Published online by Cambridge University Press: 11 March 2020
L’analyse de réseaux, dans sa dimension quantitative, apparaît à divers titres comme une voie de renouvellement des études historiques, bien qu’il s’agisse d’un outil forgé par la sociologie pour analyser les sociétés contemporaines. Nous proposons d’explorer les difficultés et les apports d’une telle démarche pour l’époque médiévale, en menant une analyse égocentrée du réseau d’Emma (v. 890-934), fille et nièce des souverains robertiens Eudes et Robert, qui épousa le roi des Francs Raoul († 936), dont la trajectoire est éclairée par des sources de différente nature (documents diplomatiques et Annales de Flodoard). En resituant cette reine au cœur de ses liens familiaux, il s’agit de comprendre comment fonctionnait le monde aristocratique qui l’entourait, à une période de bouleversement social entre ère carolingienne et époque féodale. L’article aborde les questionnements méthodologiques relatifs au corpus et la manière dont il peut être exploité de façon quantitative. Puis il souligne à quel point l’élaboration d’une base de données et la visualisation des sources par des graphes constituent des outils réflexifs permettant de définir une typologie des liens sociaux et de comprendre les logiques qui ont présidé à l’élaboration des documents. Les bénéfices d’une telle approche sont nombreux, car celle-ci suscite un véritable renouvellement historiographique sur la pratique du pouvoir souverain au cours du premier xe siècle.
As a quantitative method, social network analysis appears to offer a way to renew historical studies, even though it was developed by sociologists to analyze more recent societies. This paper seeks to explore both the difficulties and the interest of applying such an approach to the Middle Ages by studying the ego-network of Queen Emma of France (c. 890-934). As the daughter of Odo and the niece of Robert I, Emma was related by blood to two kings of Western Francia and married to a third, Rudolf (d. 936). Her biographical trajectory is known through two kinds of sources: diplomatic documents and a chronicle, Flodoard’s Annals. By placing this queen at the center of her family relationships, the article aims to understand the workings of her aristocratic world during the social upheaval that marked the transition from the Carolingian to the feudal period. The first part addresses methodological questions about the corpus and how it can be analyzed using quantitative methods. The second shows that the construction of a database and the visualization of primary sources in graphs are tools that can help to define a typology of social links for the Middle Ages and clarify the logics that underlie the sources themselves. Finally, the third part of the paper emphasizes the many advantages of social network analysis for historical research: it is a powerful tool for renewing the historiography of practices of royal power in the first half of the tenth century.
Je tiens à remercier, avant tout, mes premières relectrices, Cécile Caby, Karine Karila-Cohen et Claire Lemercier pour leur regard incisif, ainsi que Jacques Cellier pour sa macro qui a facilité mes analyses. Ma reconnaissance va également à Michel Lauwers, Rosa-Maria Dessí, Florian Mazel, Emmanuel Bain et Henri Courrière, fidèles critiques de mon travail. Je remercie aussi les « réseauistes » avec lesquels j’ai pu discuter : Pierre Mercklé, Claire Zalc, Laurent Beauguitte et plusieurs chercheurs des Rencontres Res-Hist, où j’ai présenté une première version de cette recherche. Je dois aussi beaucoup aux collègues présents aux Ateliers quantitatifs de Rennes et au séminaire Réseaux de Geneviève Bührer-Thierry à Paris-I. Ma gratitude va également à Étienne Anheim qui a accompagné ce projet d’article. Cet article est accompagné d’un dossier complémentaire sous forme de document PowerPoint accessible sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture », ainsi que sur Cambridge Core (https://doi.org/10.1017/ahss.2019.92).
1 Le Goff, Jacques, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996CrossRefGoogle Scholar. Parmi les ouvrages marquants : Ernst Kantorowicz, H., L’empereur Frédéric II, trad. par A. Kohn, Paris, Gallimard, [1927] 1987Google Scholar ; Arsenio Frugoni, Arnaud de Brescia dans les sources du xiie siècle, trad. par A. Boureau, Paris, Les Belles Lettres, [1954] 1993 ; Duby, Georges, Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde, Paris, Fayard, 1984Google Scholar.
2 Sur les critiques, voir Bourdieu, Pierre, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62-1, 1986, p. 69-72CrossRefGoogle Scholar. Sur l’historiographie de ces approches, voir Dosse, François, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, La Découverte, 2005Google Scholar ; pour l’époque médiévale, voir Bates, David, Crick, Julia et Hamilton, Sarah (dir.), Writing Medieval Biography, 750-1250: Essays in Honour of Frank Barlow, Woodbridge, Boydell Press, 2006Google Scholar.
3 Lemercier, Claire, « Analyse de réseaux et histoire », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 52-2, 2005, p. 88-112, ici p. 88CrossRefGoogle Scholar.
4 Sur le contexte, voir Mercklé, Pierre, La sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, 2011, p. 76-84Google Scholar.
5 Degenne, Alain et Forsé, Michel, Les réseaux sociaux, Paris, Armand Colin, 2004Google Scholar.
6 Une première modélisation a été ébauchée dans notre thèse, soutenue en 2005 : Rosé, Isabelle, Construire une société seigneuriale. Itinéraire et ecclésiologie de l’abbé Odon de Cluny (fin du ixe-milieu du xe siècle), Turnhout, Brepols, 2008, p. 363-368Google Scholar (avec l’usage d’une base de données, mais sans logiciel d’analyse de réseaux) ; pour une approche quantitative du même dossier, voir Id., « Reconstitution, représentation graphique et analyse des réseaux de pouvoir au haut Moyen Âge. Approche des pratiques sociales de l’aristocratie à partir de l’exemple d’Odon de Cluny († 942) », Redes, 21-5, 2011, p. 199-272. Pour des perspectives plus empiriques, voir Dumézil, Bruno, « Gogo et ses amis : écriture, échanges et ambitions dans un réseau aristocratique de la fin du vie siècle », Revue historique, 309-3, 2007, p. 553-593CrossRefGoogle Scholar ; Id., « Le patrice Dynamius et son réseau. Culture aristocratique et transformation des pouvoirs autour de Lérins dans la seconde moitié du vie siècle », in Codou, Y. et Lauwers, M. (dir.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2009, p. 167-194CrossRefGoogle Scholar ; Caby, Cécile, Autoportrait d’un moine en humaniste. Girolamo Aliotti (1412-1480), Rome, Edizioni di storia e letteratura, 2018Google Scholar.
7 P. Mercklé, La sociologie des réseaux sociaux, op. cit., p. 32-35.
8 Pour une synthèse commode, voir Dufour, Jean, « Emma », in Lexikon des Mittelalters, vol. 3, Turnhout, Brepols, 1999, p. 1887Google Scholar. Pour l’analyse d’une donation, voir Depreux, Philippe, « La dimension ‘publique’ de certaines dispositions ‘privées’. Fondations pieuses et memoria en Francie occidentale aux ixe et xe siècles », in La Rocca, C., Bougard, F. et Le Jan, R. (dir.), Sauver son âme et se perpétuer. Transmission du patrimoine et mémoire au haut Moyen Âge, Rome, École française de Rome, 2005, p. 331-378, ici p. 354-356CrossRefGoogle Scholar.
9 Sur les biographies féminines, voir Pauline Stafford, « Writing the Biography of Eleventh-Century Queens », in D. Bates, J. Crick et S. Hamilton (dir.), Writing Medieval Biography…, op. cit., p. 99-109.
10 Sur ces rôles, classiques pour les reines, voir Pauline Stafford, Queens, Concubines, and Dowagers: The King’s Wife in the Early Middle Ages, Londres, Leicester University Press, 1998.
11 Contamine, Philippe, Guyotjeannin, Olivier et Le Jan, Régine, Histoire de la France politique, vol. 1, Le Moyen Âge. Le roi, l’Église, les grands, le peuple, 481-1514, Paris, Éd. du Seuil, 2002, p. 120-121Google Scholar.
12 Rosé, Isabelle, « D’un réseau à l’autre ? Itinéraire de la reine Emma († 934) à travers les actes diplomatiques de son entourage familial », in Jegou, L.et al. (dir.), Faire lien. Aristocratie, réseaux et échanges compétitifs, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015, p. 131-143Google Scholar ; Id., « L’histoire du genre à l’épreuve du quantitatif ? Itinéraire réticulaire de la reine robertienne Emma (vers 890-934) », in Verger, J. (dir.), La forme des réseaux : France et Europe (xe-xxe siècle), Paris, Éd. du Cths, 2017, p. 103-115CrossRefGoogle Scholar.
13 Le cas d’Emma a nourri plusieurs travaux, relevant peu ou prou de la gender history, sur le statut de reine au xe siècle : Dufour, Jean, « Le rôle des reines de France aux ixe et xe siècles », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 142-3, 1998, p. 913-932Google Scholar ; Le Jan, Régine, « D’une cour à l’autre. Les voyages des reines de France au xe siècle », in Le Jan, R., Femmes, pouvoir et société dans le haut Moyen Âge, Paris, Picard, 2001, p. 39-52CrossRefGoogle Scholar ; Id., « Les reines franques du vie au xe siècle : de la sphère privée à la sphère publique ? », in Chausson, F. et Destephen, S. (dir.), Augusta, Regina, Basilissa. La souveraine de l’Empire romain au Moyen Âge, entre héritages et métamorphoses, Paris, De Boccard, 2018, p. 81-101, ici p. 91-96Google Scholar.
14 Patzold, Steffen, « L’épiscopat du haut Moyen Âge du point de vue de la médiévistique allemande », Cahiers de civilisation médiévale, 48-192, 2005, p. 341-358, ici p. 344CrossRefGoogle Scholar.
15 Gravel, Martin, Distances, rencontres, communications. Réaliser l’Empire sous Charlemagne et Louis le Pieux, Turnhout, Brepols, 2012CrossRefGoogle Scholar.
16 Sur ces « ego-documents », voir Beaurepaire, Pierre-Yves et Taurisson, Dominique (dir.), Les ego-documents à l’heure de l’électronique. Nouvelles approches des espaces relationnels, Montpellier, Université Paul-Valéry-Montpellier 3, 2003Google Scholar.
17 I. Rosé, « Reconstitution… », art. cit., p. 212-214. Sur le nombre de témoins, voir Tock, Benoît-Michel, Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France, viie-début du xiie siècle, Turnhout, Brepols, 2005, p. 228-230CrossRefGoogle Scholar.
18 Gourdon, Vincent, « Les témoins de mariage civil dans les villes européennes du xixe siècle : quel intérêt pour l’analyse des réseaux familiaux et sociaux ? », Histoire, économie et société, 27-2, 2008, p. 61-87, ici p. 79-83CrossRefGoogle Scholar.
19 B.-M. Tock, Scribes…, op. cit., p. 225-270, souligne que les témoins sont liés aux donateurs jusque vers 1050. Sur les liens au sein de la noblesse, voir Althoff, Gerd, Verwandte, Freunde und Getreue. Zum politischen Stellenwert der Gruppenbindungen im früheren Mittelalter, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1990Google Scholar.
20 Guyotjeannin, Olivier, Pycke, Jacques et Tock, Benoît-Michel, Diplomatique médiévale, Turnhout, Brepols, 2006, p. 84Google Scholar.
21 Sur les changements, voir B.-M. Tock, Scribes…, op. cit., p. 249-252 et 264-267. Notre codage distingue le statut des personnes entre lesquelles chaque document tisse des liens (donateur, bénéficiaire, souscripteur), ce qui pourrait être exploité avec une orientation des liens (non retenue ici).
22 Santinelli, Emmanuelle, Des femmes éplorées ? Les veuves dans la société aristocratique du haut Moyen Âge, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2003, p. 323-355Google Scholar.
23 Les archives laïques sont rares (sauf en Catalogne, à partir de la fin du xe siècle) : O. Guyotjeannin, J. Pycke et B.-M. Tock, Diplomatique médiévale, op. cit., p. 357.
24 Sur Saint-Martin de Tours, voir Noizet, Hélène, La fabrique de la ville. Espaces et sociétés à Tours, ixe-xiiie siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 65-72Google Scholar. Sur Saint-Germain d’Auxerre, voir Deflou-Leca, Noëlle, Saint-Germain d’Auxerre et ses dépendances, ve-xiiie siècle. Un monastère dans la société du haut Moyen Âge, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2010, p. 202-207Google Scholar. Aucune charte de Sainte-Colombe de Sens n’a été conservée pour cette période. Pour un graphe de ce déséquilibre, voir I. Rosé, « L’histoire du genre… », art. cit., p. 107, fig. 2.
25 Pour Saint-Martin de Tours, on dispose seulement de résumés d’actes : Mabille, Émile, La pancarte noire de Saint-Martin de Tours brûlée en 1793, Paris, Henaux, 1866Google Scholar. Sur les documents diplomatiques transmis par des chroniques, voir Chevrier, Georges et Chaume, Maurice, Chartes et documents de Saint-Bénigne de Dijon, prieurés et dépendances, des origines à 1300, Dijon, Société des Annales de Bourgogne, 1986Google Scholar.
26 Sur les réflexions sur les sources que permet l’histoire quantitative, voir Genet, Jean-Philippe, « Histoire, Informatique, Mesure », Histoire et mesure, 1-1, 1986, p. 7-18, ici p. 12-13CrossRefGoogle Scholar.
27 Nous synthétisons ici Sot, Michel, Un historien et son Église. Flodoard de Reims, Paris, Fayard, 1993, p. 43-55, 86-87Google Scholar ; Stéphane Lecouteux, « Les Annales de Flodoard (919-966) : une œuvre complète ou lacunaire ? », Revue d’histoire des textes, 2, 2007, p. 181-209 ; Id., « Le contexte de rédaction des Annales de Flodoard de Reims (919-966). Partie 1. Une relecture critique du début des Annales à la lumière de travaux récents », Le Moyen Âge, 116-1, 2010, p. 51-121, et « Le contexte de rédaction des Annales de Stéphane Flodoard de Reims (919-966). Partie 2. Présentation des résultats de la relecture critique du début des Annales », Le Moyen Âge, 116-2, 2010, p. 283-318. En attendant la réédition de Stéphane Lecouteux, nous utilisons Flodoard, Les annales de Flodoard, éd. par P. Lauer, Paris, Picard, 1905. Nous avons laissé de côté L’histoire de l’Église de Reims du même auteur (Flodoard, Die Geschichte der Reimser Kirche, MGH. SS, vol. 36, éd. par M. Stratmann, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, 1998), dont le livre iv aurait pu apporter des informations complémentaires, afin de ne pas accentuer la dimension rémoise des données.
28 McCormick, Michael, Les annales du haut Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 1975Google Scholar. Pour chacune des années, l’ordre chronologique prévaut, avec parfois la précision de temps chrétiens (carême, Pâques).
29 S. Lecouteux, « Le contexte de rédaction… Partie 2… », art. cit., p. 283-284.
30 Ibid., p. 286-293.
31 M. Sot, Un historien et son Église…, op. cit., p. 219 ; S. Lecouteux, « Le contexte de rédaction… Partie 2… », art. cit., p. 313-314.
32 Flodoard mentionne assez souvent des groupes de nobles anonymes, comme « les vassaux de l’archevêque de Reims » ou « plusieurs comtes de Francie » : Flodoard, Les annales…, op. cit., p. 7-8 (année 922). On pourrait créer des « individus » (sommets) représentant ces collectifs, ce qui diminuerait la perte d’informations, mais cela diluerait les personnes dans des groupes. D’autres informations sont allusives : les ruptures de fidélité, alors que l’on ignore qu’un serment avait été prêté (doit-on alors restituer le lien de fidélité antérieur ?). Par ailleurs, nous avons conservé les erreurs de Flodoard dans la base car notre perspective est de modéliser les sources.
33 Flodoard, Les annales…, op. cit., p. 22 (année 924).
34 Sur les socialisations plurielles, voir Lahire, Bernard, L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998Google Scholar.
35 Cette notion de « réseaux intermédiaires » que nous proposons se rapproche de celles, sociologiques, de « cercles sociaux », de « groupes », de « collectifs », évoquées dans Bidart, Claire, Degenne, Alain et Grossetti, Michel, La vie en réseau. Dynamique des relations sociales, Paris, Puf, 2011, p. 37-42Google Scholar, à ceci près que les « réseaux intermédiaires » sont plus éphémères puisqu’ils sont souvent liés à un noble, et non à une institution (scolaire, sportive, associative). En outre, ils n’ont pas de contours définis et ne suscitent pas de sentiment d’appartenance en tant que membre. Ils apparaissent donc comme des sortes de « proto-cercles », anonymes, sans frontière tangible entre ceux qui en font partie et les autres. Voir aussi Grossetti, Michel et Bes, Marie-Pierre, « Dynamiques des réseaux et des cercles. Encastrements et découplages », Revue d’économie industrielle, 103-1, 2003, p. 43-58, ici p. 47-49Google Scholar.
36 Le Jan, Régine, Famille et pouvoir dans le monde franc, viie-xe siècle. Essai d’anthropologie sociale, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995, p. 287-327 et 381-427Google Scholar.
37 Sur le périmètre chronologique, voir Grossetti, Michel, « Les narrations quantifiées. Une méthode mixte pour étudier des processus sociaux », Terrains et travaux, 19-2, 2011, p. 161-182, ici p. 165Google Scholar.
38 C. Bidart, A. Degenne et M. Grossetti, La vie en réseau…, op. cit. Cette dimension a été exploitée dans I. Rosé, « D’un réseau à l’autre ?… », art. cit., p. 139-142.
39 Cette notion a été proposée dans I. Rosé, « L’histoire du genre… », art. cit., p. 104, mais elle a été mise en œuvre dès I. Rosé, « Reconstitution… », art. cit. Elle peut ressembler au « parcours de vie » : Lemercier, Claire et Zalc, Claire, Méthodes quantitatives pour l’historien, Paris, La Découverte, 2007, p. 93-97Google Scholar.
40 Ces dynamiques se rapprochent des « encastrements » et des « découplages » : M. Grossetti et M.-P. Bes, « Dynamiques des réseaux… », art. cit., p. 51-54.
41 P. Bourdieu, « L’illusion biographique », art. cit., p. 71-72.
42 Le renforcement de la dimension patrilinéaire des parentèles aristocratiques à cette époque a conduit à ne pas intégrer les liens qui impliquaient seulement Herbert II de Vermandois, frère de la mère d’Emma, c’est-à-dire son oncle en ligne maternelle et peut-être l’époux de l’une de ses demi-sœurs. Si l’on interprétait les fonctionnements de la parenté avec des analyses de réseaux, il faudrait intégrer davantage la ligne maternelle. Sur Herbert II de Vermandois, voir Schwager, Helmut, Graf Heribert II. von Soissons, Omois, Meaux, Madrie sowie Vermandois (900/06-943) und die Francia (Nord-Frankreich) in der 1. Hälfte des 10. Jahrhunderts, Kallmünz, M. Lassleben, 1994Google Scholar.
43 La prospection documentaire a été facilitée par le fait qu’Eudes, Robert et Raoul ont été souverains de Francie occidentale et que leurs diplômes ont fait l’objet d’éditions de qualité : Bautier, Robert-Henri (éd.), Recueil des actes d’Eudes, roi de France (888-898), Paris, Imprimerie nationale/Klincksieck, 1967Google Scholar ; Dufour, Jean (éd.), Recueil des actes de Robert Ier et de Raoul, rois de France, 922-936, Paris, Imprimerie nationale/Klincksieck, 1978Google Scholar. Au total, 138 actes diplomatiques ont été intégrés.
44 Pour les documents diplomatiques, la partie de l’acte dans laquelle chaque entité-nom intervenait n’a pas été codée – cela pourrait faire l’objet d’une piste d’exploitation plus fine. Il serait aussi intéressant de préciser certains liens en fonction des qualificatifs utilisés dans les actes pour les entités-noms (dulcissimus, carissimus…).
45 Si certains attributs ont une dimension technique (« Id. », dans la colonne C, qui permet le fonctionnement du logiciel), la plupart d’entre eux relèvent de la précision de certaines catégories : « Date édition » en H (qui permet de savoir si la date retenue en F et en G correspond à une date exacte), « Précision lien » en J et « Précision source » en K. L’attribut « lieu », en I, qui indique l’endroit où les interactions ont été contractées, n’a pas été exploité ici parce qu’il pose des difficultés conceptuelles (pour tenir compte à la fois du temps et du changement de lieu dans la modélisation) et méthodologiques (pour intégrer les interactions dont on ignore le lieu). En revanche, on pourrait considérer les lieux comme des entités et les personnes comme les liens entre eux.
46 Sur la définition des liens par leur durée, voir M. Grossetti et M.-P. Bes, « Dynamiques des réseaux… », art. cit., p. 47-48 ; sur les liens « positifs » et « négatifs », voir A. Degenne et M. Forsé, Les réseaux sociaux, op. cit., p. 200-203.
47 Sur les formes de parenté, voir Guerreau-Jalabert, Anita, « Parenté », in Le Goff, J. et Schmitt, J.-C. (dir.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris, Fayard, 1999, p. 861-876Google Scholar. La base distingue consanguinitas (parenté biologique), parenté par le mariage, parenté éloignée et parenté spirituelle. La dimension coopérative de ces liens, au départ, n’empêche évidemment pas l’existence d’oppositions, par la suite, entre deux parents. Peu exploitées ici, ces données proviennent massivement de la bibliographie ; elles sont le fruit d’un travail prosopographique, et non d’un affichage de la parenté par les sources.
48 La mention d’un mariage dans une source doit donner lieu à deux types de liens : une interaction (pour signifier la stratégie sociale) et une relation (pour évoquer le lien durable et collaboratif entre les époux).
49 Certains diplômes sont datés par une fourchette (32) ; ils ont été saisis à la date du terminus ad quem. Une autre solution aurait été de saisir la date en milieu de fourchette.
50 Les liens attestés par Flodoard comptent majoritairement des interactions (183) et des oppositions (83).
51 Certaines personnes ont été identifiées grâce aux éditions de sources, les autres grâce à Chaume, Maurice, Les origines du duché de Bourgogne, Dijon, E. Rebourseau, 1925Google Scholar, et à Werner, Karl Ferdinand, Enquêtes sur les premiers temps du principat français, ixe-xe siècles, trad. par B. Saint-Sorny, Ostfildern, Thorbecke, 2004Google Scholar.
52 Pour chaque nœud ont été saisies la région d’origine et la dernière fonction exercée. La légende se trouve dans le document PowerPoint « Autour de la reine Emma » (annales.ehess.fr, rubrique « Compléments de lecture », et sur Cambridge Core).
53 Rosenwein, Barbara H., To Be the Neighbor of Saint Peter: The Social Meaning of Cluny’s Property, 909-1049, Ithaca, Cornell University Press, 1989Google Scholar.
54 Les abbés ou les prévôts qui se trouvaient à l’origine du processus de concession, mais qui n’apparaissaient pas dans les sources, n’ont pas été intégrés.
55 Sur les calculs de centralité, voir Cellier, Jacques et Cocaud, Martine, Le traitement des données en histoire et sciences sociales. Méthodes et outils, Rennes, Pur, 2012, p. 435-461Google Scholar.
56 Document PowerPoint « Autour de la reine Emma ».
57 Sur ces graphes, les liens n’apparaissent pas valués, c’est-à-dire que la récurrence des liens entre deux nœuds, si elle est bien prise en compte dans les calculs, ne se traduit pas visuellement par un trait plus épais, mais rapproche les entités qui entretiennent beaucoup de liens (algorithme Spring embedding). Les oppositions, comme les relations de parenté, ne sont utilisées ici qu’à titre explicatif pour certaines configurations et ne sont jamais additionnées aux interactions. Emma est représentée par le gros rond bleu.
58 42% des acteurs saisis pour cette séquence chronologique sont issus de la Province ecclésiastique de Reims ; viennent ensuite des Bourguignons (19 %). Les autres acteurs régionaux sont peu nombreux (les Neustriens représentent 6,5 %).
59 La dimension « rémoise » du récit est abordée comme une défense des droits de l’Église de Reims par M. Sot, Un historien et son Église…, op. cit. ; S. Lecouteux, « Le contexte de rédaction… Partie 2… », art. cit., p. 315, évoque rapidement cet aspect du texte.
60 Sot, Michel, « Les élévations royales de 888 à 987 dans l’historiographie du xe siècle », in Iogna-Prat, D. et Picard, J.-C. (dir.), Religion et culture autour de l’an Mil. Royaume capétien et Lotharingie, Paris, Picard, 1990, p. 145-150Google Scholar.
61 Sur la fidélité, voir P. Contamine, O. Guyotjeannin et R. Le Jan, Histoire de la France politique…, op. cit., p. 122-128. Pour une reconstitution de l’« itinéraire » de Raoul, voir J. Dufour (éd.), Recueil des actes de Robert I eret de Raoul…, op. cit., p. xcvii-civ.
62 Cette survalorisation est parfois assumée : J. Dufour (éd.), Recueil des actes de Robert I eret de Raoul…, op. cit., p. cv.
63 Duggan, Anne J. (dir.), Queens and Queenship in Medieval Europe: Proceedings of a Conference Held at King’s College London, April 1995, Woodbridge, Boydell Press, 1997Google Scholar ; P. Stafford, Queens, Concubines…, op. cit., p. 77-78, 99-114 et 117-120 ; R. Le Jan, Femmes, pouvoir et société…, op. cit.
64 Les tractations pour l’élection de Raoul sont évoquées par Raoul Glaber et Aimoin de Fleury ; elles sont reprises, sans critique, par Lauer, Philippe, Robert Ier et Raoul de Bourgogne, rois de France (923-936), Paris, Honoré Champion, 1910, p. 11-12Google Scholar. Sur le rôle du mariage, voir R. Le Jan, « D’une cour à l’autre… », art. cit., p. 41 ; Nelson, Janet L., « Early Medieval Rites of Queen-Making and the Shaping of Medieval Queenship », in Nelson, J. L., Rulers and Ruling Families in Early Medieval Europe: Alfred, Charles the Bald, and Others, Aldershot, Ashgate, 1999, p. 301-315, ici p. 310-311Google Scholar.
65 Werner, Karl Ferdinand, Histoire de France, vol. 1, Les origines. Avant l’an mil, Paris, Fayard, 1984, p. 456-457Google Scholar ; Sot, Michel, « Ni robertien, ni carolingien : Raoul de Bourgogne, roi de France de 923 à 936 », Bulletin de la Société des fouilles archéologiques et des monuments historiques de l’Yonne, 6, 1989, p. 47-54, ici p. 52Google Scholar ; Theis, Laurent, Nouvelle histoire de la France médiévale, vol. 2, L’héritage des Charles. De la mort de Charlemagne aux environs de l’an mil, Paris, Éd. du Seuil, 1990, p. 149-150Google Scholar.
66 Sur le « hasard », voir Bautier, Robert-Henri, « Les itinéraires des souverains et les palais royaux en ‘France occidentale’ de 877 à 936 », in Renoux, A. (dir.), Palais royaux et princiers au Moyen Âge, Le Mans, Publications de l’Université du Maine, 1996, p. 99-110Google Scholar, ici p. 107. Sur le refus du principe héréditaire, voir J. Dufour (éd.), Recueil des actes de Robert I eret de Raoul…, op. cit., p. cvi. Aucune explication n’est avancée par Marie-Céline Isaïa, Histoire des Carolingiens, viii e-x e siècle, Paris, Points, 2014, p. 362-363, ni par S. Lecouteux, « Le contexte de rédaction… Partie 1… », art. cit., p. 118-120.
67 H. Schwager, Graf Heribert II…, op. cit., p. 98-100.
68 Centralité de degré de Raoul (55 contre 33 pour Saint-Martin de Tours, et 31 pour Hugues le Grand), d’intermédiarité (2518,91, devant Saint-Martin de Tours avec 1009,683 et Hugues le Grand avec 1007,984), de proximité (150 contre 177 pour Saint-Martin de Tours et 179 pour Hugues le Grand).
69 Dans le graphe 3, l’épaisseur du trait est proportionnelle au nombre de liens entre deux nœuds.
70 Raoul est en position centrale, quels que soient les indicateurs : degré (35 contre 20 pour Herbert II de Vermandois) ; intermédiarité (690,75, très loin devant le deuxième, Herbert II de Vermandois) ; proximité (57 contre 72 pour Herbert II de Vermandois).
71 Le seul diplôme où Herbert II de Vermandois apparaît en lien avec la parentèle d’Emma date de 918 ; il n’est donc pas pris en compte ici.
72 L’archevêque de Reims Heriveus, notaire-chancelier des rois Eudes et Charles le Simple pour plusieurs actes, sacra Robert en 922, selon Flodoard. Abbon de Soissons fut rédacteur d’actes royaux entre 923 et 927, en tant qu’archichancelier ; il est évoqué par les Annales comme un partisan majeur de Raoul, qu’il accompagna dans plusieurs conflits en 925.
73 Selon Flodoard, il y a quatre liens entre Raoul et Herbert II de Vermandois en 923, un en 924, trois en 925, deux en 926 et cinq en 928 (mais ces derniers se concrétisent après une rébellion d’Herbert II de Vermandois contre Raoul).
74 L’absence de don à Herbert II de Vermandois pourrait s’expliquer aussi par une perte documentaire, dans la mesure où les Vermandois constituent l’archétype de la famille puissante aux ixe et xe siècles, mais ils disparurent aux xie et xiie siècles, au moment où les institutions religieuses se mirent à trier et à copier en masse leurs archives. Ces institutions se placèrent sous le patronage de parentèles nobles contemporaines, effaçant ainsi le souvenir de celles qui n’avaient pu se maintenir. Voir Patrick J. Geary, La mémoire et l’oubli à la fin du premier millénaire, trad. par J.-P. Ricard, Paris, Aubier, [1994] 1996, p. 118-129.
75 P. Lauer, Robert I eret Raoul de Bourgogne…, op. cit., p. 4, 12 et 74, véhicule une vision stéréotypée d’Emma, qui reprend des textes monastiques du xie siècle ; J. Dufour, « Emma », art. cit. ; R. Le Jan, « D’une cour à l’autre… », art. cit., p. 48.
76 Sur le sacre, voir Franz-Reiner Erkens, « ‘Sicut Esther regina’. Die westfränkische Königin als consors regni », Francia, 20-1, 1993, p. 15-38. Sur l’autonomie d’Emma, voir R. Le Jan, « D’une cour à l’autre… », art. cit., p. 42 et 47-48.
77 Emma se situe assez loin en termes de degré (indice 13, au 12e rang), mais elle se trouve au 7e rang en termes d’intermédiarité (indice 312,673) et au 5e rang selon les calculs de proximité (indice 193).
78 L’autre femme, Édith de Wessex, n’est présente qu’en qualité d’épouse d’Hugues le Grand ; elle est ainsi ramenée à la sphère de la conjugalité.
79 Son indice de centralité de degré est de 5 (contre 35 pour Raoul, ce qui la situe au 7e rang, qu’elle partage avec d’autres), son intermédiarité est très faible (2 contre 690,75 pour Raoul, ce qui la situe au 11e rang) et sa centralité de proximité reste moyenne (98 contre 57 pour Raoul, au 12e rang).
80 Sur la centralité de vecteur propre, voir J. Cellier et M. Cocaud, Le traitement des données…, op. cit., p. 446-453. Selon ce critère, Emma se situe au 11e rang (indice 0,117) dans le réseau reconstitué à partir de Flodoard, et au 8e rang dans celui reconstitué à partir des documents diplomatiques (indice 0,071).
81 J. Dufour (éd.), Recueil des actes de Robert I eret de Raoul…, op. cit., p. 77-81, no 18, ici p. 80. Sur le titre de consors regni/imperii, utilisé pour la première fois pour Ermengarde, épouse de Lothaire, voir Paolo Delogu, « ‘Consors regni’ : un problema carolingio », Bullettino dell’Istituto storico italiano per il medioevo, 76, 1964, p. 47-98 et 85-98 ; F.-R. Erkens, « ‘Sicut Esther regina’… », art. cit., p. 27-28 ; R. Le Jan, « Les reines franques… », art. cit., p. 88.
82 J. Dufour, « Le rôle des reines de France… », art. cit. ; P. Stafford, Queens, Concubines…, op. cit., p. 77-78, 99-114 et 117-120 ; R. Le Jan, « D’une cour à l’autre… », art. cit., p. 42 et 47-48.
83 Les relations diplomatiques qu’Emma tisse dans le Nord-Est dès 927 s’orientent vers la Bourgogne et non vers la province ecclésiastique de Reims. Flodoard mentionne des liens d’Emma en direction des nœuds bourguignons, mais seulement en 931 (opposition) et en 933 (interaction).
84 L’impression de médiation d’Emma entre les deux réseaux intermédiaires résulte en réalité des critères de saisie des données (écrasement de la chronologie au sein d’une même année) et de leur représentation graphique. En effet, en 924, les liens diplomatiques d’Emma se portent vers des nœuds bourguignons, en présence de son époux. En 926, ces liens vont vers des sommets neustriens et vers son frère. En 932, ils se dirigent vers les deux milieux, mais dans des documents différents.
85 R. Le Jan, « D’une cour à l’autre… », art. cit., p. 48.
86 K. F. Werner, Enquêtes sur les premiers temps…, op. cit., p. 274-279 ; S. Lecouteux, « Le contexte de rédaction… Partie 1… », art. cit., p. 96, n. 170.
87 M. Grossetti et M.-P. Bes, « Dynamiques des réseaux… », art. cit., p. 46-49.
88 Flodoard évoque deux liens en 923, un en 924, trois en 925, aucun en 926-927, trois en 928, aucun en 929, un en 930, cinq en 931, un en 932, deux en 933 et deux en 934.
89 L’itinérance royale comme « technique de gouvernement » semble exister à l’époque mérovingienne dans des zones critiques : Barbier, Josiane, « Le système palatial franc : genèse et fonctionnement dans le nord-ouest du regnum », Bibliothèque de l’École des chartes, 148-2, 1990, p. 245-299, ici p. 298CrossRefGoogle Scholar. Sur le déplacement royal à des époques plus tardives, voir Karl Ferdinand Werner, « Missus-Marchio-Comes. Entre l’administration centrale et l’administration locale de l’Empire carolingien », in K. F. Werner et W. Paravicini (dir.), Histoire comparée de l’administration, iv e-xviii e siècles, Zürich, Artemis, 1980, p. 191-241, ici p. 192-194 ; Annie Renoux, « Palais capétiens et normands à la fin du xe siècle et au début du xie siècle », in M. Parisse et X. BarraliAltet (dir.), Le roi de France et son royaume autour de l’an mil, Paris, Picard, 1992, p. 179-191, ici p. 181.
90 A. Frugoni, Arnaud de Brescia…, op. cit., p. 1-4 et 173.