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Structures et mutations d'un espace protoindustriel à la fin du XVIe siècle

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Jacques Bottin*
Affiliation:
CNRS-IHMC

Extract

Un bilan historiographique portant sur les trente dernières années ferait aisément apparaître le peu d'intérêt porté à une étude globale des formes de production non agricoles en France, au début de l'époque moderne. A l'exception de certains secteurs spécifiques (métallurgie ou verrerie) elles n'ont été, hors des plus grands centres urbains et rarement avant l'époque de Colbert, ou, à plus forte raison celle de Richelieu, prises en considération autrement que du point de vue de leur complémentarité avec la production agricole. La Normandie de la fin du xvie siècle n'échappe pas à ce constat. De bonnes raisons apparentes ou réelles justifient cet état de fait : pénurie documentaire en matière d'enquêtes centrales ou régionales, caractère biaisé d'une information très largement réglementaire et normative, valeur aléatoire d'estimations globales portant plus sur l'échange que sur la production.

Summary

Summary

Because of its functions and commercial power, Rouen furnishes a privileged observatory of late 16th century proto-industry in one of France's earliest developed regions: Normandy. Centered on spatial diffusion and quantitative levels, the analysis of collected data from notary archives leads to two-pronged results. Starting in the 1580s, the production levels attained by the heaviest export sector—that of cloth fabrication— are comparable in volume to those of the 18th century. But from the 16th to the 18th century, the localization of this activity, due to the cotton boom, undergoes a geographical “transfer” from wooded regions south of the Seine to the Caux countryside. This change in intra-regional balance, which also affected other activities, leads one to pay particular attention to the intervention modalities and organizational capacities of the commercial metropolis in the non-agricultural productive sector.

Type
Les Villes et Leur Arrière-Pays
Copyright
Copyright © École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1988

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References

Notes

1. Le contraste est, de ce point de vue, frappant par rapport à l'historiographie anglaise ou allemande (cf. la mise au point récente de Clarkson, L. A., Proto-Industrialization : The First Phase of Industrialization ?, Londres, MacMillan Google Scholar, « Studies in Economie and Social History », 1985). On peut se demander si cette situation ne contribue pas à fausser notre appréciation du niveau de développement économique de la France, plus exactement de certaines régions françaises, et à le minimiser dans une perspective comparatiste européenne. Voici vingt-cinq ans, Deyon, P., « Variations de la production textile aux XVIe et XVIIe siècles : sources et premiers résultats », Annales ESC, 1963, 5, pp. 939954 Google Scholar constatait cette carence et montrait qu'au XVIIe siècle au moins les sources ne manquaient pas pour une histoire quantifiée de la production textile. A l'échelle régionale, un recensement des articles parus depuis vingt ans dans les Annales de Normandie confirmerait le peu d'intérêt porté à l'histoire de la production non agricole entre la grande période de la draperie rouennaise et l'essor du coton. En fait, la plupart des analyses de la protoindustrie au xvrn1 siècle, qu'il s'agisse du textile ou de la métallurgie, se situent dans la perspective « généalogique » des évolutions, essor ou déclin, du XIXe siècle.

2. Deux réserves majeures peuvent être formulées quant à la représentativité de la carte : l'impossibilité, dans laquelle on se trouve souvent, pour le textile, de distinguer entre lieu de production et de collecte ; les lacunes, liée à l'approche commerciale, que l'on peut observer dans la géographie de la métallurgie. Sur la très longue durée, une comparaison est possible pour l'actuel département de l'Eure dont la géographie industrielle vers 1840 conserve de nombreux points communs avec celle de la fin du XVIe siècle, cf. J. -M. Chaplain et J. -F. Belhoste, « Le patrimoine industriel dans le département de l'Eure (XVIIIe-XIXe siècles) », Connaissance de l'Eure, 47-48, 1983.

3. L'exemple de Caen illustre assez bien la faible résistance que l'attraction rouennaise peut rencontrer de la part des centres urbains secondaires, du fait de leur faible insertion dans les circuits internationaux de l'échange. Perrot, J. -Cl., Genèse d'une ville moderne, Caen au XVIIIe siècle, Paris-La Haye, Mouton, 1975, p. 440 Google Scholar ss, le constate encore à la fin du xvrae siècle.

4. On est frappé par la coïncidence entre la structure spatiale des achats anglais et la route Rouen-Bernay-Argentan ou Alençon et de là Saint-Malo ou Rennes. Cf. de ce point de vue les corrélations possibles avec les lieux cités par Estienne, Ch., La guide des chemins de France, Bonnerot, J. éd., Paris, Bibliothèque de l'École des Hautes Études, 1935-1936, 2 vols, pp. 131 135.Google Scholar

5. Sur l'évolution du pays de Caux au XVIe siècle, cf. Bois, G., Crise duféodalisme. Économie rurale et démographie en Normandie orientale du début du 14e siècle au milieu du 16e siècle, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1976, 416 p.Google Scholar (p. 340) qui pense observer un développement de l'industrie rurale à partir de l'examen des redevances seigneuriales. Si les inventaires paysans confirment la présence d'activités textiles à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, cf. Bottin, J., Seigneurs et paysans dans l'ouest du pays de Caux, 1540-1650, Paris, Le Sycomore, 1983, 350 p.Google Scholar (pp. 250-251), rien dans la documentation commerciale ne suggère une diffusion de cette production autrement qu'à une échelle locale.

6. Ces localisations paraissent, encore plus qu'au sud de la Seine, déterminées par des facteurs physiques (vallées de l'Andelle, de la Lézarde, de la Durdent), et appartiennent à des écosystèmes très différents de celui des plateaux limoneux du pays de Caux. Elles sont aussi souvent antérieures au xvie siècle.

7. En mai 1601, les marchands et les échevins de Rouen, dans leurs remontrances contre l'édit du sol pour livre imposé sur les toiles font observer que « par espécial en la Normandie et Bretaigne, la manufacture de la filace et toile est l'entretien du menu peuple qui, cessant ladite manufacture, sera en toute pauvreté et mandicité », texte cité dans Cahiers des Etats de Normandie sous le règne de Henri IV, Ch. De Robillard De Beaurepaire éd., t. I (1589-1601), Rouen, 1880, p. 355.

8. L'assimilation au modèle de Mendels tel qu'il a été défini dans l'article fondateur « Proto- Industrialization : The First Phase of the Industrialization Process », Journal of Economie History, XXXII, 1972, p. 241, pose cependant un problème puisque la Basse-Normandie fournit au xixe siècle plutôt l'exemple d'un ratage industriel. Question envisagée par P. Deyon dans « L'enjeu des discussions autour du concept de protoindustrialisation », Revue du Nord, janviermars 1979, pp. 9-15 et qui met en cause la stabilité des équilibres entre les activités.

9. Cahiers des États de Normandie, t. I, p. 356. Les échevins expliquent d'ailleurs l'importance de l'industrie toilière normande par cette seule raison et non par le manque de savoir-faire ou de matières premières des autres pays.

10. Sur cette différenciation, essentielle, encore au xvne siècle, cf. Bardet, J.-P., Rouen aux XVIIe et XVIIIe siècles : les mutations d'un espace social, Paris, SEDeS, 1983, 2 vols, pp. 188 Google Scholar et 203. Il est cependant probable que la proportion des ouvriers « médiocrement formés » s'est accrue, par rapport au nombre des ouvriers qualifiés, du xvie au milieu du xvne siècle, à Rouen.

11. Cf. par exemple la procuration donnée par Guy et Antoine Damiens, marchands rouennais, à un marchand français de Séville, pour faire rendre compte à leur neveu et facteur d'une cargaison de 121 ballots de toiles blanches, ADSM, tabellionage de Rouen, 2 El, Meubles lre série, 23 avril 1603.

12. ADSM, juridiction consulaire de Rouen, 201 BP 694.

13. En ce qui concerne l'estimation de la longueur des pièces, le chiffre proposé, valeur moyenne des données relevées dans la documentation notariale, semble plausible en raison des faibles écarts constatés (pas plus de 10 à 15 %). Pour l'estimation globale de la production on se reportera aux chiffres cités par J.-P. Bardet, op. cit., p. 202 qui établissent une moyenne annuelle, sur la période de 1775-1783 de 30 000 pièces, chiffre qui ne vaut sans doute pas pour les toiles tout coton que S. Chassagne, « La diffusion de l'industrie cotonnière en France (1750- 1850) », Revue du Nord, janvier-mars 1979, p. 101, estime à près de 60 000 pièces. Au début du xvme siècle, P. Dardel, Commerce, industrie et navigation à Rouen et au Havre au XVIIIesiècle, Fécamp, 1966, pp. 322-323, montre que la production n'excède pas les 18 000 pièces par an. De quoi justifier davantage une étude de la protoindustrialisation sur le long terme et qui remonte audelà de 1650.

14. Près de 90 transferts de créances répertoriés dans les registres du tabellionage rouennais, ADSM, 2 El, 1573, Meubles lre (8 registres) et 2e séries (4 registres).

15. Cette proportion est à rapprocher des indications fournies par J.-P. Bardet, op. cit., p. 202, pour le xvme siècle, qui établissent la part de la ville dans la production de la généralité à un peu plus du quart en volume et près du tiers en valeur.

16. Les éléments épars relevés dans le tabellionage de Rouen, à la fin des années 1580, permettent d'évaluer le fermage du drap de sceau pour toute la Normandie à 9 600 livres par an. Le détail par zones de production, avec des chiffres qui s'échelonnent entre 1584 et 1587 est le suivant : Darnétal 900 1., Breteuil 600 1., Louviers 450 1., Évreux 340 1., Cany 500 1., Montivilliers-Harfleur 300 1., Caudebec 240 1. La part de Rouen dépasse donc les 6 000 livres.

17. ADSM, tabellionage de Rouen, 2 El/931.

18. Richard, G., « La grande métallurgie en Haute-Normandie à la fin du XVIIIe siècle », Annales de Normandie, 4, 1962, pp. 263290 CrossRefGoogle Scholar, qui indique des valeurs de 200 t de fer par an, pour certains sites du Perche.

19. Sur cette métallurgie de l'Ouche et pour le xvie siècle, c'est encore Vidalenc, J., La petite métallurgie rurale en Haute-Normandie sous l'Ancien Régime, Paris, 1946 Google Scholar, qui fournit, sur les deux principaux centres exportateurs, Rugles et Laigle, les indications techniques les plus précises.

20. Cf. la livraison faite par huit maîtres de navires de Middelbourg à Jacques Muysson, marchand de Rouen, de charbon de terre « le tout chargé au Neuf Chastel », le 21 août 1587, ADSM, 2 El/930 ; des témoignages comparables sont observables dès le XVe siècle, voir Mollat, M., Le commerce maritime normand à la fin du Moyen Age, Paris, 1952, pp. 150151.Google Scholar

21. Cf. Awty, B. G., « The Continental Origin of Wealden Iron Workers, 1451-1544 », Economie History Review, XXXIV, 4, 1981, pp. 524539 Google Scholar, qui montre les transferts de technologie vers l'Angleterre liés à l'exode des maîtres de forge engendré par ce déclin.

22. Richard, G., art. cité, et aussi Pelatan, J., « Une industrie méconnue : la métallurgie dans le Perche aux XVIIIe et XIXe siècles », Annales de Normandie, 4, 1985, pp. 325348 Google Scholar, qui mettent en évidence l'ancienneté des implantations sidérurgiques du Perche et l'amorce de leur déclin, dès le xvme siècle.

23. J.-P. Bardet, op. cit., pp. 23-51, tout en se refusant à des conclusions trop affirmées sur les niveaux de population à Rouen au début du xvne siècle, met bien en évidence le haut niveau des mariages sous Henri IV et Louis XIII qu'il paraît possible d'expliquer en partie par l'immigration d'origine rurale.

24. Inventaire sommaire des archives communales de Rouen antérieures à 1790, Rouen, 1887, Ch. De Robillard De Beaurepaire éd., p. 272, col. 1.

25. G. Lemarchand, La fin du féodalisme dans le pays de Caux, conjoncture économique et démographique et structure sociale dans une région de grande culture, de la crise du XVIIe siècle à la stabilisation de la Révolution (1640-1795), Thèse Lettres, 3 volumes dactylographiés, p. 186 note que « le développement nouveau de l'industrie permet de limiter les dégâts sociaux dus à la régression de l'emploi agricole ».

26. La substitution du coton au lin et au chanvre — dans le cas du pays de Caux il s'agit surtout de lin — est soulignée par S. Chassagne, « Industrialisation et désindustrialisation dans les campagnes françaises : quelques réflexions à partir du textile », Revue du Nord, janvier-mars 1981, t. LXIII, p. 47.

27. P. Dardel, op. cit., p. 119, souligne la rapidité de l'essor cotonnier à Rouen et dans le pays de Caux au xvme siècle : une multiplication par 4,5 à 5 en valeur, pour les toileries et siamoises, entre 1719 et 1750.

28. Le déclin des toiles traditionnelles, les fleurets blancards, au XVIIIe siècle, est clairement mis en relation avec le développement du coton par le Conseil de Commerce, en 1726 : « L'unique cause de ce défaut (la baisse de qualité) et de la diminution du nombre de pièces de ces toiles est la rareté et la grande cherté des fils de lin, la principale raison du haut prix où sont montés les fils, c'est l'augmentation prodigieuse de la manufacture des étoffes de fils et cotton, comme les siamoises, les toiles rayées et à carreaux. Cette manufacture enlève les fils les plus beaux et les meilleurs qui cy-devant s'employoient dans les toiles fleurets blancards », cité dans L'intendance de Rouen en 1698, édition critique du mémoire rédigé par l'intendant La Bourdonnaye pour l'instruction du duc de Bourgogne, G. Hurpin éd., Paris, C.T.H.S., 1985, p. 309.

29. Cahiers des États sous le règne de Henri III, Ch. De Robillard De Beaurepaire éd., t. II, octobre 1595, p. 10.

30. Le 19 février 1636 un arrêt du parlement de Rouen impose que le sixième de la production drapière soit foulé au pied, ADSM, F 345, fonds Guitard.

31. Le fait est confirmé pour le xvme siècle par P. Dardel, op. cit., p. 111, qui évalue à 10 % la part des draps exportés depuis Elbeuf, le principal centre exportateur du moment.

32. Les chiffres recueillis dans la deuxième série des Meubles du tabellionage de Rouen sont les suivants : en 1586, 13 800 L, en 1601, 9 750 L, pour les années 1604-1605, 16 600 L, chiffre sans doute optimiste puisqu'en 1616 l'adjudication s'établit à 14 900 L.

33. Sur cette mutation de la production drapière en Normandie l'exemple le mieux connu est celui de Louviers grâce à Chaplain, J.-M., La chambre des tisseurs. Louviers, cité drapière, 1680- 1840, Seyssel, Champvallon, 1984.Google Scholar

34. Voir également l'expérience tentée à Rouen par William Lee, en 1611, avec l'implantation de métiers à tricoter les bas, cité par Thirsk, Joan, « The Fantastical Folly of Fashion : The English Stocking Knitting Industry, 1500-1700 », dans Textile History and Economie History. Essays in Honour of Miss Julia de Lacy Mann, Harte, N. B. et Ponting, K. G. éds, Londres, Manchester Univ. Press, 1973, p. 70.Google Scholar

35. Liste très illustrative, pour le début du XVIIIe siècle, dans L'intendance de Rouen, op. cit., pp. 294-295.

36. Le seul secteur où l'approvisionnement par la ville des activités rurales puisse être perçu avec une certaine continuité se trouve être la draperie où l'on saisit, à diverses reprises, la vente de laine du cr (Caux ou Roumois) plutôt que d'Espagne par des marchands mégissiers rouennais à des drapiers de La Londe (ouest d'Elbeuf). On saisit mieux le processus pour des secteurs plus concentrés au plan technique et géographique (laiton ou fil de fer pour la métallurgie de l'Ouche, cuir pour quelques petites villes).

37. J. Vidalenc, op. cit., pp. 77-83.

38. Cf., par exemple, l'achat réalisé par Francisco Ontaneda, marchand espagnol de Rouen, de 8 315 aunes de toiles écrues, envoyées de Vitré, blanchies par Mathurin Le Moyne, marchand au Neubourg, reçues à Rouen le 9 juin 1587 et vendues sans doute à destination de l'Espagne à Antonio Fernandes, ADSM, tabellionage de Rouen, Meubles lre série, Pâques-Saint-Michel 1587.

39. De nombreux témoignages sur ce point dans la correspondance de Simon Ruiz, cf. Lapeyre, Henri, Une famille de marchands, les Ruiz, Paris, 1955, p. 506.Google Scholar

40. Cahiers des États sous le règne de Henri IV, t. 1, pp. 356-357.

41. Gullickson, G.-L., « Agriculture and Cottage Industry : Redefining the Causes of Proto- Industrialization », Journal of Economie History, vol. XLIII, 4, 1983, pp. 831850.CrossRefGoogle Scholar