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La Tour de Babel : Groupes et Relations Ethniques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

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L'Éternel descendit pour voir la ville et la tour

qu'avaient bâties les fils des hommes. Puis

l'Éternel dit : « […] Allons, descendons, mettons

la confusion dans leur langage, afin qu'ils

ne comprennent plus la langue les uns des

autres. » Ainsi l'Éternel les dispersa de là sur

toute la terre et ils cessèrent de bâtir la ville.

C'est pourquoi on lui donna le nom de Babel.

Le pluralisme ethnique, linguistique et religieux a surgi comme un phénomène social et politique auquel les sociétés contemporaines n'étaient généralement pas préparées. Loin de disparaître par un processus d'intégration et d'assimilation, les particularismes résistent et refleurissent. Ils font même leur apparition dans des pays qui, ayant édifié leur unité nationale depuis longtemps, avaient pu recevoir des travailleurs et des réfugiés comme immigrants temporaires mais non pas concevoir leur installation permanente.

Le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord ont du pluralisme une expérience millénaire. Périodiquement, des tableaux et inventaires nomment, situent, dénombrent des groupes minoritaires définis principalement par leur religion, leur langue ou leur origine géographique. Exercice vertigineux, qui évoque ce personnage d'Italo Calvino, monsieur Palomar, donc l'activité principale était de « regarder les choses du dehors », et qui s'employait à cerner les contours d'une vague, « une seule, en la distinguant bien de toutes les autres ».

Summary

Summary

North Africa and the Middle East have long been areas of great linguistic and religious diversity. This paper explores the different ways in which the social sciences have confronted the problem of ethnicity in this region—from the invention of “natural” groups to account for dominated segments of the population, through the study of the interaction and conflict between groups.

Type
Les Sociétés Plurielles
Copyright
Copyright © Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1996

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References

Notes

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4. Problème que nous avons déjà abordé dans Udovitch, A. L. et Valensi, L., « Communautés juives en pays d'Islam : identité et communication à Djerba », Annales ESC, n° 3-4, 1980, pp. 764783. 5.Google Scholar Gellner, Ernest, dans l'introduction à Gellner, E. et Michaud, Ch. éditeurs, Arabs and Berbers. From Tribe to Nation in North Africa, Duckworth, 1972,Google Scholar indique que le Maghreb diffère du Mashreq en ce qu'il est moins pluriel, moins riche en enclaves ayant le sens de leur identité.

6. Gellner et Michaud, op. cit., et notamment L. Rosen, « The Social and Conceptual Framework of Arab-Berber Relations in Central Morocco », pp. 155-173, spécialement p. 173, n. 1.

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8. Je reprends ici les arguments trouvés dans la littérature sur les noirs et notamment dans A. Adam, « Berber Migrants in Casablanca », dans Gellner et Michaud, op. cit., p. 327, et Gellner, dans le même ouvrage, p. 15.

9. Hespéris, 18, 1934, pp. 109-196. Nous gardons ici et dans la suite du texte les transcriptions adoptées par les différents auteurs ; mais pour des raisons techniques, nous avons dû renoncer à utiliser les signes diacritiques. L'accent circonflexe indique une voyelle longue.

10. Pour le quatrième groupe, les juifs, la notion de race pourrait être implicite.

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13. On entend par castes des groupes héréditaires distingués par trois caractères : la séparation en matière de mariage et de contact direct ou indirect, la division du travail, et l'existence d'une hiérarchie qui ordonne les groupes. Dumont, L., Homo hierarchicus, Paris, 1966, p. 36.Google Scholar

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18. Gellner, Saints of the Atlas, p. 158.

19. Gellner, dans Gellner et Michaud, op. cit., p. 298.

20. Coon, Carlton S., Tribes of the Rif, Harvard African Studies, vol. 9, 1931.Google Scholar

21. C'est à Robert Brunschvig, « Métiers vils en Islam », Studia Islamica, 1962, p. 41 ss, que revient le mérite d'avoir attiré l'attention sur ces perceptions. On ne pourra pas développer ce point, qui mérite à lui seul une étude. La lecture sérielle des manuels de hisba montre par exemple que si la valorisation des métiers varie selon les lieux et les époques, chaque situation locale correspondant à une configuration ordonnée (plutôt qu'à une hiérarchie rigoureusement étagée), certains métiers sont plus régulièrement rejetés sur la marge des métiers licites ou approuvés.

22. Elles apparaissent régulièrement dans toutes les monographies ethnographiques de l'ensemble du Maghreb. 23. Westermarck, Edward, RitualandBelief in Morocco, Londres, 2 vols, 1926.Google Scholar Ben Cheneb, Mohammed, Proverbes arabes de l'Algérie et du Maghreb, Paris, 1905-1907, 3 vols.Google Scholar

24. Voir Lucette Valensi, « L'idéologie du travail dans la littérature populaire d'Afrique du Nord (xixe-xxe siècle) », dans Cartier, Michel éditeur, Le travail et ses représentations, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 1984, pp. 3976.Google Scholar Même les auteurs qui parlent de l'assimilation des descendants d'esclaves dans les familles où ils vivent démontrent le contraire de ce qu'ils avancent. Un exemple pris dans Le Tourneau, R., Fès avant le Protectorat, Casablanca, 1949.Google Scholar” Les hommes conservaient quelque temps le souvenir de leur langue et de leurs chants de làbas, qui revivaient dans les cérémonies des Gnawa ; mais, dès la seconde génération, tout était oublié : ils étaient trop loin du pays natal et dominés par une civilisation par trop supérieure à la leur. Quant aux femmes, elles s'assimilaient plus vite encore et ne gardaient de leur brousse originelle que leur couleur d'ébène, leur gaieté native, leurs glapissements qui remplissaient les patios, et quelques expressions idiotiques qui faisaient rire les Fasis. Outre l'influence du sang, qui n'est pas négligeable, les esclaves noires ont apporté à Fès des croyances magiques, des rites et même des expressions qui ont contribué à l'originalité du milieu bourgeois de Fès.»

25. Geneviève Bedoucha, « Un noir destin : travail, statuts, rapports de dépendance dans une oasis du Sud-tunisien », dans M. Cartier éditeur, op. cit., pp. 77-122.

26. Sur les qualités réversibles, mais qui restent hiérarchisées, attribuées à chaque type dans les taxinomies locales, Udovitch, A. L. et Valensi, L., Juifs en terre d'Islam, les communautés de Djerba, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 1984, pp. 2930.Google Scholar

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28. Amselle, Jean-Loup et M'Bokolo, Elikia éditeurs, Au coeur de l'ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, Édition La Découverte, 1985.Google Scholar Nous ne signalons que cette percée africaine, mais une révision est en cours également pour l'Iran et l'Afghanistan. Voir notamment les travaux de Pierre Cenlivres, et les textes du Colloque international du CNRS. Le fait ethnique en Iran et en Afghanistan : pertinence, formes, genèse et enjeux, Paris, octobre 1985.

29. Eickelman, Dale F., The Middle East. An Anthropological Approach, Prentice Hall, Englewood Cliffs, 1981,Google Scholar et en particulier pp. 157-174 sur « Ethnicity and Cultural Identity » qui s'appuie sur les travaux de L. Rosen, mais aussi sur ceux d'Amal Rassam. L. Rosen, art. cit., n. 5 et Bargaining for Reality, Chicago-Londres, University of Chicago Press, 1984, et notamment pp. 133-163.

30. A. L. Udovitch et L. Valensi, op. cit.

31. Op. cit., p. 152.

32. Cité dans Arberry, A. J. éditeur, Religion in the Middle East. Three Religions in Concord and Conflict, Cambridge University Press, 1969, 2 vols.Google Scholar

33. Arberry, op. cit., s'inscrit encore dans cette perspective.

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35. Braude, B., Lewis, B. éds, Christians and Jews in the Ottoman Empire, deux volumes, New York-Londres, 1982.Google Scholar Étant donné l'abondance des travaux portant sur des régions (le Liban notamment) et des groupes spécifiques, nous ne signalerons ici que les études d'ensemble.

36. Cette révision importante opérée, l'introduction aux deux volumes et les essais qui la suivent restent prisonniers des cadres traditionnels. Une fois de plus, B. Lewis décrit le contenu de la dhimma, quitte à rappeler que les restrictions étaient plus souvent ignorées que rigoureusement appliquées. Une fois de plus, les trois groupes improprement désignés comme millet reçoivent un traitement plus attentif que les autres (il y a cependant une contribution sur les chrétiens melkites, une autre sur les Coptes), et sont plutôt traités comme des unités discrètes, dans une relation verticale avec le pouvoir politique. L'introduction de B. Lewis prolongeant jusqu'au xxe siècle le tableau des trois grandes communautés religieuses dans leurs rapports avec le pouvoir politique turc, il signale qu'une lutte terrible s'engage entre Turcs et Arméniens avec l'éclatement de la première guerre mondiale (or les conflits avaient commencé bien plus tôt), et qu'elle s'achève sur un désastre, un million à un million et demi d'Arméniens ayant péri (p. 24) : après avoir tant insisté sur le rôle de l'État, peut-on, par le jeu d'un simple euphémisme, éluder la question du massacre délibéré des Arméniens ?

37. Hourani, Albert, Minorities in the Arab World, Londres-New York-Toronto, Oxford University Press, 1947.Google Scholar

38. Par exemple, « Ethnie and Religious Minorities in the Middle East », Middle East Review, vol. 9, n° 1-2, automne 1976-hiver 1976-1977.

39. Paris, Maisonneuve et Larose, 1984.

40. Après avoir, une fois de plus, présenté les fondements doctrinaux et historiques de la condition des non-musulmans en Islam, et l'origine des divers groupes présents aujourd'hui, les deux auteurs étudient séparément la vie politique des chiites, des Alaouites de Syrie, des Druzes dans les différentes régions où ils se trouvent, des « nations dispersées » (Arméniens, Kurdes), et enfin les « Gens du Livre », chrétiens et juifs, face à la montée du panarabisme et au réveil de l'islam. On apprendra beaucoup sur chacun de ces groupes et peut-être était-il inévitable, dans un premier temps, de faire au moins la chronique des événements subis et des luttes livrées dans chaque cas. Mais on regrette que les auteurs ne s'en soient pas tenus à leur programme initial.

41. Moshe MA'OZ, « Communal Conflict in Ottoman Syria during the Reform Era : The Rôle of Political and Economie Factors », dans B. Braude, B. Lewis, op. cit., vol. 2, pp. 91-105. Samir Khalaf, « Communal Conflict in Nineteenth Century Lebanon », eod. loc, pp. 107-134.

42. Joseph, S., Pillsbury, B., Muslim Christian Conflict : Economie, Political and Social Origins, Westview/Dawson replica édition, 1978.Google Scholar Après l'introduction théorique de S. Joseph, pp. 1-62, deux contributions portent sur le Liban, une sur les conflits entre Coptes et musulmans en Egypte, une sur le Soudan, une sur les musulmans de Bosnie et une sur le séparatisme à Chypre. Signalons aussi Joseph, John, Muslim-Christian Relations and Inter-Christian Rivalries in the Middle East. The Case of the Jacobites in an Age of Transition, Suny Press, 1983.Google Scholar L'auteur rappelle que la chrétienté orientale n'a jamais constitué d'unité théologique ou politique, mais que ses communautés ne se sont unies que dans leur opposition aux églises grecque et romaine ou aux autres groupes religieux. Favorables à l'occidentalisation au xixe siècle, mais artisans des indépendances pendant la période du Mandat ; attirés par le panarabisme, mais redoutant son identification avec l'islam ; résolument anti-sionistes, les chrétiens n'en sont pas moins soupçonnés aujourd'hui d'être les alliés naturels de l'Occident et condamnés soit à se replier dans les confins de leur communauté, soit à émigrer. Les sympathies de l'auteur paraissent aller vers la recherche, vaille que vaille, d'un modus vivendi avec les musulmans. Encore faudrait-il que ceux-ci, dans leur ensemble, repensent la condition des non-musulmans dans des termes acceptables par des citoyens du xxs siècle.

43. Dans un court essai, « Minorities and Majorities in the Middle East », Elie Kedourie parle de mobilisation de l'ethnicité ﹛Archives européennes de Sociologie, XXV, 1984, pp. 276- 282). Nous introduisons ici la notion de militarisation de l'ethnicité.

44. Bar, Luc-Henri, Les communautés confessionnelles du Liban, Paris, Éditions Recherche sur les Civilisations, 1983, 240 p.,Google Scholar rappelle qu'il y avait 15 communautés d'importance inégale officiellement reconnues, plus un « Conseil suprême » des communautés évangéliques qui en regroupait 12 autres, plus une quinzaine de communautés qui n'entraient pas dans ce cadre avant l'explosion de 1975 au Liban.

45. On pourra comparer le confessionnalisme au Liban avec le séparatisme et le factionnalisme en Syrie avec les travaux de Seurat, Michel, « Les populations, l'État et la société », dans Raymond, A. et alii, La Syrie d'aujourd'hui, Paris, CNRS, 1980, pp. 87141,Google Scholar et de Khouri, Ph., « Factionalism among Syrian Nationalists during the French Mandate », InternationalJournal of Middle East Studies, vol. 13, n° 4, novembre 1981, pp. 441469.Google Scholar

46. C'est ce que nous avons tenté d'analyser dans Udovitch et Valensi, art. et livre cités.

47. Bourdieu, Pierre, Sociologie de l'Algérie, 5 e édition, 1975, pp. 8182.Google Scholar