Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Bien qu'ayant fait l'objet de longues polémiques dans l'opinion, au Parlement, et plus récemment chez les historiens, le problème du financement public de l'expansion coloniale est paradoxalement peu connu. Combien la conquête coloniale a-t-elle coûté au budget français ? Comment furent dépensés les crédits votés ? Questions cent fois posées, auxquelles il n'a jamais été donné, du moins à notre connaissance, de réponses très précises.
Il nous a paru utile de combler cette lacune à l'occasion d'une Recherche coopérative du C.N.R.S., afin d'installer sur des bases plus solides le débat traditionnel concernant la « rentabilité » et l'utilité économique des colonies, et celui plus récent sur la place des dépenses publiques dans les processus de développement. Le financement public de l'expansion coloniale, considérée sous tous ses aspects militaires, administratifs, économiques, repose sur trois sources de crédits : le budget de l'État ; les budgets locaux des territoires coloniaux et des collectivités autonomes (ports, chemins de fer, etc.), dans la mesure où ils en sont dotés ; les emprunts publics, garantis ou non par l'État, émis par ces mêmes territoires ou collectivités publiques.
Public financing of French expansion abroad between 1850 and 1913 was based on three sources of credit: the State budget, local budgets and the issuing of bonds. This article studies the first of these forms of financing in an effort to evaluate the cost for the mother country of the colonization. State expenditures for Algeria, which always represented more than 50% of colonial expenses, were essentially allotted to military operations and payment of interest on railroad stock. In the other territories, the military also accounted for the principal expenses incurred by the Department of Colonial Affairs, the Department of Defense, the Department of the Navy and the Department of Foreign Affairs. Civilian expenses were divided between expenditures for installation, in the form of subventions (private companies and local budgets), and operating expenses for the central services, local administration being entirely the responsibility of the territories.
In sum, although the colonial expenses of the mother country were in constant progression throughout this period, they were relatively modest (less than 7% of the total State expenditures) and foreign expansion appears from the beginning to have been a profitable enterprise.
1. C'est ce que confirme Miège, J.-L. dans un ouvrage récent : Expansion européenne et décolonisation de 1870 à nos jours, Paris, P.U.F., 1973, pp. 213-214.Google Scholar En 1938, A. Duchêne a tenté, puis renoncé à donner une réponse précise dans le seul travail de synthèse existant sur la question : Histoire des finances coloniales de la France, Paris, Payot, 1938, pp. 182-185.
2. R.C.P. n° 326, « Commerce, investissements, et profits dans l'outre-mer français de 1900 à 1960», sous la responsabilité de M. J. Bouvier et Mme C Coquery-Vidrovitch.
3. Cf. les thèses de H. Brunschwig, dans Mythes et réalités de l'impérialisme colonial français, Paris, 1960 et de C. Coquery-Vidrovitch : « De l'impérialisme britannique à l'impérialisme contemporain : l'avatar contemporain », dans L'homme et la société, Paris, n° 18, oct.-déc. 1970.
4. 1850-1857, 1861-1887, 1890-1892: Service colonial du Ministère de la Marine; 1858-1860 : Service colonial du Ministère de l'Algérie ; 1888-1889 : Sous-secrétariat aux Colonies du Ministère du Commerce ; 1893-1894 : Secrétariat d'État aux Colonies ; cf. François et Mariol : Législation coloniale, Paris, Larose, 1929.
5. Douël, Martial, Un siècle de finances coloniales, Paris, Alcan, « Coll. du centenaire », 1931, p. 320.Google Scholar
6. Martial Douël, op. cit., pp. 203, 320-321, tableaux détaillés dont le tableau 1 n'est qu'un résumé. Les tableaux de Martial Douël sont eux-mêmes des synthèses des tableaux des Statistiques générales de l'Algérie - statistiques financières - année 1900, Alger, Gouvernement Général, 1901. Dans les recettes de la métropole en Algérie, il faut distinguer l'impôt sur les populations arabes et l'impôt sur les populations européennes. Du point de vue des finances françaises, seul l'impôt arabe devrait venir en atténuation des dépenses. Soit 62,812 millions de 1870 à 1880; 66,344 millions de 1881 à 1890; 76,903 millions de 1891 à 1900.
7. Il s'agit du remboursement en 1898 des 61 millions restant à payer à la S.G.A. représentant le solde de la dette de l'emprunt de 100 millions de 1865, amortissable en principe sur 50 ans. Cf. Archives nationales, Service Outre-mer, Imprimés, Société Générale Algérienne, rapport 110, Assemblée générale. Le remboursement fut effectué à la Compagnie Algérienne qui avait pris la suite de la Société Générale en 1877.
8. Lors des discussions parlementaires de 1898, Waldeck-Rousseau proposa un budget « intégral » qui aurait supporté la totalité des dépenses en Algérie, avec des subventions du budget de l'État ; d'où le nom de budget « spécial » que prit le budget de l'Algérie, réduit aux dépenses civiles, cf. Martial Douël, op. cit. p. 437.
9. Martial Douël, op. cit., p. 253 et p. 314.
10. Ibid., p. 320. Voir Comptes généraux de l'Administration des Finances, service financier de l'Algérie.
11. Soit un total de 134,8 millions en y ajoutant les crédits affectés en 1860 et 1861.
12. Martial Douël, op. cit., p. 320 et Comptes définitifs du Ministère des Travaux Publics, section dépenses extraordinaires.
13. Soit au total, pour les chemins de fer algériens, non comprises les dépenses d'infrastructures comptabilisées dans les dépenses de travaux publics extraordinaires, 134,8 + 360,6 = 495,4 millions.
14. De 1850 à 1861, voir les Comptes généraux de l'Administration des Finances, ou Statistiques financières de l'Algérie pour l'année 1900, op. cit., tableau récapitulatif. De 1861 à 1880, voir Comptes définitifs de la Guerre, du Gouvernement Général de l'Algérie, des Travaux Publics, de l'Agriculture, du Commerce.
15. Martial Douël, op. cit., pp. 249, 298, 386.
16. Les versements s'échelonnèrent de 1865 à 1876 : 87 millions furent versés avant la dissolution de la société en 1877 ; cf. Martial Douël, op. cit., pp. 273, 342, 343.
17. Notamment, barrages et canaux de la Mitidja, André Julien, cf., Histoire de l'Algérie contemporaine, Paris, P.U.F., 1964, pp. 437-438.Google Scholar
18. Département d'Alger: 22,213 millions entre 1882 et 1899; département d'Oran : 4 millions entre 1879 et 1897 : département de Constantine : 15,385 millions entre 1885 et 1900.
19. Cf. comparaison entre le tableau 1 et le tableau 4.
20. Comptes définitifs du Ministère de la Guerre : Bibliothèque nationale, 4° LF194 10 ; Cochinchine : 13,6 millions ; Tonkin : 1885 : 40,5 millions, 1886 : 27,3 millions ; Tunisie : environ 10 millions par an.
21. Comptes généraux de l'Administration des Finances, 1895, 1896, 1897, service des comptes spéciaux du Trésor.
22. Comptes définitifs du Ministère de la Marine : Bibliothèque nationale, 4° LF224 7.
23. Schnapper, B., La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée de 1834 à 1871, Paris, P.U.F., 1962,Google Scholar tableau annexe.
24. Comptes définitifs du Ministère de la Marine : 1860-1868, 1886, 1881-1883 ; pour 1896 voir Compte spécial de l'expédition de Madagascar.
25. Comptes définitifs du Ministère des Affaires Étrangères : Bibliothèque nationale, 4° LF128 4.
26. Nous avons réintégré les résultats algériens dans ce tableau afin d'obtenir des pourcentages généraux pour l'ensemble des dépenses coloniales.
27. Comptes définitifs du Ministère de la Guerre et du Ministère de la Marine, dépenses extraordinaires. Il est à noter que Jules Ferry estime la conquête à 142 millions pour les mêmes années, car il tient compte de crédits « algériens » effectivement dépensés pour la Tunisie.
28. Comptes définitifs de la Guerre, de la Marine, du Service colonial. Le Myre de Villers estime le coût de la conquête à 100 millions (cité par A. Duchêne, op. cit., p. 203).
29. Comptes définitifs de la Guerre, de la Marine, des Colonies, des Affaires Étrangères. Jules Ferry avance le chiffre de 340 millions pour la période 1883-1889, dans Le Tonkin et la Mère Patrie, Paris, Havard, pp. 386-387.
30. Cette hausse est peut-être due à l'organisation de l'Indochine et aux événements en Chine, mais nous n'avons pas encore pu obtenir d'indices précis.
31. Comptes définitifs du Service colonial, des Colonies (chapitres « Haut-Fleuve », « Haut-Sénégal-Niger »).
32. Il s'agit uniquement de crédits militaires ordinaires du budget du Service colonial. Il n'y eut pas un centime de crédit extraordinaire pour le Sénégal.
33. Comptes définitifs des Colonies (chapitres « Bénin », et « Dahomey »).
34. Rambaud, Cf. A.. La France coloniale, Paris, Armand Colin, 1895. pp. 302-303.Google Scholar
35. Comptes définitifs du Ministère des Colonies (” Madagascar », puis « Afrique orientale »), du Ministère des Affaires Étrangères (entre 1885 et 1892) et Comptes spéciaux du Trésor« Expédition de Madagascar » (Guerre et Marine) dans Comptes généraux de l'Administration des Finances.
36. Comptes définitifs du Ministère des Colonies.
37. En fait depuis 1903 avec la création du Service général du budget local de la Sénégambie- Niger.
38. En fait depuis 1904 avec la création du Service spécial du Moyen Congo, puis en 1906 avec le budget général du Congo français.
39. Cette amputation s'élève de 2 à 10 millions par an entre 1853 et 1913. Pour les autres dépenses, voir tableau 3.
40. Cf. Alain Barrére, Économie financière, 2e édition, Paris, Dalloz, 1971, p. 220.
41. On remarquera néanmoins que la croissance des subventions est inférieure à celle des dépenses totales des budgets locaux (études en cours), ce qui confirme la tendance à l'équilibre des finances locales. Soit, par période de 10 ans les sommes suivantes : 15,3 millions de 1850 à 1859 ; 23,1 millions de 1860 à 1869; 13 millions de 1870 à 1879; 14 millions de 1880 à 1889; 35,1 millions de 1890 à 1899; 57,4 millions de 1900 à 1913.
42. Subventions aux compagnies Eastern Telegraph (câble d'Obock à Périm), ligne du Tonkin, ligne de Majunga au Mozambique, ligne de la Nouvelle-Calédonie à l'Australie.
43. Quatorze annuités de 360 000 francs.
44. Le service postal subventionne depuis la convention du 22 avril 1861 les Messageries impériales, puis diverses compagnies pour desservir les lignes de l'Indochine, de la Chine, avec embranchement sur la Réunion, les Indes, l'Indonésie, moyennant une indemnité annuelle. Le système fut ensuite étendu à l'Afrique noire en 1882. A partir de 1912, les subventions relèvent du budget de la Marine marchande (Ministère du Commerce). Les sommes versées passent de 2 millions par an sous l'Empire à 13 millions avant la Première guerre.
45. Sur le financement extra-budgétaire du Kayes-Niger, voir Suret-Canal, J.., Afrique Noire (Géographie, civilisation, histoire), Paris, Éditions Sociales, 1968, p. 254.Google Scholar Voir étude du financement des chemins de fer coloniaux à paraître dans Cahiers d'histoirede l'Université de Lyon.
46. Comptes définitifs des colonies, « Ports et chemins de fer de la Réunion ».
47. Idem, « subvention à la Côte des Somalis ». En effet, la subvention est indirecte, l'annuité due à la compagnie du franco-éthiopien étant inscrite dans le budget local de la Côte des Somalies.
48. Convention du 12 octobre 1892, cf. Rambaud, op. cit., p. 200.
49. Le régime définitif des garanties algériennes fut fixé par la loi du 23 juillet 1904 qui détermina la part de la métropole à 18 millions par an avec décroissance jusqu'en 1945. Cf. Martial Douël, op. cit., pp. 510, 511, 512.
50. Soit 11,28 millions de 1888 à 1889; 42 millions de 1900 à 1913.
51. Il s'agit de toutes les dépenses de l'État, budgets ordinaire et extraordinaire confondus et y compris la charge de la dette publique. Les chiffres sont tirés des Comptes généraux de l'Administration des Finances, op. cit.
52. Gonjo, Yasuo, « Le Plan Freycinet », Revue historique, juin-septembre 1972, p. 82.Google Scholar
53. Recherches en cours dans le cadre de la R.C.P. 326.
54. L'argument des « nationalistes » contre la colonisation qui aurait détourné l'État de sa mission de reconquête de l'Alsace-Lorraine ne repose pas sur des données chiffrées.
55. Tel l'économiste Charles Gide, cité par Ageron, Ch. R., dans L'anticolonialisme en France de 1871 à 1914, «dossier Clio », Paris, P.U.F. 1973, p. 46.Google Scholar