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Concepts juridiques et conjoncture révolutionnaire

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

François Furet*
Affiliation:
Centre Raymond Aron-EHESS

Extract

Je suis sensible à l'intérêt critique que Michel Troper porte à mes travaux et saisis bien volontiers l'occasion qui m'est offerte par les Annalesd'une discussion avec un juriste qui connaît si bien l'histoire de la Révolution française. Je ne suis pas sûr de me reconnaître pleinement dans ce qui est pour lui une thèse générale de mon livre : l'idée qu'il m'attribue, par exemple, que « tout est joué en 1789», n'est certainement pas mienne. Je pense simplement que dans le domaine civil, l'essentiel de ce qu'accomplira la Révolution française est conçu et entrepris très tôt, entre le 4 et le 11 août 1789; et qu'en matière politique, bien des éléments de ce qui constituera le dilemme constitutionnel français sont présents dès les premières années de la Révolution.

Summary

Summary

In response to Michel Troper's analysis, François Furet's article raises both factual and methodological points.

The former are in relation to the Constitution of 1791 and more specifically to the right of suspensive veto granted to the king by the Constituants in September 1789. The debates that preceded the vote show that the idea was not to give the king a share in the exercice of sovereignty, but simply to allow for the possibility of a re-examination of the work of the legislators by the people. It was not until the summer of 1791, with the feuillants’ revision, that the king, declared co-representative of the nation, would be officially associated with the exercice of sovereignty at exactly the moment when, following the Varennes episode, he no longer possessed any authority either political or moral.

This disagreement with Michel Troper's interpretation of the extent of the king's power in 1789-1791 coincides with a disagreement with his method. François Furet thinks that it is impossible to analyze a Constitution, as such, by its text alone, as if it were a pure system of juridical norms informed by the «correct» theory of law. Even the jurist cannot forego a historical enquiry into the circumstances surrounding the elaboration of a Constitution, the interpretation held of that Constitution by its authors and how that document was put into practice. Such an enquiry may not exhaust the study of a constitutional document but it is certainly a necessary condition for any such undertaking.

Type
Sur la Révolution, un Débat
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1992

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References

Notes

1. La question du mono ou du bicamérisme recoupe aussi, chez bien des Constituants français, celle de l'unité et de l'indivisibilité de la souveraineté. J'y reviens plus loin, puisque c'est un des points soulevés par Michel Troper.

2. Moniteur, t. IX, p. 361, séance du 10 août 1791.

3. Id., p. 362.

4. Id., pp. 363-364.

5. Moniteur, t. I, p. 354, séance du 19 août 1789.

6. Voir, par exemple, à cet égard, l'évolution du Comité des recherches de l'Assemblée Constituante, et ses empiétements sur le pouvoir exécutif en matière de police. Cf. Pierre Caillet, Les Français en 1789, d'après les papiers du Comité des recherches de l'Assemblée Constituante (1789- 1791), Paris, Éditions du CNRS, 1991.

7. Antoine Barnave, dans l'« Examen critique de la Constitution », probablement écrit après son arrestation, donc après la chute du roi, va jusqu'à parler de « la base réellement républicaine de la Constitution » de 1791. Il est vrai qu'il a en vue, dans ce passage, le fait qu'à la différence du souverain anglais, le roi de la Constitution française n'était pas doté du droit de dissolution. Il reste que de la part du principal inspirateur de la révision constitutionnelle de 1791, c'est un constat qui relativise l'importance de cette révision quant aux pouvoirs du roi. Cf. Barnave, Antoine, De la Révolution et de la Constitution, préface de Furet, François, Gueniffey, Patrice éd., Grenoble, PUG, 1988, p. 167.Google Scholar

8. De Malberg, Raymond Carré, Contribution à la théorie général de l'État, 2 vols, Paris, Sirey, 1920, t. I, p. 400.Google Scholar

9. Pour rendre justice de cette phrase de Rabaut Saint-Étienne, on est conduit, à suivre Michel Troper, au raisonnement vertigineux suivant : Carré de Malberg ayant distingué par l'analyse les différents sens du mot souveraineté présents dans toute théorie de la souveraineté, Rabaut n'a pu que véhiculer cette théorie correcte dans son discours sur le sujet, tout en ignorant ce que son discours faux avait de correct.

10. Dans Schelle, Gustave, Œuvres de Turgot et documents le concernant, Paris, 1923, t. V, pp. 532540.Google Scholar Par exemple, pp. 534-535 : «Je vois, dans le plus grand nombre (des constitutions américaines FF), l'imitation sans objet des usages de l'Angleterre. Au lieu de ramener toutes les autorités à une seule, celle de la Nation, l'on établit des corps différents, un corps de représentants, un conseil, un gouverneur, parce que l'Angleterre a une Chambre des communes, une Chambre haute et un roi. On s'occupe à balancer ces différents pouvoirs : comme si cet équilibre des forces, qu'on a pu croire nécessaire pour balancer l'énorme prépondérance dans la royauté, pouvait être de quelque usage dans des républiques fondées sur l'égalité de tous les citoyens ; et comme si tout ce qui établit différents corps n'était pas une source de division ».

11. La formule apparaît précisément dans un discours du duc de Liancourt sur la sanction royale, Moniteur, t. 1, p. 403, séance du 31 août : la participation royale au pouvoir législatif apparaît à l'orateur monarchien comme inséparable du « gouvernement monarchique », cette part de « l'Ancien Régime » que les Constituants ont reçu mandat de conserver.