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Architecture et urbanisme : L'image de la ville chez Claude-Nicolas Ledoux*

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

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Ce livre est une confidence pathétique : Claude-Nicolas Ledoux, membre de l'Académie Royale d'Architecture, dont la Révolution a interrompu la carrière, fait une tentative — ce sera la dernière — pour retrouver la faveur de l'opinion. Il entreprend de rassembler tous ses dessins et plans, et de publier cette démonstration de son génie : cinq volumes devaient composer cette somme. Le premier, le seul publié —en 1804 —, et dont la géographie fait l'unité la plus immédiate, réunit les œuvres franc-comtoises de Ledoux : théâtre de Besançon, maisons privées, commandées par des négociants ou des artistes, et, surtout, projets pour la Saline d'Arc-et-Sénans. Les commentaires qui accompagnent ces somptueuses planches dessinent une triste image de la dépendance de l'architecte, en découvrant l'envers d'une condition flatteuse : démêlés avec les administrations et les entrepreneurs, difficulté de se faire payer, indifférence ou sarcasmes du public ; tout ceci sans doute majoré par la reconstruction rétrospective d'un esprit désormais hanté par la persécution.

Type
Documents et Problèmes
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1966

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Footnotes

*

Lecture d'un texte illisible : De l'Architecture considérée sous le rapport de l'Art, des Moeurs et de la Législation, de Claude-Nicolas Ledoux.

References

page 1273 note 1. Un acte de baptême et une notice nécrologique parue le 15 décembre 1806 dans les Annales de l'Architecture et des Arts sont les sources auxquelles se reportent tous les biographes de Ledoux. Ledoux est né en 1736, a fait ses études au collège de Beauvais, suivi l'enseignement de J.-F. Blondel. Dès trente ans, il reconstruit l'hôtel du comte d'Hallwyl. Mais c'est Mme Du Barry qui fait sa fortune. Il entreprend pour elle, en 1770, la construction du pavillon de Louveciennes. Il lui doit sans doute son entrée, trois ans plus tard, à l'Académie Royale d'Architecture et l'approbation de ses plans pour la Saline d'Arc-et-Sénans. De 1770 à 1789, il mène une carrière très brillante : il donne les plans du château de Bénouville, de la maison de la Guimard, de celle de Mlle de Saint-Germain, des Salines, de nombreux hôtels à Paris, du théâtre de Besançon, des barrières de Paris, des prisons d'Aix. 1789 marque l'arrêt de cette production. Ledoux se voit signifier par Necker son congé pour les travaux des Barrières, puis la Révolution interrompt les travaux d'Aix. Rendu suspect par ses illustres clients, Ledoux est emprisonné en 1793, relâché six mois plus tard. C'est alors que, selon ses biographes, il commence à penser à une grande oeuvre testamentaire, qui l'occupera jusqu'à sa mort.

page 1274 note 1. Ledoux devait, outre les bâtiments industriels (bernes, maisons de cuites, ouvroirs, étuves, magasins, etc.), construire des maisons pour loger l'entrepreneur et ses employés, les commis de l'adjudicataire des fermes, les ouvriers ; et aussi, une salle d'audience, un greffe, une prison, une chapelle, « dans la simplicité requise pour une manufacture ».

page 1275 note 1. C'est le sentiment de G. Levallet-Haug, C. N. Ledoux, 1934 et de Y. Christ, Projets et divagations de C. N. Ledoux, architecte du roi, 1961.

page 1275 note 2. Ainsi, E. Kaufmann, Three Revolutianary Architects, 1952, M. Raval et J. Ch. Moreux, C. N. Ledoux, 1945.

page 1275 note 3. Pour H. Eydoux, Cités mortes et lieux maudits de France, le livre de Ledoux témoigne de son abandon à « des considérations amphigouriques, parfois illisibles […] Mais il reste de ce volume des planches éblouissantes, traduisant la hardiesse de ses conceptions ».

page 1275 note 4. « L'art sans éloquence », écrit-il, « est comme l'amour sans virilité… ». Et l'époque, du reste, est à l'éloquence !

page 1276 note 1. « La nature ayant donné aux yeux un crédit plus étendu qu'aux oreilles […] elle a donné à un de nos organes une portion d'étendue qui se fortifie par l'exercice […], elle l'a prolongée par le secours des oculaires qui franchissent les plus grandes distances… ».

page 1277 note 1. La liberté de concevoir « ne peut être bornée à la vue des terres qui se confondent avec l'horizon : ces champs qui nous paraissent immenses sont trop resserrés pour elle ».

page 1277 note 2. « Le peintre voit des batailles sur des murs salis par la poussière ; d'autres fixent leurs regards sur des charbons ardents et découvrent les foyers de Lemnos, le palais de Pluton ; l'amant voit sur les feuilles d'une rose les traits enchanteurs de la beauté qui le séduit. L'imagination, livrée à ses accès, à une tendance qui la dirige vers le grand ; elle sert mieux que les écrits multipliés. Si elle trouve des réalités dans le vide, à quoi ne doit-on pas s'attendre si elle rassemble des situations qui peuvent la diriger ou l'étendre ? »

page 1278 note 1. Mais on ne peut voir dans le tracé que dicte à Ledoux son goût de la transparence une « prescience ». Partout au XVIIIe siècle, on corrige les tracés des rues trop sinueuses, partout on prévoit des alignements, partout on ménage des perspectives. Les exigences de Ledoux consacrent une pratique, mais ne l'annoncent nullement.

page 1278 note 2. Pourtant, le programme de la Saline commandait à Ledoux de construire ses bâtiments « dans un espace clos d'un mur de 12 pieds, défendu par un fossé à sec dans lequel il sera percé une ou deux portes cochères, aux endroits les plus commodes ». Cette entorse à la commande est significative. Mais elle ne saurait non plus passer pour une innovation : c'est à Louis XIV qu'est due la démolition des enceintes parisiennes et, tout au long du XVIIIe siècle, la province — Angoulême (dès 1699), Bordeaux, Libourne, Poitiers, Nantes, Caen, e t c . . — suit l'exemple de Paris et remplace les murs et les fossés par des cours ou des boulevards plantés d'arbres.

page 1278 note 3. Morelli, Code de la nature ou le véritable esprit de ses lois (1755) : « tous les quartiers d'une cité seront disposés de façon que l'on puisse les augmenter quand il sera nécessaire, sans en troubler la régularité… ».

page 1279 note 1. C'est là un souci de l'époque. Dans le village utopien du Paysan Perverti, une préoccupation identique préside à la distribution de l'église. L'entrée des épousailles est au Midi, celle des enterrements au Nord ; ces deux portes ne s'ouvrent « que pour les choses dont elles portent le nom ».

page 1279 note 2. La spécialisation des lieux, qui apparaît depuis la deuxième moitié du siècle, révèle le goût croissant des commodités dans l'architecture privée ; l'usage s'y répand d'affecter une pièce, le salon, à la vie mondaine, de réserver aux repas une salle « à manger ». Cette distinction désormais traditionnelle apparaît dans les plans de Ledoux ; et, de même, les chambres cessent de se commander les unes les autres et s'alignent le long d'un corridor.

page 1281 note 1. Le caractère modeste et champêtre des récompenses de la fête de Chaux est bien accordé à l'époque. Couronnes, corbeilles, guirlandes, forment les accessoires de prédilection du rituel révolutionnaire. Et « l'essai sur les fêtes nationales » qu'adresse Boissy-d'Anglas à la Convention le 12 Messidor An II pourrait servir de commentaire à la fête de Chaux : « les jeunes gens s'exercent à la lutte, à la course, à tous les exercices qui donnent de l'agilité ou de l'adresse ; ils reçoivent des prix que leur décernent les vieillards. Ces prix sont modestes et simples. Des fleurs, un ruban, ou un rameau de verdure suffisent pour consacrer leur victoire et pour honorer leur succès… ».

page 1281 note 2. « Qu'y montrera-ton ? Rien si l'on veut ». On songe aussi à Robespierre, décrivant la fête révolutionnaire idéale, le 18 floréal An II : « le plus magnifique de tous les spectacles, c'est celui d'un grand peuple assemblé. On ne parle jamais sans enthousiasme des fêtes nationales de la Grèce : cependant elles n'avaient guère pour objet que des jeux où brillaient la force des corps, l'adresse, ou tout au plus le talent des poètes et des orateurs ; mais la Grèce était là ; on voyait un spectacle plus grand que les jeux… »

page 1281 note 3. « L'égoïsme des gouvernements a défiguré les origines […] Assemble-t-on la multitude, ce n'est que pour entretenir à grands frais la pyrotechnie, cet art frivole dont le brillant éclat frappe l'oreille, éblouit les yeux, disparaît et ne dit rien au coeur. » C'est aussi la critique de Sébastien Mercier et de J. M. Dufour, Diogène à Paris, 1787.

page 1282 note 1. C'est encore en fils de son siècle que réagit ici Ledoux. Ces fêtes sont celles que la Révolution tente de faire vivre : fêtes des Epoux, de la Maternité, de la Vieillesse, de l'Adoption, etc.

page 1282 note 2. Raval et Moreux (op. cit.) font remarquer que ces petits édifices, plus que des logements de bûcherons et de scieurs, évoquent des postes de surveillants, ou de signaux.

page 1283 note 1. « Le Corbusier, Hector Guimard, Claude-Nicolas Ledoux brodent tous trois, avec des délices infinies, sur le thème de « l'antre », qui exprime un des goûts les plus constants de l'esprit baroque, à travers le temps, le style et les modes, pour le trompel'oeil, pour le mystère, pour le démoniaque… »

page 1283 note 2. « L'atelier de corruption, sous ses antres obscurs et profonds, lui découvre les sources empoisonnées qui altèrent la vigueur de la morale, minent les trônes, renversent les empires. » Tout ceci (antres, sources et jusqu'au verbe miner) évoque la clandestinité des profondeurs.

page 1283 note 3. Même les maisons privées, quand elles sont destinées à des êtres d'exception (artistes, savants, mécaniciens) sont éclairées par le haut. Commentant les plans de la maison de « l'abbé Delille, homme de lettres », Ledoux s'écrie : ce quoi ! des croisées ! la maison de l'abbé Delille doit être éclairée par le haut ! C'est un temple de gloire ! » Mais il s'agit ici encore d'un thème de l'époque. Dans le rapport sur l'édifice de Sainte-Geneviève (1791), Quatremère de Quincy propose d'en murer toutes les fenêtres et de l'éclairer par la coupole seule. Cet éclairage par le haut paraît alors seul digne des édifices à caractère didactique ou moral.

page 1286 note 1. Ainsi, Dussausoy, dans le Citoyen Désintéressé : « je croirais faire rougir la Nation, si je pouvais penser qu'elle eût besoin de nouvelles preuves pour se convaincre des maux que l'exhalaison de la putréfaction doit occasionner, et de l'infection qu'elle répand dans l'air ». Et Daumours, dans son Mémoire sur la nécessité et les moyens d'éloigner du milieu de Paris les tueries de bestiaux et les fonderies de suifs, rappelle les tentatives infructueuses faites depuis le XIVe siècle pour éloigner les abattoirs de Paris, et ajoute : « Ce n'est donc point une nouveauté que nous proposons. »

page 1286 note 2. Ledoux montre une véhémence particulière dans la critique des chaumières : « détruire les chaumières, c'est rendre à l'homme sa dignité ». Et, aussi : « l'Architecte de la nature ne connaît ni les palais ni les chaumières… Je dirais plus, le chaume est un vol à l'engrais des terres […] Et si l'airain qui brille sur le palais des rois garantit des éclats du tonnerre, celui qui le dirige ne veut pas que des toits fragiles, recouverts de la tête desséchée du chanvre, provoquent son phosphore fougueux et mettent en défaut l'insuffisance… ».

page 1286 note 3. « On construit les habitations de la gent animale avec autant de négligence que l'on en met à la plantation de nos parcs […] Les chevaux occupent un rez-de-chaussée humide ; l'air est concentré et ses maléfices se répercutent sur les parties les plus faibles de l'animal qui exigerait de nous des soins à mesure des services qu'il rend… Les jours doivent être opposés aux râteliers, afin que l'air passant n'agisse pas immédiatement sur l'animal… »

page 1287 note 1. On peut voir, sur ce point, Cadet De Vaux : Avis sur les moyens de diminuer l'insalubrité des habitations qui ont été exposées aux inondations…, et J. J. Menuret : Essai sur l'action de l'air dans les maladies contagieuse.

page 1288 note 1. Les versificateurs du Calendrier Républicain célèbrent à l'envi la gloire, l'Im mortalité, l'Innocence, la Pudeur, la Justice. Toutes ces entités symboliques sont figurées dans les cortèges révolutionnaires. Et Boissy-d'Anglas donne les Grecs en exemple à la Convention pour avoir su prêter à leurs cérémonies un caractère philosophique et moral : « l'allégorie, cette science aimable, créée dans l'Orient et reportée chez eux pour y être appliquée à embellir la vérité, s'attachoit à tout et parait de toutes ses richesses tout ce qu'il fallait enseigner… ».

page 1288 note 2. Utopie et institutions au XVIIIe siècle, Le Pragmatisme des Lumières. Textes recueillis par Pierre Francastel et suivis d'un essai sur l'Esthétique des Lumières. Paris, Mouton & Co, 1968.

page 1288 note 3. « On expose aux yeux fascinés de la jeunesse la Parthénon, l'Odéon, les temples…, les vestiges mutilés de Babylone et de Memphis ; on ne lui donne aucune idée des usines, des bâtiments d'exploitation, d'habitation de ces peuples. On ne lui indique même pas les moyens d'adapter leurs décorations à nos usages… »

page 1288 note 4. « Les architectes étudient en Italie les différents monuments qui leur servent de guide ; au lieu de remonter au principe de toutes choses dans l'exercice de leurs connaissances acquises, ils copient les défauts des ordres élevés les uns sur les autres ; ils les emploient indistinctement dans toutes les positions ». Et aussi : « l'Antiquaire dirige le goût de son siècle sur des ruines amoncelées, sur des calques, souvent infidèles, qu'il transmet à la postérité qu'il abuse… ».

page 1289 note 1. On songe à Diderot, pour lequel l'antique aide à mieux voir la nature, mais constitue une propédeutique, non un véritable modèle. Il ne faut pas « réformer la nature sur l'antique ».

page 1289 note 2. « Les ornements de détail fatiguent les yeux sans profit pour les moeurs ; c'est une existence passagère qui souvent ne survit pas à celui qui l'a donnée. Quand cessera- t-on de les multiplier au-dedans ? »

page 1289 note 3. Menée sur le mode ironique. Voici, par exemple, la description d'un appartement : « en entrant dans l'antichambre, nous voyons un amas incohérent de toutes les discordances ; dans le salon, des panneaux multipliés dont la plupart étaient losanges, les fonds étaient bleus, rouges, gros vert. Des thermes peints en porphyre, des marnes égyptiens, les bois sombres de l'Afrique encadraient de petites vues de l'escalier du Vatican, de la métropole de Paris, de la mosquée de Constantinople : le tout était entrelacé avec des rinceaux d'ornements trempés dans le cocyte, pour faire valoir des paquets de fruits, de fleurs, des thyrses, des pampres de vigne… ».

page 1290 note 1. « J'eus beau représenter au voyageur […] que les agréments de convention qui le séduisaient seraient mal placés au centre d'une plaine immense… »

page 1290 note 2. Comme du reste de Rousseau. Les arrangements de Julie à Clarens atteignent à la magnificence « s'il est vrai qu'elle consiste moins dans la richesse de certaines choses que dans un bel ordre du tout, qui marque le concert des parties, et l'unité d'intention de l'ordonnateur ».

page 1291 note 1. « Que de variétés vous trouverez répandues sur la surface inactive d'un mur… de hautes assises profondément refendues, des nuds dégrossis ou rustiques, des cailloux apparents, des pierres amoncelées sans art souvent suffisent pour obtenir des effets prononcés… »

page 1291 note 2. « Les assises carrées et rondes des colonnes… produisent des ombres tranchantes, des effets piquants ; ces combinaisons de l'art changent les contrastes à mesure que le soleil s'étend dans sa course méthodique… ».

page 1291 note 3. Il y élève même une vigoureuse critique contre le ruinisme des jardins : « quelle contradiction ! Des fabriques moresques, tudesques ; des ruines gothiques, la complication de toutes les scènes, les quatre parties du monde renfermées dans l'unité d'un arpent et demi de terre environ ».

page 1291 note 4. Fournier, Modifications à apporter à l'architecture des miles. Une note des éditeurs précise que cet édifice « frappe par un certain air grandiose ».

page 1292 note 1. R. Ruyer, L'Utopie et les Utopies.

page 1292 note 2. Le titre même d'un de ses livres est assez éclairant : De l'utilité de joindre à l'Étude de l'Architecture celle des Sciences et des Arts gui lui sont relatifs. De même, dans le Traité d'Architecture de J. Antoine : « il faut qu'un architecte sache lire, écrire, dessiner, la géométrie, l'arithmétique, combiner les dimensions des ordres des colonnes ; qu'il soit savant en perspective, en philosophie, en histoire, en musique, en médecine ; qu'il soit jurisconsulte, astrologue, connaissant le mouvement des cieux et le cours des eaux».

page 1292 note 3. La domination du climat est évoquée par Ledoux en des termes si dramatiques qu'ils surprendraient si on ne savait combien l'influence de la météorologie sur les caractères et les maladies préoccupe les hygiénistes du siècle. Beaucoup de ces traités (ainsi Cadet de Vaux, Bouffey, Cotte, Lepecq de la Clôture) rappellent qu'un changement de climat est susceptible d'engendrer des troubles graves, voire la mort. C'est aussi l'avis de Ledoux.

page 1293 note 1. La nature est art, et l'art est nature ; cette réciprocité est chère à Diderot qui écrit en 1765. dans l'Essai sur la peinture : « il semble que nous considérons la nature comme le résultat d'un art, et, réciproquement, s'il arrive que le peintre nous répète le même enchantement sur la toile, il semble que nous regardions l'effet de l'art comme celui de la nature ». Ledoux y voit le témoignage de la complicité qui lie l'architecte- Dieu au Dieu-architecte.

page 1293 note 2. Ainsi, les Voyages et Aventures de Jacques Massé, les Aventures de Jacques Sadeur décrivent un pays entièrement quadrillé, où s'inscrivent des villes carrées, elles-mêmes divisées en quartiers carrés, ponctués de maisons carrées. De nombreuses autres utopies (la Métropolitée, les Mémoires de Gaudence de Lucques) prônent la figure circulaire comme la plus parfaite. Mais l'utopie ne fait ici que mettre dans une forme systématique ce qui a commencé depuis longtemps déjà d'être entrepris par les urbanistes. La symétrie ne peut passer pour une innovation prophétique dans un siècle où tous les traités de « police » et d'hygiène la tiennent pour la beauté et la commodité majeures d'une ville.

page 1294 note 1. Dans le Royaume de la lune, « l'hôtel d'une courtisane n'a point la forme et l'intérieur d'un hospice de charité ».

page 1294 note 2. « Cependant, quand on a présenté aux yeux les dimensions approuvées par le besoin, on n'a pas encore tout fait ; il faut encore que le caractère de l'édifice ne soit pas équivoque ; il faut que le spectateur le moins instruit puisse en juger. »

page 1294 note 3. La Révolution accorde, elle aussi, ce privilège éducatif au décor. Ainsi Boissy D'ANglas (op. cit.) donne en exemple l'architecture grecque : « leurs temples, leurs places publiques, leurs édifices religieux et civils étaient des livres où les citoyens lisaient, dès leur enfance, tout ce qui peut préparer le bonheur par l'instruction et le savoir ».

page 1294 note 4. La rhétorique classique est alors le véhicule normal des idées, même révolutionnaires. Mais de plus, chez Ledoux, fils de petites gens, élevé par chance insigne au collège, le style reste toujours endimanché.

page 1295 note 1. Morale Universelle, t. II, 1776.

page 1296 note 1. Tout le texte suggère cette comparaison scolaire : « mais à vous entendre, quel est donc le mortel qui pourra franchir tous les obstacles î C'est celui qui déposera les brevets de la saine morale sur les trépieds que vous voyez ; c'est celui qui resserrera les noeuds durables de l'amour et les entretiendra par la confiance ; c'est celui qui montera au faîte de l'ordre social, pour brûler l'encens pur et satisfaisant, résultat de la bonne éducation ».

page 1296 note 2. Le déisme, en excluant le Dieu du drame — celui qui laisse à Adam le pouvoir de pécher — libère l'homme de la tragédie de la faute ; et de même l'utopie exclut le sentiment des limites humaines.

page 1296 note 3. Ainsi, à Olbie : « ce n'était pas seulement dans l'intérieur des villes que les monuments parlaient au peuple ; c'était aussi dans les autres lieux fréquentés, au milieu des promenades, le long des grandes routes. On inscrit partout les préceptes parmi les plus utiles et les plus usuels ». De même, dans l'Heureuse Nation : les fontaines publiques, les monuments portent des maximes « assez laconiquement énoncées pour former des sortes de proverbes ».

page 1296 note 4. Diderot écrit à Falconnet en 1766 : « S'il y avait des statues pour les grands crimes comme pour les grandes vertus, vous verriez bien d'autres scélérats. »

page 1296 note 5. « Les hommes pompent avec les yeux les vertus et les vices. […] On peut être vertueux ou vicieux, comme le caillou rude ou poli, par le frottement de ce qui nous entoure ». Cette croyance à la contagion du modèle est un thème proprement utopien. On songe à Fourier attendant que l'idée phalanstérienne fasse spontanément des disciples.

page 1297 note 1. G. Duveau (Sociologie de l'Utopie) souligne la promotion sacerdotale des femmes dans l'utopie.

page 1297 note 2. Ledoux les oppose aux guerriers, violemment contestés, ainsi que l'architecture guerrière : autre thème utopien ; « les conquérants sont sur la terre, dans l'ordre du destin, ce que sont les volcans et les tempêtes dans l'ordre physique […]. On élève des colonnes pour célébrer de nombreux assassinats. Quelle erreur ! Quand appellera-t-on de ces abus r Pourquoi ne préconiserait-on pas la création ? Pourquoi ne pas la préférer aux vices destructeurs qui éteignent le germe des générations ? Les femmes renouvellent le monde ; le guerrier les détruit ».

page 1297 note 3. « C'est là où vous trouverez le bonheur mêlé de tendresse et de douceurs domestiques ; c'est là enfin où vous trouverez les principes qui font aimer les moeurs sévères. Vous y verrez des familles cénobites multiplier leur existence sur les bases naturelles qui fixent les devoirs de l'homme ; vous y verrez le travail dédaigner le tumulte des villes, abjurer la rouille du repos et s'agiter en tout sens dans le silence des bois ».

page 1299 note 1. On trouve chez Sébastien Mercier cette idée d'une utilisation possible du mal pour un plus grand bien. Il réclame en ces termes le rétablissement des loteries : « on vous a dit avec plus d'emphase que de raison que les loteries devaient être proscrites par tout gouvernement sage ; je ne pense pas ainsi : des peuples qui se connaissent en morale aussi bien que nous ont eu et ont encore des loteries. Ils savaient que tous les hommes ont des passions ; ne pouvant les détruire, ils s'efforçaient de les faire tourner au profit de la Société […]. Ils ne la privaient point de cette distraction, et la rendaient utile à l'État.*.. » (Paris pendant la Révolution, 1789-1798).

page 1300 note 5. C'est, ici encore, un thème commun à Ledoux et à Sébastien Mercier, qui décrit ainsi le Palais Royal : « tel est le cloaque infect placé au milieu de la grande cité qui menacerait la société entière d'avilissement et de pourriture, si les scandales qu'il offre n'étaient pas resserrés en un point. La contagion funeste des jeux, les excès de la cupidité sous toutes ses formes, la licence des moeurs et des artistes ne s'étendent point au reste de la ville, et c'est une chose digne de remarque que plusieurs quartiers semblent comme épurés par tous les vices qui bouillonnent au centre… » (op cit.).

page 1300 note 6. L'architecte, dit Ledoux, seul parmi les hommes ose aborder de front le problème de la débauche ; il est semblable à l'astre du jour « quand il s'est baigné dans les flots de l'océan, pour purifier les rayons brûlants, il transige avec la profondeur des mers pour reprendre un nouvel éclat… ».

page 1302 note 1. « Celui qui bâtit une grande maison et celui qui en construit une petite n'ont-ils pas un droit égal sur le talent de l'architecte qu'ils choisissent ? Oui sans doute, partout où on élève un « plain », on peut arrondir une colonne, on peut employer des dimensions analogues… »

page 1303 note 1. Dialogues philosophiques.

page 1303 note 2. H. P. Eydoux, op. cit.

page 1303 note 3. Il s'élève contre la frivolité d'un siècle qui admire « le flûteur ou le canard de Vaucanson », mais « ignore le métier à filer la laine, le coton, la soie ».

page 1303 note 4. « Voyez l'homme occupé ; innocent et tranquille, en ouvrant les yeux il semble vous dire : voyez les miroirs de mon âme ». Ledoux fait écho à Voltaire : « forcez les hommes au travail, vous les rendrez honnêtes gens ».