Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
La première Française à obtenir le doctorat en médecine est reçue en 1875 par la faculté de Paris. Les progrès de l'enseignement secondaire féminin sont trop lents, et les préjugés trop tenaces, pour qu'on enregistre, à la suite de cette pionnière, un afflux considérable d'étudiantes en médecine. Tout n'est pas gagné : il leur reste encore à conquérir le droit de disputer les concours de l'externat (1881) et de l'internat (1885). Au demeurant, les premières femmes médecins se cantonnent dans certains secteurs spécifiques ou jugés mineurs : maladies des femmes et des enfants, maladies des yeux ou de la peau. Siècle misogyne, société à prépotence masculine. Ce long ostracisme, valable également pour l'officiat de santé, illogique à beaucoup d'égards, doit retenir l'attention.
Although a certain misogyny is justly pointed up in 19th-century French society, there were, nevertheless, in the field of health, women, religious, who played a significant role in hospitals and homes and in serving the indigent in the countryside. After the Revolution, the increase in nuns accompanied and was the expression of the re-catholicization,- but it also provided a solution to pressing situations which the notables were happy to resolve at the least expense possible. Their social and moral influence was reinforced by the complicity of the feminin opinion and by encouragement from clerical elites. Having neither diploma nor permit, they practiced illegally medicine and pharmacy. Accused of multiple and sometimes criminal neglect, they outwitted offensives which would have reduced the competition they represented and restricted their authority. Behind these conflicts, quite real and varied, compromises were struck between the medical corps and the women of the Church : the latter often served as mediators between doctor and peasant; they supported right-thinking practicionners and accustomed the people to seek and follow the counsel of hygiene and science.
1. Mme Jacques Bertillon, Cf. (née Caroline Schultze, Polonaise), La Femme-médecin au XIXe siècle, thèse de médecine, Paris, 1888 Google Scholar.
2. Jules Simon et Dr Gustave Simon, La Femme au XXe siècle, 1892, pp. 93-104.
3. Pour ménager les intérêts des familles des pharmaciens, un arrêté d'application du 25 thermidor an XI autorise quand même les veuves à tenir pendant un an l'officine de leur mari, à condition d'être aidées par un « élève » capable et sérieux. Là encore la femme est placée en tutelle, malgré son droit de propriété. Cette position subordonnée se manifeste clairement chez les sages-femmes : c'est un docteur qui doit diriger les cours d'accouchements destinés aux élèves sages-femmes de 2e classe; ce sont des docteurs qui siègent dans les jurys formés pour les recevoir; en cas d'accouchement laborieux, elles doivent appeler un docteur… Quant à l'art dentaire qui ne fait pas l'objet d'un monopole légal, la Cour de cassation admet, puisqu'il n'y a pas de diplôme, que même une femme puisse l'exercer, « réduit à ses actes matériels » (arrêts du 23 février 1827 et du 15 mai 1846).
4. Claude Langlois attire l'attention sur les tertiaires qu'on appelle stricto sensu « bonnes soeurs », dans son article : « Les tiers ordres du diocèse de Vannes », dans Structures religieuses et célibat féminin, 1972.
5. Faute de place, je ne donnerai ici que les références des citations; l'ensemble de mon exposé est inspiré par les documents que j'ai consultés pour préparer ma thèse de doctorat d'État, à laquelle je renvoie (thèse soutenue le 10 janvier 1976, devant l'université de Paris-IV, sous le titre Les Médecins de l'ouest au XIXe siècle).
6. Œuvres complètes, éd. Pourrat, 1836, t. XVII, p. 14.
7. Rapport du jury médical de la Mayenne, en 1804. Arch. nat., F 17, 2425.
8. Théoriquement les drogues simples doivent être fournies par un droguiste connu et compétent, les médicaments officinaux par un pharmacien légalement reçu. Il est entendu que les médecins sont seuls habilités à prescrire ces remèdes. Mais comment pourraient-ils contrôler effectivement les soins donnés par les religieuses à domicile ?
9. Une circulaire signée de Martignac, le 16.4.1828, permet aux religieuses de vendre certains remèdes, ce que conteste un arrêt de la Cour de Bordeaux le 28.1.1830, et ce qu'interdira vainement l'instruction générale du 31.1.1840.
10. Rapport du D’ Ad. Toulmouche, le 13.2.1839, à la Société des sciences et arts de Rennes (Arch. dép. de l'ille-et-Vilaine, 18 Td 1).
11. Résolution du Conseil général des Côtes-du-Nord, votée le 2 août 1854.
12. Le Concours médical, 1883, p. 634.
13. Rapport du Dr Eonnet, le 25.4.1883.
14. Rapport du Dr Jules Maréchal, le 19.7.1884. Le Concours médical, 1884, p. 542.
15. Archives de la Maison provinciale de Rennes.
16. Renseignements communiqués par M. Lagrée; statistique adressée à la Direction générale des Cultes en 1891.
17. Matthieu : 10 (8).
18. Luc : 9 (1).
19. Prière diffusée par l'abbaye du Mont-Saint-Michel et encore imprimée par l'évêque de Coutances et Avranches, le 5.3.1955.
20. Lettre du maire d'un village de la Mayenne, le 20.6.1890. Arch. dép. de la Mayenne, M 1452.
21. DrBon, Henri, Précis de médecine catholique, Alcan, 1935, p. 580 Google Scholar.
22. Victor Hugo fait dire à une bernardine : « Un médecin, ça ne croit à rien. » Cf. Les Misérables, éd. Nelson, t. H, p. 193.
23. Dr Etienne Martin, Précis de déontologie…, 1914, pp. 55-56.
24. Ce sont souvent des travaux de vannerie, de filature, de tissage ou de couture. Le ministre Duchatel condamne « l'esprit de spéculation » qui anime les religieuses : circulaire du 31.1.1840 (chap. vin, article 39).
25. Dr Ernest Coeurderoy (médecin anarchiste), Pour la Révolution, Jours d'exil, 1855, éd. du Champ Libre, 1972, p. 192.
26. Bourneville est le promoteur des écoles d'infirmières laïques, pour lesquelles il compose des manuels.
27. L'Église soutient en effet la thèse de l'action pathogène du péché. Cf. Dr Henri Bon, op. cit., p. 3 et pp. 392 à 408.
28. Quand un enfant meurt, on répète le proverbe : « Dieu nous l'a donné, Dieu nous l'a repris. » Et des soeurs de charité disent qu'un enfant baptisé qui succombe sera « un ange du Bon Dieu» (lettre du Dr Angebault, le 26.3.1840, Arch. dép. de la Loire-Atlantique, 1 M 1358).
29. « Les gens de la campagne regardant toutes les affections dans les parties sexuelles comme maladies honteuses, préfèrent souffrir beaucoup, même s'exposer à la mort plutôt que de les déclarer » (lettre de l'officier de santé Perrigault, en 1830; ibid. 1 M 1355).
30. Dans un village breton, une fillette étant morte de diphtérie, la religieuse institutrice emmène trois élèves embrasser pieusement le visage de leur camarade; contaminées, deux d'entre elles sont emportées (rapport du Dr Gascon, de Redon, le 9.4.1885; Arch. dép. de l'ille-et-Vilaine, 20 Mg 7).
31. Rapport du procureur général, relatif à un usage de l'arrondissement de Montfort, le 22.8.1837 (ibid. 20 Mr 4). Cf. aussi l'affaire d'abondance (Haute-Savoie), dans Le Concours médical, 1883, p. 140; et Le Voltaire, du 22.5.1882.
32. Lettre de Montalivet, ministre de l'intérieur, à Barante, préfet de la Loire-Inférieure, le 6.11.1813 (Arch. dép. de la Loire-Atlantique, 1 M 1344).
33. Lettre du 12.1.1867. Archives de la Maison provinciale de Rennes, p. 291.
34. Beaucoup refusent de tenir le registre des substances vénéneuses, prescrit impérativement par l'ordonnance du 29.10.1846.
35. Rapport du Dr Bijon, de Quimperlé, le 7.5.1861, devant la Société des médecins du Finistère.
36. Conseil d'hygiène de Ploèrmel, le 16.5.1879.
37. Rapport de Bijon, déjà nommé, le 7.5.1861. Sans toujours rouler sur l'or, certaines officines peuvent, à ce jeu, gagner jusqu'à 1 000 francs par an.
38. Rapport du jury médical de la Loire-Inférieure, pour 1840 (Arch. dép., 4 X 231).
39. DrLeborgne, Gabriel, Le Médecin, 1846, t. II, pp. 138–139 Google Scholar.
40. Lettre-circulaire de la supérieure des soeurs d'Évron, le 29.5.1858 (Arch. dép. de la Mayenne, M 1450). La notion d'urgence revient opportunément dans un arrêt du 14.8.1863 de la Cour de cassation qui autorise, en cas d'urgence, les religieuses à pratiquer la saignée et à poser des sangsues.
41. Circulaire de Tirard, ministre de l'agriculture et du Commerce, du 26.8.1880.
42. Lettre confidentielle du sous-secrétaire d'État à l'intérieur, Léon Bourgeois, du 1”.2.1889.
43. Les premiers syndicats datent de 1881.
44. Dr L. J. M. Robert, Manuel de santé, 1805.
45. Prospectus de la Gazette de santé en 1819.
46. Les religieuses peuvent même faire bénéficier leurs médecins propharmaciens vassaux des prix de gros que leur consentent leurs droguistes et fournisseurs obliques. Exemples dans le Morbihan en 1861 (Arch. dép., M 3911) et dans la Mayenne en 1890 (Arch. dép., M 1452).
47. Lettre du maire de l'ile-aux-Moines, le 4.5.1859 (Arch. dép. du Morbihan, M 991).
48. Devenir médecin d'un collège religieux est un tremplin professionnel envié.
49. Thèse de doctorat en médecine, Paris, 1903.
50. Dr Etienne Martin, op. cit., p. 55. D'après ce texte, la religieuse « intelligente » place la possibilité de guérison miraculeuse en arrière-garde de la thérapeutique classique; elle semble se rallier à l'interprétation scientiste quant aux « nerveux », et abandonner les incurables à leur sort fatal…
51. Lettre du préfet de l'ille-et-Vilaine, le 15.10.1818 (Arch. dép., 20 Mk 1).
52. Circulaire de l'évêque de Nantes, le 25.7.1825 (Arch. dép. de la Loire-Atlantique, 1 M 1344).
53. Dervaux, J.-F., Le Doigt de Dieu, les Filles de la Sagesse, t. II, 1955, p. 162 Google Scholar.
54. La solidarité de la médecine, de l'instruction et de la religion en terre coloniale est étudiée par Yvonne Turin dans son livre Affrontements culturels dans l'algérie coloniale (1830-1880), Paris, Maspero, 1971.