Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
À la cour des Abbassides, « amour » devint le nom d'un jeu social. Cet article cherche à reconstruire les donnes particulières de ce modèle culturel, en termes de statut, de structures et de fonctions à l'intérieur de la société de cour. Il est vraisemblable que l'amour chez les Abbassides s'éloignait nettement des traditions héritées. C'était l'élément moteur pour acquérir l'adab, le raffinement culturel. Dans le « vocabulaire des motifs » abbasside, être amoureux donnait aux courtisans un motif acceptable pour acquérir l'adab. Cependant, une culture raffinée était aussi un ajout politique. En comparant cet amour avec les modèles du nord de l'Europe, présentes dans le Roman de la Rose au XIIIe siècle, l'article suggère que, dans les deux cas, l'émergence d'un code de l'amour courtois était liée à des structures de pouvoir spécifiques. Par le respect d'un code commun, l'adab donnait aux élites une cohésion sociale. Dans le cas des Abbassides, on a pu dire que l'affinité culturelle remplaçait la parenté, par sa capacité à lier entre eux les membres de l'élite. Par ailleurs, le jeu de l'amour exigeait de suspendre les hiérarchies de pouvoir entre les participants. Ce qui impliquait d'accorder aux femmes — dans le cas des Abbassides, des femmes esclaves — une possibilité d'action reconnue. En conclusion, l'article suggère que l'enjeu dépassait la codification d'une compétence culturelle. En participant au jeu de l'amour contrôlé et formalisé, les courtisans pouvaient acquérir d'autres éléments de la culture de cour, moins visibles mais non moins importants : les stratégies appropriées pour agir efficacement à la cour. L'amour servait ainsi à cultiver une compétence sociale spécifique.
In the Abbasid court, “love” became the name of the game. The paper seeks to reconstruct the particular features of this cultural model in tenus of its status, structure and functions within court society. It is argued that Abbasid love departed significantly from received traditions. It was configured as the motive force for acquiring adab, cultural refinement. In the Abbasid “vocabulary of motives”, being in love provided courtiers with an acceptable motive for acquiring adab. Refined culture, however, was a political asset. Through comparison with North European models of love articulated in the 13th-century Roman de la Rose, the paper argues that in both cases, the rise ofthe courtly code of love was related to specifie structures of power. Adab provided the elite with social cohesion through adherence to a common code. In the Abbasid case, one claimed that cultural affinity replaced lineage as binding together members of the elite. On the other hand, the game of live required suspending power differentials between the participants. This entailed endowing women — in the Abbasid case, women slaves — with recognized agency. Finally, the paper argues that more than codified cultural competence was at stake, Through participating in the controlled and formalized game of love, courtiers could acquire the less visible, but not less important, constituents of court culture — the special strategies for acting effectively in court. Love thus served to cultivate specifie social competence.
Nous voudrions remercier ici les participants de l'atelier « Élites du monde de l'Islam classique el médiéval », qui s'est déroulé à l'université de Tel-Aviv en décembre 1998, pour leurs remarques sur une première version de la présente étude ; notre gratitude va en particulier à Zvi Razi et Stephen D. White pour leurs précieuses suggestions. L'étude présente les premiers résultats de notre projet de recherche collectif, qui, soutenu par la Israël Science Foundation, a été conçu dans le cadre de nos activités à la Culture Research Unit de l'université de Tel- Aviv et doit beaucoup à l'armature théorique qui sous-tend le travail de celle-ci.
1. Sur ce concept, on se reportera à Itamar Even-Zohar, « Culture Planning and the Market », Studies in Polysystems of Culture (à paraître) ; grâce à Jonas Frykman et Orvar Lôfgren, nous disposions d'une étude de cas extrêmement stimulante : Culture-Builders: A Historical Anthropology of Middle-Class Life, trad. angl. Alan Crozier, New Brunswick, Rutgers University Press, 1987.
2. Sur les questions administratives, voir Morony, Michael, Iraq After the Muslim Conquest. Princeton, Princeton University Press, 1984, pp. 70–86 Google Scholar ; sur le contexte politique, se reporter à Kennedy, Hugh, The Early Abbasid Caliphate: A Political History, Londres, Croom Helm. 1981, pp. 73–134 Google Scholar ; l'ouvrage de Dominique Sourdel, Le vizirat abbasside, Damas, Institut français de Damas, 1959-1960, est ici particulièrement utile.
3. Voir Sourdel, Dominique, « Question de cérémonial abbasside », Revue des études islamiques, 28-1, 1960, pp. 121–148 Google Scholar ; pour le cas byzantin, Laniado, Avshalom, « Un fragment peu connu de Pierre Patrice », Byzantinische Zeitschrift, 90-2, 1997, pp. 405–412.CrossRefGoogle Scholar Nous aimerions remercier le Dr Laniado de nous avoir aidés de sa connaissance de la cour byzantine.
4. Au moment de procéder à la reconstruction historique des significations du mot « amour ». il nous faut dire que nous ne savons pas ce que les Abbassides avaient présent à l'esprit lorsqu'ils utilisaient ce terme ; de même, leur modèle d'amour était sans aucun doute différent de ce que tout lecteur moderne pourrait lui associer. Si les guillemets ne pouvaient encadrer chaque occurrence, que le lecteur n'ait garde d'oublier cet avertissement.
5. Cf. Bell, Joseph Norment, Love Theory in Later Hanbalite Islam, Albany, State University of New York Press, 1979 Google Scholar ; Giffen, Lois A., Theory of Profane Love Among the Arabs: The Development of the Genre, New York, New York University Press, 1971 Google Scholar ; id., « Love Poetry and Love Theory in Médiéval Arabie Littérature », in Gustav E. von Grunebaum (éd.). Arabie Literature: Theory and Developpment, Wiesbaden, Harrassowitz, 1972 ; Gustav E. von Grunebaum, « Avicenna's Risâla fî ‘l-lshq und Hôfische Liebe », in Kritik und Dichtkunst : Studien zur arabischen Literaturgeschichte, Wiesbaden, Harrassowitz, 1955, pp. 70-77 ; Rosenthal, Franz, « From Arabie Books and Manuscripts Viii: as-Sarakhsî on Love », Journal of the American Oriental Society, 81, 1961, pp. 222–224 CrossRefGoogle Scholar ; David, Semah, « Rawdat al-Qulûb by al-Shayzarî, A Twelfth-Century Book on Love », Arabica, 24, 1977, pp. 187–206.Google Scholar
6. Sur le calife al-Mahdî, voir Ibrahim b. ‘Alî AL-Husrî, al-Masûn fi sirr al-hawâ al-naknûn, éd. ‘Abd al-Wâhid Sha'lân, Le Caire, 1989, p. 45. Sur Hârûn al-Rashîd, se référer à ‘Alî b. Muhammad Abu al-Hasan AL-shâBushtî, Kitâb al-diyârât, éd. G. ‘Awwâd, Beyrouth, 1986, pp. 226-227 ; ‘Alî b. al-Husayn abû AL-Faraj AL-Isbahânî, Kitâb al-aghâni, éd. ‘Abd Allah 'Alt Muhannâ et Samîr Jâbir, Beyrouth, 1992, vol. 5, pp. 240-242 ; ‘Abd al-Rahmân b. ‘Alî IBN AL-Jawzî, Dhamm al-hawâ, éd. Ahmad ‘Abd al-Salâm ‘atâ, Beyrouth, 1987, pp. 264- 265, 267-268 ; Mahmûd b. ‘Umar Abû AL-Qâsim AL-Zamakhsharî, RabV al-abrâr wanusûs al-akhbâr, éd. Salîm AL-Nu'aymî, Bagdad, s. d., vol. 3, pp. 202-203 ; al-Hâfiz Mughultây, al- Wâdih al-mubîn fî dhikr man ‘stashhada min al-muhibbîn, Beyrouth, 1997, p. 58 ; Kitâb al-Aghânî, vol. 5, op. cit., pp. 240-242 ; vol. 18, pp. 369-370 ; vol. 22, pp. 50, 54. Sur le calife al-Ma'mûn, voir Ahmad b. Muhammad IBN ‘Abd Rabbihi, Kitâb al-'iqd al-farid, éds Ahmad AMÎN, Ahmad AL-ZAY et Ibrâhîm AL-Ibyâr, Le Caire, 1965, vol. 6, p. 457 ; ‘Alî b. al-Husayn Abû al-Hasan AL-mas'ûdî, Murûj al-dhahab wa-ma'âdin al-jawhar, éd. Muhammad Muhiyy al-Dîn ‘abd AL-hamîD, Le Caire, 1965, vol. 4, p. 5 ; Muhammad b. Ahmad Abû al- Tayyib AL-Washshâ, Al-Zarf wa'l-zurafâ’ (al-Muwashshâ’), éd. ‘Abd al-Amîr ‘Alî Muhannâ, Beyrouth, 1990, pp. 95-96 ; RabV al-abrâr…, op. cit., vol. 3, p. 25. Sur le calife al-Mutawwakkil, on peut lire Dhamm al-hawâ…, op. cit., pp. 268-269 ; RabV al-abrâr…, op. cit., vol. 3, p. 25 ; quant à ‘Abd Allah ibn al-Mu'tazz, voir al-Masûn…, op. cit., pp. 43-44. Sur les courtisans impliqués dans des discussions sur l'amour et des liaisons amoureuses, voir par exemple Murûj…, op. cit., vol. 3, pp. 379-385 ; al-Wâdih al-mubîn…, op. cit., pp. 46. 85 ; Yâqût b. ‘Abd Allah AL-Hamawî, Mu'jam al-udaba aw irshâd al-arîb ilâ ma'rifat aladîb, Beyrouth, 1991, vol. 4, pp. 180-181 ; Kitab al-Aghânî…, op. cit., vol. 8, p. 384 ; Abu Hayyân AL-Tawhîdî, al-Basâ'ir wa'l-dhakhâ'ir, éd. Widâd AL-Qâdi, Beyrouth, Dâr Sâdir, 1988, vol. 2, p. 28 ; cf. Bencheikh, Jammal E., « Les secrétaires poètes et animateurs de cénacles aux if et me siècles de l'Hégire », Journal asiatique, 263, 1975, pp. 236–315 Google Scholar, et en particulier pp. 291 et 309.
7. Littéralement : du vin de datte (nabîdh). L'expression signifie que al-Rashîd avait perdu le contrôle de lui-même et dévoilé ses sentiments. Dans al-'Iqd al-farîd…, op. cit. (voir cidessous note 9), on lit « Jamais je ne vis al-Rashîd découvrir ses sentiments si ce n'est une fois », après qu'al-Rashîd eut reçu un poème de la jâriya ‘Anân, qui l'accablait de reproches sur la manière dont il l'avait traitée durant leur relation amoureuse.
8. Sur Abu Hafs al-Shatranjî, le poète de ‘Ulayya, fille du calife al-Mahdi et compagne de plaisir de plusieurs des fils d'al-Rashîd, voir Kitâb al-Aghânî, op. cit., vol. 22, pp. 48-57.
9. Hârûn al-Rashîd fait par là remarquer qu'il est capable de compléter les deux vers précédents et d'ajouter un troisième de mètre et de rime identique, de manière à obtenir un poème tout entier.
10. Kitâb al-Aghânî, op. cit., vol. 23, pp. 97-98 ; ‘Alî b. al-Husayn Abu AL-Faraj Alisbahânî, al-Imâ’ al-shawâ'ir, éd. Nûri HammudÎ AL-Qaysî et Yûnus Ahmad AL-SâMirrâî. Beyrouth, 1984, pp. 42-43 ; ‘Alî al-Azdî IBN Zâfir, Badâ'V al-badâ'ih, éd. Abu al-Fâdi Ibrahim, Beyrouth, 1992, pp. 219-220. Pour une version plus longue, voir Kitâb al-'Iqd alfarîd, op. cit., vol. 6, p. 58.
11. On connaît peu de récits qui relatent l'amour d'un calife omeyyade, à l'exception notable de Yazîd ibn ‘Abd al-Malik (qui régna entre 720 et 724), dont est mentionné l'amour pour Yàjâriya Habbâba. On raconte que sa passion pour elle était telle que, lorsqu'elle mourut après avoir, par mégarde, avalé un grain de grenade, il refusa de l'inhumer et garda son corps auprès de lui aussi longtemps qu'il le put (Muhammad b. Yazîd Abu al-'Abbâs AL-Mubarrad, al-Kâmil fi al-lugha wa'l-adab, Beyrouth, s. d., vol. 1, pp. 389-390; Ja'far IBN AL-SarrÂJ, Masârï al-'ushshâq, Beyrouth, s. d., vol. 1, pp. 119-120). Il ne lui survécut guère et, lorsqu'il mourut de chagrin, on l'enterra aux côtés de sa bien-aimée (Kitâb al-Aghânî, op. cit., vol. 15, p. 142). Même si certains traits de l'histoire ne sont pas sans similitudes avec le modèle abbasside, la relation amoureuse, telle qu'elle est décrite dans Kitâb al-Aghânî (vol. 15, pp. 119-142), s'inscrit nettement dans le code d'amour omeyyade.
12. On se reportera par exemple aux deux vers attribués au calife al-Mahdî : «N'est-ce point assez à tes yeux que de me tenir en ton pouvoir — quand tous les autres sont mes esclaves ? Coupe-moi bras et jambe, et plein d'amour je dirais encore : tu fais bien, poursuis, je t'en prie», al-Masûn…, op. cit., p. 45 ; voir aussi MasârV al-'ushshâq…, op. cit., vol. 2, p. 207 ; al-Wâdih al-mubîn…, op. cit., pp. 72-73.
13. Al-Zarf wa'l-zurafâ'…, op. cit., pp. 93-98. Pour une étude globale du mal d'amour, voir Wack, Mary F., Lovesickness in the Middle Ages: The Viaticum and Its Commentaries, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1990.CrossRefGoogle Scholar
14. Muhammad b. Abî Bakr IBN Qayyim AL-Jawziyyia, Rawdat al-muhibbîn wa nuzhat almushtâqîn, Beyrouth, s. d., p. 175. Al-Zarf wa'l-zurafâ'…, op. cit., p. 92, donne une version plus brève qui commence par « On dit à un homme de Basra […] ». al-Wâdih al-mubîn…, op. cit., p. 63 porte « un des lettrés » au lieu d'« un des dignitaires ». On abordera plus loin (n. 59) les traditions apparentées.
15. Cf. Al-Zarfwa'l-zurafâ'…, op. cit., pp. 90-91 ; Anwar G. Chejne, « The Boon Companion in Early Abbasid Times », Journal of the American Oriental Society, 85, 1965, pp. 327-335 ; Ghazi, Mohammed F., « Un groupe social : les raffinés (zurafâ’) », Studia Islamica, 9, 1957, pp. 39–71.Google Scholar
16. Lorsque nous rapportons le point de vue exprimé dans nos sources, nous employons souvent le mot « culture » comme un terme descriptif renvoyant à l'ensemble circonscrit des répertoires de prestige qui définissent l'homme de culture, l'homme de l'adab. Dans les autres cas, en revanche, nous donnons à ce terme un sens large, avec la valeur d'un concept analytique renvoyant au système hétérogène de répertoires, à la fois implicites et explicites, qui sont potentiellement disponibles dans la société considérée.
17. H. Kennedy, The Early Abbasid…, op. cit., pp. 137-138.
18. C'est-à-dire « l'Homme aux deux commandements », titre officiel de al-Fadl ibn Sahl : il était à la fois amîr et wazîr, responsable de l'administration civile et militaire des zones orientales du califat.
19. « Wafîkum ahdâth walakum ni'am ». AL-Sarrâj (p. 22) donne la version : « walakum jiddât wani'am » ; et AL-Ibshîhî : « walakum hudâ’ wanaghm » (Muhammad b. Ahmad Abu al-Fath AL-Ibshîhî, al-Mustatraf min kull fann mustazraf, Beyrouth, s. d., vol. 2, p. 160.
20. Cf. al-Wâdih al-mubîn…, op. cit., pp. 60-61 : « Wahuwa ‘lladhî khatta ‘alayhi dhû '1-riyâsatayn fî qawlihi li'ashâbihi : i'shaqû walâ ta'shaqu harâman, fa'inna ‘ishqa ‘1-halâl yutliqu ‘1-lisâna ‘l-'ayiyya wayadfa'u ‘1-taballuda wayushkî kaffa ‘1-bakhîli wayab'athu ‘alâ '1-nazâfa wayad'û ilâ ‘1-dhakâ'. » Comparer aussi avec Dhamm al-hawâ…, op. cit., p. 231.
21. AL-Husrî (m. 1022), al-Mâsun…, op. cit., pp. 47-48 (nous avons découpé le texte en unités numérotées pour faciliter les références). Voir aussi Ibrahim b. Muhammad AL-Bayhaqi (début du Xe siècle), al-Mahâsin, wa'l-masâwi', Beyrouth, Dâr-Sâdir, 1970, pp. 171-173 ; Mu'âfâ b. Zakariyya Abu AL-Faraj AL-NahrâWânî (m. 999), al-Jâlis al-kâfi wa'l-anîs al-nâsih al-shâfî, éd. Muhammad Mursî AL-Khûlî, Beyrouth, 1981, vol. 2, pp. 15-17 ; AL-Sarra.I (m. vers 1106), Masâri’ al-'ushshâq…, op. cit, vol. 2, pp. 21-23 ; ‘Abd al-Rahmân b. ‘Alî IBN AL-Jawzî (m. 1201), Dhamm al-hawâ…, op. cit., pp. 241-243. Pour une version abrégée, voir Abu Hayyân AL-TawhÎDÎ (m. 1023), al-Basâ'ir wal-dhakhâ'ir…, op. cit., vol. 2, p. 132 (n° 91). Pour une version plus courte, attribuant les mêmes qualités au lettré, voir Muhammad b. Abî Bakr IBN Qayyim AL-Jawziyya (m. 1350), Rawdat al-muhibbîn…, op. cit., p. 177 ; al-Hâfiz MughultâY (m. 1361), al-Wâdih al-mûbin…, op. cit., p. 65 ; Ahmad b. Hajala IBN Abî Hajala (m. 1375), Dîwân al-sabâba, Beyrouth, 1984, p. 27.
22. Al-Zarf wa'l-zurafâ'…, op. cit., p. 107, sur Majnûn Layla ; Masâri’ al-'ushshâq…, op. cit., vol. 2, pp. 91, 101-102, 104-106. Tomber amoureux d'une chanteuse apparaît dangereux pour Yazîd b. Mu'âwiya, qui tenta de dissimuler le fait à son père : ‘Alî b. al-Hasan abû al- Qâsim IBN ‘Asâkir, Ta'rîkh madînat Dimashq, tarâjim al-nisâ', éd. Sukayna AL-Shahâbî, Damas, 1982, p. 257.
23. Cf. Abû ‘Alî al-Hasan IBN Rashîq AL-Qayrawânî, al-'Umda fi mahâsin al-shi'r waâdâbihi wa-naqdihi, éd. Muhiyy al-Dîn ‘ABD AL-Hamîd, Beyrouth, 1972, vol. 1, pp. 28, 29, 35 ; Qudâma b. Ja'far Abû AL-Faraj, Kitâb naqd al-nathr, Beyrouth, 1980, p. 81 ; Kitâb al- 'iqd al-farîd…, op. cit., vol. 5, p. 274 ; Ahmad b. Yahyâ Abû al-'Abbâs Tha'lab, Majâlis tha'lab, éd. ‘Abd al-Salâm Muhammad Hârûn, Le Caire, 1987, vol. 1, p. 66 ; ‘Abd al-Karîm b. Ibrâhîm Abû Muhammad AL-Nahshalî, Ikhtiyâr al-mumti’ fi ‘ilm al-shi'r wa'amalihi, éd. Mahmûd Shâkir AL-Qatân, Le Caire, 1984, vol. 1, pp. 91-92 et 93.
24. Cf. la manière dont Ibn Qayyim al-Jawziyya aborde l'amour jâhilî (wakânû yasûnûna 'l-'ishqa ‘ani ‘l-jimâ’) : Rawdat al-muhibbîn…, op. cit., pp. 85-88.
25. « Ce que l'on appelle nasîb […] est invariablement dédié à la mémoire de l'amour perdu, et jamais impliqué dans une relation amoureuse en cours » (Use Lichtenstadter, Introduction to Classical Arabie Literature, New York, Schoken Books, 1976, p. 23). Sur le nasîb (prélude amoureux à la Qasîda) voir Abdulla EL Tayib, « Pre-Islamic Poetry », in A. F. L. Beeston et alii (éds), Arabie Literature to the End ofthe Umayyad Period, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, pp. 43-52.
26. Afin de rendre les parallèles et les contrastes perceptibles, il nous faudra négliger des différences régionales et des évolutions historiques pourtant incontestables. Nous sommes particulièrement redevables à l'étude de C. Stephen Jaeger, The Origins of Courtliness: Civilizing Trends and the Formation of Courtly Ideals (939-1210), Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1985. Voir aussi du même auteur, « Courtliness as Social Change », in T. N. BlSson (éd.), Cultures of Power: Lordship, Status, and Process in Twelfth-Century Europe, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1995, pp. 287-309. Sur les cultures de cour, voir Joachim Bumke, Courtly Culture, Berkeley, University of California Press, [1986] 1991 ; Aldo Scaglione, Knights at Court: Courtliness, Chivalry and Courtesy from Ottonian Germany to the Italian Renaissance, Berkeley, University of California Press, 1991.
27. Nous n'aborderons pas ici la question fort controversée du rôle qu'ont pu jouer dans la formation de la culture de cour de possibles contacts entre al-Andalus et ses voisins du Nord. De telles controverses tendent à présupposer une conception contestable de l'« amour courtois » et à accorder une attention excessive à un nombre restreint de traités sur l'amour (tel le Tawq al-Hamâma, d'Ibn Hazm). Cela ne les empêche pas de mettre en évidence, à l'occasion, des parallèles importants. Il faut sans doute souligner que plusieurs spécialistes d'histoire européenne ont déclaré impossible de trouver trace du « pouvoir ennoblissant de l'amour » chez Ibn Hazm (Alfred Jeanroy, La poésie lyrique des troubadours, Toulouse- Paris, Privât, 1934, vol. 2, pp. 366-367), certains considérant même que cette notion était inconnue en Orient (Léo Pollmann, Die Liebe in der hochmittelalterlichen Literatur Frankreichs : Versuch einer historischen Phânomenologie, Francfort-sur-le-Main, Klostermann, 1966, p. 215).
28. Guillaume DE Lorris et Jean DE Meun, Le Roman de la Rose, Félix Lecoy (éd.), Paris, Champion, « Classiques français du Moyen Âge » n° 92, 95, 98, 1965-1970, vol. 1, vers 2055- 2212. On se reportera à Karl August OTT, Der Rosenroman [Ertrâge des Forschung, 145], Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellshaft, 1980 ; Batany, Jean, Approches du « Roman de la Rose » : ensemble de l'oeuvre et vers 8227 à 12456, Paris, Bordas, 1973.Google Scholar Nous soulignerons parfois certains parallèles contemporains avec les comandemenz du Dieu amour, mais sans tenter de nous référer à ses sources directes.
29. Jauss, Hans Robert, « Die Minneallegorie als esoterische Form einer neuen Ars amandi », in ï. Bayer (éd.), La Littérature didactique, allégorique et satirique [Grundriss der Romanischen Literaturen des Mittelalters, vol. 6-1], Heidelberg, Cari Winter, 1968, pp. 224–244 Google Scholar, ici pp. 229, 233.
30. Les travaux touchant l'« amour courtois » ont reconnu ce fait depuis longtemps. Mais l'expression ordinairement utilisée pour en rendre compte, à savoir « le pouvoir ennoblissant de l'amour », semble réduire la distance analytique nécessaire à l'étude du phénomène et suggère une conception normative de la culture de cour. A cette conception nous en préférons une autre, considérée comme un répertoire souple des actes, un outil au service des stratégies sociales. Dans cette perspective, on ne privilégie pas a priori des modèles codifiés qui auraient un statut de normatif, et on ne suppose pas que la maîtrise des codes équivaut à se conformer aux normes : nombre de modèles pratiqués par les courtisans, loin d'être simplement des règles qui interdisent ou prescrivent certaines expressions, relèvent aussi de stratégies permettant de « faire des choses avec des mots » à la cour, maîtrise de l'euphémisme, du double sens, etc. Voir C. S. Jaeger, Origins of Courtliness…, op. cit., pp. 156, 161-168, pour des exemples fort éclairants.
31. Voir Jacques LE Goff, « Les paysans et le monde rural dans la littérature du haut Moyen Age ( Ve-VIe siècle) », in Agricoltura e mondo rurale in Occidente nell'Alto Medioevo (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull'alto medioevo, 13), Spolète, Centro Studi Alto Medioevo, 1966, pp. 723-741, repris dans Pour un autre Moyen Age : temps, travail et culture en Occident: 18 essais, Paris, Gallimard, 1977, pp. 131-144; Chaurand, Jacques, « Latin médiéval et contexte social : le campagnard et l'homme de cour d'après un recueil de distinctions du xive siècle », in La lexicographie du latin médiéval et les rapports avec les recherches actuelles sur la civilisation du Moyen Age, Paris, Éditions du Cnrs, 1981, pp. 59–75.Google Scholar
32. Voir Ulrich Môlk, « Curia und Curialitas. Wort und Bedeutung im Spiegel der romanischen Dichtung : Zu fr. cortois(ie)/pt. cortes(ia) im 12 Jahrhundert », in J., Fleckenstein (éd.), Curialitas : Studien zu Grundfragen der hôfisch-ritterlichen Kultur, Gôttingen, Vandenhoeck Google Scholar & Ruprecht, « Verôffentlichungen des Mpig, 100 », 1990, pp. 27-38, en particulier pp. 30-31 ; Horst Wenzel, « Zur Deutung der hôfischen Minnesangs : Anregungen und Grenzen des Zivilisationtheorie von Norbert Elias », in Rehberg, K.-S. (éd.), Norbert Elias und die Menschenwissenschaften : Studien zur Enstehung und Wirkungsgeschichte, Francfort-sur-le- Main, Suhrkamp, 1996, pp. 213–239 Google Scholar, en particulier pp. 219-220.
33. Une seule fois, le texte semble faire référence à un public extérieur à la cour, des « vilains » sidérés par les souliers merveilleusement seyants du courtisan, mais le terme de « vilains » pourrait bien renvoyer même dans ce cas à un manque de compétence culturelle plutôt qu'à une catégorie sociale définie : « Solers a laz et estivaus / aies sovent frais et noviaus, / et gart qu'i soient si chauçant / que cil vilain aillent tençant / en quel guise tu te chauças / et quel part tu i entras » (Le Roman de la Rose, op. cit., vers 2137-2142) : Aies des souliers à lacets et des souliers légers d'été et change-les souvent, et veille à ce qu'ils t'aillent parfaitement pour éviter que les vilains n'aillent te le reprocher, en te demandant de quelle manière tu t'es chaussé, et de quel côté tu es entré). Le vers 2203 contient un usage identique du terme : « vilain entule et sot » (vilain stupide et sot). Les traductions en français moderne sont empruntées à l'édition-traduction d'Armand Strubel, Le Roman de la Rose, Paris, Hachette/Le Livre de Poche, 1992. Fondée sur des manuscrits différents de l'édition Lecoy, utilisée par les auteurs, nous avons parfois modifié la traduction (N.D.T.).
34. « Ne souffre sur toi aucune malpropreté : lave-toi les mains, cure-toi les dents ; si dans tes ongles apparaît un peu de noir, ne l'y laisse pas subsister. Couds tes manches et peigne tes cheveux, mais ne mets pas de fard et de maquillage » ﹛Le Roman de la Rose, op. cit., vers 2153-2158). L'usage de produits de beauté ou de maquillage rapprocherait l'homme des « dames […] de mauvais renom ». Sur cette prescription, voir Marcia Colish, « Cosmetic Theology: The Transformation of a Stoic Thème », Assays: Critical Approaches to Médiéval and Renaissance Texts, 1, 1981, pp. 3-14.
35. « Il en va ainsi : les amants selon l'heure vont de la joie au tourment ; les amants sentent le mal d'aimer, une fois doux, une fois amer. Le mal d'amour est plein de courage : une fois l'amant est tout à ses jeux, une autre il est au désespoir et se lamente, une fois il pleure, une fois il chante » ﹛Le Roman de la Rose, op. cit., vers 2169-2176).
36. « Cela va très bien à un jeune homme de savoir jouer de la vielle et du flageolet et de savoir danser : ces dons peuvent l'avantager beaucoup » ﹛Le Roman de la Rose, op. cit., vers 2195-2198).
37. « Car celui qui a pour un regard ou pour un sourire doux et charmant donné son coeur tout entier, il lui faut bien après un si riche présent, donner ce qu'il possède sans aucune retenue » (Le Roman de la Rose, op. cit., vers 2208-2211).
38. « Ensuite en pénitence je t'ordonne que nuit et jour tu consacres tes pensées à l'amour, sans t'en repentir. Songes-y sans cesse ni relâche et souviens-toi du doux moment dont la joie te tarde tant » (Le Roman de la Rose, op. cit., vers 2221-2225).
39. « Et por ce que fins amanz soies, / viel je et cornant que tu aies en un seul leu tôt ton cuer mis, / si qu'il n'i soit mie demis, / ainz toz entiers sans tricheries / car je n'aim pas metoierie. / Qui en mains leus son cuer départ, / par tôt en a mauvesse part ; / mes de celui point ne me dout / qui en un leu met son cuer tout. / Por ce veil qu'en un leu le metes […] » (Le Roman de la Rose, op. cit., vers 2228-2237).
40. « Don tôt quite » ﹛Le Roman de la Rose, op. cit., vers 2241).
41. «Mes gardes bien que ne le prestes ; / car se tu l'avoies preste, / jou tendroie à chaitiveté. / Mes done le en don tôt quite, / si en avras greignor mérite ; / car bontez de chose prestée / est tôt rendue et aquitee / mes de chose donee en dons / doit estre grant li guerredons. / Donc le done quitement, / si le fai debonairemant, / car l'en doit chose avoir moût chiere / que est donee a bêle chiere ; / et je ne pris le don un pois / que l'en done desus son pois. » (Le Roman de la Rose, op. cit., vers 2239-2252 : « Mais prends garde de ne pas le prêter, car si tu l'avais prêté, je le tiendrais pour une conduite misérable : donne-le au contraire sans restriction et ton mérite en sera plus grand, car le bien fait par une chose prêtée est vite rendu et acquitté, tandis que pour une chose donnée, la récompense en retour doit être grande. Donne-le donc sans aucune réserve, et fais-le de bon coeur car on doit apprécier beaucoup ce qui est donné avec bonne grâce : je trouve que ce que l'on donne contre son gré ne vaut pas grand-chose. »)
42. On remarquera que les modèles chevaleresque et courtois de l'amour ne semblent pas présenter la même configuration de l'échange de dons. Comme l'a montré Christiane Marchello-Nizia (” Chevalerie et courtoisie », in G. Levi et J.-C. Schmitt (éds), Histoire des jeunes en Occident, 2 vols, Paris, Le Seuil, 1996, vol. 1, pp. 147-197, ici p. 178), on voit parfois dans le roman d'aventure chevaleresque la dame montrer sa générosité en offrant des dons au chevalier, qui doit les lui rendre sous la forme de son service et de sa loyauté. En revanche, dans le modèle courtois, c'est l'amant qui prend l'initiative du don pour tenter de gagner la faveur de sa dame. Il peut arriver que ces dons ne soient pas payés de retour, mais l'amant est averti qu'il ne doit pas les réduire à des prêts en réclamant leur contrepartie. Dans les deux cas, l'échange implique les personnes autant que les choses : tandis que le chevalier risque sa vie, l'amant courtois entre dans un mouvement d'auto-transformation, accompagnant ainsi ses dons matériels d'une prestation totale de sa personne, puisque, en obéissant aux lois de la dame, il se déclare symboliquement sien. Pour une analyse aiguë des relations féodales en termes d'échange de dons, voir Stephen D. White, « The Politics of Exchange: Gifts, Fiefs, and Feudalism », in E. Cohen et M. de Jong (éds), Médiéval Transformations: Texts, Power and Gifts in Context, Leyde, Brill (à paraître).
43. Marchello-Nizia, Christiane, « Amour courtois, société masculine et figures du pouvoir », Annales ESC, 36-6, 1981, pp. 969–982 Google Scholar ; Georges Duby, «On Courtly Love», in Duby, G., Love and Marriage in the Middle Ages, Oxford, Polity Press, 1993, pp. 56–63.Google Scholar Ces deux textes sont fondés sur l'article classique de Georges Duby, Les “jeunes” dans la société aristocratique », in Duby, G., Hommes et structures du Moyen Age, Paris-La Haye, Mouton, 1973, pp. 213–225.Google Scholar
44. Nous nous limitons bien entendu aux travaux parus : Rudiger Schnell, Causa Amoris. Liebeskonzeption und Liebesdarstellung in der mittelalterlichen Literatur, Berne, Francke, 1985, pp. 81-83, 95-97, 109-110.
45. R. Schnell ﹛Causa Amoris…, op. cit., pp. 103-109) fournit des indications fort intéressantes sur la manière dont les divers publics de l'époque pouvaient percevoir la poésie lyrique des troubadours et le Minnesang. Lecture tout aussi convaincante — voire davantage — certains poèmes font peut-être référence non point à un horizon d'attente de leurs récepteurs, mais à leurs conditions de production : l'amour représente alors l'art de la poésie, « être amoureux » fait figure de condition de possibilité de l'activité poétique, et les « faveurs » que recherche l'amant renverraient indirectement aux dons que le poète attend de son protecteur (Edward I. Condren, « The Troubadour and his Labor of Love », Médiéval Studies, 34, 1972. pp. 174-195). En tant que thème littéraire, et non pas code régissant un jeu, l'amour pouvait évidemment revêtir des significations différentes pour les clercs, les poètes professionnels et les divers publics.
46. À certains égards, l'interprétation de Georges Duby avait été anticipée par un article d'Ursula Peters, paru en 1973, où, contre la thèse d'Erich Kôhler, elle soutenait que la poésie amoureuse, loin d'exprimer nécessairement les aspirations frustrées des petits nobles, avait été mise à l'honneur par de puissants aristocrates de manière à s'attacher le service des milites (Ursula Peters, « Niederes Rittertum oder hôher Adel ? Zu Erich Kohlers historischsoziologischer Deutung des altprovenzalischen und Mittelhochdeutschen Minnelyrik », Euphorion, 67, 1973, pp. 244-260). Alors que, selon Duby, « le patronage princier encouragea délibérément l'instauration de ces liturgies séculières qu'incarnent les histoires de Lancelot et Gauvain » (p. 60), et que les dirigeants cherchèrent à assurer leur emprise sur la classe des guerriers en adoptant le « code de l'amour courtois » (p. 61), U. Peters essaie d'éviter de voir dans les textes l'expression directe de l'intérêt princier (pp. 250-251). Elle suggère aussi que, du moins dans le cas allemand, l'attrait que pouvait exercer le thème du service à la Dame aimée tenait à ses prestigieuses origines françaises et à l'inversion imaginée des relations sociales courantes (pp. 257-258).
47. Sur les différences entre une conceptualisation de la culture comme texte et une vision alternative de la culture comme ensemble des répertoires des modèles d'action, voir Gadi Algazi, « Kulturkult und die Rekonstruktion von Handlungsrepertoires », L'homme : Zeitschrift fur feministische Geschichtswissenschaft, 11-1, 2000, pp. 105-119.
48. Sur les répertoires qui se succèdent au gré des détenteurs du pouvoir, voir RabV alabrâr, op. cit., vol. 3, pp. 241-242 (à propos de l'Omeyyade al-Sha'bî) ; Ahmad b. Muhammad Abu ‘Abd Allah IBN AL-Faqîh, Kitâb al-Buldân, éd. Yûsuf AL-Hâdî, Beyrouth, 1997, p. 57 (à propos de l'Abbasside Usâma b. Ma'qil).
49. Il est significatif que al-Mas'ûdî voie dans l'amour (ishq) l'explication plausible d'événements politiques importants survenus à la cour abbasside. À l'en croire, la chute des puissants Barmakides serait imputable au sentiment de trahison qu'aurait éprouvé Hârûn al-Rashîd en apprenant la liaison interdite entre sa soeur bien-aimée ‘Abbâsa et son conseiller favori Ja'far ibn Yahyâ al-Barmakî (Murûj, vol. 3, pp. 379-389) ; voir Meisami, Julie Scott, « Mas'ûdî on Love and the Fall of the Barmakids », Journal of the Royal Asiatic Society, 2, 1989, pp. 252– 277.Google Scholar De même, selon al-Mas'ûdî, al-Ma'mûn aurait mis à mort son fidèle vizir al-Fadl ibn Sahl (ce même Dhû al-Riyâsatayn qui est censé raconter l'histoire de Bahrâm Gûr) parce que son pouvoir était si grand qu'il aurait exercé des pressions sur le calife à propos d'une jâriya que ce dernier voulait acheter. Aussi le calife le tua-t-il par ruse (Murûj…, op. cit., vol. 4, p. 5).
50. On raconte que le gouverneur de Bagdad, Muhammad ibn ‘Abd Allah ibn Tâhir avait accueilli le lettré al-Zubayr ibn Bakkâr par ces mots : « Nous sommes sans doute éloignés par la lignée, mais proches par notre culture » (Mu'jam al-udabâ'…, op. cit., vol. 3, p. 348). Muhammad ibn ‘Abd Allah ibn Tâhir appartenait à la troisième des quatre générations de la lignée des Tâhirides qui occupèrent la fonction de gouverneur de Perse et de Khûrasan, mais firent aussi carrière à Bagdad, résidence du califat abbasside. Protecteurs de lettrés et de poètes, ils avaient leur propre cour. (Voir Bosworth, Clifford Edmund, « The Tahirids and Arabie Culture », Médiéval Arabie Culture and Administration, Londres, Variorum Reprints. I, 1982, pp. 45–79.Google Scholar)
51. G. Duby, « On Courtly Love », art. cit. ; J. Bumke, Courtly Culture…, op. cit., pp. 360- 413 ; Werner Rosener, «Die hôfische Frau im Hochmittelalter », in J. Fleckenstein (éd.), Curialitas…, op. cit., pp. 171-230.
52. Cette différence est relevée par Meisami, Julie Scott, Encyclopedia of Arabie Literature, Londres-New York, Routledge, 1998, vol. 1, p. 176 Google Scholar, art. « Courtly Love » ; cf. Abdallah Cheikh-Moussa, « Figures de l'esclave chanteuse à l'époque ‘abbaside », in Bresc, H. (éd.), Figures de l'esclave au Moyen Age et dans le monde moderne, Paris, L'Harmattan, 1996, pp. 31–76 Google Scholar ; Heitty, Abdul-Kareem, « The Contrasting Sphères of Free Women and Jawâri in the Literary Life of the Early Abbaside Caliphate », Al-Masâq, 3, 1990, pp. 31–51.CrossRefGoogle Scholar
53. Voir par exemple Ahmed, Leila, Women and Gender in Islam: Historical Roots of Modem Debate, New Haven-Londres, Yale University Press, 1992, pp. 79–101 Google Scholar ; Mernissi, Fatima, The Forgotten Queens of Islam, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1993, pp. 9–67.Google Scholar
54. Norbert Elias, « Dynamics of Sport groups », in Elias, N. et Dunning, E., Quest for Excitement: Sport and Leisure in the Civilizing Process, Oxford, Blackwell, 1986, p. 193.Google Scholar
55. Al-Zarf wa'l-zurafâ', pp. 238-243-244. Grammairien et professeur, al-Washshâ fut aussi le maître d'une jâriya nommée Munya, qui appartenait à l'une des épouses du calife al- Mu'tamid. Nous ne disposons d'aucun renseignement sur ses relations avec la cour, si ce n'est que ses deux recueils manifestent une profonde connaissance du zarf et des attitudes courtoises. Voir Vadet, Jean-Claude, L'esprit courtois en Orient dans les cinq premiers siècles de l'Hégire, Paris, Maisonneuve, 1968, pp. 317–351 Google Scholar, et en particulier pp. 317-318; Stasolla, Maria G., « Raffînatezza e amor cortese nel Kitâb al-Muwashsha », Quaderni di Studi Arabi, 7, 1989, pp. 105–123 Google Scholar ; Encyclopedia of Arabie Literature, op. cit., vol. 2, pp. 807-808, art. « al-Washshâ ».
56. Si certaines sociétés de cour comptent des femmes au nombre de ces personnages puissants à qui un service était dû, il ne faut pas les confondre a priori avec ces « femmes » impliquées dans le jeu de l'amour, puisque celles-ci pouvaient être, chez les Abbassides, des esclaves instruites, ou — c'est parfois, semble-t-il, le cas dans les cours d'Europe occidentale — des figures purement littéraires, les unes et les autres permettant l'exploration et la mise en pratique des diverses options et stratégies. Il n'est nullement nécessaire que le pouvoir qui leur est prêté se confonde avec celui que détiennent certaines femmes dans d'autres circonstances de la vie de cour. Mais, d'un autre côté, à l'instar d'autres jeux de l'époque pré-moderne, celui de l'amour n'est pas séparé de la vie « réelle » par des frontières étanches, si bien que les relations amoureuses pouvaient tourner parfois à l'alliance politique et interférer avec les échanges de services et d'honneurs. Non que l'amour fût dénué de limites, mais celles-ci pouvaient faire l'objet de redéfinitions et de renégociations de la part des participants. Il est possible d'interpréter ainsi les conflits qui opposèrent Hârûn al-Rashîd et certains de ses puissants courtisans, mêlant inextricablement amour et pouvoir (voir ci-dessus la note 49), mais il faudrait y consacrer une autre étude.
57. Berlin, Staatsbibliothek, Ms. Berlin 8638.
58. Sa'îd b. Salm al-Bâhilî (m. 832), était le petit-fils de Qutayba b. Muslim, gouverneur de Khurâsân sous al-Hajjâj, et le fils de Salm, qui occupa le même poste pour le compte du calife omeyyade Hishâm b. ‘Abd al-Malik. Il fut lui-même gouverneur dans les provinces orientales du califat abbasside et un fin connaisseur de la littérature arabe, hadîth et adab (cf. al-Kâmil…, op. cit., vol. 2, p. 24 ; Ahmad b. ‘Alî Abu Bakr AL-KhatîB AL-Baghdâdî, Tâ'rîkh Baghdâd, Le Caire, Maktabat al-Khanji, 1931, vol. 9, pp. 74-75).
59. al-Masûn…, op. cit., p. 47 ; al-Wâdih al-mubîn…, op. cit., p. 63, avec des récits analogues ; Rawdat al-muhibbîn…, op. cit., p. 175 (au nom de Sa'îd b. Aslam).
60. Pour un exposé détaillé, voir Drory, Rina, « The Abbasid Construction of the Jâhilîyya: Cultural Authority in the Making », Studia Islamica, 83-1, 1996, pp. 33–49.CrossRefGoogle Scholar
61. Ce n'est bien entendu pas le cas de l'ensemble de la poésie ; sur ses usages politiques, voir en particulier Arazi, Albert, « Abu Nuwâs fut-il shu'ûbite ? », Arabica, 26, 1979, pp. 1–61.CrossRefGoogle Scholar Nous nous concentrons ici sur l'espace nouveau qui permettait l'émergence de types de poésie novateurs.
62. Voir par exemple al-'Umda…, op. cit., vol. 1, pp. 28-30.
63. al-Basâ'ir wa'1-dhakhâ'ir…, op. cit., vol. 1, p. 70 (n° 193) ; RabV al-abrâr…, op. cit., vol. 3, p. 125 ; al-Wâdih al-mubîn…, op. cit., p. 62. Sur Muhammad ibn ‘Abd Allah ibn Tâhir, voir supra, note 50.
64. Rawdat al-muhibbîn.,., op. cit., p. 329.
65. Ibid., pp. 325-326. Pour des récits similaires voir ibid., pp. 81-87, 89 ; al-Masûn…, op. cit., p. 124 ; Abu Hayyân AL-Tawhîdî, Kitab al-Imtâ’ wa'l-mu'ânasa, Beyrouth, Dâr al-Kutub al-'ilmiyya, 1997, vol. 2, pp. 55-56 ; al-Wâdih al-mubîn…, op. cit., pp. 84-88 ; Yûsuf b. ‘Abd Allah Abu ‘Umar AL-Qurtubî, Bahjat al-majâlis wa'uns al-mujâlis washahdh al-dhâhin wa'lhâjis, éd. Muhammad Mursî AL-khûlî, Beyrouth, Dâr al-Kutub al-'ilmiyya, s. d., vol. 2-1, p. 824.
66. Muhammad b. Yazîd Abu al-'Abbâs AL-Mubarrad, Kitâb al-ta'âzî wa'l-marâthî, éd. Muhammad AL-dîbâjî, Damas, 1976, pp. 73-74.
67. al-Masûn…, op. cit., pp. 150-154 ; Kitâb al-'Iqd al-farîd…, op. cit., vol. 6, pp. 382-388. Cf. Hell, Joseph, « Al-'Abbâs ibn al-Ahnaf : Der Minnesânger am Hôfe Hârûn al-Rashîd's », Islamica, 2, 1926-1927, pp. 271–307 Google Scholar ; J.-C. Vadet, L'esprit courtois…, op. cit., pp. 195-263.
68. « Wamâ ‘l-'ishqu illâ ‘iffatun wanazâhatun wa'unsu qulûbin unsuhunna ‘1-taghazzulu ».
69. Rawdat al-muhibbîn…, op. cit., pp. 87, 346-347 ; voir aussi Al-Zarf wa'l-zurafâ'…, op. cit., pp. 83, 86-87.
70. Cf. Al-Zubayr b. Bakkâr à propos d'un dévot de La Mecque qui tombe amoureux d'une jâriyya mais s'abstient de toute relation charnelle (Rawdat al-muhibbîn.., op. cit., p. 325). On trouve mainte histoire de ce genre dans AL-Sarrâj, Masâri’ al-'ushshâq…, op. cit. R. Schnell (Causa Amoris…, op. cit., pp. 47-49) a montré comment, de manière analogue, la « chasteté » était porteuse de valeurs très différentes selon que le contexte était religieux ou courtois.
71. Le Perse Bahrâm Gûr, dit la tradition, fut lui-même envoyé par son père, le roi Yazdgard, à la cour de Na'mân b. Munzir, roi de al-Hîra, pour y étudier la langue des Arabes, leurs traditions narratives (akhbâr) et leurs manières (traduction possible à'adab dans ce contexte) : RabV al-abrâr…, op. cit., vol. 3, pp. 325-326.
72. Sur les cas d'« emprunt tacite », voir Drory, Rina, « Literary Contacts and Where to Find them: On Arabie Literary Models in Médiéval Jewish Literature », Poetics Today, 14, 1993, pp. 277–302.CrossRefGoogle Scholar
73. Nous n'abordons pas ici l'amour entre hommes, et pour les jeunes garçons en particulier, largement attesté à la cour de l'époque, mais qui, à notre connaissance, n'a pas donné lieu à des représentations qui en feraient une incitation à un apprentissage culturel. Les relations entre maîtres et disciples sont peut-être plus pertinentes ; voir les remarques très éclairantes de Fernando Rodriguez Mediano, « Sur les élites religieuses dans l'Occident islamique », communication présentée au colloque Elites in the World of Classical and Médiéval Islam (Université de Tel Aviv, décembre 1998) (à paraître). Sur les relations homosexuelles entre hommes d'une même classe sociale en Europe, voir C. Marchello-Nizia, « Amour courtois… », art. cit. et Gaunt, Simon, Gender and Genre in Médiéval French Literature, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, en particulier pp. 71–121.CrossRefGoogle Scholar
74. Certains romans courtois représentent même l'amour comme un danger pour la compétence à la cour. Stephen Jaeger a proposé une reconstruction magistrale de la manière dont différents répertoires culturels d'origine très hétérogène (modèles d'urbanité et morale du service élaborés par des clercs allemands influents, modèles poétiques de l'amour d'origine provençale, et conception de la « chevalerie » originaire de la France du Nord) se sont fondues par un processus complexe fait de contacts culturels, d'emprunts réciproques et d'adaptations. Josef Fleckenstein a tenté d'identifier les situations sociales qui rendaient possible la combinaison des divers répertoires (” Miles und clericus am Kônigs- und Furstenhof. Bemerkungen zu den Voraussetzungen, zur Entstehung und zur Tràgerschaft der hôfisch-ritterlichen Kultur », in Curialitas…, op cit., pp. 302-325.
75. ‘Amr b. Bahr Abu ‘Uthmân AL-Jâhiz, Risâla fi al-qiyân, in Beeston, A. F. L. (éd. et trad.), The Epistle on Singing-Girls ofJâhiz [Approaches to Arabie Literature, 2], Warminster, Wilts & Biddles, 1980, pp. 31–32 Google Scholar (n°48 ; pp. 18-19 du texte arabe).
76. Au-delà des espaces sociaux différents, on peut envisager des distinctions selon les divers âges de la vie, qui ne sont pas forcément tous propices à l'amour abbasside. Dans les textes examinés ici, l'amour est souvent représenté comme un élément fondamental dans la socialisation des «jeunes gens », c'est-à-dire des hommes qui n'ont encore exercé aucune fonction d'autorité, mais il excède incontestablement cette catégorie : la tradition abonde en califes et vizirs amoureux. Sa fonction pourrait dans ce cas être différente, ainsi que ses implications.
77. Rawdat al-muhibbîn…, op. cit., pp. 174-175 ; al-Wâdih al-mubîn…, op. cit., pp. 62-63 ; al-Masûn…, op. cit., p. 46 ; Bahjat al-majâlis…, op. cit., 2-1, p. 823.