Hostname: page-component-78c5997874-ndw9j Total loading time: 0 Render date: 2024-11-02T22:06:24.071Z Has data issue: false hasContentIssue false

Kathleen Schwerdtner Máñez et Bo Poulsen (dir.), Perspectives on Oceans Past: A Handbook of Marine Environmental History, Dordrecht, Springer, 2016, xii-211 p.

Review products

Kathleen Schwerdtner Máñez et Bo Poulsen (dir.), Perspectives on Oceans Past: A Handbook of Marine Environmental History, Dordrecht, Springer, 2016, xii-211 p.

Published online by Cambridge University Press:  13 November 2023

Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Histoire des pêches (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

L’anthropologue Philippe Descola nous a fait reconsidérer l’idée de nature. Sa pensée a profondément influencé l’écologie et dessine la voie d’une nouvelle relation entre les humains et le monde dans lequel ils sont plongés. Cette perspective renouvelée est présente dans chaque article de l’ouvrage collectif que coordonnent Kathleen Schwerdtner Máñez, écologue à l’université de Brême (Allemagne) et Bo Poulsen, historien à l’université d’Aalborg (Danemark). Leur ambition consiste à promouvoir le dialogue entre les humanités (la recherche en histoire, archéologie, ethnologie) d’une part et les sciences du vivant (zoologie, écologie) de l’autre, en proposant un manuel d’histoire maritime environnementale. Les quinze contributeurs de cet ouvrage se répartissent assez équitablement entre les deux familles de chercheurs. Cependant, hormis dans l’introduction cosignée, aucune des contributions n’associe historien et écologue. Le projet éditorial commun consiste tout de même à s’appuyer sur l’analyse rétrospective des relations entre les communautés humaines et les ressources marines afin de présenter des méthodes et des concepts innovants.

Dès l’introduction, K. Schwerdtner Máñez et B. Poulsen évoquent le long cheminement parallèle des écologues et des historiens. Cantonnés à l’utilisation de jeux de données issus d’enregistrements contemporains, les écologues ont longtemps souffert de myopie à l’égard de l’histoire. Les historiens, quant à eux, ne prêtaient qu’un faible intérêt à l’histoire de l’environnement maritime. Dans son ouvrage paru en 2011, sous le titre Filling the Blue Hole in Environmental History, John R. Gillis évoquait la nécessité de combler ce vide scientifique. Pour s’atteler à cette tâche, il a fallu accepter les contraintes de la recherche interdisciplinaire ; c’est précisément ce chemin qu’ont choisi de suivre les contributeurs du présent ouvrage. Internationalement reconnus dans leur discipline, ils ont pris le risque de s’acculturer à d’autres spécialités, en empruntant les pratiques, les méthodes et les théories de disciplines qui leur étaient a priori étrangères, dans le but de lever des verrous scientifiques partagés. De telles recherches contribuent à améliorer les transferts vers les acteurs du management, de la conservation ou de la restauration des écosystèmes côtiers et elles concourent aussi à une patrimonialisation des pratiques immatérielles ou des traces matérielles attachées aux communautés côtières. Chaque contribution en donne des exemples.

La méthodologie à mettre en œuvre pour établir un état initial ou historique (baseline) afin d’étudier un écosystème marin est un premier fil rouge de l’ouvrage. Emily S. Klein, écologue à l’université de Princeton, et Ruth H. Thurstan, écologue à l’université Deakin de Warrnambool (Australie), y consacrent un article de fond, « Acknowledging Long-Term Ecological Change: The Problem of Shifting Baselines ». Elles replacent le phénomène de surpêche au sein d’une histoire longue qui doit alerter les historiens contre la tentation d’en faire un objet plutôt contemporain. Dans un autre registre, l’histoire orale peut être mobilisée afin de faire de la perception du passé un outil d’analyse croisée des données rétrospectives d’observation et de gestion des ressources actuelles. C’est ce que démontrent R. H. Thurstan qui cosigne avec ses collègues Sarah M. Buckley, zoologue, et John M. Pandolfi, biologiste à l’université de Queensland de Brisbane (Australie), un article intitulé « Oral Histories: Informing Natural Resource Management Using Perception of the Past ». On y apprend qu’en 1997, c’est en couplant des entretiens oraux, des fouilles archéologiques et l’analyse du génome qu’E. P. Ames a établi que la population de cabillauds qui subsiste dans le golfe du Maine est la descendante d’une seule des nombreuses communautés présentes dans l’écosystème au xvie siècle. Chaque communauté utilisait alors un lieu de ponte différent, si bien que les poissons d’aujourd’hui surinvestissent une seule frayère et ignorent les autres, ce qui limite leur population et empêche la reconstitution des stocks.

L’état initial peut aussi être induit par l’étude d’un indicateur croisé, ou proxy, tel le rôle joué par les ressources halieutiques dans l’alimentation. Son étude bénéficie du croisement des analyses physico-chimiques, isotopiques ou, plus récemment, de l’analyse ADN, avec les résultats des fouilles archéologiques. C’est ce que montrent Marta Coll, écologue à l’université de Barcelone, et sa collègue Heike K. Lotze, de l’université Dalhousie d’Halifax (Canada), dans leur article « Ecological Indicators and Food-Web Models as Tools to Study Historical Changes in Marine Ecosystems ». L’observation de la taille des espèces identifiées, grâce à la fouille de dépotoirs anciens, associée à celle des marqueurs recensés permet de reconstituer les réseaux trophiques aux différentes époques, de caractériser l’affaiblissement de certaines espèces, le développement d’autres et d’émettre des hypothèses sur le rôle du facteur humain. En 2010, en convoquant l’étude de la fresque minoenne d’Akrotiri (Santorin), l’ichtyologue Konstantinos I. Stergiou a pu établir que la baisse de la taille des daurades coryphènes, enregistrée en mer Égée depuis 3 600 ans, était bien consécutive à l’activité de pêche. L’article que propose David C. Orton, archéologue à l’université d’York (Royaume-Uni), croise ce même champ d’investigation. Sous le titre « Archaeology as a Tool for Understanding Past Marine Resource Use and Its Impact », il souligne les apports de l’étude de la place des protéines d’origine halieutique dans l’alimentation humaine. Ce marqueur est accessible via l’analyse physico-chimique des ossements humains découverts par les archéologues. De tels travaux mettent en évidence l’existence de réseaux de distribution des produits de la mer, avec des consommateurs situés dans l’intérieur des terres, loin des producteurs côtiers, mais aussi les changements intervenus dans les sites d’approvisionnement, dans les espèces consommées, dans le goût des consommateurs anciens. Et D. C. Orton de plaider pour la nécessaire interconnexion des bases de données archéologiques afin de faciliter la fouille de données et les interrogations croisées. Ce sont alors autant de résultats à confronter avec les archives des périodes moderne et contemporaine.

En effet, lorsque les archives de l’historien se font plus nombreuses, leur étude vient enrichir l’ensemble des résultats obtenus par les écologues ou les zoologues. Historien au Trinity College de Dublin, Poul Holm propose d’interroger au prisme de l’interdisciplinarité le concept de communauté maritime à travers l’histoire (« Historical Fishing Communities »). Il s’agit pour lui de remettre les interactions entre environnements sociaux et naturels au cœur de l’interrogation, de manière systémique, et de se départir du primat que l’histoire sociale a exercé sur l’histoire des pêches et des pêcheries. En ce sens, il cite le travail précurseur que Matthew McKenzie a consacré à l’étude des changements sur les côtes du Rhode Island au Massachusetts (depuis le xviiie siècle) sous le titre Clearing the Coastline Footnote 1. En saluant le lancement coréen en 2012 du Journal of Marine and Island Cultures, il prédit d’ailleurs le développement rapide de ce type de travaux par les chercheurs du Sud-Est asiatique à mesure que la collecte des archives et témoignages d’un mode de vie en rapide mutation dans cette région du monde se fait plus pressante. Le propos de Georg H. Engelhard, écologue au Centre for Environment, Fisheries and Aquaculture Science-Cefas à Lowestoft (Royaume-Uni), intitulé « On the Need to Study Fishing Power Change: Challenges and Perspectives », s’inscrit parfaitement dans cette tendance. Son invitation à étudier ensemble l’évolution des flottes, l’effort de pêche, les rendements, la rentabilité du modèle économique et la gestion des ressources relève de la même démarche que celle appliquée par Joseph Christensen, historien de l’environnement à l’université de Perth (Australie), dans son étude des pêches illégales (« Illegal, Unreported and Unregulated Fishing in Historical Perspective ») telles qu’elles se développent depuis la fin du xxe siècle.

Un tel ouvrage ne serait pas complet sans une attention particulière à la question des perceptions, celles des acteurs, pêcheurs, administrateurs ou scientifiques, mais aussi celles des scientifiques eux-mêmes, de quelque horizon qu’ils viennent, sur leurs objets d’étude. C’est précisément l’objet des deux contributions conclusives. Cristina Brito et Nina Vieira, historiennes à l’université NOVA de Lisbonne, livrent une étude fine des changements de regard portés sur les tortues marines (« A Sea-Change in the Sea? Perceptions and Practices towards Sea Turtles and Manatees in Portugal’s Atlantic Ocean Legacy ») autour de l’Atlantique portugais dès le xve siècle (îles du Cap-Vert) et à partir du xvie siècle (Sao Tomé) jusqu’à nos jours. Quant à K. Schwerdtner Máñez et à Annet Pauwelussen, ethnologue à l’université de Wageningue (Pays-Bas), c’est par l’histoire du genre qu’elles abordent cette question dans leur article intitulé « Fish Is Women’s Business Too: Looking at Marine Resource Use through a Gender Lens ».

Ce manuel se révèle finalement très utile non seulement pour les historiens, mais aussi pour les écologues et les biologistes. En effet, chaque contribution s’appuie sur une riche collection d’exemples qu’il est possible d’approfondir en consultant la non moins riche bibliographie (jamais moins de deux pages, la plupart des références datant des années 1990 et suivantes) associée à chacun des textes. Bien sûr, ce volume s’appuie de manière écrasante sur une littérature anglophone, ce qui nous interroge, car la recherche pluridisciplinaire francophone, publiant en anglais ou en langue française, est loin d’être inactive et sait se positionner sur tous ces terrains particulièrement féconds.

References

1 Matthew McKenzie, Clearing the Coastline: The Nineteenth-Century Ecological and Cultural Transformations of Cape Cod, Chicago, Lebanon, University Press of New England, 2011.