Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Le 10 décembre 1978, la direction de Sacilor confirmait officiellement que les suppressions d'emploi concerneraient 8 500 postes de travail. Le 12 décembre, la direction du groupement Usinor annonçait à son tour 12 500 suppressions d'emploi. Le 14 décembre, l'Union Nationale de la Métallurgie envisageait une baisse des actifs de 14 400 personnes dans le bassin sidérurgique de Longwy. Dans le pays haut lorrain, c'était la confirmation officielle de la catastrophe que chacun redoutait tout en ne voulant pas toujours la reconnaître comme probable : il semble que, durant quelques jours, des attitudes d'évitement et de dénégation aient dominé.
The re-organisation of the steel industry in 1978 and 1979 was not simply an economic operation designed to re-establish profit margins, the social consequences have been numerous and deeply felt in Longwy (an important French steel producing town), whose whole foreseeable future has been thrown into uncertainty. The steelworkers’ lack of qualifications for other work—their own skills being too specific—has been ail the harder to accept because they had been relatively well protected from the effects of general competition in the job market; emigration to other regions is also very much opposed because it goes against a strong attachment to the region resulting from management strategies designed to encourage the implantation of the labour force and from the fight for the right to settle led by the metalworkers, who were often immigrants. But the crisis is also a product of the multiple social transformations which preceded it and made the continuing of the existing Systems of regulation more and more impracticable. At the root of these changes was the changeover from a society of overt dependence based on personalised authority and clear divisions between social groups to a more composite society working through a more diffuse and indirect authority. This change is the more difficult to understand and accept for the fact that, faced with the growing diversification of different social groupings, institutions are less and less able to unify the representation of their interests and co-ordinate their practices.
1. Depuis 1965 la sidérurgie française est, on le sait, en crise. En 1975, le patronat sidérurgique français n'a pas réussi à améliorer sa productivité plus que ses concurrents directs. S'il faut 12 h 12 de travail (ouvriers et employés) pour fabriquer une tonne d'acier brut en France, en 1975, il faut entre 8 et 9 h pour fabriquer cette même tonne d'acier au Luxembourg, en Belgique ou en Allemagne, et moins de 7 h en Italie (Office statistique des Communautés européennes). De plus, de nouveaux pays producteurs, pour conquérir rapidement un marché, cassent les prix. La France, anciennement industrialisée (3e producteur mondial en 1929), possède en 1975 des installations vétustés et d'autres très modernes. Il est vrai que les fusions et les réorganisations ont été nombreuses depuis 1948. Les suppressions de postes de travail ont souvent suivi (cf. B. Sinou, « La Lorraine face à la crise sidérurgique », Économie et Statistique, n° 22, pp. 29-36 ; M. Freyssenet, La Sidérurgie française, Paris, Savelli, 1979).
2. L'analyse que menait Durkheim des rites piaculaires liés aux catastrophes atteignant la collectivité n'est pas sans retrouver ici quelque actualité autour de ces rituels de deuil. Cf. E. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, F. Alcan, 1925, 646 p.
3. P. Bourdoeu, « Classement, déclassement, reclassement », Actes de la Recherche en Sciences sociales, 1978, n° 24, pp. 2-23.
4. Vingt-cinq de ces entretiens n'ont été que partiellement utilisés : ayant été conduits par des étudiants en sociologie, dans le cadre d'un exercice pédagogique d'apprentissage des techniques d'enquête, ils souffrent d'autant plus des limites qu'implique ce style de situation que la distance sociale entre les enquêteurs et les enquêtes est grande.
5. Jacques Le Mouel, « Le chômage des jeunes : des vécus très différents », Sociologie du travail, n° 2,1981, pp. 163-172.
6. O. Galland, M. V. Louis, « Chômage et action collective », Sociologie du travail, n° 2, 1981, pp. 173-191.
7. Schatzmann, L., Strauss, A., « Social Class and Modes of Communication », American Journal of Sociology, n° 4,1955, pp. 329–338 Google Scholar.
8. D. Matza, H. Miller, « Poverty and Prolétariat », dans R. Merton, R. Misbet, Contemporary Social Problems, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1976, 4e éd., 782 p., pp. 640-673 ; sur le concept de « disrepute of under-employment », cf. p. 661.
9. P. Lazarsfeld, M. Jahoda, H. Zeisel, Les Chômeurs de Marienthal, Paris, Éditions de Minuit, 1981, 145 p. (lre éd., 1932). Les auteurs avaient perçu l'importance de ces craintes de « discrédit ».
10. « La probabilité de réinsertion diminue d'autant plus que la durée du chômage augmente. Lors de la réinsertion dans la vie active, on requiert souvent des exigences trop élevées en matière de capacité de travail, surtout de la part d'individus présentant un amoindrissement de leurs capacités… Ces types d'individus sont chaque fois désavantagés au cours des processus de sélection qui ont lieu suite aux licenciements ou lors de tentatives de réinsertion ultérieure. Le taux croissant de chômeurs à long terme justifie sans ambiguïté la thèse de la structuralisation et de la consolidation du chômage. En septembre 1977, par exemple, 26,8 % des chômeurs présentaient des restrictions sur le plan de la santé… » Uberlegungen Zu einer vorausschauenden Arbeitsmarktpolitik, Bundesanstalt fur Arbeit, 1978, Nuremberg, 219 p., p. 27.
11. Ch. De Montubert, « Promotion et reclassement », Revue française de Sociologie, 1968, pp. 208-217.
12. Davatne, M., « L'insertion des jeunes en période de sous-emploi : réalité et représentations », Travail et emploi, n° 14, 1982, pp. 55–70 Google Scholar.
13. Les données recueillies ici auprès des personnes interrogées recoupent les résultats obtenus par V. Scardigli, P.A. Mercier, Ascension sociale et pauvreté. La différenciation d'une génération de fils d'ouvriers, Paris, CNRS, 1978, 159 p., ainsi que M. Gollac et A. Desrosieres, « Trajectoires ouvrières, systèmes d'emplois et comportements sociaux », Économie et Statistique, n° 147, 1983, pp. 53-67, et Ch. De Montubert, « Trajectoires et mobilité sociale de familles strasbourgeoises », Revue des Sciences sociales de la France de l'Est, 1983, n° 12, pp. 135-155.
14. Brunhes, D., « Le bassin d'emploi de Longwy : mono-industriel et isolé », Les Dossiers de l'économie lorraine, n° 47, 1979, pp. 27–39 Google Scholar.
15. La dépendance de l'emploi à la sidérurgie apparaît encore dans la part respective des secteurs d'activités : le bâtiment représente 6 % des emplois du bassin de Longwy, le commerce 7 %, les transports et télécommunications 5 %, les services 18 °/o, les industries autres que la sidérurgie et la première transformation des métaux 8 %. Ainsi l'organisation de l'activité économique estelle largement dominée par la sidérurgie. Cette dépendance se traduit aussi dans la répartition des catégories socioprofessionnelles : les industriels et commerçants représentent 5,7 % des actifs lorrains, contre 4 % dans le bassin de Longwy, les membres des professions libérales et les cadres supérieurs sont 6,4 % en Lorraine contre 4,3 % à Longwy, les cadres moyens 10,2 % contre 7,2 % à Longwy, les employés 9,1 % contre 6,5 %. Inversement les ouvriers représentent 58,1 % des actifs lorrains contre 70,9 % à Longwy.
16. Chacun participait plus ou moins de ces croyances en la puissance du Maître dont parlait Marx : « L'enchaînement de leurs travaux leur apparaît idéalement comme le plan du capitaliste. L'unité de leurs corps collectifs leur apparaît pratiquement comme une autorité, la puissance d'une volonté étrangère qui soumet leurs actes à son but… », dans K. Marx, Le Capital, Paris, Éditions sociales, Livre 1er, tome 2.
17. D. Brunhes, « Le bassin sidérurgique : une délimitation et ses caractéristiques », Les Dossiers de l'économie lorraine, n° 62, 1980, pp. 3-4.
L'importance de la dépendance était en rapport direct avec l'amplitude de l'expérience professionnelle dans la sidérurgie. Jusqu'en 1976, les taux d'activité masculins sont toujours plus élevés, à chaque tranche d'âge, dans le bassin d'emplois de Longwy, qu'ils ne le sont en Lorraine. Entre 20 et 24 ans, 77,2 % des hommes sont actifs contre 74,3 % en Lorraine, entre 40 et 44 ans, 99,4 % à Longwy sont actifs contre 90,6 % en Lorraine, 89,4 °?o entre 55 et 59 ans contre 77,7 %, 49,2 % entre 60 et 65 ans contre 43,1 % en Lorraine. Il s'agit, comme l'écrit D. Brunhes « d'une population laborieuse dont l'âge de cessation d'activité était particulièrement élevé par rapport à son espérance de vie ».
18. D. Brunhes, op. cit., p. 9 ; 46,4 % des femmes de 25 à 29 ans exercent une activité professionnelle à Longwy contre 55,7 % en Lorraine ; 32,8 % des 30-34 ans contre 44 °/o en Lorraine ; 23,9 % des 40-44 ans contre 34,3 % en Lorraine.
19. D. Wagnon, E. Menabe, « La population et l'habitat dans le bassin de Longwy, des situations très contrastées », Les Dossiers de l'économie lorraine, n° 47, 1979, pp. 34-41.
Les OS et manoeuvres sont plus souvent logés dans des immeubles construits entre 1944 et 1968 alors que l'équipement et le confort y sont inférieurs à celui des immeubles lorrains construits durant la même période (45 % de ces logements possèdent W.C. intérieurs et salle d'eau contre 50 % en Lorraine). Les agents de maîtrise et techniciens logent plus souvent dans des immeubles terminés après 1968. Mais ceux-ci eux-mêmes sont moins nombreux à posséder des signes de confort habituels (83 % à Longwy contre 90 % en Lorraine). La dépendance à l'égard de l'employeur sidérurgique est de plus renforcée par le statut d'occupant puisque 3,5 % des ménages sont logés à titre gracieux, et 18 % payent leur loyer à leur employeur.
20. Cet attachement est aussi le résultat des nombreuses pratiques qu'avaient dû élaborer les familles et les travailleurs pour maintenir leur emploi. Ainsi en est-il des familles de travailleurs immigrés qui, vers 1930, ont dû résister et contourner de multiples pressions au départ. Cf. G. Walter, L'Évolution du problème de la main-d'oeuvre dans la métallurgie de la Lorraine désannexée, Mâcon, 1935, p. 65.
21. S. Bonnet, L'Homme du fer, Metz, 1975,302 p.
22. S. Bonnet, R. Humbert, La Ligne rouge des hauts fourneaux, Paris, Denoël, 1981, 382 p.
23. G. Haupt, L'Historien et le mouvement social, Paris, Maspero, 341 p.
24. Ch. De Montlibert, « La construction sociale des revendications comme enjeu des luttes », Revue européenne de Sciences sociales, nos 54-55,1981, pp. 355-376.
25. Ph. Fritsch et C. De Montlibert, « Le cumul des désavantages : les élèves des centres ménagers », Revue française de Sociologie, X, 1972, pp. 80-93.
26. Les salaires payés dans la sidérurgie en 1973 sont pour chaque catégorie supérieurs à ceux payés dans les autres activités de la même zone. Ainsi le salaire moyen est de 24 495 F contre 20 631 F dans l'ensemble des activités longoviciennes ; le salaire moyen ouvrier y était de 21 903 F contre 18 220 F ; le salaire moyen des cadres de 35 265 F contre 32 628 F. Cf. B. Smou, op. cit.
27. N. Bousquet, C. Grougerard, M. Pillon-Chopart, Contribution du technique court à la mobilité géographique et professionnelle, Paris, INRP, 87 p.
28. T. Broda, S. Demailly, C Labruyere, « Crise de la sidérurgie et recomposition du procès de travail », Sociologie du travail, n° 4, 1978, pp. 423-447. Les auteurs se demandent si ces processus de sous-traitance ne jouent pas leur rôle dans la préparation d'une division internationale de la production réservant le traitement du minerai au Tiers Monde et le laminage aux pays industrialisés.
29. M. Pialoux, « Jeunes sans avenir et travail intérimaire », Actes de la Recherche en Sciences sociales, nos 26-27,1979.
30. B. Sinou, op. cit.
31. C. Gaudin, J.-C. Moraud, « L'emploi dans le Pays Haut », Les Dossiers de l'économie lorraine, n° 52, 1979, pp. 19-26.
32. P. Bourdoeu, M. De Saint Martin, « Le patronat », Actes de la Recherche en Sciences sociales, n°s 20-21, 1978.
33. Ce décalage entre les croyances et l'organisation de la domination qui suscite un usage généralisé des pronoms impersonnels pour désigner les directeurs et les cadres n'est pas sans évoquer une force magique capable d'actions néfastes.
34. B. Schwartz, « Mes méthodes d'enseignement à l'Ensimm de Nancy », Revue universelle des Mines, XVIII, 1969, pp. 1-11.
35. A. Pitrou, « Le soutien familial dans la société urbaine », Revue française de sociologie, XVIII, 1977, pp. 47-84.
36. Parmi les raisons de ces transformations se trouvent les différences marquées de scolarisation entre classes d'âges. Les moins de 25 ans sont largement plus scolarisés que les plus de 55 ans, dont plus de 80 % n'ont aucun diplôme. Les femmes de moins de 25 ans ont rattrapé et même dépassé les taux de réussite scolaire des hommes de même âge. Dans la commune de Longwy, 80,49 % des hommes de plus de 55 ans n'ont aucun diplôme contre 52,99 % des hommes de 17 à 34 ans ; 8,50 % des hommes de plus de 55 ans ont au moins le baccalauréat contre 15,69 % des 17-34 ans ; enfin 2,78 % des femmes de plus de 55 ans sont titulaires d'un baccalauréat contre 16,14 % des femmes de 17 à 34 ans. La répartition par sexe montre que chez les plus âgés 1,09 % des femmes ont le baccalauréat contre 5,22 % des hommes ; 3,83 % un BEPC contre 3,59 % des hommes ; 3,56 % un CAP contre 8,49 % des hommes. Mais chez les jeunes la situation est inversée, les femmes ont tendance à être souvent dotées d'une qualification scolaire plus élevée que celle des hommes de même âge : 9,31 % ont le baccalauréat contre 7,47 % des hommes ; 9,52 % ont un BEPC contre 6,72 % des hommes. La différence entre les hommes et les femmes à propos du CAP — traditionnellement plus souvent possédé par les hommes — est elle-même peu marquée : 24,67 % contre 21,73 %. De tels changements ne sont pas sans effet dans une société relativement traditionnaliste quant à la division du travail entre les sexes.
37. Christophe Terrier, « La réalité des pays lorrains d'après les déplacements domicile travail en 1975 », Les Dossiers de l'économie lorraine, nos 32-33, 1978, pp. 22-47.
38. Statistique communiquée par la Direction régionale du Travail et de l'Emploi en Lorraine (1er février 1982).
39. Considérant ces « traces », on comprend l'intérêt des fractions dirigeantes pour une architecture industrielle « mobile ». Les grandes entreprises ne peuvent dans une économie ouverte concevoir leur implantation que comme temporaire. Une architecture mobile offre ainsi des avantages multiples dont celui de permettre aux entreprises de ne pas immobiliser indéfiniment une part importante de capital fixe, mais aussi, sans que ce but soit consciemment recherché, de freiner l'élaboration d'une localisation nécessaire à une mémoire collective préalable plus ou moins indispensable à la construction des revendications. C. De Montlibert, « La notion de mobilité en architecture », Cahiers de l'Institut d'Urbanisme et d'Aménagement régional de Strasbourg, n° 2, 1980, pp. 98-104.
40. O. Brunhes, « Le bassin sidérurgique : une délimitation et ses caractéristiques », Les Dossiers de l'économie lorraine, n° 62,1980, pp. 3-14.
41. S. Erbes Seguin, « La presse syndicale en 1971 », Sociologie du travail, n° 4, 1973, pp. 376-393. On sait, par exemple, qu'au début du siècle les suicides de membres des classes populaires âgées étaient très fréquents et qu'en 1971, le thème de la misère des retraités ouvriers fait l'unité intersyndicale.