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Emploi, Mobilité et Chômage en France au XIXe Siècle : Migrations Saisonnières Entre Industrie et Agriculture

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Jean-Pierre Bompard
Affiliation:
INRA
Thierry Magnac
Affiliation:
INRA
Gilles Postel-Vinay
Affiliation:
INRA

Extract

Les historiens s'accordent à souligner l'importance du sous-emploi dans l'économie française du xixe siècle. La confrontation des statistiques démographiques et des recensements de la population active montre en particulier que le nombre des actifs ne s'est que lentement rapproché de celui des individus en âge de travailler. De même, les enquêtes agricoles ou industrielles font alors apparaître de plus ou moins longues périodes d'inactivité pendant l'année. Pourtant, l'évolution des phénomènes d'emploi est difficile à préciser, d'autant que les catégories utilisées varient au cours du siècle et qu'elles restent longtemps inadéquates. Ainsi, alors que beaucoup d'activités sont encore discontinues et instables, les recensements et les enquêtes cherchent à classer les individus ou les ménages par secteurs en supposant ceux-ci clairement délimités et aptes à assurer un emploi à la fois exclusif et stable. De là une double incertitude.

Summary

Summary

Seasonal migrations between industry and agriculture were widespread in France until late in the nineteenth century. The scattering of manufacturing firms across the country, regardless of the local conditions of employment and wages, made competition in tense between the two sectors in summer when wages were generally higher in agriculture than they were in industry. According to their economic situation, plants reacted in different fashions to the threat of seasonal quits, still, in the 1860's, those who let the workers leave in summer employed around one-third of the industrial labour force. This article examines the conditions and the impact for each sector of such an important temporary migration which took place mainly at a local level. At a wider stage, it was also significant but failed to unify agricultural wages and allowed a coexistence of both employment tightness and partial unemployment areas.

Type
Le Travail et les Rapports Sociaux
Copyright
Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1995

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References

Notes

1. Cf. Salais, R., Baverez, N., Reynaud, B., L'invention du chômage, Paris, PUF, 1986, p. 27.Google Scholar

2. Cf. Léyv-Leboyer, M., Bourguignon, F., L'économie française au XIXe siècle, Paris, Economica, 1985, pp. 296303.Google Scholar

3. L'approche retenue ici ne va pas toutefois jusqu'au niveau monographique. Sur l'intérêt de cette dernière démarche, voir par exemple Caspard, P., « Les pinceleuses d'Estavayer. Stratégies patronales sur le marché du travail féminin au XVIIIe siècle », Revue suisse d'histoire, vol. 36, 1986, n° 2.Google Scholar

4. Cette enquête devait initialement porter sur l'année 1860 et permettre ainsi, en particulier, d'éclairer les effets du traité de commerce puisqu'il était prévu de la répéter tous les dix ans. Ce « dénombrement décennal de l'industrie manufacturière » reposait sur un questionnaire transmis par les maires à tous les propriétaires d'établissements (ou aux sociétés les exploitant). Ceux-ci avaient à remplir un bordereau imprimé de 44 questions portant sur les caractéristiques techniques et les résultats économiques de leur affaire. Les réponses ont été ensuite contrôlées et parfois corrigées ou complétées dans les départements par des commissions administratives qui, bien qu'elles s'en soient défendues auprès des enquêtes, firent largement appel aux informations dont disposaient les services fiscaux auxquels les préfets demandèrent finalement une vérification d'ensemble (cf., par exemple, A. D. Eure, 6 M 1243). En cas de retard ou de refus, des relances ont dû être effectuées, ce qui explique que la collecte de l'information se soit prolongée sur plusieurs années. En principe, toutefois, les données concernent toujours 1860. Seule une partie des informations rassemblées a été utilisée dans la publication finale qui a agrégé les résultats concernant les établissements d'une même sous-branche par arrondissement. Ce sont ces données qui ont été utilisées ici (mises sur support informatique, elles sont disponibles auprès des auteurs). Cf. Statistique de la France, 2e série, t. XIX, Industrie, Résultats généraux de l'enquête effectuée dans les années 1861- 1865, Nancy, 1873.

5. Cf. Statistique de la France, 2e série, t. XIX, Agriculture, Résultats généraux de l'enquête décennale de 1862, Strasbourg, 1868.

6. Statistique de la France, 2e série, t. VII et VIII, Statistique agricole. Enquête décennale de 1852, Paris, 1858 et 1860. Sur cette source, on se reportera au travail de M. DEMONET à paraître aux Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales.

7. Dans le bordereau que le ministère de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics fait parvenir au propriétaire de chaque établissement à l'occasion du « Dénombrement décennal de l'industrie manufacturière, année 1860 », les dernières questions sont consacrées aux « chômages ». L'avant-dernière colonne (colonne 44) doit spécifier l'occupation des ouvriers pendant ces périodes.

8. Voir, par exemple, A. D. Bouches-du-Rhône, XIV M 10 10 bis, A. D. Côte-d'Or, M 12 952 et 953, A. D. Marne 186 M 8. Outre l'activité éventuelle des ouvriers inemployés, cette documentation permet d'ailleurs de préciser le sens même de la notion de « chômage » dans l'enquête de 1860. Il arrive en effet que certains établissements déclarent une période de « chômage » pendant laquelle ils conservent pourtant tout ou partie de leur main-d'oeuvre. Dans ce cas, l'entrepreneur allègue tantôt la nécessité de fidéliser son personnel, tantôt ses devoirs d'employeur, ou encore indique que les ouvriers sont momentanément affectés à des tâches particulières (entretien, etc.). Le « chômage » ne signifie pas alors la mise à la porte des ouvriers mais la cessation de leur travail normal. Cette situation est cependant minoritaire. Dans le département de la Côte-d'Or, sur 485 bordereaux dépouillés, 213 établissements « chôment » en juillet et en août. Parmi ceux-ci, 18 déclarent conserver leurs ouvriers (il est vrai que ces derniers représentent 26 % de l'effectif total) et 6 autres n'en conserver qu'une partie. Mais en règle générale, quand il y a « chômage », les ouvriers quittent l'établissement, et l'agriculture est alors la destination la plus courante.

9. Les temps de chômage sont définis dans cette enquête par un nombre de mois et une ou plusieurs saisons. Par convention, on a posé qu'un mois de chômage correspond, pour une saison donnée, au mois central, que deux mois de chômage correspondent aux deux premiers mois, etc. Les résultats ainsi établis sont très proches de ceux consignés dans les documents originaux qui ont été conservés.

10. Et ceci même en tenant compte de la minorité d'ouvriers occupés par les établissements qui se déclarent en chômage. En effet, outre une importante lacune déclarée (la ville de Lyon), l'enquête est loin de couvrir la totalité de la population industrielle salariée : elle porte sur 1,7 million de personnes alors que les ouvriers d'industrie sont 2,9 millions selon les Résultats généraux du dénombrement de 1866. Ce fort déficit (1,2 million) affecte plus spécialement dans l'enquête certaines branches où le chômage est important comme le textile, l'habillement et les « industries relatives au bâtiment ». Précisons que pour l'enquête de 1860 cette branche rassemble les établissements produisant les matériaux nécessaires aux constructions et non le bâtiment à proprement parler — ce qui exclut donc une activité là encore très fortement saisonnière. Les résultats du dénombrement de 1866 permettent de localiser les branches où l'enquête n'est pas exhaustive (bien que la comparaison reste imparfaite dans la mesure où, en 1860, l'enquête note à part les « enfants », distinction qui est absente du recensement) :

11. Cf. Caron, F., Histoire économique et sociale de la France, XIXe-XXe siècles, Paris, Armand Colin, 1981, p. 24.Google Scholar

12. Cf., par exemple, Baulant, Micheline, « Le salaire des ouvriers du bâtiment à Paris (1400- 1726) », Annales ESC, 26, n° 2, 1971.Google Scholar

13. A titre indicatif, on mentionnera les situations extrêmes : salaires moyens départementaux masculins (francs/jours)

14. Louis Reybaud constate des salaires de 3,5 à 4 francs par jour pour un bon fileur en 1859 dans l'arrondissement de Lille. Un fileur ordinaire touchait 3 francs et de 1,5 à 1,75 francs pour le tissage dans les campagnes (Louis Reybaud, Le Coton, Paris, 1863). L'enquête industrielle de 1860 donne seulement le chiffre moyen de 3,25 francs pour les ouvriers des filatures de l'arrondissement, chiffre tout à fait cohérent avec les indications de Reybaud mais qui perd l'information sur l'éventail hiérarchique des salaires.

15. Les variations intra-annuelles des salaires pouvaient être mentionnées dans les bordereaux de l'enquête de 1860. Le questionnaire demandait en effet le niveau du salaire moyen mais aussi son minimum et son maximum, et les réponses précisent parfois que ce dernier correspond au salaire d'été. Sur le phénomène des primes estivales, voir aussi Nŕré, J., « Aspects du déroulement des grèves en France durant la période 1883-1889 », Revue d'histoire économique et sociale, volume 34, 1956, n° 3, p. 292.Google Scholar

16. Sur ces questions, voir, des mêmes auteurs, « Migrations saisonnières de main-d'oeuvre entre agriculture et industrie dans la France du xixe siècle », article présenté au Congrès de Cliométrie de Santander, juin 1989. La composition de la population active départementale est empruntée au dénombrement de 1866 de même que le taux d'urbanisation ici défini par la part de la population des villes de plus de20 000 habitants dans la population totale de chaque département (cf. Résultats généraux du dénombrement de 1866). La productivité du travail agricole rapporte la valeur de la production agricole finale départementale aux actifs ramenés à un équivalent temps complet en 1862. Enfin, les résultats économiques sont calculés pour chaque unité statistique de l'enquête industrielle de 1860 (établissement(s) d'une même sous-branche par arrondissement). On pose ainsi : valeur ajoutée = valeur du produit fabriqué - (matières premières + combustible) taux de valeur ajoutée = valeur ajoutée/valeur du produit fabriqué taux de marge = (valeur ajoutée - masse salariale)/valeur ajoutée intensité capitalistique = valeur vénale/effectif au travail productivité du travail = valeur ajoutée/effectif au travail Précisons que le taux de marge calculé ne comprend, faute de données, ni « les frais d'administration, d'assurances, etc. » ni les frais financiers.

17. Ici comme infra nous avons procédé à une analyse en composante principale.

18. Selon l'enquête de 1860, la branche textile compte 315 758 hommes et 320 751 femmes, l'habillement 39 886 hommes et 54 343 femmes. On sait d'ailleurs par le recensement général de la population de 1866 que ces chiffres sous-estiment particulièrement l'emploi féminin.

19. D'après les données de l'enquête de 1860, la productivité effective de la main-d'oeuvre au travail se répartit ainsi par branche :

— Textile : 1 205 francs

— Habillement : 1 033 francs

— Industries extractives : 1 524 francs

— Métallurgie : 1 270 francs

— Fabriques d'objets en métal : 1 267 francs

— Industries des transports : 1 277 francs

— Chimie : 4 436 francs

— Alimentation : 4 517 francs.

20. Un meunier de Oigny (Côte-d'Or, canton de Baigneux-les-Juifs) déclare ainsi garder ses ouvriers alors qu'il n'y a pas d'ouvrage pendant les basses eaux « car on ne peut renvoyer des ouvriers qu'on ne retrouverait pas au retour des eaux » (cf. A. D. Côte-d'Or M 12 952).

21. On a ainsi la régression suivante : production départementale de céréales = a (effectif des chômeurs de l'industrie en juillet-août) + b, avec T = 2,80 pour 83 degrés de liberté.

22. Le coût salarial, et donc les niveaux de salaires, n'est cependant pas lié au taux de marge de manière univoque. En effet, ce taux se décompose notamment comme suit : taux de marge = 100 (1 — frais de personnel par salarié/valeur ajoutée par salarié). On peut donc concevoir de bons taux de marges qui combineraient des salaires plus élevés que la moyenne et une forte productivité du travail.

23. Cf. Châtelain, A., Les migrants temporaires en France de 1800 à 1914, Villeneuve d'Ascq, PUL, 1976.Google Scholar

24. Faute d'indicateurs préférables, la demande de travail temporaire par l'agriculture a été approchée ici par le « nombre d'ouvriers venus du dehors dans l'arrondissement pendant la moisson » établi lors de l'enquête de 1852 (où d'ailleurs l'unité d'observation est en réalité le canton). Ces données nous ont été communiquées par M. Demonet. On peut ainsi cerner, fût-ce grossièrement, les écarts entre les besoins agricoles (évalués en 1852) et les effectifs industriels au chômage en juillet et août (évalués en 1860). Cf. fig. 5.

25. On a : salaire agricole d'été = a (demande agricole de journaliers - nombre de chômeurs industriels) + b, avec T = 4,18 pour 83 degrés de liberté. On notera également que le rapport du salaire agricole féminin au salaire agricole masculin varie selon que les hommes et les femmes au chômage sont plus ou moins nombreux que la demande agricole en main-d'oeuvre temporaire masculine et féminine : salaire agricole d'été homme / salaire agricole d'été femme = a ((demande agricole de journaliers - nombre de chômeurs industriels) - (demande agricole de journalières - nombre de femmes au chômage dans l'industrie)) + b, avec T = 2,21 pour 83 degrés de liberté.

26. Dans ce cadre peuvent intervenir des modalités particulières de détermination des salaires agricoles. Il est parfaitement concevable que, malgré la pression exercée sur les marchés locaux du travail par la main-d'oeuvre inemployée, les salaires agricoles restent rigides à la baisse en été. Une telle éventualité s'expliquerait par une politique d'embauché sélective des employeursagricoles : ces derniers souhaiteraient fidéliser d'année en année des ouvriers reconnus qualifiés venus pour les récoltes en leur offrant à cette fin des salaires supérieurs aux salaires de référence (salaire agricole de basse saison et salaire industriel). Des rémunérations élevées peuvent aussi leur être imposées pour garder dans l'agriculture, au moyen de l'équivalent d'une prime estivale, des ouvriers qui seraient tentés de partir travailler durablement dans l'industrie.

27. Cet article s'insère dans une recherche plus large menée en commun avec I. Foulhouze et P. Verley.