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Élise Boillet et al. (dir.), Traduire et collectionner les livres en italien à la Renaissance, Paris, Honoré Champion, 2020, 282 p.

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Élise Boillet et al. (dir.), Traduire et collectionner les livres en italien à la Renaissance, Paris, Honoré Champion, 2020, 282 p.

Published online by Cambridge University Press:  12 January 2023

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Abstract

Type
Livres et circulation des savoirs (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

À travers cet ouvrage, il s’agit d’ajouter une pierre aux recherches sur l’italianisme français à la Renaissance, très vigoureuses depuis quelques annéesFootnote 1. Ce collectif s’intéresse aux deux domaines de la traduction et du collectionnisme, avec neuf articles sur la traduction et quatre sur les collections. Il consiste en la publication d’une partie des recherches du projet ANR intitulé EDITEF (« L’édition italienne dans l’espace francophone à la première modernité »). Comment faire émerger du neuf dans un champ aussi travaillé ? Outre la systématisation du catalogage (dont rendent compte la base EDITEF en ligne et les articles du présent volume sur la Bibliothèque Mazarine et la Bibliothèque de l’Université de Liège), la nouveauté advient ici avec la discussion du concept de « professionnalisation » des traducteurs d’un côté et avec le recours à l’histoire du livre de l’autre, pour interroger la circulation des textes et les pratiques de traduction. Histoire du livre, bibliographie matérielle, bibliothéconomie et bibliophilie sont les moyens de relancer l’enquête.

Certaines traductions de Boccace (Alessandro Bertolino), de Pétrarque (Jean Balsamo), de Boiardo (Francesco Montorsi), de Pierre l’Arétin (Bruna Conconi et Élise Boillet), de Paolo Giovio (Monica Barsi) sont examinées dans leur réalité matérielle autant que linguistique, et permettent d’évaluer la valeur fluctuante des transferts culturels. Des objets communs traversent les articles : le traducteur Gabriel Chappuys, bien sûr, est une figure insistante de cette enquête (on le retrouve dans les contributions de J. Balsamo, d’A. Bertolino et de Chiara Lastraioli), mais aussi le texte des Psaumes (B. Conconi et É. Boillet) ou les politiques éditoriales de libraires tels Roville et Langelier, libraires les plus italianisants de Lyon et de Paris… Textes, passeurs de textes, circuits commerciaux et circuits bibliophiliques se combinent dans des configurations très variées (auliques, éditoriales, privées) qui font éclater l’illusoire unité de l’italianisme français. S’il y a un message fort dont témoigne chaque contribution de ce volume, c’est l’abandon de cette catégorie unifiante : il n’existe pas un italianisme mais des dispositifs de transferts culturels aux ambitions très distinctes (apprendre l’italien, parfaire sa culture de cour, afficher une distinction aristocratique, approfondir sa spiritualité, promouvoir la langue française, gagner sa vie, divertir, recourir à l’italien pour accéder à des textes espagnols sans cela illisibles, enrichir le vocabulaire militaire, etc.).

Quelques exemples permettent d’illustrer ces valeurs fluctuantes : B. Conconi soumet les traductions françaises de l’Arétin à une enquête sur la matérialité des livres et sur le temps long qui révèle la transformation du statut de l’auteur (et du traducteur) au fil des décennies Quand Jean de Vauzelles publie chez Gryphe, en 1540, les Sept psaumes de la pénitence traduits de l’italien de l’Arétin en caractères romains alternant avec les italiques, et non en caractères gothiques, il prouve à la fois la modernité de ce texte et sa valeur de soutien à l’illustration du français. Or ce problème ne se pose plus quand François de Rosset refait, en 1605, une traduction de ces mêmes Psaumes (à partir d’un état de texte différent et sans tenir compte de la traduction de son prédécesseur). En 1540 et en 1605, le portrait de l’Arétin disparaît et c’est le même format in-octavo qui est préféré au in-quarto vénitien originel ; Rosset privera cependant l’Arétin de son épithète « divin » pour le qualifier de « fameux », marquant une plus nette distance avec lui que Vauzelles (entre-temps, les Ragionamenti sont parus en français et le lectorat de l’Arétin n’est plus le même). Rosset apparaît alors comme une nouvelle figure de traducteur, « mercenaire », répondant à une demande du marché.

Le traducteur peut aussi être un dissimulateur. Avec La Toscane française italienne, en 1601, Chappuys offre à Marie de Médicis un ouvrage bilingue présentant l’italien et le français en deux colonnes sur la même page et, ce faisant, produit un vrai-faux : il laisse paraître comme sien un éloge bilingue qui est en réalité un emprunt sélectif mais mot à mot à la Descrittione di tutta Italia de Leandro Alberti, parue en 1550, qu’il traduit tant bien que mal et, surtout, passe entièrement sous silence. « Chappuys traducteur de lui-même » est le mensonge du traducteur, habile politique mais assez médiocre italophone pour inciter le chercheur ou la chercheuse à trouver la vérité du montage.

J. Balsamo examine quant à lui la différence entre traducteurs de métier et traducteurs dilettantes en choisissant trois dates ad hoc : 1575, 1585 et 1595. On peut traduire sous patronage, sous commande éditoriale ou par loisir lettré, différentes postures qui induisent à la fois des objets très différents et des statuts auctoriaux fort divers. Un Gabriel Chappuys, traducteur professionnel qui faisait peut-être travailler un atelier de traduction sous son nom et répondait à des commandes de librairies, n’a rien à voir avec un René de Lucinge, traduisant Botero depuis la relation lettrée et spirituelle qu’il entretient avec lui. Il n’y a pas de pratique normalisée de la traduction mais des usages différenciés progressivement modelés par la réalité éditoriale, par la conscience linguistique et par l’identité sociale des traducteurs. Grâce à Nicolas de Livre, traducteur non professionnel du dialogue Del Terremotto de Lucio Maggio, qui s’interroge sur le manque encore criant de terminologie scientifique dans la langue française et sur la nécessité de traduire en français des textes écrits en langues étrangères, J. Balsamo repose la « question de la langue » et postule que c’est moins la professionnalisation de la traduction que son usage « à loisir » qui permet de penser la traduction. Les non-professionnels sont les théoriciens que les professionnels n’ont pas le temps d’être.

À l’opposé de la démonstration de J. Balsamo, le traducteur Jacques Vincent, examiné par F. Montorsi, est plutôt un homme qui a voulu s’instaurer comme professionnel, donc comme auteur de ses traductions, en monnayant, via ses privilèges, son travail. L’échec est toutefois patent : l’obtention de privilèges n’a permis à aucun auteur ou traducteur du xvie siècle de gagner sa vie de sa plume. Des politiques éditoriales sont aussi mises au jour : à Lyon, Guillaume Roville impose une nouvelle forme au Décaméron avec des in-seize en italiques pourvus de vignettes et de paratextes moraux qui vont faire école dans tout le royaume, comme montre A. Bertolino.

La seconde partie du volume aborde la présence des livres italiens sous l’angle de la bibliothèque. J. Balsamo reprend une enquête faite en 1995 sur les exemplaires de Pétrarque imprimés au xvie siècle et présents dans les collections publiques en France pour la compléter, en particulier avec les exemplaires présents sur le marché du livre, dont un Pétrarque portant la signature de Descartes. Au premier recensement avaient été identifiés 640 exemplaires pour 211 éditions imprimées entre 1501 et 1600, dont 125 d’origine italienne et, plus précisément, 114 éditions vénitiennes. Ce qui frappe dans l’histoire de la transmission de ces exemplaires, c’est la possession personnelle par François Ier, par Henri III, par Marguerite de Valois d’un ou plusieurs Pétrarque (trois pour Marguerite de Valois). La cour des Valois est – matériellement, livresquement – pétrarquiste.

La Bibliothèque Mazarine possède aujourd’hui 4 071 livres italiens (imprimés entre la fin du xve siècle et le début du xviie siècle). L’enquête, minutieusement exposée par Amélie Ferrigno, a consisté d’abord en ce comptage (assez complexe) qui a dénombré, après plusieurs tâtonnements, 141 incunables italiens et 3 930 titres entre 1500 et 1630, pour un total de 4 071 titres donc. Elle a ensuite évolué en un examen des marques de provenance (fait sur 2 000 volumes à l’heure actuelle), avec environ 200 noms de possesseurs identifiés grâce aux ex-libris, ex-dono, cachets, reliures aux armes, ex-legato et diverses cotes anciennes présentes. Ces noms, enfin, ont été intégrés dans un répertoire de possesseurs (collectivités, personnes identifiées, personnes non identifiées, noms encore indéchiffrés). Les premiers résultats font apparaître de nombreux possesseurs nobles, voire de la maison royale, puis des religieux, des bibliothécaires (Marin Mersenne, les frères Dupuy) et des auteurs (François de Belleforest, Pierre Le Loyer, etc.). Les Français sont majoritaires, les Italiens minoritaires et souvent eux aussi liés à la cour (Lucantonio Ridolfi, Jacopo Corbinelli, Giambattista Marino, etc.). Une grande partie des livres, s’ils ne proviennent sans doute pas du fonds primitif romain de Mazarin, étaient présents dans l’inventaire de 1690 et ont donc appartenu au cardinal, achetés pour lui par Gabriel Naudé en Italie ; les autres livres italiens proviennent des confiscations révolutionnaires. Deux profils de l’italianisme bibliophilique se dégagent donc de l’enquête : un profil curial et un profil d’érudits collectionneurs plus tardifs.

Par comparaison avec la Mazarine, les 253 livres italiens de la Bibliothèque de l’Université de Liège (soit 5 % des livres imprimés du xvie siècle, conservés dans le fonds ancien) forment un fonds petit mais très cohérent, avec 85 % de livres d’origine vénitienne. Le fonds, largement constitué par un legs du baron Adrien Wittert en 1903, est en cours de numérisation et de description.

Un regret cependant : rien n’est dit sur les traductrices dans le volume – on pense par exemple au travail de Marguerite de Cambis dans son Epistre consolatoire de messire Jehan Boccace, envoyée au Sieur Pino de Rossi, Traduicte d’Italien en Françoys par Mademoiselle Marguerite de Cambis, Baronne d’Aigremont et lieutenante de Nimes (Lyon, G. Roville, 1556), dûment pourvue d’une dédicace qui la définit comme « traductrice ». Et le lecteur trouvera également peu de choses sur les lectrices italophones, sinon une allusion de Massimo Scandola à Madame de Sévigné et à la présence de l’italien dans sa correspondance (p. 231), et la mention de deux collectionneuses, Henrietta Louisa Fermor (Renaud Adam, p. 258) et Marguerite de Valois (J. Balsamo, p. 199). Les italianisants n’étaient-ils donc que des hommes ?

Le concept de « biographie documentaire » proposé par M. Scandola (p. 221 et passim), et défini comme la recension des pratiques culturelles de l’écrit mises en place par un individu, à la fois scriptor et lector (annotations, ex-libris, traces épistolaires, compétences linguistiques, etc.), permet de discerner les goûts des lecteurs et l’évolution des pratiques de lecture au fil des xvie et xviie siècles. C’est sans doute de ce côté de la « biographie documentaire » que le savoir sur les livres anciens est en train de s’enrichir. Le volume montre à plusieurs reprises que l’histoire des possesseurs, des marques de possessions et des reliures (dont la magnifique reliure au soleil de Marguerite de Valois sur un Pétrarque ou les reliures portant la mention Il Petrarca sur le plat supérieur des Rime) est de plus en plus importante dans l’étude des livres anciens. La richesse de cet ouvrage désigne (quoique de manière parfois insuffisamment théorisée) de nouvelles méthodes de recherche.

References

1 En témoignent, parmi beaucoup d’autres, Jean Balsamo, Vito Castiglione Minischetti et Giovanni Dotoli (dir.), Les traductions de l’italien en français au xvie siècle, Fasano/Paris, Schena/Hermann, 2009 ; Silvia D’Amico et Susanna Gambino Longo (dir.), Le savoir italien sous les presses lyonnaises, Genève, Droz, 2017.