur l’islam aux postcolonial studies et en l’appliquant à l’histoire textuelle du Moyen Âge, voir Kinoshita, Sharon, Medieval Boundaries: Rethinking Difference in Old French Literature, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2006.CrossRefGoogle Scholar

18- Lusignan, Serge, Essai d’histoire sociolinguistique. Le français picard au Moyen Âge, Paris, Classiques Garnier, 2012.Google Scholar

19- Khan, Geoffrey, « Judaeo-Arabic », in Versteegh, K. (dir.), Encyclopedia of Arabic Language and Linguistics, 5 vol., Leyde, Brill, 2006, vol. 2, p. 526536 Google Scholar ; Benoît Grévin, «Le judéo-arabe : un concept sociolinguistique et ses limites textuelles », à paraître dans La fabrique de l’ethnie dans l’Islam médiéval.

20- Pour des raisons disciplinaires, études linguistiques et sous-champs « philologiques » et « littéraires » sont sans doute plus étroitement liés dans les études islamiques, particulièrement arabes médiévales et modernes, que dans leurs pendants de l’Occident latin.

21- Guo, Li, The Performing Arts in Medieval Islam: Shadow Play and Popular Poetry in Ibn Daniyal's Mamluk Cairo, Leyde, Brill, 2012 CrossRefGoogle Scholar ; Id., Commerce, Culture, and Community in a Red Sea Port in the Thirteenth Century: The Arabic Documents from Quseir, Leyde, Brill, 2004.

22- Auroux, Sylvain, La revolution technologique de la dramatisation. Introduction a l’histoire des sciences du langage, Liège, Mardaga, 1994.Google Scholar

23- Illustré dans Vallet, Éric, « La grammaire du monde. Langues et pouvoir en Arabie occidentale à l’âge mongol », Annales HSS, 70-3, 2015, p. 637664.CrossRefGoogle Scholar

24- Ermers, Robert, Arabic Grammars of Turkic: The Arabic Linguistic Model Applied to Foreign Languages and Translation of ‘Abū HaayyĀn al-‘Andalus+'s KitĀb al-idrĀk li-lisĀn al-‘AtrĀk, Leyde, Brill, 1999.CrossRefGoogle Scholar

25- Voir à ce sujet B. Grévin, Le parchemin des cieux…, op. cit.

26- Voir les éléments sur les référents arabo-islamiques de la pensée malaise des XVIe-XVIIe siècles dans Bertrand, Romain, L’histoire a parts egales. Recits d’une rencontre Orient- Occident, XVIe-XVIIe siecle, Paris, Éd. du Seuil, 2011.Google Scholar

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28- Buresi, Pascal et Aallaoui, Hicham El, Gouverner l’empire. La nomination des fonctionnaires provinciaux dans l’empire almohade, Maghreb, 1224-1269 : manuscrit 4752 de la Hø asaniyya de Rabat contenant 77 taqdīm-s, Madrid, Casa de Velázquez, 2013 Google Scholar ; Id., Governing the Empire: Provincial Administration in the Almohad Caliphate (1224-1269): Critical Edition, Translation, and Study of Manuscript 4752 of the Hasaniyya Library in Rabat containing 77 taqadim, Leyde, Brill, 2013.

29- Ce terme, peu adéquat pour l’histoire islamique, est utilisé uniquement par commodité comparatiste.

30- Voir notamment le programme ERC dirigé par Pascal Buresi de 2010 à 2015 : « Imperial Government and Authority in Medieval Western Islam ».

31- Gubert, Serge, « Pouvoir, sacré et pensée mystique. Les écritures emblématiques mérinides (VIIe/XIIIe-IXe/XVe siècles) », Al-Qantøara. Revista de estudios arabes, 17-2, 1996, p. 391428 Google Scholar ; Id., «Graver, exposer, déclamer : la légitimité recomposée des supports discursifs du politique à l’époque mérinide (XIIIe-XVe siècle) », in N. Martínez De Castilla (dir.), Documentos y manuscritos arabes del Occidente musulman medieval, Madrid, Consejo superior de investigaciones científicas, 2010, p. 141-188.

32- Sur les usages littéraro-politiques d’un arabe égyptien médian dans l’Égypte mamelouke, voir L. Guo, The Performing Arts in Medieval Islam…, op. cit., et, pour la diplomatique égyptienne, Bauden, Frédéric, « Mamluk Era Documentary Studies: The State of the Art », Mamlūk Studies Review, 9-1, 2005, p. 1560.Google Scholar

33- Voir par exemple Foulon, Brigitte et Mesnil, Emmanuelle Tixier Du (dir.), Al-Andalus. Anthologie, Paris, Flammarion, 2009 Google Scholar, ou, pour l’Orient mamelouk, Bauer, Thomas, « Mamluk Literature: Misunderstandings and New Approches », MamlŪk Studies Review, 9-2, 2005, p. 6385.Google Scholar

34- Voir les travaux pionniers de Gabriel Martinez-Gros sur la langue du pouvoir chez les Omeyyades de Cordoue et à l’époque des Taïfas, notamment L’ideologie omeyyade. La construction de la legitimite du califat de Cordoue, Xe-XIe siecles, Madrid, Casa de Velázquez, 1992, et Id., Le collier de la colombe. De l’amour et des amants, Arles, Actes Sud, 2009.

35- Sur les phénomènes de « textualisation » et de « popularisation » de l’écrit en Égypte et en Syrie à partir du XIIe siècle, voir Hirschler, Konrad, The Written Word in the Medieval Arabic Lands: A Social and Cultural History of Reading Practices, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2012.Google Scholar

36- Pour l’influence lexicale de l’arabe sur la formation de la langue persane dans une approche statistique, voir Lazard, Gilbert, La formation de la langue persane, Paris, Institut d’études iraniennes, 1995 Google Scholar. Pour de nouveaux éléments sur la conceptualisation du multilinguisme par les penseurs de l’islam médiéval, voir en particulier R. Ermers, Arabic Grammars of Turkic…, op. cit. Pour une approche en termes d’histoire culturelle, voir Pfeiffer, Judith (dir.), Politics, Patronage and the Transmission of Knowledge in 13th-15th Century Tabriz, Leyde, Brill, 2014 CrossRefGoogle Scholar, et plus largement les publications issues du projet européen qu’elle dirige (IMPACT, « From Late Medieval to Early Modern: 13th to 16th Century Islamic Intellectual History »).

37- Pour une relecture innovatrice des cultures politiques almohades, voir Ghouirgate, Mehdi, L’ordre almohade (1120-1269). Une nouvelle lecture anthropologique, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2014.CrossRefGoogle Scholar

38- Dakhlia, Jocelyne, Lingua Franca. Histoire d’une langue métisse en Méditerranee, Arles, Actes Sud, 2008.Google Scholar

39- Horden, Peregrine et Purcell, Nicholas, The Corrupting Sea: A Study of Mediterranean History, Oxford, Blackwell, 2000.Google Scholar

40- Sur l’arabe dans l’Occident latin médiéval, sous l’angle des études et traductions du Coran, voir Burman, Thomas E., Reading the Qur’Ān in Latin Christendom, 1140-1560, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2007.CrossRefGoogle Scholar

41- Wiegers, Gerard, Islamic Literature in Spanish and Aljamiado: Yça of Segovia (fl. 1450), His Antecedents and Successors, Leyde, Brill, 1994.Google Scholar

42- Pour l’utilisation de l’arabe comme langue de la gestion politique et administrative dans la Sicile normande, voir Nef, Annliese, Conquérir et gouverner la Sicile islamique aux XIe et XIIe siècles, Rome, École française de Rome, 2011.CrossRefGoogle Scholar

43- On mentionne comme facteur principal du réveil des études sur l’arabe dans l’Italie renaissante, parmi les travaux d’Angelo Piemontese, Michele, « Il Corano latino di Ficino e i corani arabi di Pico e Monchates », Rinascimento, 36, 1996, p. 227273.Google Scholar

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45- Golden, Peter B. (éd.), The King's Dictionary: The Rasklid Hexaglot: Fourteenth Century Vocabularies in Arabic, Persian, Turkic, Greek, Armenian and Mongol, Leyde, Brill, 2000 Google Scholar, à compléter par les nouveaux éléments donnés par É. Vallet dans ce dossier et par ses travaux à paraître sur le sujet.

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