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Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Mon but principal est d'étudier ici quelques phénomènes de multiplication de divinités dans un village de l'Inde, que j'appellerai Kunje, et dans les villages voisins.
J'appellerai divin tout être qui est conçu comme un sujet échappant au contrôle direct de l'homme ; la nature du divin n'étant pas l'objet de notre recherche dans cet essai, je prends la liberté de ne pas exposer les observations sur lesquelles cette définition succincte est fondée et de ne pas l'entourer des nuances dont il est besoin pour la justifier. Elle implique par sa généralité qu'il nous est permis d'inclure les saints dans le « divin » lorsqu'il s'agira du catholicisme.
L'orthographe adoptée pour les noms des divinités a été simplifiée, à la demande de la Rédaction.
page 1523 note 1. Un premier séjour à Kunje, en 1964-65, fut rendu possible par une subvention de la Wenner- Gren Foundation for Anthropological Research, et une seconde mission, plus longue, en 1965-66, fut financée par le C.N.R.S. Kunje est dans le Maharashtra juste derrière les Ghâtes Occidentales, sur le plateau du Deccan ; il est à quelques dizaines de kilomètres au sud de Poona. Le village a entre 600 et 700 habitants. Il comprend une douzaine de castes allant des Brahmanes, en haut de l'échelle, aux Mahar, intouchables, anciennement équarisseurs ; la majorité des habitants sont Maratha Kunbi ou Maratha Desmukh de caste. Presque tous les villageois pratiquent l'agriculture, bien que beaucoup aient aussi d'autres occupations.
En ce qui concerne les dieux situés dans les champs de Kunje, pour plus de détails on peut consulter au Centre Universitaire des Langues Orientales Vivantes, 2, rue de Lille, Paris, un travail manuscrit que j'ai fait à leur sujet.
page 1525 note 1. Il est bien entendu que nous ne pensons pas à des archétypes innés, mais à des concepts acquis, au niveau de l'individu, ou construits, au niveau de la tradition environnante.
page 1530 note 1. D. B. Kosambi considère ces déesses comme distinctes et non dérivées l'une de l'autre (Myth and Reality, Bombay, 1962, pp. 115-116).
page 1531 note 1. G. S. Ghurye, dans une étude d'un village de la région de Poona, écrit : « Tout arbre ‘ pipai ’ dans le champ de quelqu'un devient le centre d'un culte magico-religieux avec l'installation à cet endroit de pierres représentant Munjoba. » (After a Century and a Quarter, Bombay, 1960, p. 44.)
page 1536 note 1. Il est évident qu'ici je me sépare quelque peu de l'analyse que fait C. Lévi-Strauss de la nature des noms propres (La Pensée sauvage, Paris 1962, p. 266 et suiv.). Bien que je souscrive à son argumentation (op. cit., p. 267) contre la thèse de Gardiner, que je soutienne aussi avec lui que la particularité du nom propre n'est pas de « montrer » (op. cit., pp. 285-286) et sois convaincu que « le caractère plus ou moins « propre » des noms n'est pas déterminable de façon intrinsèque, ni par leur comparaison avec les autres mots du langage » et qu'il est plutôt une question d'être «perçu comme nom propre », je ne lui accorde pourtant pas que « le nom propre demeure toujours du côté de la classification » (pp. cit., p. 285, paragr. 2). Je dirais plutôt que le nom propre demeure souvent du côté de la « sujétisation », tandis que la classification, qui s'exprime le plus souvent par des noms communs, demeure du côté de 1’ « objétisation ». Mais il serait trop long d'exposer davantage ici mes vues sur ce sujet.
page 1538 note 1. C'est, sans doute, à la fois la jalousie de Jahvé (cf. Dt. V, 9 et ailleurs), dieu hérité par le christianisme, et la place du clergé dans le catholicisme qui expliquent que l'on refuse si catégoriquement aux objets de culte inférieurs la nature de « divinités », en leur attribuant celle de « saints », afin de garder son unicité et sa transcendance au Dieu Suprême, qui seul doit être « divin ». Les membres du clergé catholique étant poussés à être des intellectuels et leur réflexion étant rattachée à un livre d'un monothéisme farouche (la Bible), se sont adonnés, selon l'habitude des intellectuels, à faire des distinctions et à vouloir les appliquer strictement : en outre, ils avaient le monopole de l'autorité en matière de religion (autorité qui impliquait un devoir de surveillance afin d'éliminer les écarts à la norme de la croyance et de la pratique) de sorte qu'ils pouvaient, et devaient même, imposer leur point de vue. C'est ainsi qu'ils ont élaboré une distinction entre superstition et religion, la première étant fausse et inadmissible, voire l'oeuvre du diable : lorsque, donc, des dévots tendent à rendre à un « Saint » un culte qui semble lui attribuer les prégoratives du « divin », soit leur dévotion est traitée, par le clergé, comme « superstition » et rejetée, soit, pour être moins autoritaire et ne pas rejeter une telle dévotion, qui existe, le théologien, un clerc, fait une distinction intellectuelle, qui est peut-être réelle pour lui, mais n'existe pas dans les actes des dévots, entre le culte suprême rendu à Dieu et les cultes d'une autre nature rendus à des êtres saints inférieurs (auxquels on refuse le titre de « dieu »). Ces êtres sont censés être objets de culte seulement en tant qu'associés avec Dieu d'une façon ou d'une autre et, en leur rendant un culte, le catholique est censéfaire cette distinction, transformant la nature de son culte d’ « adoration » en « honneur ». Avec un certain raidissement moderne de l'intellectualisme, dû sans doute à la vogue universelle du rationalisme, on tend de plus en plus à appliquer la première solution, celle de l'exclusion de la « superstition » — exclusion assez facile à réaliser étant donné que, pratiquement, toutes les manifestations des cultes « superstitieux » sont localisées dans le bâtiment de l'église, fief du clergé. C'est ainsi, enfin, qu'en Occident la « vraie religion », pure, est devenue l'apanage des intellectuels et à un second niveau, de ceux qui se bornent à les suivre ; la religion populaire a disparu (sauf dans certains recoins), du moins en France, mais le peuple n'a pas disparu et se trouve donc sans religion.
page 1539 note 1. Depuis la rédaction de cet article, j'ai découvert pendant un séjour en Sardaigne que dans ce pays il existe des sanctuaires qui ont Dieu le Père pour éponyme (en sarde : « Babbu Mannu », le Grand Père). Dans le sanctuaire de Dieu le Père que j'ai visité, « Babbu Mannu» est représenté deux fois, une en haut du maître-autel, une autre au milieu de la nef, à la portée des dévots ; dans ce cas, il faudrait peut-être coter Dieu le Père avec e1 et non et, c'est-à-dire comme ayant plusieurs exemplaires et non un seul par sanctuaire. Cependant lorsqu'on compare avec d'autres sanctuaires sardes on est tenté de voir dans la seconde représentation simplement l'effigie de procession, en quelque sorte « profane », c'est-à-dire en dehors du sanctum sanctorum ; ainsi aurions-nous, en outre, un autre rapprochement avec l'Inde, où beaucoup de temples possèdent, en plus de l'image du dieu, au coeur du sanctuaire, une autre image que l'on porte lors des processions.
page 1542 note 1. After a Century and a Quarter, pp. 41-42.
page 1543 note 1. Il s'ensuit que là où L. Dumont écrit au sujet d'un dieu appelé Aiyanar : « Aiyanar est une catégorie, chaque Aiyanar concret peut être distingué ; comment il est distingué importe assez peu » (Une sous-caste de l'Inde du Sud, Paris 1957, p. 403, paragr. 1), je serais plutôt tenté de dire, d'après les renseignements publiés par l'auteur sur ce dieu, qu'Aiyanar est un archétype, unique dans le mythe (reproduit par l'auteur, op. cit., p. 401), que l'on localise dans beaucoup de villages, souvent sur la berge du réservoir ; que chaque localisation peut avoir sa propre histoire, se rapportant à Aiyanar sous un aspect particulier (Pambur Aiyanar, qui punit les impurs par la présence des serpents) ou à une localisation antérieure qui serait devenue un prototype pour d'autres localisations (Aiyanar de Pinnur) ; que ce qui importe c'est que le dieu soit Aiyanar, individu archétype, qu'il est la coutume dans cette région de localiser ainsi sur la berge des réservoirs. Cette façon de formuler la situation semble permettre à la fois de réserver au terme « catégorie » un emploi plus strict et de rester plus fidèle à l'esprit de la pensée indigène ; elle n'empêche pas cependant qu'en même temps le dieu fasse partie de catégories significatives dégagées par l'ethnologue (op. cit., p. 403, paragr. 2 et suiv.).
Il serait intéressant de savoir pourquoi on choisit un archétype plutôt qu'un autre : il est sans doute en général difficile sinon impossible de dégager les facteurs du choix originel (L. Dumont a fait l'hypothèse, dans le cas d'Aiyanar, d'une origine structurale, suggérée par le mythe, op. cit., p. 402), mais, en ce qui concerne les localisations ultérieures, je soupçonne que souvent elles sont dues surtout à la continuation d'une tradition ou d'une habitude prise : on localise tel archétype dans tel lieu parce que c'est cela que l'on a toujours vu faire : Bahiroba sur la place du village ; Mhasoba près des points d'eau, dans la région de Kunje ; Aiyanar sur la berge du réservoir, dans la région Kallar étudiée par L. Dumont. On voit bien que dans ce cas il ne serait pas nécessaire que le même archétype soit toujours choisi à cause de la même caractéristique : dans la région de Kunje on installe Bhairoba dans chaque village parce qu'on sait que c'est toujours lui que l'on installe comme Seigneur du territoire ; on peut imaginer d'autres circonstances où l'on installerait Bhairoba dans un lieu inculte parce qu'il est par excellence le vainqueur des serpents ou guérisseur de leurs morsures.
page 1554 note * Une étude complémentaire devait suivre sur les « Présences multiples dans un même sanctuaire », mais l'espace dont nous disposons ici nous oblige à la supprimer.